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Jean-Charles François

Access to the English translation: Collective Invention

 


 

Invention musicale collective

dans le cadre de la diversité des cultures

Jean-Charles François

 

Sommaire :

1. Introduction
2. Formes alternatives aux œuvres d’art définitives
3. Improvisation
4. Processus artistiques ou seulement interactions humaines ?
5. Protocoles
6. Conclusion
 


Introduction

Le monde dans lequel nous vivons peut être défini comme celui de la coexistence d’une grande diversité de pratiques et de cultures. C’est ainsi qu’il est difficile aujourd’hui de penser en termes de monde moderne occidental, de philosophie orientale, de tradition africaine ou autres étiquettes trop faciles à utiliser pour nous orienter dans le chaos ambiant. On est en présence d’une infinité de réseaux et on appartient sans doute très souvent à plusieurs réseaux à la fois. Il s’agit par conséquent de penser les pratiques musicales en termes de problèmes écologiques. Une pratique peut en tuer une autre. Une pratique peut être directement en rapport avec une autre et pourtant elles peuvent toutes les deux garder leur particularité et affirmer leurs différences. Une pratique peut dépendre pour sa survie d’une autre pratique souvent antagoniste. L’écologie des pratiques (voir Stengers 1996, chapitre 3), ou comment faire face à un monde multiculturel potentiellement violent, est devenue une question en lien profond avec le futur de notre planète.

La recherche à laquelle j’ai activement participé entre 1990 et 2007 a consisté à inventer des dispositifs de médiation active entre des groupes de musiciens affirmant leurs différences à travers des pratiques culturelles ou des styles de musique. Cette recherche a été menée dans le cadre de l’élaboration des programmes d’études au Cefedem AuRA à Lyon – un lieu de formation des professeurs de l’enseignement spécialisé de la musique – en directe collaboration avec Eddy Schepens et toute l’équipe pédagogique et administrative de cette institution. À partir de l’année 2000, des étudiants provenant de quatre terrains d’action ont été appelé à travailler ensemble dans une même promotion menant au Diplôme d’État de professeur de musique : musiques actuelles amplifiées, jazz, musiques traditionnelles et musique classique. Le programme d’études a été basés sur deux impératifs distincts : a) chaque genre musical devait être reconnu comme autonome dans ses spécificités pratiques et théoriques ; et b) chaque genre musical devait collaborer avec tous les autres dans des projets artistiques et pédagogiques spécifiques. Nous nous sommes ensuite confrontés au problème de savoir comment faire face à la différence de culture qui existe entre une tradition d’enseignement formalisée à l’extrême mais avec peu de présentations publiques, et des traditions qui sont basées sur des formes atypiques ou informelles d’apprentissage directement liées à des interactions avec un public. Le problème qu’il a fallu ensuite résoudre peut être formulé comme suit : le secteur classique tend à développer une identité basée sur l’instrument ou la production vocale dans une posture où il s’agit d’être prêt à jouer toutes formes de musiques (à condition qu’elles soient écrites sur une partition) ; les autres genres musicaux ont tendance à exiger de leurs membres une forte identité basée sur le style de musique en tant que tel accompagnée d’une approche technique uniquement basée sur ce qui est nécessaire à exprimer cette identité. Notre tâche a consisté à trouver des solutions capables d’inclure tous les ingrédients de cette triple équation. Deux concepts ont pu émerger : a) le programme d’études serait centré sur les projets des étudiants et non plus sur une série de cours et la définition de leur contenu (bien qu’ils ont continué à exister) ; b) les projets devraient être basés sur le principe d’un contrat liant les étudiants à un certain nombre de contraintes déterminées par l’institution et sur lequel l’évaluation serait fondée. Une publication, Enseigner la Musique a rendu compte de nombreux aspects de cette recherche et sur la pédagogie de la musique (voir par exemple François et al. 2007).

En prenant en compte comme modèle ce concept de rencontres interculturelles, des situations expérimentales ont été développées à Lyon par le collectif PaaLabRes (« Pratiques Artistiques en Actes, Laboratoire de RechercheS ») à partir de 2011. Plusieurs projets ont pu être développés :

  • Un petit groupe de musiciens improvisateurs s’est réuni pour travailler sur des protocoles en vue de développer des matériaux en commun dans le contexte d’invention collective[1]. Ces protocoles ont été expérimentés et discutés par ce petit groupe, puis appliqués dans un certain nombre d’ateliers d’improvisation s’adressant à des publics très différents : professionnels, amateurs, débutants, étudiants, musiciens et danseurs appartenant à différentes esthétiques ou traditions (2011-2015).
  • Entre 2015 et 2017, des rencontres ont été organisées au Ramdam (Centre d’arts) près de Lyon entre la danse (membres de la Compagnie Maguy Marin entre autres) et la musique (membres du collectif PaaLabRes) sur cinq week-end de travail autour de l’idée de développer des matériaux communs dans des perspectives d’improvisation collective.
  • Dans le cadre de la publications de deux premières éditions de ce site « paalabre.org », une réflexion a été menée sur la recherche artistique par rapport à la diversité des pratiques artistiques, des expressions esthétiques et des contextes allant notamment de la pédagogie aux présentations sur scène, du monde professionnel et de celui beaucoup plus informel de ceux qu’on n’arrive pas à classifier. (Voir dans la première édition de l’espace numérique paalabres.org, la station « débat » sur la ligne recherche-artistique).

 

2. Formes alternatives aux œuvres d’art définitives

Les situations d’improvisation peuvent être perçues comme une bonne manière d’aborder les problèmes liés aux rencontres hétérogènes, non pas en se focalisant sur des valeurs esthétiques, mais plutôt sur les processus démocratiques que cette situation semble promouvoir : chaque participant est complètement responsable de sa production et de sa manière d’interagir avec autrui, et aussi avec les divers moyens de production mis à disposition.

La définition de l’improvisation, dans le cadre des pratiques artistiques de l’occident – dans ses formes les plus « libres » – est souvent proposée comme une alternative à la musique écrite qui a dominé pendant au moins deux siècles la musique savante européenne. L’improvisation face au structuralisme des années 1950-60 a eu tendance à proposer une simple inversion du modèle jusqu’ici dominant :

  1. L’interprète, considéré jusqu’alors comme n’étant pas un élément majeur participant à la création d’œuvres, devient par le biais de l’improvisation complètement responsable de sa propre création, en évitant de créer des œuvres définitives.
  2. La pratique d’écrire des signes sur une partition et de les respecter dans l’interprétation va être remplacée par l’absence de toute notation visuelle et la prévalence de la communication orale.
  3. Il n’y aura plus d’œuvres fixées définitivement dans l’histoire, mais des processus qui se modifient continuellement à l’infini.
  4. La lente réflexion, menée dans l’espace privé par le compositeur lors de l’élaboration d’une pièce donnée, va être remplacée par un acte instantané, dans l’inspiration du moment, sur la scène et en présence du public.
  5. À la place de compositions se définissant de plus en plus comme des objets autonomes articulant leur propre langage et tour de main particulier, l’improvisation libre tendra à se diriger vers le « non-idiomatique » (voir Bailey 1992, p. xi-xii)[2] ou vers le « tout-idiomatique » (la capacité d’emprunter des matériaux provenant de tous les domaines culturels).

Et ainsi de suite, tous les termes étant inversés.

Mais pour que cette inversion puisse devenir réalité, des éléments de stabilité doivent rester en place : la présence d’artistes professionnels ou considérés comme tels se produisant sur une scène devant un public constitué de mélomanes éduqués. La stabilité historique de musiciens interprètes, jouant dans des concerts publics, héritée dans une très grande mesure du XIXe siècle, va de pair avec ce que Howard Becker a appelé le « package » (ou lot) : une situation hégémonique qui contrôle d’une manière globale toutes les actions dans un domaine donné avec des conditions économiques particulières, la définition des rôles professionnels et la présence d’institutions d’enseignement idoines (voir Becker 2007, p. 90). L’inversion des termes apparaît être là pour garantir que certaines attitudes esthétiques puissent rester telles quelles : par exemple, le concept de la musique « non-idiomatique » peut être considéré comme prolongeant et renforçant la conception moderniste d’un renouvellement constant des sonorités ou de leurs combinaisons s’inscrivant dans des objets musicaux construisant une histoire. On ne sait pas quel idiome va résulter du travail du compositeur, mais l’idéal est d’arriver à un idiome personnel. L’improvisateur doit venir sur scène sans à-priori idiomatique, mais le résultat sera idiomatique seulement pour la durée du concert. L’idéal de la « table rase » persiste dans l’idée que chaque improvisation doit pouvoir s’éloigner des sentiers battus.

L’improvisation envisagée à la lumière des concepts « paalabriens » de nomade et de transversal ne peut pas se limiter à l’idée qu’il s’agit là d’une alternative à la sédentarité des êtres humains personnifiés par le milieu de la musique classique occidentale. Les pratiques nomades et transversales ne peuvent pas non plus prétendre se présenter comme une alternative aux formes artistiques institutionnelles, à travers les mouvements indéterminés de leur errance sans fin. Les nomades (transversaux) ont plutôt la tâche de se confronter à la complexité des pratiques se situant entre les formes de communication orales et écrites, entre la production des timbres et leur articulation syntactique, entre la spontanéité des gestes et leur prédétermination, entre l’interactivité à l’intérieur d’un groupe et l’élaboration d’une contribution personnelle originale.

 

3. Improvisation

Un des aspects le plus important de l’improvisation – en tant qu’élément distinct de la musique écrite sur partitions ou de la chorégraphie précisément fixée – c’est la responsabilité partagée entre plusieurs participants pour créer une production collective. Toutefois, le contenu exact de cette créativité collective dans la réalité des improvisations semble peu clair. Dans l’improvisation, l’accent est mis sur la production sur scène et en public non planifiée à l’avance, et sur l’acte éphémère qui ne va se passer qu’une seule fois. L’idéal de l’improvisation semble dépendre de l’absence de préparation avant le déroulement de l’acte en tant que tel. Pourtant, la réalité de l’acte d’improvisation ne peut se dérouler si les participants ne sont pas tous prêts individuellement à le faire. La prestation sur scène peut ne pas être préparée dans les détails de son déroulement, mais d’une façon générale, elle ne peut pas non plus être réussie sans la présence d’une préparation intense. Voilà une situation bien paradoxale.

Deux modèles de pratique de l’improvisation peuvent être définis, et il faut bien se souvenir que les modèles théoriques ne sont là que pour différencier des points de référence permettant à une réflexion de se développer, mais qu’ils ne correspondent jamais à une réalité beaucoup plus complexe. Dans le premier modèle, les improvisateurs doivent se préparer individuellement de manière intensive pendant de longues années, afin de pouvoir assumer une voix personnelle, une manière unique de produire des actes sonores ou gestuels. Cette voix personnelle ou manière de jouer doit être inscrite dans la mémoire – inscrite dans le corps – dans une collection la plus large possible de répertoires. C’est là la principale condition de l’acte créatif de l’improvisation : les éléments d’invention ne sont pas inscrit sur un support indépendant – comme la partition – mais ils sont directement incarné dans les capacités de jeu de l’improvisateur. Les participants se rencontrent sur la scène en tant qu’individus séparés pour produire quelque chose ensemble de manière non prévue à l’avance. La production sur scène sera la superposition de discours personnels, mais si les participants peuvent anticiper sur ce que les partenaires vont pouvoir produire (surtout s’ils ont déjà joué ensemble ou assisté à leurs prestations respectives) ils vont être capables de construire ensemble, dans le cadre de cette impréparation, un univers original de sonorités et/ou de gestes. L’accent mis sur la préparation individuelle semble tout même favoriser un réseau assez homogène d’improvisateurs. Ce réseau est géographiquement très large et impose, sans avoir à les spécifier, les conditions d’accès par une série de règles implicites et non écrites. L’accent principal de ce modèle est centré sur la prestation en public sur scène et les enjeux sont placés très haut pour que la rencontre entre les actes gestuels ou sonores des unes et des autres soient de grande qualité, en incluant aussi les attitudes et les réactions du public.

L’autre modèle alternatif met l’accent sur la co-construction collective d’un univers déterminé indépendamment de toute présentation sur scène ou d’autres types d’événement. Cela implique qu’un temps important doit être trouvé pour élaborer un répertoire de matériaux (sonores ou autres) appartenant à un groupe permanent de personnes. Un nombre suffisant de sessions de travail en commun doit avoir lieu en présence de tous les membres d’un groupe donné. Ce second modèle n’a pas beaucoup d’intérêt si les membres du groupe proviennent d’un milieu social et artistique homogène, notamment s’ils ont acquis un statut professionnel par le passage dans les mêmes institutions d’enseignement et les mêmes dispositifs de qualifications. S’ils ne sont pas différents dans un certain nombre d’aspects, il semble que le premier modèle soit plus à même d’assurer sans trop de difficulté la construction collective d’un univers artistique donné lors des prestations sur scène. Mais s’ils sont différents, et surtout s’ils sont très différents au point d’être plutôt antagonistes, l’idée de construire ensemble un matériau commun n’est pas une simple tâche. D’une part, les différences entre les participants doit être maintenue, elles doivent être pleinement mutuellement respectées. D’autre part, construire quelque chose ensemble va exiger de chaque participant d’être capable de laisser derrière soi les comportements habituels et traditionnels. C’est une première situation paradoxale. Mais il y a immédiatement un deuxième paradoxe qui vient encore compliquer les choses : d’une part le matériau qui est développé collectivement doit être plus élaboré que la simple superposition de discours parallèles pour pouvoir être qualifié de co-construction ; et d’autre part, le matériau ne doit pas non plus se figer dans une structuration qui équivaudrait à fixer les choses comme dans un composition écrite, le matériau doit pouvoir rester ouvert à des manipulations et des variations à réaliser dans le moment présent de l’improvisation. Les participants doivent pouvoir rester libres de leurs interactions dans l’esprit du moment. Ce second modèle n’exclut pas les prestations en public mais n’est pas limité à cette obligation. Il est centré sur des processus collectifs et peut se dérouler dans différents contextes d’interactions sociales.

Les défis auxquels on a à faire face dans le second modèle sont directement liés aux débats autour des moyens à convoquer pour faire tomber les murs. Il n’est pas suffisant de rassembler des personnes d’origines ou de cultures différentes dans un même lieu pour que des relations plus profondes puissent se développer. Il n’est pas non plus suffisant d’inventer de nouvelles méthodologies appropriées à une situation donnée pour que par miracle la coexistence pacifique puisse s’installer. Pour faire face à la complexité, on a besoin de développer des situations dans lesquelles un certain nombre d’ingrédients doivent être présents : a) chaque participant doit avoir une connaissance de ce que chacun des autres représente ; b) chaque participant est obligé de respecter des règles élaborées en commun ; c) chaque participant pourtant doit pouvoir retenir une importante marge d’initiative personnelle pour exprimer sa différence ; d) il y a des moments où une forme de leadership peut émerger, mais dans son ensemble le contexte doit rester dans les limites d’un processus démocratique. Toute cette complexité démontre les vertus d’un bricolage pragmatique guidé par ce « dispositif » de principes et de contraintes.

Comme l’a démontré le sociologue et pianiste de jazz David Sudnow lorsqu’il a décrit son propre processus d’apprentissage de l’improvisation dans le jazz, les modèles sonores et visuels, bien qu’ils soient des éléments essentiels dans la définition des objectifs à atteindre, ne sont pas suffisant pour produire des résultats probants par le biais de simples imitations :

Quand mon professeur m’a dit, « maintenant que vous êtes capable de jouer ces thèmes, essayez d’improviser des mélodies avec la main droite », et quand je suis rentré à la maison et que j’ai écouté mes disques de jazz, c’était comme si la tâche à accomplir était de rentrer chez soi et de se mettre à parler français. Il y avait ce français qui défilait dans un flot rapide de sons étranges, dans un tourbillon rapide, des styles à l’intérieur de styles dans le cours du jeu de n’importe quel musicien. (Sudnow 2001, p. 17)

Un certain degré de bricolage est nécessaire pour permettre aux participants d’arriver à réaliser leurs objectifs en réalisant leurs propres détours hors de la logique du professeur.

L’idée de dispositif associé à celle de bricolage correspond à la définition du dictionnaire : « Ensemble de mesures prises, de moyens mis en œuvre pour une intervention précise » (Larousse en ligne). On peut aussi se référer à la définition donnée par Michel Foucault comme « un ensemble résolument hétérogène, comportant des discours, des institutions, des aménagements d’architectures, des décisions réglementaires, des lois, des mesures administratives, des énoncés scientifiques, des propos philosophiques, moraux, philanthropiques, du dit aussi bien que du non-dit… » (Foucault 1977, voir aussi la station timbre dans la première édition de paalabres.org).

En appliquant cette idée à la co-production de matériaux sonores ou gestuels dans les domaines artistiques, les éléments institutionnels de cette définition sont bien sûr présents, mais l’accent est mis ici sur les réseaux d’éléments créés par les actions réalisées au quotidien, qui sont contextualisées par des personnes qui sont présentes et des matériaux mis à disposition. Les moyens sont ainsi définis ici comme concernant en même temps des personnes, leur statut social et hiérarchique au sein d’une communauté artistique donnée, les matériaux, instruments et techniques mis à disposition, les espaces dans lesquels les actions ont lieu, les interactions particulières – formelles ou non – entre les participants, entre les participants et les matériaux ou techniques, et les interactions avec le monde extérieur au groupe. Les dispositifs sont plus ou moins formalisés par des chartes, des protocoles d’action, des partitions ou images graphiques, des conditions d’appartenance au groupe, des processus d’évaluation (formels ou informels), des procédures d’apprentissage et de recherche. Dans une très grande mesure, les dispositifs sont régulés quotidiennement de manière orale, dans des contextes qui peuvent se modifier substantiellement par rapport aux circonstances, et à travers des interactions qui par leur instabilité peuvent produire des résultats très différents.

 

4. Processus artistiques ou seulement interactions humaines ?

L’idée de « dispositif » à la fois empêche que les actes artistiques soient simplement limités à des objets autonomes bien identifiés et elle élargit considérablement le champ des activités artistiques. Le réseau qui continuellement se forme, s’informe et se déforme lui-même ne peut pas se limiter à se concentrer sur un seul objectif de production de matériaux artistiques en vue de la satisfaction du public. Les processus ne sont plus définis à partir de sphères de spécialisation prédéfinies. Le terme d’improvisation ne se limite plus de manière stricte à une série de principes sacrés de liberté absolue et de spontanéité ou au contraire de respect d’une quelconque tradition. L’improvisation peut incorporer en son sein des activités qui impliquent une variété de supports – y compris écrits sur papier – pour arriver à des résultats s’inscrivant dans des contextes particuliers. La pureté des prises de positions tranchées et définitives ne peut plus être ce qui doit dicter tous les comportements possibles. Cela ne veut pas dire que les idéaux sont effacés et que les valeurs qu’on veut placer en exergue de la réalité des pratiques ont perdu leur importance primordiale.

La confrontation des pratiques artistiques nomades et transversales aux impératifs des institutions peut s’exprimer dans plusieurs domaines : l’improvisation, la recherche artistique, l’enseignement artistique, l’élaboration de programmes d’études, le renouveau des pratiques traditionnelles, etc. De plus en plus d’artistes se trouvent dans une situation dans laquelle leur pratique en termes strictement artistiques est considérablement élargie par ce qu’on appelle la « médiation » (voir Hennion 1993 et 1995) : activités pédagogiques, éducation populaire, participation du public, interactions sociales, hybridité des domaines artistiques, etc. L’immersion des activités artistiques dans les domaines du social, de l’éducation, des technologies, et du politique implique l’utilisation d’outils de recherche et de collaboration avec la recherche formelle en tant que nécessité dans l’élaboration des objets ou processus artistiques (voir Coessens 2009, et la station the artistic turn de la première éditon de paalabres.org). Les pratiques de recherche dans les domaines artistiques ont pour une grande part absolument besoin de la légitimité et de l’évaluation des instances universitaires, mais il est tout aussi important de reconnaître qu’elles doivent être considérées comme faisant partie d’une « science excentrique » (voir Deleuze et Guatarri, 1980, pp. 446-464), qui change considérablement le sens qu’on peut mettre dans le terme de recherche. Ce que les artistes peuvent apporter à la recherche concerne le questionnement contenu dans leurs pratiques mêmes : l’effacement de la séparation entre les acteurs et les observateurs, entre la manière scientifique de publier les résultats d’une recherche et d’autres formes informelles de présentation, entre les actes artistiques et la réflexion à leur sujet.

Une réponse nomadique et transversale peut se trouver le long d’un cheminement entre la liberté des actes créatifs et l’imposition stricte des règles canoniques de la tradition. Dans ce contexte l’acte créatif ne peut plus être envisagé comme la simple expression individuelle affirmant sa liberté par rapport à une fiction d’universalité. La constitution d’un collectif particulier, définissant au fur et à mesure ses propres règles, doit jouer, dans un frottement instable, à l’encontre des velléités imaginatives individuelles. Mettre une personne en position de recherche consisterait à ancrer l’acte créatif dans la formulation par un collectif d’un processus problématique ; la liberté absolue de création est maintenant liée à des interactions collectives et à ce qui est mis en jeu dans ce processus, sans se limiter aux règles strictes d’un modèle donné. L’acte créatif ne serait plus considéré comme un objet en soi absolu et l’accent serait mis sur les nombreuses médiations qui le déterminent comme un contexte particulier à la fois esthétique et éthique : la convergence à un certain moment d’un certain nombre de participants dans une forme de projet. Les nœuds de cette convergence doivent être expliqués non pas en termes de résultat particulier souhaité, mais en termes de constitution d’une sorte de tableau de la complexité problématique de la situation à son origine : un système de contraintes qui traite de l’interaction entre les matériaux, les espaces, les institutions, les divers participants, les ressources disponibles, les références, etc. D’après Isabelle Stengers, l’idée de contrainte, qu’il faut distinguer des « conditions », n’est pas une alternative qui est imposée de l’extérieur, ni une façon d’instituer une légitimité, mais la contrainte ne doit être satisfaite que d’une manière indéterminée et ouverte sur beaucoup de possibilités. La signification est déterminée a posteriori à la fin du processus (Stengers 1996, p. 74). Les contraintes doivent être prises en compte, mais ne définissent pas des voies à prendre lors de la réalisation du processus. Les systèmes de contraintes fonctionnent le mieux quand des personnes différentes de champs de spécialisation différents sont appelées à développer quelque chose ensemble.

 

5. Protocoles

Nous avons nommés « protocoles » des processus de recherche collective qui se passent avant une improvisation et qui vont en colorer le contenu, puis accumuler dans la mémoire collective un répertoire d’actions déterminées. Le détail de ce répertoire d’actions n’est pas fixé, et il n’est forcément décidé qu’un répertoire donné doive être convoqué lors d’une improvisation. La définition du terme de protocole est bien évidemment ambiguë et pour beaucoup semblera aller complètement à l’encontre d’une éthique de l’improvisation. Le terme est lié à des connotations de circonstances officielles, voire aristocratiques, où des comportements considérés comme acceptables ou respectables sont complètement déterminés : il s’agit de modes de conduites socialement reconnus. Protocole est aussi utilisé dans le monde médical pour décrire des séries d’actes de soins à suivre (sans omissions) dans des cas précis. Ce n’est pas dans le sens de ces contextes que nous utilisons le terme.

La définition de protocole est ici liée à des instructions écrites ou orales données à des participants au début d’une séance d’improvisation collective déterminant des règles de relations entre individus ou bien de définition d’un matériau particulier, sonore, gestuel ou autre. Elle correspond à peu près à celle du Larousse (en ligne) : « Usages conformes aux relations entre particuliers dans la vie sociale. » et « Ensemble des règles, questions, etc., définissant une opération complexe ». Les participants doivent accepter que pendant un temps limité, des règles d’interactions dans le groupe soient fixées en vue de construire quelque chose en commun ou en vue de comprendre le point de vue d’autrui, d’entrer dans un jeu avec l’autre. Une fois expérimenté, quand des situations ont pu être construites, le protocole en lui-même doit être oublié pour faire place à des interactions beaucoup moins liées à des règles de comportement, en retrouvant l’esprit de l’improvisation non planifiée. L’idéal, dans le cadre de l’élaboration des protocoles, est d’arriver à un accord collectif sur le contenu, sur la formulation des règles. En fait ce n’est que rarement le cas dans l’expérience réelle, car les gens on tendance à comprendre les règles de manière différente. Un protocole est le plus souvent proposés par une personne en particulier, l’importance étant de faire tourner parmi les autres personnes présentes la possibilité d’en proposer d’autres, et aussi de pouvoir donner la possibilité aux autres personnes d’élaborer des variations autour du protocole présenté.

La contradiction qui existe entre la préparation intensive que les improvisateurs s’imposent à eux-mêmes individuellement et l’improvisation sur scène qui se fait « sans préparation  se retrouve maintenant au niveau collectif : une préparation intensive du groupe d’improvisateurs doit avoir lieu collectivement avant qu’il soit possible d’improviser d’une manière spontanée en reprenant les éléments du répertoire accumulé, mais sans qu’il y ait une planification du détail de ce qui va se passer. Si les membres du collectif ont développé des matériaux en commun, ils peuvent maintenant plus librement les convoquer selon les contextes qui se présentent lors de l’improvisation.

C’est ainsi qu’on est en présence d’une alternance entre d’une part des moments formalisés de développement du répertoire et d’autre part des improvisations qui sont soit basées sur ce qu’on vient de travailler ou bien plus librement sur la totalité des possibilités données par le répertoire et aussi par ce qui lui est extérieur (rencontres fortuites entre productions individuelles). L’objectif est donc bien de mettre les participants dans de réelles situations d’improvisation où l’on peut déterminer son propre cheminement et dans lesquelles idéalement tous les participants sont dans des rôles spécifiques d’égale importance.

On peut catégoriser les différents types de protocoles ou de procédures, mais il faut se garder d’en dresser le catalogue détaillé, dans ce qui ressemblerait à un manuel. Les protocoles doivent de fait toujours être inventés ou réinventés dans chaque situation particulière. En effet la composition des groupes en terme d’hétérogénéité des domaines artistiques en présence, des niveaux de capacités techniques (ou autres), d’âge, de milieu social, d’origine géographique, des cultures différentes, d’objectifs particuliers par rapport à la situation du groupe, etc., doit à chaque fois déterminer ce que le protocole propose de faire et donc son contenu contextuel.

Voici quelques catégories de protocoles possibles parmi celles que nous avons explorées :

  1. Coexistence de propositions. Chaque participant peut définir une sonorité et/ou un geste particuliers. Chaque participant doit maintenir sa propre production élaborée tout au long d’une improvisation. L’improvisation ne concerne donc que la temporalité et le niveau des interventions personnelles en superpositions ou juxtapositions. L’interaction se passe au niveau d’une coexistence des diverses propositions dans des combinaisons variées choisies au moment de la performance improvisée. Des variations peuvent être introduites dans les propositions personnelles.
  2. Sonorités collectives élaborées à partir d’un modèle. Des timbres sont proposés individuellement pour être reproduits tant bien que mal par la totalité du groupe pour pouvoir créer une sonorité collective donnée.
  3. Co-construction de matériaux. Des petits groupes (4 ou 5) peuvent avoir la mission de développer une sonorité collective cohérente. Le travail s’envisage au niveau oral, mais chaque groupe peut choisir sa méthode d’élaboration, y compris par l’utilisation de notations sur papier. Puis de l’enseigner à d’autres groupes de la manière de leur choix.
  4. Constructions de structures rythmiques (boucles, cycles). La situation caractéristique de ce genre de protocole est le groupe disposé en cercle, chaque participant à son tour dans le cercle produisant un son, ou un geste, court improvisé, tout ceci dans une forme de hoquet musical. Généralement la production des sons ou des gestes qui tournent en boucle dans le cercle est basée sur une pulsation régulière. Les variations sont introduites par des silences dans le déroulement régulier, des superpositions de cycles de longueurs qui peuvent varier, d’irrégularités rythmiques, etc.
  5. Nuages, textures, sonorités et/ou mouvements gestuels collectifs – individus noyés dans la masse. Sur le modèle développé par un certain nombre de compositeur de la seconde moitié du vingtième siècle tels que Ligeti et Xenakis, des nuages ou textures sonores (cela s’applique aussi bien aux gestes et mouvements corporels) peuvent être développées à partir d’une sonorité donnée distribuée de manière hasardeuse dans le temps par un nombre suffisant de personnes les produisant. Le collectif produit une sonorité globale (ou mouvements corporels) dans laquelle les productions individuelles sont fondues dans la masse. L’improvisation consiste la plupart du temps à faire évoluer la sonorité globale ou les mouvements corporels de façon collective vers d’autres qualités sonores.
  6. Situations d’interactions sociales. Les sonorités ou les gestes ne sont pas définis, mais la manière d’interagir entre participants l’est. Premièrement il y a la situation qui consiste à passer du silence à des mouvements gestuels et corporels (ou à une sonorité) collectivement déterminés, comme dans les situations d’échauffement ou de phases de début d’improvisation dans lesquelles le jeu effectif improvisé ne commence que quand tous les participants se sont accordés dans tous les sens du mot accord : a) celui qui consiste à ce que les instruments ou les corps soient accordés b) celui qui concerne le test que fait le collectif de l’acoustique et la disposition spatiale d’une salle pour se sentir ensemble dans un environnement particulier, c) celui qui concerne le fait que les participants se sont mis d’accord pour faire socialement la même activité. C’est par exemple ce que l’on appelle le prélude dans la musique classique européenne, l’alãp dans la musique indienne classique du nord de l’Inde, un processus d’introduction progressive dans un univers sonore plus ou moins déterminé, ou à déterminer collectivement. Deuxièmement il peut s’agir d’interdictions de faire une ou plusieurs actions dans le cours de l’improvisation. Troisièmement il peut s’agir de déterminer des règles de temps de jeu des participants ou d’une structuration particulière du déroulement temporel de l’improvisation. Finalement on peut déterminer des comportements, mais pas les sonorités ou gestes que les comportements vont produire.
  7. Des objets étrangers à un domaine artistique, par exemple qui n’ont pas de fonction de produire des sons dans le cas de la musique, peuvent être introduits pour être manipulés par le collectif et déterminer indirectement la nature des sonorités ou gestes qui vont accompagner cette manipulation. L’exemple qui vient à l’esprit de manière immédiate est celui de l’illustration sonore de films muets. Mais il y a une infinité d’objets possibles à utiliser dans cette situation. L’attention des participants se porte principalement sur la manipulation de l’objet emprunté à un autre domaine et non sur la production particulière de ce qu’exige la discipline habituelle.

 

6. Conclusion

Les deux concepts de dispositif et de système de contraintes semblent être une façon intéressante de définir ce que pourrait être la recherche artistique, en particulier dans le contexte de projets de création collective dans des groupes non homogènes : créations collectives improvisées, actes artistiques s’inscrivant dans des contextes socio-politiques, relations formelles/informelles aux institutions, questions concernant la transmission des connaissances et des savoir-faire, diverses manières d’interagir entre des êtres humains, entre des humains et des machines, entre des humains et non-humains. Ces perspectives élargissement considérablement le champ d’application des actes qu’on peut qualifier d’artistiques : l’élaboration de programmes dans le cadre d’institutions d’enseignement, projets de recherche interdisciplinaires, ateliers divers (voir François et al. 2007) deviennent alors de situations artistiques à part entière qui se situent en dehors de l’exclusivité des prestations publiques sur scène.

Nous sommes aujourd’hui confrontés à un monde électronique d’une extraordinaire diversité de pratiques artistiques et en même temps à une multiplication des réseaux socialement homogènes. Ces pratiques tendent à développer de fortes identités et des hyperspécialisations. Cela nous oblige de manière urgente à travailler sur la rencontre des cultures qui tendent à s’ignorer mutuellement. Dans des espaces informels aussi bien que formels, à l’intérieur de groupes socialement hétérogènes, il convient d’encourager des manières de développer des créations collectives sur la base de principes d’une démocratie directe. Le monde des technologies électroniques permet de plus en plus l’accès de tous à des pratiques de création et de recherche, à des niveaux divers et sans avoir à passer par les parcours balisés des institutions. Cela nous obligent à débattre des façons dans lesquelles ces activités peuvent être ou non accompagnées par des artistes travaillant dans des espaces formels ou informels. La nature indéterminée de ces obligations – non pas en terme d’objectifs, mais de mises en pratique effectives – nous ramène de nouveau à l’idée des actes artistiques nomades et transversaux.

 


1. Ont participé à ce projet : Laurent Grappe, Jean-Charles François, Karine Hahn, Gilles Laval, Pascal Pariaud et Gérald Venturi.

2. Derek Bailey définit les termes de « idiomatique » et de « non-idiomatique » comme relevant d’une question d’identité à un domaine culturel particulier, et non pas tellement en termes de contenu de langage musical : « Non idiomatic improvisation has other concerns and is more usually found in so-called ‘free’ improvisation and, while it can be highly stylised, is not usually tied to representing an idiomatic identity. » (1992, p. xii)

 


Bibliographie

Bailey, Derek. 1992. Improvisation, its nature and practice in music. Londres: The British Library National Sound Archive. [en français : 1999. L’improvisation : sa nature et sa pratique dans la musique. Paris : Outre Mesure, Coll. Contrepoints. Trad. par Isabelle Leymarie]

Becker, Howard. 2007. « Le pouvoir de l’inertie », Enseigner la Musique N°9/10, Lyon : Cefedem AuRA – CNSMD de Lyon, pp. 87-95. (cette traduction en français est tirée de Propos sur l’Art, pp. 59-72, Paris : L’Harmatan, 1999, trad. Axel Nesme.

Coessens, Kathleen, Darla Crispin and Anne Douglas. 2009. The Artistic Turn, A Manifesto. Gand : Orpheus Institute, distribué par Leuven University Press.

Deleuze, Gilles et Felix Guattari. 1980. Mille Plateaux. Paris : Editions de Minuit.

François, Jean-Charles, Eddy Schepens, Karine Hahn, et Dominique Clément. 2007. « Processus contractuels dans les projets de réalisation musicale des étudiants au Cefedem Rhône-Alpes », Enseigner la Musique N°9/10, Cefedem Rhône-Alpes, CNSMD de Lyon, pp. 173-194.

François, Jean-Charles. 2015a. “Improvisation, Orality, and Writing Revisited”, Perspectives of New Music, Volume 53, Number 2 (Summer 2015), pp. 67-144. Publié en français dans la première édition de paalabres.org, station timbre sous le titre « Revisiter la question du timbre ».

Foucault, Michel. 1977. « Entrevue. Le jeu de Michel Foucault », Ornicar, N°10.

Hennion, Antoine. 1993. La Passion musicale, Une sociologie de la médiation. Paris : Editions Métailié, 1993.

Hennion, Antoine. 1995. « La médiation au cœur du refoulé », Enseigner la Musique N°1. Cefedem Rhône-Alpes et CNSMD de Lyon, pp. 5-12.

PaaLabRes, collectif. 2016. Station « débat », débat organisé par le collectif PaaLabRes et le Cefedem Auvergne-Rhône-Alpes en 2015.

Stengers, Isabelle. 1996. Cosmopolitiques 1 : La guerre des sciences. Paris : La Découverte / Les empêcheurs de penser en rond.

Stengers, Isabelle. 1997. Cosmopolitiques 7 : Pour en finir avec la tolérance, chapter 6, « Nomades et sédentaires ? ». Paris : La Découverte / Empêcheurs de penser en rond.

Sudnow, David. 2001. Ways of the Hand, A Rewritten Account. Cambridge, Mass. : MIT.

 

Jean-Charles François – English

Return to the original text in French: Invention collective

 


 

Collective Invention in Music

and Encounters Between a Diversity of Cultures

Jean-Charles François

 

Summary:

1. Introduction
2. Alternative forms to definitive art works
3. Improvisation
4. Artistic Processes or just Human Interactions?
5. Protocols
6. Conclusion

 


Introduction

The world in which we live can be defined as one in which a great diversity of practices and cultures coexist. As a result, it is difficult today to think in terms of the modern Western world, Eastern philosophy, African tradition or other labels too easy to use to guide us in the chaos of the world. We are in presence of an infinite number of networks, and each of us is active in more than one of these. Therefore, we have to think about musical practices in terms of ecological problems. A practice can kill another one. A practice can depend directly on another’s survival. A practice can be directly connected to another and still be different. The ecology of practices (see Stengers 1996, Chapter 3) or how to face a potentially very violent multicultural world is probably today as important as the ecological question of the future of the planet earth. I will attempt in this article to treat one aspect of the diverse world of artistic practices: improvisation with heterogeneous groups.

My own personal research on mediation between groups of musicians belonging to different cultural practices or musical styles stems from my involvement as the director (between 1990 and 2007) of a center devoted to the training of music school teachers, the Cefedem AuRA in Lyon, France. This institution was created in 1990, under the authority of the Ministry of Culture, and offers a two-year program leading to the Music Teacher State Diploma [Diplôme d’État de professeur de musique], geared towards the teaching of voice, instruments, basic musicianship, choral conducting, jazz, popular music [described in France as Musiques actuelles amplifiées, Today’s Amplified Music], and traditional music in music schools and conservatories organised throughout France by the towns. Research was conducted within the framework of curriculum development in this institution, in direct collaboration with Eddy Schepens and the entire pedagogical and administrative team of this institution.

For the first ten years all the students at the Center were classical musicians issued from Regional Conservatories. In 2000, the study program was completely reinvented to accommodate the inclusion of jazz, popular music, and traditional music students, alongside the ones from the “classical” sector. The curriculum was based on two distinct imperatives: (a) each musical genre had to be recognized as autonomous in its practical and theoretical specificities; and (b) each musical genre had to collaborate with all the others in specific artistic and pedagogical projects. We were thus confronted with the issue of how to face the problem of a difference of culture between a highly formalised teaching tradition with low exposure to public presentations, and traditions that are based on atypical or informal forms of learning involving a high degree of immediate public interactions. The problem that then had to be solved can be formulated as follows : the classical sector tends to develop an instrumental or vocal identity in a posture of technical readiness to play any music (on the condition that it would be written on a score) ; other musical genres tend to require of their members a strong identity based on the style of music as such accompanied by a technical approach based solely on what is necessary to express that identity. Our task was to find solutions that could include all the ingredients of this triple equation. Two concepts emerged: a) the curriculum would focus on student projects rather than on a series of courses and the definition of their content (although these courses continued to exist); b) projects should be based on the principle of a contract binding students to a number of constraints determined by the institution and on which evaluation would be based. The Centre has developed a research program on these issues and in pedagogy of music, and publishes a journal, Enseigner la Musique (see for example François & al. 2007).

Taking this concept of intercultural encounters as a model, experimental situations have been carried out by a Lyon collective of artists in existence since 2011: PaaLabRes (Artistic Practices in Acts, Laboratory of Research [Pratiques Artistiques en Actes, Laboratoire de Recherche]).
Several projects were developed:

  • A small group of improvisators met to propose protocols for developing common material in the context of collective invention[1]. These protocols were tested, discussed and then tried in a number of workshops addressed to the largest range of participants (professionals, amateurs; beginners and advanced students; musicians and dancers belonging to different musical categories, styles and traditions) (2011-2015).
  • Regular meetings of PaaLabRes musicians with dancers (Maguy Marin’s Company members among others) have been organized at the Ramdam, an arts center near Lyon, with the aim of developing common materials between dance and music in improvisation (2015-2017).
  • Through the digital space www.paalabres.org a reflection on the definition of artistic research, situated in between formal academic research and artistic practices, between various artistic domains and diverse aesthetic expressions, in between pedagogy and performance on stage. (See the station Débat, line “Artistic Research in the first edition of paalabres.org).

 

2. Alternative forms to definitive art works

Improvisation situations seem in this context to be a good way to deal with heterogeneous encounters through practicing music, not so much as a focusing on aesthetics values, but rather as a democratic process that this situation seems to promote: each person is fully responsible for her or his sound production and for interacting with the others persons present in the space, and also with the diverse means of production available.

The definition of improvisation, within the art practices of the West—especially in its “freer” forms— is often proposed as an alternative to the written music that dominated European art music for at least two centuries. Improvisation faced with the structuralism of the 1950-60s tended to propose a simple inversion of the prevailing model:

  1. The performer considered up to that time as not being a major participant to the creation of major works, becomes through improvisation completely responsible for her/his creation in a context that changed the definition of work of art.
  2. The practice of writing signs on a score and respecting them in interpretation is replaced by the absence of any visual notation and the prevalence given to oral communication.
  3. There will be no more works definitively fixed in historical memory, but processes that are continuously modified ad infinitum.
  4. The slow reflective method used by the composer in a private space when elaborating a given piece of music will be replaced by an instantaneous act, in the spirit of the moment, on stage and in the presence of an audience.
  5. Instead of having compositions that define themselves as autonomous objects articulating their own language and personal sleight of hand, free improvisation will tend to go in the direction of the “non-idiomatic” (see Bailey 1992, p. ix-xii)[2] or towards the “all-idiomatic” (the capacity to borrow sound material from any cultural domain).

And so on, all the terms being inverted.

For this inversion to occur, however, some stable elements have to remain in place: notably the concept that music is played on stage by professional musicians before an audience of educated music lovers. This historical stability of the concert performance largely inherited from the 19th century goes hand in hand according to Howard Becker with what he calls a “package”: an hegemonic situation that controls in a global way all the actions in a given domain with particular economic conditions, definitions of professional roles and supporting educational institutions (see Becker 2007, p. 90). The reversal of elements appears to guarantee that certain aesthetical attitudes would remain unchanged: for example, the concept of “non-idiomatic” might be considered as reinforcing the modernist view of an ever-changing process towards new sounds and new sound combinations. We don’t know which idiom will result from the composer’s work, but the ideal is to arrive at a personal idiom. The improviser should come on stage without idiomatic a-priori, but the result will be idiomatic only for the duration of the concert. The “blank slate” ideal persists in the idea that each improvisation has to occur outside beaten paths.

The nomadic and transverse approach to improvisation cannot be confined to the idea that it is an alternative to sedentary human beings personified by the classical musicians of the West. The nomadic and the transverse practices cannot just pretend to offer an alternative to institutional art forms, through their indeterminate movements and infinite wanderings. Rather the (transversal) nomads have to deal with the complex knots of practices situated in between oral and written communication, timbre and syntactic articulation, spontaneity and predefined gestures, group interactivity and personal contribution.

 

3. Improvisation

One of the strong frameworks of improvisation – as distinct from written music on scores – is the shared responsibility between players for a collective creative sound production. However, the exact content of this collective creativity in actual improvisations seems unclear. In improvisation, the emphasis is on the unplanned public performance on stage, on the ephemeral act that happens only once. The ideal of improvisation seems to be dependent on the absence of preparation, before the act itself. And at the same time, the actual act of improvisation cannot be done by participants who are not “prepared” to do it. The performance may be unprepared in the details of its unfolding, but generally speaking it cannot be successfully carried out without some intense preparation. This is indeed the paradox of the situation.

Two models can be defined, and we have to remember that theoretical models are never reflecting reality, but they offer different points of reference allowing us to reflect on our subject matter. In the first model the individual players undergo an intensive preparation inscribed in a time frame of many years, in order to achieve a personal voice, a unique manner of producing sound and gestural acts. This personal voice, or manner of playing, has to be inscribed in memory – inscribed in the body – in a wide-ranging repertoire of possibilities. This is the principal condition of the improvisation creative act: the creative elements are not inscribed on an independent support – like a score – but they are directly embodied in the playing capacities of the performer. The players meet on stage as separated individuals in order to produce something together in an unplanned manner. The performance on stage will be the superimposition of personal discourses, but if players can anticipate what the partners will be able to produce (above all if they have already played together or listen to their respective performances), they will be able to construct together, within that unplanned framework, an original sonic and/or gestural world. The emphasis on individual preparation seems to not hinder the constitution of a fairly homogeneous network of improvisators. This network is geographically very large and imposes, without having to specify any definition, the conditions of its access by a set of implicit unwritten rules. What is at stake here? The main focus of this model is on the public performance on a stage, where the important issues concern the sonic or gestural quality of the acts in that encounter produced by everybody present, including the attitudes and reactions of the audience.

The other alternative model puts the emphasis on a collective co-construction of the sonic universe independently from any eventual presentation on stage or other types of interactive actions. It implies that a substantial time is spent on elaborating a repertoire of sonic (or any other) materials within a permanent group of people. The development of the collective sound depends on a sufficient number of sessions working together with all members present. That these sessions are performed before an audience or not, is beside the point. This second model does not present much interest if the members of the group are homogeneous in their background, notably if they acquired their professional status in the same kind of educational institutions and the same processes of qualification. If they are not different in some important respect, the first model seems to be more adequate, as there is no difficulty in building a collective sound world directly through improvised performance on stage. But if they are different, and above all if they are very different, the idea of building a collective sound material, or a collective artistic material, is not a simple task. On the one hand, the differences between participants have to be maintained, they have to be strictly respected in mutual terms. On the other hand, building something together will imply that each participant is ready to leave behind reflexes, habits, and traditional ways of behavior. This is a first paradoxical situation. Another paradox immediately becomes apparent adding to the complication: on the one hand, the material that is collectively developed has to be more elaborate than just the superimposition of discourses in order to qualify as co-constructions; and, on the other hand, the material should not become fixed in a structuration, as would be the case with a written composition, the material should remain open to improvisation manipulations and variations, to be realized at the actual moment of the improvisation performance. The performers should remain free to interact as they see fit on the spirit of the moment. This second model does not exclude public performance on stage but cannot be limited to this obligation. It is centered on collective processes and might involve other types of social output and interactions.

The challenges of the second model are directly linked to debates about the means to be developed in order to break down the walls. To face these challenges, it is not enough to just gather people of different origins or cultures in the same room and expect that more profound relationships will develop. It is also not sufficient to invent new methodologies appropriate for a given situation, to ensure that a miracle of pacific coexistence will occur. In order to face complexity, you need to develop situations in which you should have a number of ingredients:

  1. Each participant has to know in practical ways what all the other participants are about.
  2. Each participant is obligated to follow collective rules decided together.
  3. Each participant should retain an important margin of personal initiative and remains free to express differences.
  4. There can be processes in which a leadership can emerge, but on the whole the context should remain on a democratic level.

All this complexity demonstrates the virtues of pragmatic tinkering within the framework of this plan of action.

As the sociologist and jazz pianist David Sudnow showed when he described the learning processes of his hands that enabled him to produce jazz improvisations: sound and visual models, although essential to the definition of objectives to be attained, are not sufficient to produce real results through simple imitation:

When my teacher said, “now that you can play tunes, try improvising melodies with the right hand,” and when I went home and listened to my jazz records, it was as if the assignment was to go home and start speaking French. There was this French going on, streams of fast-flowing strange sounds, rapidly winding, styles within styles in the course of any player’s music. (Sudnow 2001, p. 17)

Some degree of “tinkering about” is necessary to allow the participants to achieve their purposes through heterogeneous detours of their own, outside the logical framework given by the teacher.

The idea of dispositif (apparatus, plan of action) associated with “tinkering about” corresponds to the definition found in the dictionary: an “ensemble of means disposed according to a plan in order to do a precise action”. One can refer to the definition given by Michel Foucault as “a resolutely heterogeneous ensemble, comprising discourses, institutions, architectural amenities, regulatory decisions, laws, administrative arrangements, scientific enunciations, philosophical, moral and philanthropic statements, some explicitly stated, some implicitly unsaid…” (Foucault 1977, see also the station timbre, line “Improvisation” in the first edition of paalabres.org)

In applying this idea to a co-production of sonic or gestural materials in the domain of artistic practices, the institutional elements of this definition are indeed present, but the emphasis is here directed towards the network of the elements created through everyday action, which are contextualized by given agents and materials. Thus, the means are defined here as concerning, at the same time, the persons concerned, their social and hierarchical status within a given artistic community, the materials, instruments and techniques that are provided or already developed, the spaces in which the actions take place, the particular interactions – formalized or not – between participants, between participants and materials or techniques, and the interactions with the external world outside the group. The dispositifs are more or less formalized by charters of conduct, protocols of action, scores or graphic images, rules pertaining to the affiliation to the group, evaluation processes, learning and research procedures. To a great extent, however, the dispositifs are governed on an everyday basis in an “oral” manner, in contexts that can change radically according to circumstances, and through interactions, which by their instability can produce very different results.

 

4. Artistic Processes or just Human Interactions?

The idea of dispositif, or complex apparatus, at the same time denies that artistic acts be simply limited or confined to well identified autonomous objects, and it also enlarges considerably the scope of artistic endeavours. The network that continuously forms, informs and deforms itself cannot be limited to a single focus on the production of artistic materials for the benefit of a public. The processes are no longer defined in specific specialized spaces. The term improvisation is no longer strictly limited to a series of sacred principles of absolute freedom and spontaneity or, on the contrary, respect for any tradition. Improvisation can incorporate activities that involve a variety of media supports – including using writing on paper – to achieve results in particular contexts. The purity of clear and definitive positions can no longer be what should dictate all possible behaviour. This does not mean that ideals have been erased and that the values that one wants to place at the forefront of the reality of practices have lost their primordial importance.

The confrontation of nomadic and transverse artistic practices to institutional imperative requirements may concern many areas: improvisation, research, music and art education, curriculum design, reviving traditional practices, etc. More and more artists find themselves in a situation in which their practice in strictly artistic terms is now considerably widened by what we call “mediation”, or mediating between a diversity of elements (see Hennion 1993 and 1995): pedagogical activities, popular education, community involvement, public participation, social interactions, hybrid characteristics between artistic domains, etc. The immersion of artistic activities into the social, educational, technological and political realms implies the utilization of research tools and of research partnerships with formal institutions as a necessary part of the elaboration of artistic objects or processes (see Coessens 2009, and the PaaLabRes’ station the artistic turn). Research practices in artistic domains need to a large extent the legitimacy and evaluation given by academic bodies, but it is equally important to recognize that they must be seen as part of an “eccentric science” (see Deleuze & Guatarri 1980, pp. 446-464), which considerably changes the meaning of the term “research”. The important questioning of these artists pertains directly to the very practice of conducting research: it tends to attempt to erase the usual strict separation between actors and observers, between the scientific orientation of the publication of results and other informal forms of presentation, and between the artistic act and reflections about it.

A possible nomadic and transverse response would be found along a pathway between the freedom of creative acts and the strict imposition of traditional canons. In this context, the creative act can no longer be seen as a simple individual expression asserting freedom in relation to a fiction of universality. The constitution of a particular collective, defining its own rules along the way, must play, in an unstable friction, against individual imaginative desires. To place somebody in a situation of research would mean to anchor the creative act on the formulation by a collective of a problematical process; the complete freedom of creation is now bound by collective interactions and to what is at stake in the process, without being limited by the strict rules of a given model. The creative act would cease to be considered as an absolute object in itself, and the accent would be put on the numerous mediations that determine it as a particular aesthetical and ethical context: the convergence at a certain moment of a number of participants into some form of project. The knots of this convergence need to be explicated not in terms of a particular desired result, but in terms of the constitution of some kind of chart of the problematic complexity of the situation at its inception: a system of constraints which deals with the interaction between materials, spaces, institutions, diverse participants (musicians, administrators, amateurs, professionals, theoreticians, students, general public, etc.), resources at hands, references, etc. According to Isabelle Stengers, the idea of constraint, as distinct from “conditions”, is not an imperative imposed from outside, nor a way to institute some legitimacy, but it requires to be satisfied in an undetermined manner open to many possibilities. The signification is determined a posteriori at the end of a process (Stengers 1996, 74). Constraints have to be taken into account, but do not define pathways that might be taken for the realization of the process. Systems of constraints apply best when very different people with different specialized fields are called to develop something together.

 

5. Protocols

We have called “protocols” collective research processes that take place before an improvisation and that will colour its content, then accumulate in the collective memory a repertoire of determined actions. The detail of this repertoire of actions is not fixed, nor is it necessarily decided that a given repertoire should be called up during an improvisation. The definition of the term protocol is obviously ambiguous and for many will seem to go completely against the ethics of improvisation. The term is linked to connotations of official, even aristocratic circumstances, where behaviour considered acceptable or respectable is completely determined: it refers to socially recognised modes of behaviour. Protocol is also used in the medical world to describe series of care acts to be followed (without omissions) in specific cases. It is not in the sense of these various contexts that we use the term.

The definition of protocol is here linked to written or oral instructions given to participants at the beginning of a collective improvisation that determine rules governing the relationships between persons or that define a particular sound, gestural or other type of material. It corresponds more or less to what you may find in dictionary (here French Larousse dictionary on-line): “Usages conformed to relationships between people in social life” and “Ensemble of rules, questions, etc. defining a complex operation”. The participants have to accept that in a limited time, some interaction rules in the group would be determined with the aim of building something together or to understand another point of view, to enter into playing with the others. Once these rules are experimented, when situations have been built, the protocol in itself can be forgotten in order that interactions less bound by rules of behaviour can take place, retrieving then the spirit of unplanned improvisation. The ideal, when determining a protocol, is to seek a collective agreement on its specific content, on the exact formulation of the rules. In fact, this rarely takes place in real situations, as different people understand rules in different ways. A protocol is most often proposed by one particular person, the important factor is to allow all present the possibility to propose other protocols, and also to be able to elaborate variations on the proposed protocol.

The contradiction that exists between the intensive preparation that improvisers impose on themselves individually and improvisation on stage that takes place “without preparation”, is now found at the collective level: intensive preparation of the group of improvisers must take place collectively before spontaneous improvisation can take place, using elements from the accumulated repertoire but without planning the details of what is going to happen. If the members of the collective have developed materials in common, they can now more freely call them up according to the contexts that arise during improvisation.

Thus we are in the presence of an alternation between, on the one hand, formalized moments of development of the repertoire and, on the other hand, improvisations which are either based on what one has just worked on or, more freely, on the totality of the possibilities given by the repertoire and also by what is external to it (fortuitous encounters between individual productions). The objective remains therefore that of putting the participants in real improvisational situations where one can determine one’s own path and in which ideally all the participants are in specific roles of equal importance.

Different types of protocols or procedures can be categorized, but care should be taken not to catalogue them in detail in what would look like a manual. In fact, protocols must always be invented or reinvented in each particular situation. Indeed, the composition of the groups in terms of the heterogeneity of the artistic fields involved, the levels of technical (or other) ability, age, of social background, geographical origin, different cultures, particular objectives in relation to the group’s situation, etc., must each time determine what the protocol proposes to do and therefore its contextual content.

Here are some of the categories of possible protocols among those we have explored:

  1. Coexistence of proposals. Each participant can define a particular sound and/or gestural movement. Each participant must maintain his or her own elaborate production throughout an improvisation. Improvisation therefore only concerns the temporality and the level of personal interventions in superimpositions or juxtapositions. The interaction takes place at the level of a coexistence of the various proposals in various combinations chosen at the time of the improvised performance. Variations can be introduced in the personal proposals.
  2. Collective sounds developed from a model. Timbres are proposed individually to be reproduced as best they can by the whole group in order to create a given collective sound.
  3. Co-construction of materials. Small groups (4 or 5) can be assigned to develop a coherent collective sound or body movements. The work is envisaged at the oral level, but each group can choose its own method of elaboration, including the use of paper notations. Then teach it to other groups in the manner of their choice.
  4. Construction of rhythmic structures (loops, cycles). The characteristic situation of this kind of protocol is the group arranged in a circle, each participant in turn (in the circle) producing an improvised short sound or gesture, all this in a form of musical “hoquet”. Usually the production of the sounds or gestures that loop in the circle is based on a regular pulse. Variations are introduced by silences in the regular flow, superimposing loops of varying lengths, rhythmic irregularities, etc.
  5. Clouds, textures, sounds and collective gestural movements – individuals drowned in the mass. Following the model developed by a number of composers of the second half of the twentieth century such as Ligeti and Xenakis, clouds or sound textures (this applies to gestures and body movements as well) can be developed from a given sonority distributed randomly over time by a sufficient number of people producing them. The collective produces a global sound (or global body movements) in which the individual productions are blended into the mass. Most of the time, improvisation consists in making the global sound or the movements evolve in a collective way towards other sound or gestural qualities.
  6. Situations of social interaction. Sounds or gestures are not defined, but the way of interacting between participants is. Firstly, there is the situation of moving from silence to collectively determined gestural and bodily movements (or to a sound), as in situations of warm-up or early stages of improvisation in which effective improvised play only begins when all participants have agreed in all senses of the word tuning : a) that which consists of instruments or bodies being in tune, b) that which concerns the collective’s test of the acoustics and spatial arrangement of a room to feel together in a particular environment, c) that which concerns the fact that the participants have agreed to do the same activity socially. This is for example what is called the prelude in European classical music, the alãp in North Indian classical music, a process of gradual introduction into a more or less determined sound universe, or to be determined collectively. Secondly, one or more actions can be prohibited in the course of an improvisation. Thirdly, the rules of the participants’ playing time, or of a particular structuring of the temporal course of the improvisation can be determined. Finally, one can determine behaviours, but not the sounds or gestures that the behaviours will produce.
  7. Objects foreign to an artistic field, for example, which have no function of producing sounds in the case of music, may be introduced to be manipulated by the collective and indirectly determine the nature of the sounds or gestures that will accompany this manipulation. The example that immediately comes to mind is that of the sound illustration of silent films. But there are an infinite number of possible objects to use in this situation. The attention of the participants is mainly focused on the manipulation of the object borrowed from another domain and not on the particular production of what the usual discipline requires.

 

6. Conclusion

The two concepts of dispositif and of system of constraints seem to be an interesting way to define artistic research, especially in the context of heterogeneous collective creative projects: collective improvisation, socio-political contexts of artistic acts, informal/formal relationships to institutions, Questions of transmission of knowledge and know-how, various ways of interacting between humans, between humans and machines, and between humans and non-humans. This widens considerably the scope of artistic acts: curriculum design, interdisciplinary research projects, teaching workshops (see François & al. 2007), become, in this context, fully-fledged artistic situations outside the exclusivity of performances on stage.

Today we are confronted with an electronic world of an extraordinary diversity of artistic practices and at the same time a multiplication of socially homogeneous networks. These practices tend to develop strong identities and hyper-specializations. This urgently forces us to work on the meeting of cultures that tend to ignore each other. In informal as well as formal spaces, within socially heterogeneous groups, ways of developing collective creations based on the principles of direct democracy should be encouraged. The world of electronic technologies increasingly allows access for all to creative and research practices, at various levels and without having to go through the institutional usual pathways. This obliges us to discuss the ways in which these activities may or may not be accompanied by artists working in formal or informal spaces. The indeterminate nature of these obligations – not in terms of objectives, but in terms of actual practice – brings us back to the idea of nomadic and transversal artistic acts.

 


1. The following musicians participated to this project: Laurent Grappe, Jean-Charles François, Karine Hahn, Gilles Laval, Pascal Pariaud et Gérald Venturi.

2. Derek Bailey defines “idiomatic” and “non-idiomatic” improvisation as a question of identity to a cultural domain, and not so much in terms of language content: “Non idiomatic improvisation has other concerns and is more usually found in so-called ‘free’ improvisation and , while it can be highly stylised, is not usually tied to representing an idiomatic identity.” (1992, p. xii)

 


Bibliographie

Bailey, Derek. 1992. Improvisation, its nature and practice in music. Londres: The British Library National Sound Archive.

Becker, Howard. 2007. « Le pouvoir de l’inertie », Enseigner la Musique n°9/10, Lyon: Cefedem AuRA – CNSMD de Lyon. This French translation is extracted from Propos sur l’Art, pp. 59-72, paris: L’Harmatan, 1999, translation by Axel Nesme.

Coessens, Kathleen, Darla Crispin and Anne Douglas. 2009. The Artistic Turn, A Manifesto. Ghent : Orpheus Institute, distributed by Leuven University Press.

Deleuze, Gilles et Felix Guattari. 1980. Mille Plateaux. Paris : Editions de Minuit.

François, Jean-Charles, Eddy Schepens, Karine Hahn, and Dominique Clément. 2007. « Processus contractuels dans les projets de réalisation musicale des étudiants au Cefedem Rhône-Alpes », Enseigner la Musique N°9/10, Cefedem Rhône-Alpes, CNSMD de Lyon, pp. 173-194.

François, Jean-Charles. 2015a. “Improvisation, Orality, and Writing Revisited”, Perspectives of New Music, Volume 53, Number 2 (Summer 2015), pp. 67-144. Publish in French in the first edition of paalabres.org, station timbre with the title « Revisiter la question du timbre ».

Foucault, Michel. 1977. « Entrevue. Le jeu de Michel Foucault », Ornicar, N°10.

Hennion, Antoine. 1993. La Passion musicale, Une sociologie de la médiation. Paris : Editions Métailié, 1993.

Hennion, Antoine. 1995. « La médiation au cœur du refoulé », Enseigner la Musique N°1. Cefedem Rhône-Alpes and CNSMD de Lyon, pp. 5-12.

PaaLabRes, collective. 2016. Débat on the line “Recherche artistique”, a debate organized by the PaaLabRes collective and the Cefedem Auvergne-Rhône-Alpes in 2015.

Stengers, Isabelle. 1996. Cosmopolitiques 1: La guerre des sciences. Paris: La Découverte / Les empêcheurs de penser en rond.

Stengers, Isabelle. 1997. Cosmopolitiques 7: Pour en finir avec la tolerance, chapter 6, “Nomades et sédentaires?”. Paris: La Découverte / Empêcheurs de penser en rond.

Sudnow, David. 2001. Ways of the Hand, A Rewritten Account. Cambridge, Mass.: MIT

 

Michel Lebreton – English

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Français

 


 

Walls and Edges Crossing
the Time and Space of the Conservatory

Michel Lebreton

Summary

1. Closed spaces… still time / Open spaces… time of possibilities
2. Suspended Spoken Words, Retrieved Spoken Words
3. Edges, Fringes, Margins
4. You Just Have to Cross the Bridge
5.Co-construction
6. A Speaking Human Being, a Social Human Being
7. A House of Music(s)
8. One Step Sideways


1. Closed spaces… still time / Open spaces… time of possibilities

The Wall. It imposes itself by its mass, its capacity to delimit a border. It induces a permanence in space, a fixity, an impression of timelessness that contributes to make us oblivious to its presence. We practice, we think in the shadow of walls. But if we always go through the same plans, the same volumes, they soon appear to us, in an illusory evidence, adorned with timelessness. They compel us to pronounce aphorisms such as: “We’ve always done it this way!”, “From time immemorial…”, “It’s obvious that…”, which are all expressions that cement them even more. And discourage debate, since… that’s the way it’s always been done.

The walls along the US-Mexican border are trying to lock Mexicans in their country. In a parallel movement, they lock the Americans in an enclave that some wish to be protective. There is a desire for walls that goes hand in hand with a fear of otherness that is unfortunately linked to a need for security.

A wall is made to defend. It means that an attack is feared. Hadrian’s wall stands against the threat of barbarian invasion. But as time goes by, it is neglected, soldiers abandoning their posts to settle as peasants in the surrounding area. It became a reservoir providing stones to build houses, churches… The wall here becomes the material for other practices. These open up new spaces.

How to open spaces and temporalities, which practices to develop that allow to perceive the wall and to dare to come out of its shadow, to leave this illusory security, to put fears in suspension? And to bring to light the evidences asserted by the powers that be?

 

2.Suspended Spoken Words, Retrieved Spoken Words

I had the opportunity to take charge of a writing workshop for ESMD (Ecole Supérieure Musique et Danse Hauts de France) students with the aim of helping them write their master’s dissertations. The very first session revealed dismay among some of these students, all adults with teaching positions and experience. Their first reactions were: “I have nothing to report”, “I am just teaching”, “Nothing extraordinary is happening in my courses”… They provided closed answers that cut short any prospect of questioning. What’s more, they were saying in an underlying way that there was nothing to observe, thus trivializing their teaching practices, practices whose many areas of interest we were to discover later on.

In order to overcome this state of affairs, I have called upon experiments taking place outside the framework of conservatories. Some experiences putting into play their capacities to accompany, help, educate but in a context where they are not evaluated through the prism of music.

For one student, it was a series of replacements in a hospital environment that led her to practice teamwork, listening to patients, conflict resolution… approaches that she was later able to translate into her teaching practice. For another one it was to help her sister who had difficulties with a baccalaureate exam. This sister was in demand and it went smoothly. The brother had the same difficulties but was reluctant to do school work, especially under the supervision of his older sister! The student did not find any operational situations but later realized, when her brother successfully reoriented himself in a different branch which he liked, that motivation cannot be taught but (I quote an extract from her dissertation) “that the role of a teacher is to develop situations open to the pleasure of learning (manipulating, exploring, building…) so that motivation can happen, can increase”. Finally, for a third student, it was an experience as a school life assistant for autistic children with the aim of integrating them into the standard school curriculum. She indicates in one of her writings: “This one year experience is certainly the most memorable and one of the most beautiful in my life, I understood the importance of being accepted without expecting anything in return, I have a different vision of this illness and above all I was able to acquire a certain number of skills…” (She then mentions competences such as patience, curiosity, ability to adapt, listening to others…).

These stories that they put down on paper and that they exchanged and discussed, played the role of the photographic developer. They saw themselves in situations of accompanying the learners, sometimes of teaching them. Speaking became easier, the desire to listen became more assertive. And with them, the conviction that “something was happening”. And that it deserves to be told, observed and analyzed. This ethnographic perspective has taken over their professional sphere. It became the source of other narratives, which were also exchanged, discussed and analyzed. Each of them had begun to circumvent the wall of foregone conclusions in order to begin to assemble the stones of the possible. And to reappropriate the time and space of their experiences by evoking the human deep layers and movements. On what grounds do we then commit ourselves to make these illuminations happen?

 

3. Edges, Fringes, Margins

The edge is a band, a list, a margin (not a list) between two milieus of a different nature, which participates in both without being confused with them. The edge has its own life, its autonomy, its specificity, its fauna, its flora, etc. The edge of a forest, the fringe between sea and land (estrant), a hedge, etc. While the border and boundary are fences, the edge separates and unites at the same time. A strait is an exemplary figure of an edge: the Strait of Gibraltar separates two continents (Africa and Europe) at the same time as it connects two seas (the Mediterranean and the Atlantic Ocean).
Emmanuel Hocquard, Le cours de PISE, POL, Paris 2018, page 61.

The edges are the places of the possible. Their boundaries are only defined by the environments bordering them. They are shifting, subject to erosion and sedimentation: there is nothing obvious about them. Teachers and learners, both of whom inhabited by musical experiences nourished by their respective backgrounds, find themselves in the first place evolving in the soft soils of the edges. They don’t know each other but they gather around an object “music” that should be written in the “singular – plural”: the Music – my musics / the musics  – my Music. Over time, the teacher has built up a landscape where social and therefore musical representations have been constructed and edified more or less solidly, more or less consciously (for example, “what constitutes ‘music’”, “what does it mean to be a ‘musician’”, “what is ‘teaching’”, “what is the student’s place in this process?”…). The learners also come with a variety of social and musical representations.  But when they enter this place called “Conservatory” for the first time, the first term remind them that they are entering “a high place of expertise” and the second one reminds them that the music taught there is predominantly “great music”. The learners are available, motivated and on the reserve, possibly impressed. They are in the edges, unknown but attractive territories in order to concretize their own desires (at least we hope so). In this case, most often, the practice of an instrument. The question then is: will the teacher join the student in these moving edges, the only ground available capable of bringing them together during this initial moment? And will the teacher try to clear a common space and time for providing mutual learning? Or will she/he take the learners to the shadow of their wall to run a predefined and solidly built program? Will he/she leave the barriers open to vagrancy and tinkering[1], even encouraging them? Or will she/he confine all practices to the enclosure he/she has built over time?

The only real journey, the only bath of Jouvence, would not be to go to new landscapes, but to have other views, to see the universe with the eyes of another, of a hundred others, to see the hundred universes that each of them sees, that each of them is.
(Marcel Proust, La Prisonnière, page 762)

In a very reductive rewording on my part (sorry to the Marcels), at the very least update “sous les pavés, la plage!”[2] For what’s the point of being in the presence of other soundscapes if we bend them endlessly to our habitus? Instead, let us create situations open to our imaginations, edges conducive to passing strange objects in the midst of improbable exchanges. Let’s leave a part of improvisation in the “making of music”, and also the “collectively building sound scaffolding”, as well as the “keeping open workshop”. Open the other eyes that are in us and all this through the power of confrontation and exchange with the other.

 

4. You Just Have to Cross the Bridge

The meeting of musicians around open practices (e.g. “in the group, everyone will speak in reaction to what they perceive of other propositions: as a complement – to go towards – or in opposition – to move away –”) and little known or unknown objects (e.g. “let’s accumulate layers of sound texture through increasingly granular timbres”) brings into play relations to objects and subjects that differ from those developed in a training that is still often centered on the interpretation of aesthetically identified repertoires. The usual behaviors and skills are no longer sufficient to participate in the sound narratives that one is called upon to construct, alone or in a group. There are then two possible ways: jump into the departing train without knowing the itinerary and make a new narrative come along or let the train pass (some may even be tempted to dynamite it!).

Such a situation was revealed during a project with a string ensemble (eight violinists and three cellists). Initially, the aim was to create a repertoire of traditional dance music from Berry and also to compose in that style. These repertoires, unknown to the musicians, were approached through singing and dancing, followed by oral transposition on instruments and in small groups. The musicians were invited to search collectively for this transposition, then to confront their findings in a large group. Improvisation games on the fifth structure and the bourdons of certain melodies completed this workshop. It should be noted that the technical skills required for the interpretation were acquired by all the participants.

One of the musicians, aged 16, was on the reserve, both on dancing and on improvising on the proposed rules (she had already practiced improvisation on harmonic grids but in another setting). She had come to enroll in a string ensemble class and expected to work on the « classical » repertoire, although information had been provided defining the particular project of this workshop. But where she had expected, despite the presentation of the project, to work in an ensemble on written works with the aim of interpreting them collectively under the direction of the string teacher, she found herself in a workshop situation in which everyone was called upon to tinker. Add to this the apparent lack of “prestige” of the proposed materials: the apparent simplicity of the melodies, improvisation on five notes, accompaniments based on rhythmic bourdons, popular dance with repetitive steps at first impression… as well as the proposed working methods: collective work and research, confrontations and debates on the findings, search for a final collective construction… which she was put off by. These were all elements that displace the more usual issues such as confronting difficult and prestigious repertoires and blending in with orchestral playing and sound, with many professional recordings as references. I did not succeed in helping her to question this state of affairs, she was unwilling to exchange with me.

 

5. Co-construction

At stake here is the very status of the musician learner/teacher.

Are these learning musicians able to put on different skins (performer, improviser, orchestrator…), different scenarios (orchestra, chamber music, contemporary music group, soloist…) and different aesthetics as they would freely rummage through their trunk of old clothes in their grandparents’ attic to play at being someone else?

Is this teaching musician willing and able to accompany these learners so that these hats become one, flexible and adaptable to the choices and necessities of the moment; so that these scenarios are as many varied human and musical relationships; so that these aesthetics are opportunities to breathe in cultural diversity?

Are these learners able to accept that a course identified as a string ensemble is the place for these different pathways?

Is this teacher able to create the conditions for this to happen?

Here it is important to take into account several aspects that shape the tradition of conservatories. They will enable us to better define the building and its architecture at a time when it is trying to redeploy itself in relation to the evolution of French society. The few remarks below are to be taken into account for those who want to cross the walls.

These walls…

… are partly within the institution which more or less partitions different territories into “courses”, “orchestra”, “chamber music”, “collective practices” … and allows / prevents, more or less, teachers and learners to advance, depending on the projects, by porosity between the different categories of the occidental musical world.

They are also to some degree present in the segmentation of the teaching that takes place from the junior high school onwards, and which refers to a conception of education constructed as a succession of fields of knowledge that the pupil goes through from hour to hour: a gigantic open-space strewn with half-high dividers that isolate while allowing an institutional hubbub to filter through that barely makes sense.

They are present in the dominant conception of conservatory teaching, which focuses the learning process on the instrument and its teacher and conceives collective group practices as an implementation of what is learned in the instrumental course. Some sort of supplement.

They are also included in the division of labor that has developed since the nineteenth century and the hyper-specialization that followed to the present day: to each person his or her place and task.

They are finally present in the teacher-learner relationship which is impregnated by this way of structuring society.

Partitioning, segmenting, dividing… the organization and practices in places of education, including conservatories, are still permeated by these more or less closed constructions. The creation of departments[3], to take one example, has only shifted this reality into a slightly larger circle, but between partners of the same family, they are structured on the same foundations. Many departmental meetings are moreover focused on the choice of repertoires to be played in the coming year and these choices are not the consequence of a more global project centered on learning musicians, territories to be explored and filled with music.

 

6. A Speaking Human Being, a Social Human Being

Walls delimit a territory and allow for its development in a protective setting. They also contain rules that govern individual and collective life on this territory. The edges are these gaps in the wasteland, these moors open to experiments not provided for by the regulations of walled games. They can be confusing, but they can also become rich grounds for various collectively cultivated plantations. And this is one of the keys to reconsidering the aims and organization of teaching: the spoken word, expressed and shared collectively, placed at the service of experimentation and the realization of individual and group projects. A spoken word that accepts to deliver to the eyes of others what makes sense in the practices for each person. A spoken word that is welcomed with respect for each person’s convictions and with a aim of building an institution that is neither the addition of personal projects nor the piling up of departmental projects. A spoken word that suggests that the teacher does not know everything and that cooperation is necessary in order to build something.

Florence Aubenas, journalist, collected often inaudible words. Here is an extract of an article from the newspaper Le Monde dated 12. 15. 2018 under the title “Gilets jaunes : la révolte des ronds-points” [Yellow Jackets: The Revolt of the Roundsabout]

For months, her husband had been telling Coralie, “Get out of the house, go see friends, go shopping.” It was the “gilets jaunes” at the Satar roundabout, in the smallest of the three shacks around Marmande, planted between a piece of countryside, a motorway off-ramp and a large loading platform where trucks take shifts day and night…

…The activity of the “gilets” here consists in setting up filtering checkpoints. Here come the others, here they are, Christelle, who has children of the same age as Coralie’s, Laurent, a blacksmith, André, a retired man attired like a prince, 300 shirts and three Mercedes, Sylvie, the chicken breeder. And everything comes back at once, the warmth of the hut, the company of the humans, the “Bonjour” slamming loudly. Will the “gilets jaunes” succeed in changing life? A nurse pensively wonders: “In any case, they changed my life.”

When Coralie comes home at night, it’s all she wants to talk about. Her husband thinks she loves him less. He told her that. One evening, they invited the faithful of the roundabout to dinner. They’d never had anyone in the house before, except the family of course. “You’ve got it, your new beginning. You’re strong,” the husband slipped in. Coralie handed out leaflets to the drivers. “You won’t get anything, miss, you’d better go home,” suggested a man in a sedan. “I’m not expecting anything special. Here, we do things for ourselves: I’ve already won.”

 

7. A House of Music(s)

“We do things…” This is a prosaic, complex but promising starting situation: a group of musicians (learners and teachers) who act (come together for elaborating a common project). A terrain of expression (roundabout or conservatory). The starting of the project through a co-construction process that redraws the pathways. A situation fraught with pitfalls but nevertheless stimulating.

Sensoricity, interpretation, variability and improvisation invite to create a teaching by workshops supported by variable-geometry teaching groups. They can rely on vocal and corporal expression through collective rules insisting on shared intention in sound production. The learning of the written code can be integrated into the sequence “imitation, impregnation, transfer, invention” as a complementary tool opening up, in particular, to composition. That of the instrument is traversed by one-to-one and group work…
 

8. One Step Sideways

This is the second year (2018 and 2019) that I offer a two and a half day workshop to CEPI [Cycle d’Enseignement Professionnel Initial][4] students from the Hauts de France. This year, eight musicians came together, some of whom had already been present the previous year. Coming from practices of amplified popular music, classical music and jazz, they listened to collections of traditional songs from Berry and Limousin recorded between the 1960s and 80s. Simple monodies sung in a kitchen, at home by local people, farmers. No harmonies or accompaniments. Only voices sculpting in their own way melodies with temperaments and inflections unknown to these young musicians.

Between the ear picking up, the singing by imitation, the transfer to the instrument and the rules of improvisations suggested by me, a constant energy was deployed. The most beautiful example in my eyes is the intensity with which they invested themselves in the realization of “living bourdons”. From notes held mechanically on the 1st and 5th degrees, they have gradually evolved into an ecosystem welcoming variations in timbre, the passage from continuous to iterative, entries and exits by variations in intensity… and all this in a wonderful collective listening. These bourdons carry the improvisations and one would be tempted to take them for a negligible quantity. This was not the case, an emerging collective consciousness having offered them a territory to inhabit. They all came out of it with the feeling of having lived an individual experience thanks to the grace of the group and a collective experience thanks to the active presence of each one of them.

I will leave you with a few excerpts from their improvisations: it was obviously not a question of training in the interpretation of the traditional music of Berry or Limousin, but rather of grasping the characteristics of these and other music in order to explore other improvisational voices.

A soundscape, inserted in a longer tale, ends the video. It is brought into play by the musicians of a string ensemble led by a classical violin teacher, Florence Nivalle. In addition to other parts of the tale, we proposed to look at the musicality of a forest:

    • Listening to a recording in the forest and exchanging impressions.
    • Directed listening. Locate if there is:
        – a permanent pattern in the landscape;
        – repeated events with varying degrees of spacing;

        – significant events, in rupture.

    • Assimilate these elements through vocal imitation. Define sound characteristics .
    • Transpose this to your instrument by retaining only the envelopes and textures of the sound and leaving out the imitation.

    The weft (grasshoppers) is played/sung tutti. Repeated events (mosquitoes and animal noises in the thickets) are handled by several duets (one mosquito and one thicket). A few birds appear, solitary. Displacement approaches are invented by each duet to induce the sound production. The two productions are either tiled, juxtaposed or with interspersed respiration.

    It should be noted that a violinist, Clémence Clipet, being both in classical and traditional music violin training, was solicited by Florence and myself to transmit the final bourrée with the bowing indications. At the moment of this first restitution, we had completed 13 sessions. And the first assessment was very positive: all the participants had the feeling of building a vehicle for a journey to be invented.

    Finally, an ensemble of bagpipes from cycle 1 (2 to 4 years of practice, it depends) proposed an improvisation game based on a relay between the first two incises of a bourrée: G a b C and D e F [SOL la si DO and RE mi FA]. The passing is done in tiling by overlapping successive entries. A simple game, but one that mobilized in everyone an energy and concentration sometimes unsuspected. An “engaging” discovery for most of them.

    Michel Lebreton, March 2019

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    1. “The tinkerer is the one who uses diverted, oblique means, as opposed to the man of art, to the specialist. The work of the tinkerer, unlike that of the engineer, unfolds in a closed universe, even if it is diversified. The rule is to work with the means at hand. The result is contingent, there is no precise project, but ideas-force: it can always be useful, it can work ». The elements used do not have a fixed, let alone predetermined, function: they are what they are, at that moment, as they are perceived, desired, in relation to other elements that are the operator of a particular operation. For the tinkerer, a wooden cube can be a wedge, a support, a base, a closure, a corner to be driven in, etc. It can be a simple material or an instrument, its usefulness depends on an ensemble. The appropriateness of a tinkering can evoke the objective randomness of the surrealists.” (Ruse et bricolage, Liliane Fendler-Bussi)

    2. Note of the translator. This is a well-known political slogan from the May 1968 Paris demonstrations, literally “under the pavement, the beach!”.

    3. Note of the translator. In France, since about the late 1980s, departments have been created in conservatories, most of the time along the following groupings: strings, woodwinds, brass, keyboards and percussion, basic musicianship, jazz, traditional music, etc.

    4. Note of the translator. The CEPI or in English the “ Initial Cycle of Professional Teaching” is offered in Regional Conservatories as preparation to enter musical higher education institutions.

     

     

Michel Lebreton

Access to the English translation :
English

 


 

Murailles et lisières traversant
le temps et l’espace du conservatoire

Michel Lebreton

Sommaire

1. Espaces clos… temps immobile / Espaces ouverts… temps des possibles
2. Paroles suspendues, paroles retrouvées
3. Lisières
4. Il suffit de passer le pont
5. Co-construction
6. Un être parlant, un être social
7. Une maison des musiques
8. Le pas de côté

1. Espaces clos… temps immobile / Espaces ouverts… temps des possibles

La muraille. Elle s’impose par sa masse, sa capacité à délimiter une frontière. Elle induit une permanence dans l’espace, une fixité, une impression d’intemporalité qui concourt à l’oubli de sa présence. Nous pratiquons, nous pensons dans l’ombre de murailles. Elles donnent un cadre, et donc un périmètre, permettant d’organiser nos activités. Mais à parcourir toujours les mêmes plans,  les mêmes volumes, elles nous apparaissent bientôt, dans une illusoire évidence, parées d’intemporalité. Elles nous mettent en bouche des aphorismes tels que : « on a toujours fait comme ça ! », « de tous temps… », « il est évident que… »… qui sont autant d’expressions qui les cimentent encore davantage. Et qui découragent le débat, puisque… l’on a toujours fait comme cela.

Les murs le long de la frontière américano-mexicaine tentent d’enfermer les mexicains dans leur pays. Ils enferment, dans un mouvement parallèle, les américains dans une enclave que certains souhaitent protectrice. Il y a un désir de muraille qui va de pair avec une peur de l’altérité malencontreusement liée à un besoin de sécurité.

Une muraille est faite pour défendre. C’est donc qu’une attaque est redoutée. Le mur d’Hadrien se dresse contre la menace d’invasions barbares. Mais au fil du temps, il est délaissé, les soldats abandonnant leurs postes pour s’établir paysans aux alentours. Il devient une réserve de pierres pour construire maisons, églises… La muraille devient ici matière à d’autres pratiques. Celles-ci ouvrent sur de nouveaux espaces.

Comment ouvrir espaces et temporalités, quelles pratiques développer qui permettent de percevoir la muraille et d’oser sortir de son ombre, de laisser cette sécurité illusoire, de mettre les peurs en suspension? Et de mettre en lumière les évidences assénées par les pouvoirs en place?

 

2. Paroles suspendues, paroles retrouvées

J’ai eu l’occasion de prendre en charge un atelier d’écriture à destination d’étudiants de l’ESMD (Ecole Supérieure Musique et Danse Hauts de France) avec l’objectif de les aider dans la rédaction de leurs mémoires. La toute première séance a révélé un désarroi chez certains de ces étudiants, tous adultes et ayant un poste d’enseignement et de l’expérience. Leurs premières réactions furent: « Je n’ai rien à raconter », « Je fais cours, c’est tout », « Il ne se passe rien d’extraordinaire dans mes cours »… Ils renvoyaient des réponses fermées et coupant court à toute perspective de questionnement. Plus encore, ils affirmaient de façon sous-jacente qu’il n’y avait rien à observer, banalisant ainsi leurs pratiques d’enseignement, pratiques dont nous devions découvrir par la suite les nombreux pôles d’intérêts.

Afin de dépasser cet état de fait, j’ai fais appel à des expériences hors du cadre des conservatoires. Des expériences mettant en jeu leurs capacités à accompagner, aider, éduquer mais dans un contexte où ils ne soient pas évalués par le prisme du musical.

Pour l’une, ce fut une série de remplacements en milieu hospitalier qui l’ont amenée à pratiquer le travail en équipe, l’écoute des patients, la résolution de conflits… démarches qu’elle a pu par la suite décrypter dans sa pratique enseignante. Pour une autre ce fut d’apporter une aide auprès de sa sœur qui était en difficulté pour une épreuve de baccalauréat. Cette dernière était en demande et cela se passa facilement. Le frère avait les mêmes difficultés mais était réticent face au travail scolaire, de surcroit chapeauté par sa grande sœur ! Celle-ci ne trouva pas de situations opératoires mais réalisa plus tard, lorsque son frère se réorienta avec succès dans une branche différente et qui lui plaisait, que la motivation ne s’enseigne pas mais (je cite un extrait de son mémoire) « que le rôle d’un enseignant est de développer des situations ouvertes au plaisir d’apprendre (manipuler, explorer, construire…) afin que la motivation puisse advenir, s’accroitre ». Pour une troisième enfin ce fut une expérience d’auxiliaire de vie scolaire auprès d’enfants autistes avec pour objectif une intégration dans le cursus scolaire standard. Elle indique dans un de ses écrits : « Cette expérience d’une année est très certainement la plus marquante et une des plus belle de ma vie, j’ai compris l’importance de se faire accepter sans attendre quoi que soit en retour, j’ai une autre vision de cette maladie et surtout  j’ai pu acquérir un certain nombre de compétences… » (S’ensuivent des compétences telles que patience, curiosité, capacité d’adaptation, écoute de l’autre…).

Ces récits qu’elles ont couchés sur le papier et qu’elles ont échangés, discutés, ont joué le rôle du révélateur photographique. Elles s’y sont vues actrices de situations d’accompagnement, parfois d’enseignement. La parole s’est faite plus facile, le désir d’écoute s’est davantage affirmé. Et avec ces situations, la certitude « qu’il se passe quelque chose ». Et que cela mérite d’être conté, observé, analysé. Ce regard ethnographique s’est emparé de la sphère professionnelle. Elle est devenue source d’autres récits, également échangés, discutés, analysés. Chacune d’entre elles avait commencé à contourner la muraille des évidences pour commencer à assembler les pierres des possibles. Et se réapproprier le temps et l’espace de leurs expériences en en évoquant les épaisseurs et mouvances humaines. Sur quels terrains s’engage-t’on alors pour faire advenir ces mises en lumières ?

 

3. Lisières

La lisière est une bande, une liste, une marge (pas une ligne) entre deux milieux de nature différente, qui participe des deux sans se confondre pour autant avec eux. La lisière a sa vie propre, son autonomie, sa spécificité, sa faune, sa flore, etc. La lisière d’une forêt, la frange entre mer et terre (estran), une haie, etc. Alors que la frontière et la limite sont des clôtures, la lisière sépare et réunit en même temps. Un détroit est une figure exemplaire de lisière : le détroit de Gibraltar sépare deux continents (l’Afrique et l’Europe) en même temps qu’il fait communiquer deux mers (Méditerranée et océan atlantique).
Emmanuel Hocquard, Le cours de PISE, POL, Paris 2018, page 61.

Les lisières sont les endroits des possibles. Les limites n’en sont définies que par les milieux qui les bordent. Elles sont mouvantes, sujettes à érosions, sédimentations: elles n’ont rien de l’évidence. Enseignants et apprenants, tous deux habités d’expériences musicales nourries de leurs parcours respectifs, se retrouvent de prime abord évoluant dans les sols souples des lisières. Ils ne se connaissent pas mais se réunissent autour d’un objet « musique » qu’il conviendrait d’ailleurs d’écrire au « singulier – pluriel » : la Musique – mes musiques / Les musiques – ma Musique. L’enseignant s’est construit au fil du temps un paysage où les représentations sociales et donc musicales se sont construites et édifiées plus ou moins solidement, plus ou moins en conscience (par exemple, « qu’est ce qui est ‘musique’ ? », « qu’est ce qui fait le ‘musicien’ », « qu’est ce qu’enseigner ? », « quelle est la place de l’élève dans ce processus ? »…). L’apprenant vient également avec un bagage de représentations sociales et musicales.  Mais lorsqu’il pénètre pour la première fois dans ce lieu appelé « Conservatoire », les premières lui rappellent qu’il entre dans « un haut lieu d’expertise » et les secondes que les musiques enseignées y sont majoritairement « des grandes musiques ». Il est à la fois disponible, motivé et sur la réserve, éventuellement impressionné. Il est dans les lisières, terrains inconnus, mais attirants, pour y concrétiser ses désirs (tout au moins on l’espère). En l’occurrence, la pratique d’un instrument dans la plupart des cas. La question est alors : l’enseignant va-t-il le rejoindre dans ces lisières mouvantes, mais seul terrain qui les réunit à ce moment premier ? Et tenter de débroussailler un espace et un temps commun d’apprentissage mutuel ? Ou va-t-il emmener l’apprenant à l’ombre de sa muraille afin d’y dérouler un programme prédéfini et solidement maçonné ? Va-t-il laisser les barrières ouvertes aux vagabondages et bricolages[1], allant même jusqu’à les encourager ? Ou va-t-il circonscrire toutes pratiques à l’enclos qu’il a construit au fil du temps?

Le seul véritable voyage, le seul bain de Jouvence, ce ne serait pas d’aller vers de nouveaux paysages, mais d’avoir d’autres yeux, de voir l’univers avec les yeux d’un autre, de cent autres, de voir les cent univers que chacun d’eux voit, que chacun d’eux est.
Marcel Proust, La Prisonnière, page 762.

Dans une reformulation très réductrice de ma part (pardon aux Marcels), à tout le moins mettre à jour « sous les pavés, la plage! ». Car à quoi bon être en présence d’autres paysages sonores si nous les plions inlassablement à notre habitus ? Créons plutôt des situations ouvertes à nos imaginations, lisières propices à passer les objets étranges au sein d’échanges improbables. Laissons une part d’improvisation dans les « faire de la musique », ou encore les « construire collectivement des échafaudages sonores », ainsi que les « tenir atelier ouvert ». Ouvrir les yeux autres qui sont en nous et tout cela par le pouvoir de la confrontation et de l’échange avec l’autre.

 

4. Il suffit de passer le pont

La rencontre de musiciens autour de pratiques ouvertes (exemple: « dans le groupe, chacun prendra la parole en réaction à ce qu’il perçoit des autres propositions: en complément – aller vers- ou en opposition -s’éloigner- ») et d’objets peu ou pas connus (ex: « accumulons des nappes sonores par timbres de plus en plus granuleux ») met en jeu des relations aux objets et aux sujets qui différent de ceux développés dans une formation qui se centre encore souvent sur de l’interprétation de répertoires esthétiquement repérés. Les comportements, savoir-faire habituels ne se suffisent plus pour participer aux récits sonores que l’on est appelé à construire, seul ou en groupe. Il y a alors deux voies possibles : sauter dans le train en partance sans en connaître l’itinéraire et faire advenir un nouveau récit ou laisser passer le train (certains peuvent même être tentés de le dynamiter !).

Une telle situation s’est révélée lors d’un projet avec un ensemble de cordes (huit violonistes et trois violoncellistes). Il s’agissait, dans un premier temps, de mettre sur pieds un répertoire de musiques traditionnelles à danser issues du Berry ainsi que de compositions dans le style. L’approche de ces répertoires, inconnus des musiciens en présence, se faisait par le chant et la danse; s’ensuivait la transposition par oralité sur instruments et en petits groupes. Les musiciens étaient invités à chercher collectivement cette transposition, puis à confronter leurs trouvailles en grand groupe. Des jeux d’improvisations sur la quinte de structure et les bourdons de certaines mélodies complétaient cet atelier. Précisons que la technicité requise pour l’interprétation était acquise par tous les participants.

L’une des musiciennes âgée de 16 ans était sur la réserve et ce à la fois sur le fait de danser et sur celui d’improviser sur les règles proposées (elle avait déjà pratiqué de l’improvisation sur grille harmonique mais dans un autre cadre). Elle était venue s’inscrire à un cours d’ensemble à cordes et s’attendait à travailler du répertoire « classique » alors qu’une information avait été faite, définissant le projet particulier de cet atelier. Mais là où elle s’attendait, en dépit de la présentation du projet, à travailler en ensemble des œuvres écrites dans le but de les interpréter collectivement sous la direction du professeur de cordes, elle s’était retrouvée dans une logique d’atelier où chacun est appelé à bricoler. Ajoutons le peu de « prestige » apparent des matériaux proposés: simplicité apparente des mélodies, improvisation sur cinq notes, accompagnements basés sur des bourdons rythmiques, danse populaire au pas répétitif au premier abord… ainsi que le fonctionnement proposé: travaux et recherches collectives, confrontations et débats sur les trouvailles, recherche d’une construction collective finale… qui l’ont rebutée. C’étaient là autant d’éléments qui déplacent les enjeux plus habituels tels que se confronter à des répertoires ardus et prestigieux et se fondre dans  un jeu et un son d’orchestre avec pour références de nombreux enregistrements professionnels. Je n’ai pas réussi à l’aider à questionner cet état de fait, elle n’a pas souhaité échanger avec moi.

 

5. Co-construction

C’est le statut même du musicien apprenant/enseignant qui est ici en jeu.

Ce musicien apprenant est il à même d’enfiler différentes peaux (interprète, improvisateur, orchestrateur…), différents scénarios (orchestre, musique de chambre, groupe de musiques actuelles, soliste…) et différentes esthétiques comme il le ferait en fouillant librement la malle aux vieux vêtements dans le grenier de ses grands parents pour jouer à être un autre ?

Ce musicien enseignant est il en volonté et capacité d’accompagner cet apprenant afin que ces peaux n’en fassent plus qu’une, souple et adaptable aux choix et nécessités du moment ; que ces scénarios soient autant de mises en relations humaines et musicales variées ; que ces esthétiques soient des occasions de humer les diversités culturelles ?

Cet apprenant est il à même d’accepter qu’un cours repéré comme ensemble à cordes soit le lieu de ces différents cheminements ?

Cet enseignant est il à même de créer les conditions pour que cela advienne ?

Il est ici important de prendre en compte plusieurs aspects qui façonnent la tradition des conservatoires. Ils nous permettront de mieux définir le bâti et son architecture à un moment où il tente de se redéployer en regard de l’évolution de la société française. Les quelques remarques ci-dessous sont à prendre en compte pour qui veut traverser les murailles.

Ces murailles…

… sont en partie dans l’institution qui cloisonne plus ou moins différents territoires en « cours », « orchestre », « musique de chambre », « pratiques collectives »… et permet / empêche, plus ou moins, que les enseignants et les apprenants avancent, selon les projets, par porosité entre les différents statuts du monde musical occidental.

Elles sont aussi en partie dans la segmentation des enseignements qui a cours dès le collège et nous renvoie à une conception de la formation construite comme une succession de domaines de connaissances que l’élève parcourt d’heure en heure: un gigantesque open-space parsemé de cloisons à mi hauteur qui isolent tout en laissant filtrer un brouhaha institutionnel qui peine à faire sens.

Elles sont dans la représentation dominante de l’enseignement en conservatoire qui focalise le parcours d’apprentissage sur l’instrument et son professeur et conçoit les pratiques collectives de groupes comme une mise en œuvre de ce qui est appris dans le cours instrumental. Un supplément en quelques sortes.

Elles sont également incluses dans la division du travail qui s’est développée depuis le XIXe siècle et l’hyperspécialisation qui lui a fait suite jusqu’à aujourd’hui: à chacun sa place et sa tâche.

Elles sont enfin dans la relation enseignant-apprenant qui est imprégnée de cette structuration de la société.

Cloisonner, segmenter, diviser… l’organisation et les pratiques dans les lieux de formation, dont les conservatoires, sont encore traversées par ces constructions plus ou moins closes. La création des départements, pour prendre cet exemple, n’a fait que déplacer cette réalité dans un cercle un peu plus grand, mais entre partenaires de même famille se structurant sur les mêmes fondements. Nombre de réunions de départements sont d’ailleurs axées sur le choix des répertoires à jouer dans l’année à venir, sans que ces choix ne soient la conséquence d’un projet plus global centré sur les musiciens apprenants, territoires à explorer et qu’il convient de peupler de musiques.

 

6. Un être parlant, un être social

Les murailles délimitent un terrain et permettent de se développer dans un cadre protecteur. Elles enferment également à la mesure des règles qui régissent la vie individuelle et collective sur ce terrain. Les lisières sont ces brèches en friche, ces landes ouvertes aux expérimentations non prévues par les régulations des jeux emmurés. Elles peuvent dérouter mais aussi devenir des terrains riches de plantations variées et cultivées collectivement. Et là est l’une des clés permettant de reconsidérer les buts et organisations de l’enseignement : la parole exprimée et partagée collectivement, mise au service d’expérimentations et de réalisations de projets individuels et de groupes. Une parole acceptant de livrer aux regards des autres ce qui fait sens dans les pratiques de chacun. Une parole accueillie dans le respect des convictions de chacun et dans le projet de construire un projet d’établissement qui ne soit ni l’addition de projets personnels ni l’empilement de projets de départements. Une parole qui laisse entendre que l’enseignant ne sait pas tout et que la coopération est nécessaire pour construire.

Florence Aubenas, journaliste, a recueilli des paroles souvent inaudibles. En voici un extrait paru dans un article du journal Le Monde du 15/12/2018 sous le titre « Gilets jaunes : la révolte des ronds-points » :

Depuis des mois, son mari disait à Coralie : « Sors de la maison, va voir des copines, fais les magasins. » Ça a été les « gilets jaunes, au rond-point de la Satar, la plus petite des trois cahutes autour de Marmande, plantée entre un bout de campagne, une bretelle d’autoroute et une grosse plate-forme de chargement, où des camions se relaient jour et nuit…
…L’activité des « gilets » consiste ici à monter des barrages filtrants. Voilà les autres, ils arrivent, Christelle, qui a des enfants du même âge que ceux de Coralie, Laurent, un maréchal-ferrant, André, un retraité attifé comme un prince, 300 chemises et trois Mercedes, Sylvie, l’éleveuse de poulets. Et tout revient d’un coup, la chaleur de la cahute, la compagnie des humains, les « Bonjour » qui claquent fort. Est-ce que les « gilets jaunes » vont réussir à changer la vie ? Une infirmière songeuse : « En tout cas, ils ont changé ma vie. »
Le soir, en rentrant, Coralie n’a plus envie de parler que de ça. Son mari trouve qu’elle l’aime moins. Il le lui a dit. Un soir, ils ont invité à dîner les fidèles du rond-point. Ils n’avaient jamais reçu personne à la maison, sauf la famille bien sûr. « Tu l’as, ton nouveau départ. Tu es forte », a glissé le mari. Coralie distribue des tracts aux conducteurs. « Vous n’obtiendrez rien, mademoiselle, vous feriez mieux de rentrer chez vous », suggère un homme dans une berline. « Je n’attends rien de spécial. Ici, on fait les choses pour soi : j’ai déjà gagné. »

 

7. Une maison des musiques

« On fait les choses… ». Voilà une situation de départ prosaïque, complexe mais prometteuse : un groupe de musiciens (apprenants et enseignants) et qui agit (se rassembler pour un projet commun). Un terrain d’expression (rond-point ou conservatoire). La mise en route du projet par une démarche de co-construction qui redessine les parcours. Situation semée d’embûches mais mobilisante.

Sensoricité, interprétation, variabilité et improvisations invitent à créer un enseignement par ateliers pris en charge par des collectifs d’enseignants à géométrie variable. Ils peuvent s’appuyer sur l’expression vocale et corporelle par des règles collectives insistant sur l’intention partagée dans la production sonore. L’apprentissage du code écrit peut s’intégrer dans la séquence « imitation, imprégnation, transfert, invention » comme un outil complémentaire ouvrant, notamment à la composition. Celui de l’instrument est traversé par des face à face et des travaux de groupes…

 

8. Le pas de côté

C’est la deuxième année (2018 et 2019) que je propose un stage de 2 jours et demi à des étudiants en CEPI [Cycle d’Enseignement Professionnel Initial] des Hauts de France. Cette année, huit musiciens se sont réunis, dont certains déjà venus l’année précédente. Venant de pratiques des musiques actuelles amplifiées, classiques et jazz, ils ont écouté des collectes de chants traditionnels du Berry et du Limousin enregistrés entre les années 60 et 80. De simples monodies chantées dans une cuisine, à la maison par des gens du pays, des paysans. Pas d’harmonies ni d’accompagnements. Seulement des voix qui sculptent à leur manière des mélodies aux tempéraments et inflexions inconnues de ces jeunes musiciens.

Entre le relevé à l’oreille, le chant par imitation, le transfert sur l’instrument et les règles d’improvisations proposées par mes soins, une énergie constante s’est déployée. Le plus bel exemple à mes yeux étant l’intensité avec laquelle ils se sont investis dans la réalisation de « bourdons vivants ». De notes tenues mécaniquement sur les 1er et 5e degrés, ils sont peu à peu passés à un écosystème accueillant les variations de timbres, le passage du continu à l’itératif, les entrées et sorties par variations d’intensités… et tout cela dans une belle écoute collective. Ces bourdons portent les improvisations et l’on serait tenté de les prendre pour quantité négligeable. Ce ne fût pas le cas, une conscience collective émergeante leur ayant offert un territoire à habiter. Ils en sont tous ressortis avec la sensation d’avoir vécu une expérience individuelle par la grâce du groupe et une expérience collective par la présence active de chacun.

Je vous laisse sur quelques extraits de leurs improvisations : il ne s’agissait évidemment pas de se former à l’interprétation des musiques traditionnelles du Berry ou du Limousin, mais plutôt de se saisir de caractéristiques de ces musiques et d’autres pour explorer d’autres voies d’improvisations.

Un paysage sonore, inséré dans un conte plus long, termine la vidéo. Il est mis en jeu par les musiciens d’un ensemble à cordes pris en charge par une professeure de violon classique, Florence Nivalle. Nous avons proposé, en plus d’autres parties du conte, de se pencher sur la musicalité d’une forêt :

      • Écoute d’un enregistrement en forêt et échanges.
      • Écoute dirigée. Repérer s’il y a:
            – une trame permanente dans le paysage ;
          – des événements répétés avec plus ou moins d’espacements ;

– des événements marquants, en rupture.

  • S’approprier ces éléments par une imitation vocale. Définir des caractéristiques du son.
  • Transposer cela sur son instrument en ne retenant que les enveloppes et textures du son et en laissant de côté l’imitation.

La trame (sauterelles) est jouée/chantée tutti. Les événements répétés (moustiques et bruits d’animaux dans les fourrés) sont pris en charges par plusieurs duos (un moustique et un fourré). Quelques oiseaux apparaissent, solitaires. Des démarches de déplacements sont inventées par chaque duo pour amener la production sonore. Les deux productions sont au choix, tuilées, juxtaposées ou avec une respiration intercalée.

Il est à noter qu’une violoniste, Clémence Clipet, étant à la fois en formation de violons classique et trad. a été sollicitée par Florence et moi-même pour transmettre la bourrée finale avec les coups d’archet. Nous en sommes à 13 séances au moment où cette première restitution s’est déroulée. Et le premier bilan est très positif : tous les participants ont le sentiment de construire un véhicule pour un voyage à inventer.

Enfin, un ensemble de cornemuses de cycle 1 (2 à 4 ans de pratiques selon) nous a proposé un jeu d’improvisation se basant sur un relais entre les deux premières incises d’une bourrée : SOL la si DO et RE mi FA. Le passage se fait en tuilage. Un jeu simple mais qui a mobilisé chez chacun une énergie et une concentration parfois insoupçonnées. Une découverte « engageante » pour la plupart.

Michel Lebreton, mars 2019

 


 

1. « Le bricoleur est celui qui utilise des moyens détournés, obliques, par opposition à l’homme de l’art, au spécialiste. Le travail du bricoleur, à la différence  de  celui  de  l’ingénieur,  se  déploie  dans  un  univers  clos,  même  s’il  est diversifié. La règle est de faire avec les moyens du bord. Le résultat est contingent, il n’y  a  pas  de  projet  précis,  mais  des  idées-force  :  “ça  peut  toujours  servir,  ça  peut fonctionner”.  Les  éléments utilisés  n’ont  pas  un  emploi  fixe,  encore  moins  prédéterminé : il sont ce qu’ils sont, à cet instant-là, tel qu’il est perçu, désiré, en relation avec  d’autres  éléments,  opérateur  d’une  opération  particulière.  Pour  le  bricoleur,  un cube de bois peut être cale, support, socle, fermeture, coin à enfoncer, etc. Il peut être matière  simple  ou  instrument,  son  utilité  dépend  d’un  ensemble.  L’adéquation  d’un bricolage peut évoquer le hasard objectif des surréalistes. »
Ruse et bricolage (Liliane Fendler-Bussi)

Gunkanjima (English version)

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Ghost Island

Noémi Lefebvre

(from her blog médiapart)


Gunkanjima is a place, a ghost island, a warship, an accumulation of buildings, an urban system, concrete composition, a mining town, an energy era, a geological hole, some pure coal called diamond. It is a switched-off function, a cemetery of objects, beds, tables, TVs, radios, calculating machines, sewing machines, typewriters, toys, curtains, fans, shoes, papers, bowls, sinks, fallen roofs, broken window panes, bird calls, rubble, a telluric city in the middle of the sea, outpost of chaos, nature after man, a silent place from where music begins.

Gunkanjima is a musical place of research and creation, an open construct, a sound fabric, an ensemble associating timbres, some broken up language, ancient poetry, bruitism, onomatopoeia, animal-human song and screaming, organism and machine, a territory of invention situated in this post-industrial time and in this globalized space where we have to live. This ensemble of six musicians demonstrates that research and creation are not two separated domains, but that they are as indispensable one to another as are work and play, memory and forgetfulness, knowledge and uncertainty, intention and invention.

This music of the present, in the making, obliges us to break with habits and classifications in trends, aesthetics, genres, cultural influences, to refuse decidedly any identification to already known consensual frameworks, which tend to place the artists in front of a paradox: one should invent in continuity, look for ideas without crossing the prescribed limits, create something new following the line, without getting out of the context organized by designations, as if these designations were here to stay for ever, whereas they appeared themselves at a given moment in order to burst other paradigms apart, define something that the old classifications were unable to grasp.

We may try to situate Gunjanjima in a trend: rock without a doubt, free evidently, electroacoustic indisputably, contemporary music absolutely!

At the same time no; it would be equally inappropriate to say that this creation is under European or Japanese influence, from somewhere or from nowhere, best not to look for a provenance or an affiliation, we have even to renounce discovering a multicultural origin in hearing it, or an expression of “world music”. The origin of Gunkanjima is not somewhere, here, elsewhere or everywhere: its origin is a project, and the origin of the project a desire for a shared project by musicians who bring to it their personality, their energy and their imaginary.

The habits of classifying, in which overlap the modes of acknowledgement of socio-musical spaces, the organizations of distribution networks, the formalizations of musical criticism, the commercial rationales, tend to be prolonged in listening criteria and to prescribe a sort of attention displacement on to categories. Do they necessarily discard the possibility to hear what is being played? It does not matter if our listening is informed by a history of representations, by an acculturation or by education, because even if we have evidently some sound references, there is a moment in which experience cannot rely on experience, a moment in which what we hear is awaking clear audible understanding, is disconnecting knowledge from erudition, awareness from boredom, listening from memory, perception from prejudgments, acculturation from cultural history. This moment is what Gunkanjima realizes.

But how?

Hashima was a black rock island off Nagasaki, where the first big concrete apartment complexes in Japan were built for a population that came to work at the exploitation of coal. This island, progressively enlarged to reach 480 meters long by 160 wide, overcrowded, transformed into “Gunkanjima”, “warship” in Japanese, for the intensive coal exploitation by Mitsubishi, was never conceived according to a general plan of urban development. The buildings were gradually added, as the mining activity intensified, until it was decided, in 1974, to close the mine and that all the inhabitants should leave the island within a few weeks. Nevertheless, all these buildings, impressive by their height and imbrication, are linked to each other through several levels and form a mega-structure and some circulations, which integrate some public spaces, aisles, terraces, a main square “Ginza Hashima”, as if there could have been an initial urban design.

Of course, this mode of urban construction is not specific to the Hashima island. Most towns, described a posteriori as extremely complex and coherent organisms, can display ingenuity of general structure and of circulation nevertheless invisible to those who built it. But the ghost-towns reveal it better than others: it seems that the cessation of all activities and the disappearance of any human presence render possible an organic analysis coldly after the fact. Sometimes the dead bodies have to be observed in order to understand the living ones.

To observe coldly after the fact the music of Gunkanjima is not possible: even if it is burned on a CD, it is not fixed! For the concert is not the public restitution of the recorded work; instead, through the gathering of musicians in rehearsals and on stage, at each performance, Gunkanjima is created and recreated. Therefore the musicological analysis of a “musical text” defined once and for all would most probably not be able to seize the creative energy, which determines its strength and its form, in the first place because there is no text, and then because this non existent text is constantly modified. The graphic scores created for Gunkanjima have a musical function inscribed in play. In this passage, for example, called the space, in which the musical idea of a “living space but with almost nothing” is developed, the graphic score is used foremost as a reminder of what, in improvisation and in the proposed ideas, will serve as benchmark or as thread, from which is developed a freedom of play. Everything is constructed, nothing is determined in advance.

No way to relate the realization to a prior idea, no certainty, no prediction, and nevertheless there is a circulation, an ensemble of networks. The musical elaborations of Gunkanjima are elaborated little by little, in a common research, with some materials, chosen constraints and a lot of imagination. These music pieces have their specific form and their own matter, and little by little, these pieces connect in a pathway. As the musician guitarist Gilles Laval says concerning the initial creation of the group: “we arrive somewhere, we come out again, then it continues, we don’t know where it leads, I like this idea of some cooking that is grasped at a given moment, it opens and it closes, and in fact, the cooking continues, it still leaves some traces”. As in the case of the island, of which the human history, linked to the intensive coal exploitation, does not constitute a whole as such outside history, in Gunkanjima there is no beginning nor ending, but a living, poetic and violent moment, fugitive with regard to the thousand years of necessary sedimentations to transform the vegetal and organic debris into coal, a human time in a long history without humans, which as such lets itself be grasped, immediately, as soon as it begins, this is why, in concert as in CD form, the pieces are not pieces.

It is possible to listen to an isolated track of the CD, but in reality the music is made up by a single continuous piece; “I cannot imagine that the piece could be stopped at some moment, and then to start again; for me it is a single piece from beginning to end, there are things happening, and then in the same way I started off from this story, from this island, and then I could not see how to divide this town into fragments of town”, explains Gilles Laval.

The vitality of this ensemble lies in the rapprochement of personalities whose musical worlds are already present. “When I gathered together this group, I knew that they were individualities. Each person is able to develop her/his projects alone”. The equilibrium is found in co-construction, in which whoever pretends to be the leader [chef] is nothing more than a liar [menteur]: “each person is at his/her place and the detail is discussed more and more. These are musical discussions in the course of elaborating propositions, each one speaks and may intervene. The decisions are always based on common choices”.

Gunkanjima, the island, is not a distant theme, exotic pretext to make music, it is constitutive of its architecture. It is not a stylistic subject, an allegory, a theme from the past, this is why there is no point in looking for Japanizing references or anything that is overplaying Japanese music. If there is something of Japan in this music, it is because three out of the six musicians are Japanese. The time is creation or is nothing at all.

Translation by Jean-Charles and Nancy François

See also the blog chronicle of June 20, 2015.

Gunkanjima

English


Ghost Island

Par Noémi Lefebvre

(depuis son blog médiapart)


Gunkanjima est un endroit, une ile fantôme, un bateau de guerre, une accumulation de constructions, un système urbain, composition de béton, une cité minière, une ère énergétique, un trou géologique, du charbon pur appelé diamant. C’est une fonction arrêtée, un cimetière d’objets, lits, tables, télés, radios, machines à calculer, à coudre, à écrire, jouets, rideaux, éventails, chaussures, papiers, bols, éviers, charpentes tombées, vitres brisées, cris d’oiseaux, gravats, une ville tellurique au milieu de la mer, avant-poste du chaos, la nature après l’homme, un endroit silencieux d’où commence une musique.

Gunkanjima est un endroit musical de recherche et de création, une construction ouverte, une fabrique sonore, une formation associant des timbres, du langage morcelé, poésie ancienne, bruitiste, onomatopées, chant et cri animal-humain, organisme et machine, un territoire d’invention situé dans ce temps post-industriel et dans cet espace mondialisé où nous avons à devenir. Cet ensemble de six musiciens démontre que la recherche et la création ne sont pas deux domaines séparés, mais qu’elles sont aussi indispensables l’une à l’autre que le sont le travail et le jeu, la mémoire et l’oubli, le savoir et l’incertitude, l’intention et l’invention.

Cette musique du présent, d’un temps en train de se faire, nous oblige à rompre avec les habitudes de classements en courants, esthétiques, genres, influences culturelles, à refuser décidément l’identification aux cadres consensuels du déjà connu qui tendent à placer les artistes devant un paradoxe : il faudrait inventer dans la continuité, chercher des idées sans passer les limites, créer du neuf dans la ligne, du nouveau sans sortir du contexte organisé par les désignations, comme si ces désignations étaient là pour toujours, alors qu’elles sont elles-mêmes apparues, à un moment donné, pour faire sauter d’autres paradigmes, qualifier quelque chose que les classements anciens ne permettaient pas de saisir.

On peut toujours essayer de situer Gunkanjima dans un courant : rock sans aucun doute, free évidemment, électroacoustique incontestablement, musique contemporaine absolument !

En même temps non ; il serait aussi inapproprié de dire que cette création est d’influence européenne ou japonaise, de quelque part ou de nulle part ; mieux vaut ne pas chercher une provenance ou une appartenance, il nous faut même renoncer à y entendre une origine multiculturelle, ou une expression de la world music. L’origine du Gunkanjima n’est pas quelque part, ici, ailleurs ou partout : son origine est un projet, et l’origine du projet un désir de projet partagé par des musiciens qui apportent leur personnalité, leur énergie et leur imaginaire.

Les habitudes de classement, où se chevauchent les modes de reconnaissance des espaces socio-musicaux, l’organisation des réseaux de diffusion, les formalisations de la critique musicale, les rationalités commerciales, tendent à se prolonger en critères d’écoute et à prescrire une sorte de déplacement de l’attention sur des catégories. Peuvent-elles pour autant écarter la possibilité d’entendre ce qui se joue ? Qu’importe si notre écoute est construite par une histoire des représentations, une acculturation ou de l’éducation, car même si nous avons, évidemment, des références sonores, il est un moment où l’expérience ne peut pas s’appuyer sur l’expérience, un moment où ce que l’on entend réveille l’entendement, détache la connaissance de l’érudition, le savoir de l’ennui, l’écoute de la mémoire, la perception des préjugés, l’acculturation de l’histoire culturelle. C’est ce moment que réalise Gunkanjima.

Mais comment ?

Hashima était un rocher noir au large de Nagasaki, où furent érigés les premières grands immeubles de béton du Japon pour une population venue travailler à l’exploitation du charbon. Cette ile, agrandie progressivement pour atteindre 480 mètres de long sur 160 de large, surpeuplée, transformée en “Gunkanjima”, “bateau de guerre” en japonais, pour l’exploitation intensive de la houille par Mitsubishi, n’a jamais pas été construite selon un plan général de développement urbain. Les bâtiments se sont ajoutées progressivement, à mesure de l’intensification de l’activité minière, jusqu’à ce que soit décidée, en 1974, la fermeture de la mine et que tous les habitants quittent l’ile en quelques semaines. Pourtant, toutes ces constructions, impressionnantes par leur hauteur et leur imbrication, sont reliées entre elles à travers plusieurs niveaux et forment une mégastructure et des circulations qui intègrent des espaces publics, des allées, des terrasses, une place principale “Ginza Hashima”, comme s’il y avait eu une conception urbanistique préalable.

Bien sûr, ce mode de construction urbaine n’est pas spécifique à l’ile Hashima. La plupart des villes, décrites a posteriori comme des organismes extrèmement complexes et cohérents, peuvent laisser voir une ingéniosité de structure générale et de circulation pourtant invisible à ceux qui en furent les bâtisseurs. Mais les villes-fantômes le révèlent mieux que les autres ; on dirait que l’arrêt de toute activité et la disparition de la présence humaine rendent possible une analyse organique à froid. Parfois il fait observer le corps des morts pour comprendre les vivants.

L’observation à froid de la musique de Gunkanjima n’est pas possible : même gravée sur CD elle n’est pas fixée ! C’est que le concert n’est pas la restitution publique de l’œuvre enregistrée, mais que, par la réunion des musiciens en répétition et sur scène, à chaque représentation, se crée et se recrée Gunkanjima. Ainsi l’analyse musicologique d’un “texte musical” défini une fois pour toutes aurait toutes les chances de ne pas pouvoir en saisir l’énergie créatrice qui en fait la force et la forme, d’abord parce qu’il n’y a pas de texte, ensuite parce que ce texte qui n’existe pas est sans cesse modifié. Les partitions graphiques créées pour Gunkanjima ont une fonction musicale inscrite dans le jeu. Dans ce passage, par exemple, qui s’appelle l’espace, où se développe l’idée musicale d’un “espace vivant mais avec presque rien”, la partition graphique sert d’abord à se souvenir de ce qui, dans l’improvisation et les idées proposées, pourra servir de repère ou de trame, à partir desquels se développe une liberté de jeu. Tout est construit, rien n’est prévu d’avance.

Pas moyen de rapporter la réalisation à une idée préalablie, aucune certitude, aucune prédiction, et pourtant il y a une circulation, un ensemble de réseaux. Les constructions musicales de Gunkanjima, se sont élaborées petit à petit, dans une recherche commune, avec des matériaux, des contraintes choisies et pas mal d’imagination. Ce sont des morceaux de musique avec leur forme spécifique et leur propre matière, et peu à peu, ces morceaux se relient en parcours. Ce que dit Gilles Laval, musicien guitariste à l’initiative de la création du groupe : “on arrive quelque part on ressort puis ça continue on ne sait pas ou ça va, j’aime bien cette idée de musique qui est là, qu’on attrape à un moment donné, ça s’ouvre et puis ça se ferme et en fait la musique continue, ça laisse encore des traces”. Comme à propos de l’ile, dont l’histoire humaine, liée à l’exploitation intensive du charbon, ne constitue pas un tout en soi en dehors de l’histoire, dans Gunkanjima il n’y a pas un début et une fin, mais un moment vivant, poétique et violent, fugitif au regard des milliers d’années de sédimentation nécessaires pour transformer les débris végétaux et organiques en charbon, un temps humain dans une longue histoire sans hommes, qui se laisse saisir en tant que tel, immédiatement, dès le commencement, c’est pourquoi, en concert comme dans la forme CD, les morceaux ne sont pas des morceaux.

Il est possible d’écouter une piste isolée du CD, mais en réalité la musique est d’une seule pièce, en continu ; « je peux pas imaginer qu’on s’arrête à un moment, qu’on reprenne ; pour moi c’est vraiment une seule pièce du début jusqu’à la fin, il y a des choses qui se passent, et puis je suis aussi parti de cette histoire, de cette ile, et là je ne voyais pas comment découper cette ville en morceaux de ville », explique Gilles Laval.

La vitalité musicale de cette formation repose sur le rapprochement de personnalités dont les mondes musicaux sont déjà bien présents. « Quand j’ai réuni ce groupe, je savais que c’étaient des individualités. Chacun était capable de monter ses projets tout seul ». L’équilibre est celui d’une co-construction, où qui se dit le chef n’est jamais qu’un menteur : « chacun est à son endroit et on discute de plus en plus sur le détail. Ce sont des discussions musicales, dans les propositions, chacun prend la parole et peut intervenir. Ce sont toujours des choix communs. »

Gunkanjima, l’ile, n’est pas un thème lointain, prétexte exotique à la musique, elle en fait l’architecture. Ce n’est pas un sujet stylistique, une allégorie, un thème du passé, c’est pourquoi il est inutile de chercher des références japonisantes ou quoique ce soit qui surjoue la musique japonaise. S’il y a le Japon dans cette musique, c’est que trois des six musiciens sont japonaises. Le temps est création ou il n’est rien du tout.


Voir aussi le billet de blog du 20 juin 2015.

Accéder à la maison Gilles Laval dans la troisième édition PaaLabRes, « Faire tomber les murs ».