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Conte/Conte2

Access to the English translation: The Tale of the « Tale »

 


Le Conte du « Conte »

Louis Clément, Delphine Descombin, Yovan Girard, Maxime Hurdequint

Textes édités et mis en page : Jean-Charles François

Mars 2024

 

Les quatre protagonistes ont collaboré à un spectacle « Le Conte d’un futur commun », avec :

Louis Clément, initiateur du projet, participation du public et animation des dessins.
Delphine Descombin, conteuse.
Maxime Hurdequint, dessins.
Yovan Girard, musique.

Les textes sont le résultat de quatre interviews séparées de chaque artiste réalisé en 2023 par Nicolas Sidoroff et Jean-Charles François.

Sommaire :

1. Le récit de Delphine.
2. Les études d’architecture, Louis et Maxime.
3. Le voyage en Afrique de Delphine.
4. Yovan Girard, le musicien.
5. Le retour en France de Delphine.
6. Les hésitations de Maxime entre architecture et dessin.
7. Le récit de Yovan (suite).
8. Le récit de Delphine (suite). Trapèze et conte.
9. Les récits de Louis et de Maxime (suite).
10. Le récit de Yovan (suite), le projet « Un violon pour mon école » (suite).
11. Delphine, le Conte du crâne et du pêcheur.
12. Le petit carnet des arbres. Maxime Hurdequint, Maxime Touroute et Louis Clément.
13. Le récit de Delphine (suite). Le Conte du petit poucet.
14. Delphine et le conte. Maxime, l’architecture et les dessins. Yovan et la composition.
15. Le Live Drawing Project.
16. Delphine : Deux contes.
17. Origine du « Conte d’un futur commun ».
18. Le projet immersif de l’AADN.
19. Le « Conte d’un futur commun ».
20. Louis, une année de réflexion.
21. L’écriture du Conte, Delphine et Louis.
22. Les dessins et leur animation. Louis et Maxime.
23. Une musique traditionnelle du futur ?
24. L’élaboration de la musique. Musique pré-enregistrée ou musique en direct. Louis et Yovan.
25. La musique et le conte, Delphine et Yovan.
26. La musique et le conte, Louis et Yovan.
27. Les conceptions de Yovan sur la musique et de Maxime sur les dessins.
28. Le conte et les dessins. Delphine, Maxime et Louis.
29. La sonorisation.
30. Communication par Notion.
31. Les résidences : LabLab, Chevagny, Vaulx-en-Velin, Enghien-les-Bains.
32. La participation du public.
33. La résidence d’éducation artistique et culturelle à Hennebont. Louis, Delphine et Yovan.
34. Les résidences (suite) : Paris, Nantes.
35. Écologie. Delphine.
36. Conclusion.


 

1. Le récit de Delphine

Delphine :
D’où vient le conte ? C’est par le conte, du coup, qu’on vient au Conte… Le Conte vient de quand j’étais au lycée et j’ai rencontré Marie Jourdain, qui est la fille de Marie-France Marbach[1].
Au lycée, j’étais en internat, elle me racontait des histoires tout le temps. J’ai rencontré sa mère et Geo Jourdain. Et j’ai adoré ces gens, qui étaient complètement différents de ce que j’avais moi comme référent dans ma famille. C’est eux qui m’emmenaient à l’école, à l’internat le dimanche soir et qui me ramenaient le vendredi soir. Et je passais énormément de temps avec Marie, qui m’a parlé de l’Afrique, qui m’a raconté plein d’histoires. Et à la suite de ça, j’ai quitté le lycée, je suis partie en Afrique. Là, j’ai entendu plein d’histoires, plein de contes. Et puis, quand je suis revenue d’Afrique, Marie-France voulait absolument que je raconte mon voyage. Et je ne voulais pas, je ne voulais pas parler, je n’étais pas prête du tout à parler devant les gens. Elle me prenait par surprise, et je venais beaucoup voir ses spectacles. Elle m’a offert des stages, elle a vraiment cru en moi, alors que moi-même, je n’y croyais pas vraiment. Donc je suis restée très en lien avec Marie-France.

L’internat, c’était à Louhans, c’était une école d’arts plastiques. C’est le seul lycée qui a bien voulu de moi, parce que j’avais de très mauvaises notes et je ne suivais pas du tout l’école. C’est ma tante qui a trouvé ce lycée qui a bien voulu m’accepter. Je restais dehors, je n’allais pas dans les cours. J’étais à l’internat, mais je restais dehors. J’étais sous les arbres, j’écoutais les oiseaux, je n’avais pas du tout envie de m’enfermer en classe. Souvent, le directeur me convoquait et on avait des discussions tout à fait philosophiques, très intéressantes. Donc il m’avait fait intégrer le cours de philosophie des premières !  Après, il me demandait ce que je voulais faire plus tard, je lui disais : « Je ne sais pas, peut-être m’occuper de chèvres, peut-être… ». Je ne savais pas du tout ce que je voulais faire, mais c’étaient des questions importantes que personne ne m’avait posées. C’est vrai que j’ai eu la chance de tomber sur de belles personnes. Et les cours d’arts plastiques me plaisaient beaucoup. Il y avait deux profs d’arts plastiques qui étaient super, qui nous emmenaient à Lyon voir des expos, on est même allé à Strasbourg voir des musées, c’était vraiment super. J’assistais à ces cours, c’étaient des créations que je faisais. Pour le reste des cours j’avais vraiment un rejet, ouais, ils m’ennuyaient beaucoup. Donc c’est pour ça qu’après, j’ai pris mon sac à dos et j’ai eu envie d’aller en Afrique. C’est un voyage qui a duré assez longtemps, je me suis arrêtée en chemin, je n’avais pas du tout d’argent. J’ai travaillé comme saisonnière dans des hôtels-restaurants, je faisais du service, et ils me logeaient en même temps. J’ai vendu des croissants, j’ai travaillé dans des boulangeries, j’ai fait toutes sortes de jobs. Et puis après, j’ai rencontré quelqu’un dans la rue qui crachait du feu, qui m’a appris à cracher du feu. Ça a été mon premier vrai métier : je crachais du feu et puis je faisais la manche. En fait, je faisais des bulles devant la boulangerie, je racontais de la poésie. J’arrivais toujours à trouver quelque chose à faire, mais je détestais tout ça, je trouvais ça insupportable.

 

2. Les études d’architecture, Louis et Maxime

Louis :
Mon parcours commence le 23 décembre 1986. Je ne sais pas jusqu’où je remonte, mais je pense que mes parents ne sont pas étrangers à ce qui m’a façonné. Je pense que si on remonte très loin, on va dire que ce qui m’a façonné, c’est la découverte de la lecture, et après surtout la lecture de ce qu’on appelle l’imaginaire, tout ce qui touche à la science-fiction, fantaisie, etc. Et d’un point de vue plus professionnel ou en tout cas dans mes études, j’ai passé un bac S, après j’ai fait des études d’architecture à Paris-Val de Seine et j’ai obtenu un diplôme. À partir de la fin de ma licence, j’ai commencé à me dire que l’architecture ça ne devait pas vraiment être pour moi. En fait, j’avais l’idée un peu utopiste déjà à l’époque que devenir architecte allait me permettre de concevoir des espaces pour que les gens s’y sentent bien et surtout que ça puisse les aider à réfléchir, à changer le monde, etc.

Maxime :
Mon cousin, Louis Clément a également fait des études d’architecture. Avec Louis, on a un an d’écart et en fait, on ne s’est pas spécialement concerté, on est parti sur cette voie séparément. J’étais à l’INSA à Strasbourg et lui au Val de Seine à Paris, on a poursuivi notre chemin comme ça, séparément. C’était une période de notre vie où on se voyait moins, mais on parlait un petit peu d’architecture.

Louis :
Et après je me suis confronté au Master et aux réalités de la construction, du fait que, si tu deviens architecte, tu deviens surtout constructeur. Tu bosses dans des boîtes plus ou moins de grande échelle, et au final, ton travail est extrêmement déterminé par des considérations budgétaires. Et du coup, je me suis dit que ça allait moins m’intéresser. J’ai quand même fait ma première année de Master à Anvers, ça s’est plutôt bien passé, et je commençais à me dire déjà que j’allais m’orienter du côté du spectacle, enfin de la scénographie, etc. Et après, en deuxième année de Master, j’ai un peu volé mon diplôme, mais je l’ai eu quand même, j’étais assez content de moi. Et puis j’ai eu la chance de travailler pour un architecte, alors j’ai fait mon stage de Master chez « Scène scénographie », un truc très bien. On a travaillé sur la scénographie du Musée d’Alésia, de la Grotte Chauvet II, donc j’ai eu la chance de compter les stalactites pendant des heures et des heures, c’était très intéressant ! Intéressant mais voilà… C’était marrant en tout cas de travailler sur de beaux projets.

Maxime :
En fait, pendant la terminale, je me suis présenté dans une école d’architecture, peut-être Lyon ou Grenoble, je suis arrivé les mains dans les poches en me disant : « Architecte, c’est un métier qui s’apprend, je ne vais pas apprendre avant quoi ! » Je me suis rétamé et ma seule option, c’était d’aller en classe préparatoire. Donc, je me retrouve en première année de classe préparatoire.

Louis :
Et après, quand j’ai commencé à travailler en tant qu’architecte, j’ai été pris chez François Pin, un architecte qui a également un festival de musique dans les Carrières de Normandoux[2], et qui a monté la Marbrerie à Montreuil. J’ai bossé sur le projet de la Marbrerie, ce qui était l’un des projets les plus gros, les plus intéressants que j’aurais pu faire en tant qu’architecte : c’était un truc multiprogramme, où il y avait une résidence d’artistes, une piscine, un restaurant, une agence d’architecture, une salle de spectacles et en plus j’étais chargé d’en faire les esquisses. Donc j’aurais pu vraiment m’éclater et je suis resté quasiment six mois. En fait, ça ne m’éclatait pas du tout, donc je me suis dit que si ça, ça ne m’éclatait pas, eh bien, je ne voyais pas ce que je faisais encore en architecture, parce que, je pense, je n’aurais pas pu trouver un projet plus intéressant.

Maxime :
Avec Louis, mon cousin, on s’influence mutuellement, peut-être parce qu’on se connaît très bien. C’est-à-dire que quand on a grandi, on s’est quand même vu très régulièrement, on ne s’est jamais vraiment perdu de vue. Donc c’est toujours une relation fluide entre nous, on ne s’engueule pas, on n’en a pas besoin en fait. Je pense qu’on s’ajuste parfaitement, donc c’est ça l’influence. J’imagine aussi que, comme on a tous les deux une formation d’architecte, on parle le même langage, ça nous aide à communiquer quand il y a certains concepts. Je n’ai pas besoin de lui expliquer tel ou tel projet d’architecture.

 

3. Le voyage en Afrique de Delphine.

Delphine :
J’ai bien mis un an, de 17 à 18 ans, pour récolter l’argent pour mon voyage en Afrique. J’ai fait les saisons d’été, les saisons d’hiver. De toute façon, ma mère n’acceptait pas de me laisser passer la frontière. Donc, à 18 ans, je passais pile la frontière d’Espagne. À 18 ans, je ne craignais plus d’en être empêchée par la police. En fait, je me suis déjà fait arrêter dans des commissariats de police et ils me suivaient, ils suivent les gens qui sont dans la rue, ils ont leurs photos et ils savent où ils sont. Ils savaient que j’étais dans la rue, c’est drôle, ça, parce qu’ils ne le savaient pas tant qu’ils ne m’avaient pas arrêtée.

Je suis descendue jusqu’en Espagne. J’ai pris le bateau à Gibraltar, je suis arrivée au Maroc et puis je suis descendue en Mauritanie, j’ai continué jusqu’à Dakar, au Sénégal. Et après, je voulais absolument aller au Burkina Faso, parce que j’avais rencontré des Burkinabés en France, je voulais vraiment les rejoindre, c’étaient des danseurs et des percussionnistes. J’ai donc pris le train pour Bamako, au Mali où j’ai repris un autre train pour Ouagadougou au Burkina Faso, en 48 heures de train, c’est très long.  Et après, je suis allée jusqu’à Koudougou, ils habitaient là-bas. Je suis restée là-bas un an et demi.

Il y a eu un moment en Afrique où je me suis demandé ce que je faisais là : à quoi ça sert que je sois là ? J’étais blanche, alors, l’air de rien, je n’avais pas l’air de vivre là – pourtant je n’étais pas une touriste ! – mais quand même, j’étais là, je n’avais pas grand-chose à faire là, je pouvais simplement me laisser vivre, vivre avec les gens, mais j’avais l’impression d’être en face d’un dilemme dans ma tête. On avait de grandes discussions, c’était super chouette ce que j’ai vécu intellectuellement. Par exemple, au Burkina Faso, on était là à boire du thé et à discuter. Ce sont vraiment des intellectuels très intéressants, mais ce ne sont pas les mêmes intellectuels qu’en France, on ne vient pas de la même chose. Et j’avais un manque vital de pensée intellectuelle occidentale. C’était aussi le manque de livres, de cette nourriture-là, j’en manquais beaucoup. Et en plus, pour moi ça manquait de sens : là-bas, il y avait beaucoup de problèmes, c’est-à-dire qu’ils n’arrivaient pas à vendre leur blé parce qu’il y avait beaucoup de concurrence, il y avait des problèmes sociétaux.

Et je me rappelle une fois, j’étais dans le désert et j’entends un gars avec une toute petite radio et qui me dit : « Oui, je crois que dans ton pays, ça ne va pas très bien, il y a un monsieur qui va se faire élire. » En fait, c’était Le Pen, Le Pen contre Chirac, à l’époque. Et je me rappelle m’être dit : « Mais qu’est-ce que je fais là, alors que c’est peut-être là-bas qu’il y a la base du problème ». Tout était beau, le paysage est magnifique, la température était belle, je pense qu’il y a là-bas une manière de vivre qui est vraiment chouette par rapport à ici. Et en même temps, je me disais : « Moi, ce n’est pas ma place ici, qu’est-ce que je fais là ? » C’était un peu un dilemme. C’est pour cela que je suis revenue car ça n’avait plus de sens pour moi d’être là-bas.

Moi, ça m’a sauvé la vie de partir là-bas, ça m’a sauvé la mise. Quand j’étais en France, les gens disaient que j’étais folle, ma famille disait que j’étais folle, enfin j’étais vraiment un peu perdue. Et quand je suis arrivée en Afrique, il y avait cet esprit de famille, quelque chose de tout à fait naturel, je trouvais ça hyper sain, hyper normal. J’avais beaucoup de mal en France, et c’est vrai qu’en Afrique ce n’était pas le cas. À mon retour en France, à Montceau-les-Mines j’ai pu vivre avec une bande de copains, ça a été pour moi une famille, c’est ce que je n’avais pas. Et c’est vrai que cette bande de copains, je l’ai toujours.

 

4. Yovan Girard, le musicien

Yovan :
Je suis musicien depuis longtemps. Je suis violoniste à la base, donc j’ai une formation classique et de jazz. Je suis issu d’une famille de musiciens, mon père, Jean-Luc Girard, est compositeur, il a écrit pas mal de pièces, on va dire classiques, mais qui sont toujours un peu hybrides. J’ai l’impression de suivre ce chemin-là aussi, dans le sens où il écoutait aussi beaucoup de rock, et il écoutait ce qu’on jouait. Il aimait bien les compositeurs un peu extraterrestres, les Frank Zappa (je n’aime pas particulièrement Zappa), il nous a toujours fait écouter plein de musiques différentes, ce n’était pas un ayatollah du jazz ou du rock, il était assez ouvert d’esprit. Mon frère, Simon Girard, est tromboniste, et nous avons toujours joué ensemble. Simon et moi on a eu un groupe, et on a joué ensemble dans pas mal de groupes. Simon est beaucoup dans le jazz, même s’il a joué dans des groupes de musiques actuelles. Je connaissais Louis Clément depuis notre petite enfance. Les parents de Louis et mes parents se connaissaient très bien depuis longtemps.

 

5. Le retour en France de Delphine

Delphine :
Je suis rentrée en France et j’ai atterri à Montceau-les-Mines, c’est là où je me suis arrêtée longtemps. Déjà, je suis tombée amoureuse d’un garçon qui était tailleur de pierre et peintre, je suis restée vivre là avec toute une bande de copains dans une maison avec des matelas par terre. Le problème, c’est que, quand on s’installe et qu’on devient sédentaire, c’est là où l’on devient vraiment pauvre, parce qu’il faut payer un loyer, payer l’électricité, payer l’eau. Avant cela, je n’avais jamais eu le sentiment d’être pauvre. Mais là, c’était vraiment une réalité, je n’avais pas une thune et il fallait vivre.

Scène 1 : avec l’assistante sociale

Une assistante sociale : Je te propose faire une formation qui s’appelle IRFA-Bourgogne[3].

Delphine : De quoi s’agit-il ?

L’assistante sociale : C’est une formation où on essaie plusieurs jobs, enfin, on essaie plusieurs corps de métiers qu’on choisit, on démarche des boîtes. Il y a une vingtaine de personnes dans cette formation, il y en a peut-être qui travaillent dans les pompes funèbres, d’autres dans la mise en rayon, dans un centre d’appels téléphoniques, il en y a qui font du ménage, de la blanchisserie…

Delphine : … c’est tous des trucs qui ne me conviennent pas ! Je ne me vois pas faire ça.

L’assistante sociale : Tu sais, il y a peut-être aussi d’autres trucs que ça, tu peux aller voir, je ne sais pas s’ils vont t’embaucher, mais tu peux aller voir…

Delphine : Je vais essayer l’Atelier du Coin[4] de Montceau et le Gus Circus de Saint-Vallier[5].

 

Scène 2 : au Gus Circus

Un gars du Gus Circus : Bonjour Delphine.

Delphine : Tu veux bien devenir mon ami ?

Un gars du Gus Circus : Oui. Viens, tu fais du fil, tu jongles, tu peux venir tous les jours quand tu veux, la porte est toujours ouverte.

Delphine : C’est bien, je vais pouvoir m’entraîner, ça me plait beaucoup.

Un gars du Gus Circus : Tu sais, le Gus Circus ne veut embaucher personne.

Delphine : Ça ne fait rien, je vais tout de même rester, ça va aller, ça me convient bien. J’ai déjà une fibre comme ça, dans la rue j’ai craché du feu, j’ai jonglé avec des balles.

 

Delphine :
Donc ils m’ont embauché en contrat aidé, ça a été mon premier emploi, mon premier contrat à long terme, sur six mois. Et puis après, je suis restée à donner des cours aux enfants pendant à peu près trois ans. Je crois qu’ils ont renouvelé une fois le contrat, c’étaient des contrats aidés pour les associations, un truc pas cher, remboursé à 80% par l’État, donc ils pouvaient le faire. Et puis après, ils m’ont vraiment embauchée parce qu’avec une personne de plus pour travailler, cela voulait dire plus d’enfants, donc ça roulait. J’ai donc bossé au Gus Circus de Saint-Vallier pendant… Je ne sais même pas combien de temps.

On travaillait toutes les disciplines : le clown, le fil, le trapèze, la jonglerie. J’ai passé le diplôme, le BIAC[6] [Brevet d’initiation aux arts du cirque], pour enseigner les arts du cirque. Et puis après, l’association a implosé de l’intérieur. En fait, c’étaient des parents d’élèves qui étaient les patrons et ça s’est très mal passé, il y a eu des conflits d’intérêt, des conflits de pouvoir. Comme on était salariés, on ne pouvait rien dire, c’était leur décision, et du coup, ça a explosé, donc on est parti, mon ami et moi. Je me suis lancée dans une formation professionnelle de trapèze à Moux-en-Morvan, avec une trapéziste complètement folle, Nicole Durot[7], qui faisait des performances sous hélicoptère, sous montgolfière, enfin du trapèze sans sécurité. Elle a 60 ans, hein ! quand elle m’a pris en formation, elle faisait encore ce genre de truc, c’était une warrior. Je suis restée six mois chez elle en formation intensive.

 

6. Les hésitations de Maxime entre architecture et dessin.

Scène : la rencontre de Maxime avec le Vénérable Membre du Grand Conseil.

Le Vénérable Membre du Grand Conseil : Maxime, après cette année en classe préparatoire, comment vois-tu ton avenir ?

Maxime : J’ai suivi le programme très sérieusement et je m’en suis tiré de façon honorable, mais maintenant je me pose des questions.

Le Vénérable : Qu’est-ce qui t’intéresse ? Devenir ingénieur ?

Maxime : Ah non ! je ne veux pas être ingénieur, ça ne m’intéresse pas, ce n’est pas ce que j’ai envie de faire, en fait je crois que je veux vraiment être architecte.

Le Vénérable : Tu as fait du dessin ?

Maxime : Comme tous les enfants, j’ai dessiné et je pense que j’ai été un peu encouragé.

Le Vénérable : Peux-tu me montrer tes dessins ?

Maxime : Oui, voilà.

Le Vénérable : Ils sont bien tes dessins.

Maxime : Le dessin a suffi à me motiver et à continuer. Je sais que mes frères dessinaient très bien, mais je ne sais pas pourquoi, il se trouve que moi, ça m’a poussé et donc j’ai persisté. Et c’est vrai qu’étant enfant, mes parents m’ont inscrit à une école de dessin, et je pense que, éventuellement, ça ouvre quand même des portes. J’allais à cette école tous les mercredis pendant une heure, et le professeur donnait des idées de dessin, ce que j’aimais bien, c’est ce qu’il disait.

Le fantôme du professeur de dessin : Voilà, je ne sais pas, vous allez dessiner des personnages, et vous allez faire en sorte que les pieds touchent le bas de la feuille, la tête le haut de la feuille.

Maxime : En fait, ça faisait penser aux frises grecques ou égyptiennes, et du coup, j’aimais bien cette idée de fixer une règle du jeu assez simple, et après, on y allait, et on voyait que les résultats étaient tous différents. Donc je pense que c’est ce que j’ai retenu, c’est que, voilà, on se fixe une règle vraiment totalement arbitraire, et elle vient amener plein de résultats possibles. Aujourd’hui, j’aimerais peut-être bien faire les art-décos, il y a des sections illustrations.

Le Vénérable : C’est une alternative possible. Oui ça peut être bien pour toi de te diriger vers l’architecture.

Quelqu’un qui passait par là : Oui ça peut être bien pour toi de te diriger vers l’architecture.

Une dame : Oui ça peut être bien pour toi de te diriger vers l’architecture.

Maxime : Effectivement, je pourrais partir dans cette voie-là.

Le Vénérable : Ça serait bien pour toi. Tu pourras continuer à dessiner pendant tes études d’architecture.

Maxime : Je n’abandonnerai jamais le dessin, mais je ne le prends pas trop au sérieux, je n’imagine pas faire carrière dans ce domaine. C’est un truc que j’aime bien faire, j’aime bien me voir progresser, j’aime bien le regarder, j’aime bien le partager, mais je ne le prends pas assez au sérieux. L’architecture est quand même assez proche du dessin.

Le Vénérable Membre du Grand Conseil : En fait, on peut vraiment être un excellent architecte sans savoir dessiner. Après, c’est intéressant de savoir dessiner pour communiquer ses idées. Donc on peut finalement mal dessiner, mais bien savoir dessiner ses idées. Après, bien dessiner, ça peut quand même servir en architecture.

Maxime : Oui, je pense que ça va m’aider, je ne serais peut-être pas le meilleur, mais je pense que c’est bien que je sache dessiner, ça va être un plus pour l’architecture.

Le Vénérable : Il ne faut pas se faire d’illusions, finalement, assez vite, on passe sur l’ordinateur et puis ce n’est plus nécessaire de dessiner.

Maxime : Ah ?

Le Vénérable : Ben voilà, il existe une voie de contournement à l’INSA de Strasbourg, le recrutement se fait après un an seulement de classe préparatoire et ils ont un programme d’architecture. J’ai une collègue qui a son fils qui fait ça, appelle-le !

Maxime : Bingo ! Je vais le faire, si je rentre dans cette école, je n’aurais pas perdu un an et en fait, je pourrais être avec des gens comme moi qui ont choisi cette voie-là.

Le Vénérable : L’INSA de Strasbourg a été fondée pendant la période allemande (1870-1918) et du coup, à cette époque-là, les Allemands ne faisaient pas de distinction entre architecte et ingénieur. Cette école a donc une tradition d’école d’ingénieurs, mais elle forme aussi des architectes, c’est quelque chose qu’ils ont voulu garder. Il y a 50 architectes qui sortent tous les ans, je crois que maintenant il y en a un petit peu moins. Pendant les premières années, le cursus est beaucoup plus axé sur l’ingénierie, donc le génie civil et après le génie thermique.

Maxime : Je n’ai pas une volonté particulière pour aller dans cette direction.

Le Vénérable : C’est une occasion à saisir.

Maxime : Oui, et ça va me permettre d’être en dehors des écoles classiques.

Maxime :
Après mes études d’architecture à l’INSA, j’ai travaillé à Strasbourg et je suis arrivé à Paris où j’ai travaillé pendant 8 ans. Entre-temps, j’avais fait des expériences à l’étranger, un stage au Danemark, un au Mexique. Puis j’ai travaillé deux mois à Tokyo au Japon, parce que c’est une culture que je voulais vraiment découvrir. Je me suis lancé, j’ai envoyé des CV et ils m’ont dit, « Ben vas-y, viens si tu veux ». J’avais déjà peut-être deux ou trois ans d’expérience, ils m’ont pris à l’essai pendant deux mois mais après il n’y avait pas la place pour rester. Je suis donc revenu, mais c’était une très belle expérience.

 

7. Le récit de Yovan (suite)

Yovan :
Le jazz, mon frère et moi, nous a un peu reliés. Et après la pratique du jazz, je suis allé un peu beaucoup vers les musiques actuelles parce que j’aime bien composer. Je suis dans un groupe de rap qui s’appelle Kunta, rap et musique éthiopienne, avec plusieurs instrumentistes. Avec Kunta, je joue du clavier et je rappe en anglais. En fait, je faisais un petit peu de rap de mon côté depuis longtemps et j’avais du mal à imaginer à la fois jouer du clavier et rapper. Maintenant, je le fais dans certains projets de temps en temps, mais au départ, je ne voulais pas trop mélanger les deux, c’était un peu comme deux personnalités différentes. Je jouais du clavier parce qu’on en avait besoin dans le groupe. Je me suis mis à jouer sur des gammes de musique éthiopienne, ce qu’il fallait jouer au clavier n’était pas très compliqué. Maintenant je fais vraiment les deux de manière égale, clavier et voix.

J’aime bien faire plein de musiques différentes, en fait, je ne suis pas fermé. La musique à l’image j’en avais déjà fait pas mal, notamment la musique d’un court-métrage d’un ami, Pierre Raphaël. C’est un peu comme ça que j’ai commencé. Ensuite j’ai fait la musique d’un spectacle, une version de Cartouche un peu modernisée. J’ai toujours composé depuis longtemps, ce qu’on appelle de la prod chez moi sur mon séquenceur avec des claviers, des plugins, ce que « ma génération » entre guillemets fait en home studio, faire des instrumentaux, rapper dessus, mais aussi faire des couplets, parfois des trucs plus chantés, tenter des choses, en fait faire de la musique à la maison. Ouais, voilà, ce qu’on appelle la bedroom music. J’ai toujours fait ce genre de choses, que ce soit du rap ou de la pop, j’aime bien expérimenter parce que j’écoute pas mal de trucs différents.

 

YovanG-230607_165347 - Moyenne  

 

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Le poste de travail de Yovan
Photo: Nicolas Sidoroff

 

Scène 1 : Yovan avec un metteur en scène[8]

Le metteur en scène : Je te propose de faire la musique sur un recueil de poèmes de Rimbaud. Tu pourrais jouer du violon.

Yovan : Je propose que ce soit du violon seul, sans effets, j’aime bien l’idée que ce cela soit le plus simple possible.

Le metteur en scène : J’insiste pourtant pour qu’il y ait aussi des effets sur certains passages, où j’entends des couleurs différentes.

Yovan : Je vais faire ce que tu me demandes. J’aime partir d’une idée simple, composer pour un projet, mais sans m’occuper du live, parce que si on doit mettre en live ce qu’on a déjà composé à la maison, c’est toujours compliqué, à moins de composer pour un groupe.

Le metteur en scène : Je voudrais pourtant que tu fasses tout de suite le multi-instrument (violon et effets électroniques) sur scène.

Yovan : Ça m’angoisse un peu. Non, je préfère ne jouer que du violon. Je vais écrire une pièce pour violon solo, sans rien d’autre, plutôt que de devoir tout de suite m’engager dans le couteau suisse.

Le metteur en scène : J’ai pourtant besoin de ces changements de couleur à certains moments.

Yovan : OK, je veux bien, je vais le faire parce que tu me le demandes. Mais je vais juste prendre un delay et une disto, parce que ce sont des effets que je connais bien, qui font deux trucs différents et qui peuvent être utiles.

J’ai aussi composé de la musique pour les arts numériques, par exemple pour un artiste numérique qui s’appelle Minuit, Dorian Rigal[9], il fait des projections murales et pas mal de choses d’immersion. Il est aujourd’hui très demandé partout, notamment à la Fête des Lumières à Lyon. J’avais déjà fait de la musique illustrée pour sa scénographie. Et du coup, le projet du « Conte d’un futur commun », c’est un petit peu dans la continuité de tout ça, de faire de la musique à l’image, enfin de la musique de spectacle.

Scène 2 : au début du projet du « Conte d’un futur commun », Louis et Yovan

Louis : Bonjour. Ces deux jours qui viennent, c’est une première résidence pour commencer à travailler sur la musique du « Conte d’un futur commun ».

Yovan : Ce n’est pas ce que j’avais compris, alors que le texte du conte n’est pas encore complètement écrit. Ben moi je préfère composer chez moi en amont.

Louis : Non mais prends quand même quelque chose pour jouer.

Yovan : Ben écoutes, si tu veux, mais ce ne sera pas exactement ce qui va se passer. Mais j’ai mon clavier analogique avec moi. Je peux commencer par faire des nappes. Tiens, j’en choisi une, pour l’intro ça pourrait être un démarrage.

Louis : On va surtout beaucoup parler de comment on va procéder à partir de ça.

 

8. Le récit de Delphine (suite). Trapèze et conte

Delphine :
Pour vivre du trapèze, le problème c’est de l’accrocher. Je voulais être autonome, alors j’ai construit une yourte (je l’ai encore dans mon jardin) dans laquelle je suspends un trapèze. Dans cette yourte je pouvais donner des spectacles et faire des ateliers, ça me donnait un job autonome. J’ai fait ça dans le Morvan (parce que j’habitais pas mal dans le Morvan), à La Tagnière à Saint-Eugène. La yourte, ça se démonte et ça se remonte, ça n’a pas arrêté de se démonter, de se remonter pendant quatre ou cinq ans. Ce n’étaient pas des spectacles avec des paroles, ce n’était que du trapèze, des performances impromptues avec des musiciens que je rencontrais.

Scène entre la Vénérable conteuse et Delphine

La Vénérable : Tu traînes pas mal avec des punks, je n’aime pas trop ça.

Delphine : Je suis venue avec eux à ton spectacle. Ils ont bien aimé.

La Vénérable : Tu files un mauvais coton.

Delphine : Je sais que ce sont des fréquentations qui ne sont pas ce que tu souhaites, mais moi, j’aime les punks, c’est ma famille.

La Vénérable : Tu traînes dans les bars.

Delphine : C’est quelque chose de très fort pour moi.

La Vénérable : Jamais je ne vais te laisser tomber.

Delphine : Merci.

La Vénérable : Tu devrais devenir une conteuse, raconter les histoires liées à ton séjour en Afrique.

Delphine : Je suis incapable de raconter ce que j’ai vécu.

La Vénérable : Je te propose de créer un spectacle pour les Contes Givrés[10] sous la yourte.

Delphine : Je ne suis pas du tout prête à parler en public. Je peux peut-être faire un spectacle sans paroles.

Delphine :
Ça a été mon premier spectacle sans paroles pour les Contes Givrés, qui s’appelait « Liberté ». C’était une performance de vingt minutes de trapèze accompagné à la guitare, sous la yourte. Pour la première fois c’était vraiment un spectacle qu’on avait fixé, vendu et joué. Et c’est quelque chose qui a tourné pas mal dans les festivals. Cela m’a rapprochée de Marie-France Marbach, du coup, je suis revenue m’installer dans le coin. J’ai mis la yourte à la Fabrique, un lieu de création de résidences qui est à Savigny-sur-Grosne, à Messeugne. J’ai retrouvé Marie-France, et puis j’habitais chez Pauline, qui travaille avec les Contes Givrés. Elle est partie faire un tour du monde, elle est partie un an en Orient, et du coup, elle m’a laissé tout son appartement, parce que je n’avais rien.

 

9. Les récits de Louis et de Maxime (suite)

Scène entre Louis et Maxime. L’architecture et la scénographie, l’architecture et le dessin.

Maxime : Je n’ai jamais abandonné le dessin parce qu’au fur et à mesure que j’avançais, même quand j’ai travaillé en tant que salarié en agence d’architecture, je trouvais que les projets étaient longs, donc on dessine, au début on présente des esquisses, des images 3D, des dessins, plein d’éléments comme ça, très beaux qui donnent envie d’arriver au résultat. Cette partie, là, c’est super, mais après, moi je veux arriver plus rapidement à un résultat, je ne veux pas juste faire des belles images. Et aller au résultat, c’est très long, il y a vraiment beaucoup d’embûches qui font qu’on peut basculer dans autre chose de différent de ce qu’on veut faire.

Louis : En ce qui me concerne, c’était important pour moi d’être mon propre patron, donc je me suis dit que la scénographie pour l’évènementiel me semblait plus indiquée que le travail dans un cabinet d’architecture, parce que si tu es ton propre patron en tant qu’architecte, c’est beaucoup de problèmes, comme par exemple la décennale [11], et surtout j’étais confronté à la temporalité du déroulé d’un projet qui en architecture peut facilement s’étaler sur une dizaine d’années. Je préférais mener des projets sur une dizaine de semaines, même si finalement maintenant c’est un peu plus que ça.

Maxime : J’aime quand même l’architecture, alors je continue à pratiquer de cette manière, parce qu’il faut deux ans pour réaliser un projet, c’est super gratifiant d’y aller, de le vivre. Mais j’avais besoin de faire des créations sur des temps beaucoup plus courts.

Louis : Avec la scénographie pour de l’évènementiel, j’étais un auto-entrepreneur, voilà, petite main pour des boîtes d’évènementiel. Deux ans plus tard, je me suis lancé dans le travail de régisseur de spectacle pour l’Ensemble Aleph[12] et d’autres organisations. Et par ailleurs, j’ai commencé à découvrir ce qu’était la vidéo-projection, le mapping. Cela m’a beaucoup intéressé et j’ai commencé à en faire. Et après, le fait de rencontrer des gens qui faisaient de la vidéo-projection m’a amené vers les arts numériques et m’a conduit plus spécifiquement vers les parcours guidés par smartphones. On a un outil assez puissant dans sa poche, dont on ne se sert que pour faire pas grand-chose. Je me suis dit que ça pouvait être intéressant de voir ce qu’on pouvait en faire.

Maxime : Je me souviens que le soir chez moi, les week-ends, je me disais : « Je prends deux heures et je fais au moins un dessin dont je serais content ». Et un petit rituel s’est installé : souvent j’en fais un le soir et je le pose par terre à côté de la fenêtre et le lendemain matin, c’est là où je peux le valider ou non, savoir s’il est réussi ou pas. Donc, le lendemain matin, je me disais : « Ah ! franchement pas mal ». Ou bien : « Alors, non, non, je ne suis pas allé au bout ». Ou bien, « OK, ce n’est pas ça, mais par contre, la prochaine fois, je change telle couleur, je le refais mais je le fais différemment. » C’était la grande différence avec l’architecture où finalement, même si on fait plein de tests, on ne considère jamais le résultat final. On travaille par approximation du résultat et une fois qu’il est là, franchement c’est trop tard. On ne peut plus casser les murs, on peut très peu repeindre, donc c’est assez frustrant parce qu’on se dit : « Je me suis approché, mais j’aurais peut-être changé ça si j’avais pu m’en rendre compte avant. » Alors qu’avec le dessin, ce que j’aime bien, c’est que c’est comme les chefs qui cuisinent : ils ont le plat et après, s’ils veulent changer une saveur, changer un ingrédient, ils recommencent le plat et ils arrivent de nouveau à un résultat. J’aime bien le fait que dans mon quotidien, je pratique les deux activités, le travail d’architecte très long pour arriver à un résultat définitif et le travail plutôt d’artiste assez court pour arriver à un résultat qui amène lui-même à la recherche suivante.

Louis : La rencontre avec le mapping[13], cela se fait par YouTube, avec un collectif qui s’appelle1024 Architecture. Ils sont à l’origine d’un des logiciels qui s’appelle MadMapper. Je découvre ça à un arbre de Noël, où ils avaient mis du tissu de tulle sur une tour Layher, de l’échafaudage de chantier. C’est incroyable ce qui peut se passer avec juste de la tulle et de la vidéo projection. En fait, c’est aussi ce qui m’a vraiment plu dans le mapping à la base, c’était le côté holographe, hologramme, holographique. Ça prenait forme et puis ça me parlait bien avec ma formation d’architecte et le fait que ce soit contextuel.

 

10. Le récit de Yovan (suite), le projet « Un violon pour mon école »

Yovan :
J’enseigne actuellement deux jours par semaine dans le cadre d’un projet intitulé « Un violon pour mon école ». C’est un projet social qui vise à réduire l’échec scolaire via l’apprentissage de la musique. Ils ont fait appel à des chercheurs en neurosciences pour faire une étude sur dix ans pour voir comment les élèves se comportent. Donc c’est un projet intéressant qui concerne des élèves jusqu’à l’âge de 16 ans qui suivent des cours de violon, c’est une fondation suisse qui finance ça, la Fondation Vareille. Dans ce programme, il y a beaucoup de professeurs, mais certainement pas assez, sinon c’est très bien, les élèves aiment faire de la musique, à jouer du violon. Ils ne font que du violon, la fondation a acheté plein de violons pour tous les élèves. Cela fait du bien aux élèves de le faire, ils sont tous en ZEP+ [zone d’éducation prioritaire +], ce qui veut dire que certains d’entre eux ont des profils un peu compliqués.

 

11. Delphine, le Conte du crâne et du pêcheur.

Delphine :
La première histoire que j’ai racontée, c’est une histoire de Marie-France que j’avais entendue qu’elle racontait et que j’avais adorée. C’est l’histoire du crâne et du pêcheur :

 

Le conte du crâne et du pêcheur

Un pêcheur qui trouve un crâne là.

Le pêcheur : Crâne, qu’est-ce que tu fais là ? Qu’est-ce qui t’a amené là ?

Le crâne : La parole.

Le pêcheur n’en revient pas que le crâne parle.

Le pêcheur : Crâne, c’est toi qui as parlé, qu’est-ce qui t’a emmené ici ?

Le crâne déboîte sa grosse mâchoire :

Le crâne : La parole.

Le pêcheur court chez le roi.

Le pêcheur : Ouah ! il y a un crâne qui parle là-bas.

Le roi : Attends, tu me déranges pour des histoires de crâne qui parle, tu crois que je vais te croire ? Ce n’est pas possible. Je vais venir quand même, mais si ce n’est pas vrai, je te tranche la tête.

Il est sûr de lui le pêcheur, donc il emmène le roi, les ministres, tout le monde.

Le pêcheur : Crâne, crâne ! dis au roi qu’est-ce qui t’a emmené ici ?

Le crâne : …

Le pêcheur : Allez crâne, parle s’il te plaît, qu’est-ce qui t’a emmené ici ?

Le crâne : …

Alors le roi tranche la tête du pêcheur, la tête tombe par terre, elle roule, elle roule, et elle roule, elle arrive juste à côté du crâne.

Le crâne : Tête, eh tête ! qu’est-ce qui t’a emmené ici ?

La tête : La parole.

 

Delphine :
Et j’aimais bien cette histoire parce que justement cette peur de parler : qu’est-ce que c’est la parole ? Qu’est-ce qu’on dit ? Qu’est-ce qu’on ne dit pas ? Est-ce qu’on a le droit de tout dire ? Est-ce qu’on va se faire trancher la tête si on dit quelque chose qu’il ne faut pas dire ? C’est peut-être ma peur de parler qui m’a fait raconter cette histoire, l’une des premières que j’ai utilisée. Et puis après, qu’est-ce que j’ai raconté ? J’ai trouvé des histoires, j’ai cherché dans les livres, j’ai une bibliothèque remplie de livres, j’ai lu, lu, lu, plein d’histoires. Et puis j’en ai choisi qui me touchaient.

 

12. Le petit carnet des arbres. Maxime Hurdequint, Maxime Touroute[14] et Louis Clément.

Scène 1 : Ils boivent tous les trois un café chez Louis.

Maxime T. : Je suis informaticien et je fais des projets artistiques de photographie. En voici quelques-unes. Et voici les logiciels que j’ai codés.

Maxime H. : Ah !

Louis : Ah !… Je m’intéresse au mapping. Je le fais sur des masques. Je construis des masques africains en papier, des choses assez simples, mais sur lesquels ensuite, avec un vidéoprojecteur, j’en fais le mapping et je les mets en couleur.

Maxime T. : Ah !

Maxime H. : Ah !… Voici mes dessins.

Louis : Ah !

Maxime T. : Ah ! OK super, mais on ne voit toujours pas ce qu’on pourrait en faire.

Louis : Il faudrait qu’on raconte une histoire.

Maxime T. : Ouais…

Maxime H. : Ouais…

Louis : Mais non, rien à faire.

Maxime H. : J’ai aussi ça qui est sympa, qui est marrant.
(Il sort un petit carnet de 10 cm par 10 cm)
Dans ce petit carnet, j’ai demandé à des gens de dessiner un arbre.

 
 

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Le carnet des arbres de Maxime
Photos: Nicolas Sidoroff

 

Scène 2 : quelque temps auparavant, Maxime H. et une autre personne.

Maxime H. : Dessine-moi un arbre sur ce petit carnet.

L’autre personne : Ben non, mais moi je ne sais pas dessiner et tout, et puis franchement, un arbre, non, ce n’est pas possible.

Maxime H. : Tu sais forcément le faire, et puis après, s’il est moche, de toute façon, ça reste anonyme. Dès que tu as fini ton arbre, tu peux regarder tous les autres arbres qui ont été faits avant, franchement il y en a des cools.

L’autre personne : OK, je te dessine un arbre.

Maxime H. : Je trouve ça drôle de voir la richesse des arbres.

Scène 3 : lors des études d’architecture de Maxime.

Maxime H. : Voilà, je vous demande de dessiner un arbre, après on va accrocher tous vos dessins sur le mur, avec un petit texte imprimé de ma part sur ce que ça veut dire les arbres.

Chacun, chacune dessine son arbre.

Maxime H. :
Maintenant regardez, vous allez pouvoir savoir comment vous êtes, quoi, tout en sachant que ce n’est pas sérieux.

Une étudiante : Que faut-il observer ?

Maxime H. : S’il y a des racines qui vont dans le sol, s’il y a des feuilles ou pas (parce qu’il y a beaucoup de gens qui dessinent les arbres sans feuilles), si des branches descendent, si le tronc est fin, s’il y a un trou dans le tronc – c’est un très grand classique. Finalement, il y a des trucs absurdes : si un oiseau est posé sur la branche de gauche, mais regarde à droite, ça veut dire un truc. Mais c’est impossible, ça n’arrive jamais.

Un étudiant : Mais c’est justement ce que j’ai dessiné, ce truc-là. [Rire général]

 

Scène 4 : en 2015

Un ami japonais :
Je t’offre ce petit carnet.

Maxime H. :
Merci. Je ne sais pas ce que je vais en faire. J’avais presque fini le carnet que j’avais, quand je l’ai perdu dans le métro de Paris. Je vais le refaire avec ce nouveau carnet. Et j’ai essayé de le faire avec d’autres choses, comme des poissons, tout le monde peut dessiner un poisson, mais les résultats n’ont pas été très intéressants. On m’avait dit de faire une théière ou une fenêtre, j’ai essayé, mais franchement, je n’ai jamais rien trouvé d’autre que l’arbre. Oui, c’est vrai, les poissons, c’est moins intéressant !

 

Scène 5 : retour à la première scène entre Louis Clément, Maxime H. et Maxime T.

Maxime H. : Ça fait tilt !

Louis : C’est génial, mais ça, on pourrait faire dessiner l’arbre aux gens, mais sur leur téléphone, ils prendraient leur téléphone, ils dessineraient avec leurs doigts un arbre sur le téléphone, et après, on l’enverrait, et on pourrait faire une espèce d’herbier où tout le monde peut voir les arbres de tout le monde.

Maxime T. : On va appeler cela le Live Drawing Project.

 

13. Le récit de Delphine (suite). Le Conte du petit poucet.

Delphine :
C’est un ami à moi qui est comédien, Florent Fichot, qui m’a dit : « Ça pourrait être super qu’on fasse un truc où tu racontes des histoires sur le trapèze », et donc je racontais par exemple des passages de Peter Pan, le spectacle s’appelait « Souffle court ». On l’a joué au théâtre du C2[15] à Torcy en Saône-et-Loire.
Ensuite, il y a eu l’histoire du Petit Poucet sur le trapèze. Ce n’est pas l’histoire du vrai Petit Poucet, hein ! C’est le Petit Poucet (« L’Autruche ») de Prévert[16].

 

Le Conte du petit poucet

Lorsque le Petit Poucet, abandonné dans la forêt, sème des cailloux derrière lui pour retrouver son chemin, il ne se doute pas qu’une autruche le suit pour dévorer les cailloux un à un, « ram, ram ram ». Le Petit Poucet se retourne, plus de cailloux ! C’est désolant, plus de cailloux plus de maison ; plus de maison plus de retour ; plus de retour, plus de papa-maman. Puis il entend du bruit, il entend de la musique, un vacarme. Il passe sa tête à travers le feuillage et il voit l’autruche qui danse et qui chante, et qui le regarde.

L’autruche : C’est moi qui fais tout ce bruit, je suis heureuse, j’ai mangé.

Le petit poucet : Tu as un estomac magnifique.

L’autruche : Oui, j’ai mangé plein de trucs. Viens ! monte sur mon dos, je vais très vite, je vais t’emmener loin.

Le petit poucet : Mais ma mère, mon père, je ne les reverrai plus ?

L’autruche : Alors, elle te frappait quelquefois ?

Le petit poucet : Mon père aussi me battait.

L’autruche : Ah ! il te battait ! Attends ! Les enfants ne battent pas leurs parents, pourquoi les parents battraient-ils leurs enfants ? Je ne supporte pas de voir de la violence sur les enfants. Il te battait quelquefois ?

Le petit poucet : Oui, père Poucet aussi me battait.

L’autruche : Et tu veux que je te dise ? Père Poucet n’est pas bien. Et ta mère, au lieu de s’acheter des grands chapeaux avec des plumes d’autruche, elle ferait mieux de s’occuper de toi. Et ton père, il n’est pas bien malin non plus, la première fois qu’il a vu ta mère, tu sais ce qu’il a dit ? Il a dit : on dirait une grande bassine, dommage qu’il n’y ait pas de pont. Tout le monde a ri !

Le petit poucet : J’ai ri, mais ma mère m’a mis une baffe : « Tu ne peux pas rire quand ton père dit ça ».

L’autruche : Le truc, bouh !!

 

Delphine :
Et c’est à ce moment-là que je suis tombée du trapèze, je me suis cassé la main.
Je pense que je suis prise d’émotion en regardant le public. Je suis tombée du trapèze, je me suis cassé la main, du coup, je ne pouvais plus parler. En fait, le problème avec le trapèze et le conte en même temps, c’est qu’on doit être là, avec chaque partie du corps, dans les mains, dans les jambes, chaque point d’appui, on doit être concentrée. Mais là, vu que je racontais une histoire en même temps, ça m’a dispersée et je suis tombée.

 

14. Delphine et le conte. Maxime, l’architecture et les dessins. Yovan et la composition.

Delphine :
J’avais cassé mon poignet, ils m’ont opérée à Montceau et ils m’ont ratée à Montceau – il ne faut jamais aller à Montceau d’ailleurs, vous saurez – ils m’ont ratée, j’ai dû être réopérée, donc ça a duré un an. Du coup, il fallait bien que je gagne ma vie.

 

Scène : Coup de téléphone de la Vénérable conteuse

La Vénérable : Qu’est-ce que tu comptes faire ?

Delphine : Je compte sur le conte. Je vais raconter des histoires, j’en suis capable, puisque je l’avais fait sur le trapèze.

La Vénérable : Tu sais, c’est un signe, si tu arrives à ça, c’est peut-être parce que tu as autre chose à faire que du trapèze.

Maxime :
Les arts plastiques, c’est hyper large. Je ne sais pas si c’est une règle que je me suis fixée, mais je n’ai pas beaucoup exploré en dehors du dessin, ce qui fait que des amis m’ont dit : « Ben, essaies d’ouvrir un petit peu ta pratique ». Je pense que ce n’était pas mal de prendre confiance petit à petit sur des petits formats et maintenant, j’arrive à être plus à l’aise sur des grands formats. J’ai fait beaucoup de skateboard et comme mon frère fait du skate art, il sculpte sur des planches de skate, il m’a introduit à ça, donc j’ai fait du skate art, j’ai dû faire une dizaine de skateboards et puis là, récemment, je me suis retrouvé à répondre à une commande pour faire un grand surfboard. Je pense que c’est une question de se sentir à l’aise, et qu’après, on peut aborder des formats plus grands. Avec les skateboards ce qui est super, c’est aussi d’avoir l’objet dans les mains, et de devoir bouger avec, de bouger autour, plutôt qu‘avec une feuille où il n’y a vraiment que le poignet qui est en déplacement. Là, il y a un rapport avec l’objet, ce n’est pas qu’on le façonne, mais quand même… Je découvre tout ceci progressivement, au fur et à mesure que je suis plus à l’aise dans ma démarche artistique ou d’illustration.

Yovan :
Quand je compose, j’utilise souvent une sonorité qui se développe dans un temps donné. Parfois je dois l’étirer un petit peu, rendre des choses plus longues, parfois un peu moins longues, c’est pour ça que le côté répétitif est pratique. Et il y a aussi un côté électronique. Normalement, quand je compose des morceaux, j’ai un début et une fin, je sais où je vais, et j’aime bien avoir une petite contrainte surtout pour la musique que je fais dans les projets des autres, ou dans les projets collaboratifs.

Delphine :
C’est ainsi que je me suis mise doucement à raconter des contes et aussi, du coup, à prendre un peu confiance en moi. Je trouve qu’on est vraiment tout nu quand on raconte : les lapsus, le ton de la voix, tout cela en dit long sur soi-même. Je trouvais que c’était un aspect vraiment délicat pour moi : être devant un public, avoir peur qu’on nous juge, de se juger soi-même. Je suis très exigeante, je suis très critique vis-à-vis de moi, donc j’avais très peur de ce que j’allais vivre avec moi-même. Parler devant les autres, c’est s’engager, c’est engager une part de soi. Je trouve ça très risqué, en fait.

Yovan :
Et parmi les références qui m’ont influencé dans mon travail sur le « Conte d’un futur commun », il y a un musicien, ce n’est pas tout à fait un DJ, qui s’appelle Débruit [17], qui a fait notamment un projet – KoKoKo! [18] – avec des percussionnistes de Kinshasa. C’est vraiment intéressant, parce que justement il respecte leur travail, il utilise leur musique et ajoute des petites touches électro, mais il ne déforme pas leur musique. Ce que fait Débruit m’a inspiré bien avant ce projet KoKoKo!, mais c’est un de ses projets les plus aboutis, parce qu’il y a un vrai respect de la musique traditionnelle, avec ensuite des rajouts de petites touches d’électronique pour un peu la moderniser.

Delphine :
Avec le trapèze, je gesticule beaucoup, au fil du temps de moins en moins, mais c’est vrai que je bouge beaucoup, j’engage beaucoup le corps. Et je travaille beaucoup avec un double, souvent un musicien. Au départ, le guitariste Julien Lagrange [19] a été celui avec qui j’ai formé un duo trapèze-guitare, qui est devenu un duo conte-guitare. On travaille ensemble sur le rythme, on cale du rythme, ça m’aide beaucoup, ça me pousse aussi à travailler, parce que toute seule dans la cuisine, je le fais, mais c’est moins facile que quand on se donne un rencart et qu’on travaille ensemble. Souvent, après avoir travaillé les histoires avec Julien, je les fais aussi sans la guitare. Ça me rassure de ne pas être toute seule et c’est comme cela que ça se structure.

Maxime :
Mon activité principale est celle d’architecte, mais j’estime que le dessin n’est pas simplement un hobby. Il y a des temps dans la semaine qui sont réservés au dessin, donc j’estime que ces deux activités cohabitent. Il y en a une plus importante que l’autre, mais mes dessins ont donné lieu à des expositions, j’ai eu parfois des commandes, j’ai aussi pu vendre certaines œuvres. Bien sûr la partie artistique, ce n’est pas celle qui me fait manger, mais en même temps j’ai pu avancer là-dessus. J’ai commencé par exposer différents dessins dans un café en 2020, que j’avais faits pendant et à la suite de mon voyage en Asie. Et j’avais dessiné sur des skateboards un triptyque et un diptyque de planche de skate, toujours sur ce thème-là. En 2021, il y a eu dans un restaurant une exposition partagée, où je me suis donné plutôt un thème Maya, parce que j’avais fait un voyage au Mexique. J’avais fait pour cette exposition 3 skateboards, un triptyque de 3 skates et un diptyque de 2 skateboards, avec un autre artiste évoluant dans un univers complètement différent. La même année, j’ai participé à une exposition collective de skate art à Roubaix, j’ai exposé un diptyque de deux planches de skate sur le thème du Japon, il y a des gens qui étaient intéressés qui l’ont acheté. C’était très drôle : c’est une dame qui l’a offert à son mari, qui est un ancien skateur, et elle a dit, « Il est fan du Japon, il aime le skate, j’ai senti que c’était son style. On l’a mis en bonne place chez nous dans le salon ». J’étais ravi.

Delphine :
Je me suis surtout tournée vers le jeune public, je trouvais que c’était moins jugeant. C’est plus dur parce que si ça ne marche pas, ça ne marche pas, c’est-à-dire qu’ils ne vont pas faire semblant qu’ils ont trouvé ça bien. Il y a quelque chose chez les enfants qui fait que si ça ne va pas, on le sait tout de suite, il n’y a pas de double jeu. Mais en même temps, il y a moins de jugement par rapport à des repères, par rapport à des étiquettes, à ce qui existe déjà.

Maxime :
Après on a fait une exposition collective en 2022 avec mon frère et un autre artiste, où cette fois c’étaient uniquement des skateboards qui ont été sculptés. On a décidé que pour chacun d’entre nous, il y aurait un skateboard qu’on ferait entièrement nous-mêmes, il y en aurait un qu’on partagerait avec un des deux autres artistes, et le troisième serait partagé avec l’autre artiste.

Yovan :
Moi je suis sur Cubase. Ce n’est pas évident, les gens ne comprennent pas pourquoi. Tout le monde est sur Live. Quand j’utilise mon ordinateur, je n’utilise pas souvent Live, jamais en fait. Donc c’était toujours un petit peu le combat de dire « Ben voilà, moi, je suis sur Cubase. » Et lors d’une des résidences qu’on a fait à Lyon, l’ingénieur du son m’a dit : « Ah ! mais moi je travaille sur Live, là, il faut que tu te mettes à Live. » Il était un peu perdu et puis moi aussi. En fait on a trouvé un terrain d’entente et il a vu que j’avais la dernière version de Cubase avec les mêmes fonctionnalités, il a vite compris et il m’a montré comment réadapter les morceaux en 7.1 [20] pour une spatialisation. Je n’avais jamais fait ça, au début ça m’a un peu angoissé, j’ai dit : « Ben ça, c’était intéressant à faire ».

Delphine :
Il faut beaucoup d’exigences sur ce qui est raconté et par qui : si on raconte une histoire qui a déjà été racontée par un tel ou une telle, ou qui vient de tel ou tel endroit, ça peut être mal vu. Par exemple, si on raconte des histoires écrites par Henri Gougaud, qui reprend des histoires traditionnelles, qui les met à son nom, voilà, ça ne se fait pas. Ou prendre une histoire qui est racontée par quelqu’un d’autre, on ne va pas faire du copier-coller. Il faut faire attention à ce qu’on fait, on ne peut pas raconter n’importe quoi. Il faut respecter le travail de chacun, toujours dire l’origine de ce qu’on a raconté, d’où ça vient, de quel pays, de quelle culture. Et comme tout travail, je pense que dès qu’on met les pieds dedans, on se rend compte qu’en fait, plus on travaille et plus on a du travail à faire, c’est interminable.

Maxime :
L’an dernier on a fait aussi une exposition collective de planches de surf, au City Surf Park de Lyon, vers le stade de foot de Décines. C’était le vernissage d’ouverture de ce complexe sportif, et du coup ils avaient demandé à 20 artistes de dessiner sur des planches de surf. J’ai produit l’œuvre que j’ai exposée sur un thème marocain, parce que c’est assez connu dans le monde du surf, donc je me suis inspiré des arts marocains et j’ai rajouté la mer au bout.

Delphine :
Quand je parle de rythme, c’est le rythme de la narration. Parce que souvent, il y a des moments où ça chante presque et il y a des refrains qui se répètent et puis une fin. Il faut que ça monte, il faut que ça redescende. Il y a un vrai rythme dans la création d’une histoire. C’est ce qui est difficile dans le « Conte pour un futur commun », c’est une histoire très longue, elle est donc beaucoup plus difficile à rythmer.

 

15. Le Live Drawing Project

Louis :
J’ai ensuite rebifurqué sur la vidéo-projection et j’ai commencé à monter ce premier projet, le « Live Drawing Project » qui était né d’une rencontre entre Maxime Touroute, Maxime Hurdequint et moi. J’ai rencontré Maxime Touroute à un atelier sur le mapping, il venait d’arriver à Lyon, et on faisait un tour de table pour se présenter, et quand il s’est présenté, il a dit qu’il bossait comme développeur pour Millumin. Maxime Hurdequint, c’est mon cousin, donc on se connaît vraiment depuis la petite enfance.

Maxime :
Tous les trois, on s’est organisé beaucoup de temps de travail ensemble. Il y a beaucoup de moments où même si on était côte à côte, chacun travaillait de son côté. Mais il n’y avait pas de distance entre nous. Avec le Live Drawing Project, le cœur de la machine reste l’informatique, c’est vraiment Maxime Touroute qui code et ensuite il y a beaucoup de tâches qui se mettent autour : toute la partie communication, toute la partie gestion de projet, préparation, installation.

Louis :
En fait, il y a trois logiciels qui existent pour faire du mapping qui marchent vraiment bien, c’est Resolume que j’utilise, MadMapper qui a été monté par des Suisses, qui est aussi très reconnu dans le milieu, et Millumin qui a plutôt essayé de se faire une place dans le spectacle vivant.

Maxime :
Ce sera très différents avec le « Conte d’un futur commun » où les branches se rejoignent vraiment juste à la fin, pendant les résidences et où le reste du temps, on n’a pas trop besoin de communiquer ensemble.

Louis :
On a pensé qu’on pouvait envisager de faire dessiner des gens pour que leurs dessins apparaissent sur un écran en direct.

Maxime :
Dans le Live Drawing, il faut savoir ce qu’on est capable de faire et de réellement coder au fur et à mesure. OK, là, Louis, tu crois qu’on va y arriver là, sur cette façade ?

Louis :
Ben non, c’est impossible, on ne peut pas.

Maxime :
Hop ! Donc il y a beaucoup plus d’échanges à faire, parce que les compétences sont beaucoup plus liées, on est constamment en ping-pong.

Louis :
Et un mois plus tard, on a participé à la Fête des Lumières à Lyon.

Maxime :
Pendant la Fête des Lumières, c’était dans un bar, le Club des Lumières. Le patron du bar avait annoncé : « Moi je file 150 balles pour 3 jours, et faites-moi un événement Fêtes des Lumières ». Donc on lui a montré notre idée, j’avais fait 3 dessins pour l’expliquer et Maxime Touroute a travaillé sur le code tous les soirs pendant dix jours et ça a très bien fonctionné. En plus, on a pensé que les gens n’allaient faire qu’un ou deux dessins, et qu’après, ce serait fini. Comme on proposait un petit thème, « dessine une fleur », « dessine un arbre », on s’est dit que les gens auraient bien assez à faire, ils feront un petit dessin, et puis c’est tout. En fait, pas du tout, il y a des gens que cela intéresse, et qui restent pendant une heure à dessiner les uns à côté des autres, à dire : « Regarde le mien, regarde le mien ! » Et puis finalement, on s’est rendu compte que plus on donnait des thèmes de dessin, plus les gens avaient des idées. Ou bien ils ne suivaient pas du tout le thème proposé. Je crois qu’on avait trouvé un outil très ouvert. Certes, on ne s’en cache pas, les gens avaient tendance à regarder leur téléphone de manière individuelle, mais parce qu’ils dessinaient côte à côte, ils échangeaient avec les autres. Et puis il y avait ceux qui ne dessinaient pas, ils regardaient l’écran où les dessins étaient projetés. On s’est rendu compte que quand on passait entre les gens, il se passait des choses, les gens papotaient, ils se montraient les trucs, ça leur donnait des idées. On s’est dit : « ouais, c’est cool, on a un truc là, qui est riche ». C’est donc cela qu’on a développé avec Maxime Touroute et Louis, le Live Drawing Project, des dessins participatifs qu’on a enrichi au fur et à mesure.

Louis :
Et après, c’était parti, là, on en est maintenant à notre 140e projection.

Maxime :
Avec le Live Drawing Project, quand on l’utilise, c’est vraiment une grosse télécommande. Maxime Touroute nous a codé plein de boutons : on a le bouton pour changer la couleur des dessins, les agrandir, les mettre plus petits, etc. On peut faire des fondus, faire des choses comme ça. Mais on ne raconte pas vraiment une histoire, simplement on anime pour éviter que le visuel soit toujours pareil. Alors qu’avec le « Conte du futur commun », avec le logiciel Resolume et le fait qu’on a une conteuse, on est vraiment très narratif.

Louis :
On a tourné un peu partout dans le monde, ça a hyper bien marché.

Maxime :
On a fait ça depuis 2018 jusqu’à maintenant. On a eu d’autres dates en 2019, en 2020. C’est progressivement devenu mieux rémunéré, on a pu acheter un vidéoprojecteur, se structurer avec une association qui nous fait toute la partie administrative. On s’est vraiment professionnalisé au fur et à mesure. On a voyagé au Canada, au Danemark. Ensuite il y a eu le confinement du Covid, donc on a développé des outils spécialement pour le confinement, en organisant des événements à distance. C’était pour nous une bonne source de revenus, on l’a fait de nouveau au Danemark, mais cette fois à distance. On a été dans plein de pays, dernièrement en Birmanie par exemple.

Louis :
Et je me suis dit à un moment donné que j’aimerais bien raconter des histoires avec ce dispositif-là, pour pouvoir faire quelque chose d’à la fois participatif et qu’on puisse surtout raconter quelque chose pour que le spectateur puisse être partie prenante dans le récit. Et du coup, on a fait une première résidence il y a quatre ans au LabLab à Villeurbanne [21]. Et là, on a commencé à se servir de cet outil pour raconter une toute petite histoire : la naissance d’une anomalie numérique. C’était un très court récit d’une quinzaine de minutes. On l’a monté en quatre ou cinq jours. Pour l’instant il n’y avait pas encore de conte. Il y avait juste du texte projeté sur l’écran, comme des sous-titres avec l’image en mouvement. Le public dessinait des trucs avant de rentrer dans la salle de spectacle, par exemple des étoiles. En fait, ce qu’on voulait tester, c’étaient différents types d’interaction avec le public, comment on pouvait les faire participer en amont, pendant, en regardant, les faire s’arrêter, etc. Cette résidence-là m’a bien aidé par la suite dans l’écriture et l’interaction avec le public. Maxime Hurdequint a participé à la création du concept de base et après il a fait de la gestion de projet, de la communication, pour aller chercher des endroits où le présenter, il a fait pas mal de templates de devis, il a fallu faire signer les gens, etc.

 

16. Delphine : deux contes.

Delphine :
Avec Julien, en ce moment, on raconte beaucoup « Pierre et la sorcière », c’est un conte traditionnel pour enfants. Et je parle de celui-là parce que c’est très rythmique entre ce que je dis et ce qu’il joue.

 

Le conte de Pierre et la sorcière

Dans un village, il y a une sorcière.
(Julien joue, il ne regarde pas la conteuse, il écoute ce qu’elle dit et joue en fonction.)
Et puis tout à coup la sorcière, elle se met à chanter en s’adressant à Pierre, un petit garçon : [elle chante]
« Crac c’est moi la plus rusée, et cric, crac, je vais te dévorer, ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ».
(Julien joue, et dès qu’elle se met à chanter il trouve la mélodie pour l’accompagner.)
Hop !
Elle le met dans le sac.
Hop ! Elle referme le sac ah ! ah ! ah ! ah !
Et puis elle marche, elle monte le chemin, elle arrive dans son manoir, elle pose le sac sur la cuisine, elle l’ouvre. Et en fait, qu’est-ce qu’il y a dedans ?
Ben le gamin, il s’est sauvé et puis il a mis un caillou dedans, « aaaaaaaaah » !
(Quand la sorcière ouvre le sac, Julien s’arrête de jouer, il faut que ce soit dans le silence.)
Elle l’ouvre et qu’est-ce qu’il y a dedans ?
« Aaaah aah ! »
Un caillou.
« Espèce de sale gosse » !
(Ça, c’est dans le silence. Et puis après la guitare reprend sur :)
Pierre, le lendemain matin, il ne va pas à l’école, il va sur le chemin, il trouve une poire…
Hop ! ça se balade.
(Julien joue vraiment en fonction de ce que la conteuse raconte, pour lui, il y a une logique.)

 

Delphine :
Il y a aussi

Le conte du pain d’épices

C’est un bonhomme de pain d’épices fait par une femme, elle le met au four et puis il se sauve par la fenêtre et il court, il court, il court et tout le monde lui court après et puis, en fait, il court, il court, il court. Et le renard, il est au bout, il l’attend, et le renard lui fait des éloges et du coup, il fait confiance au renard, évidemment. Il monte dessus et le renard, « crrrrr », il le mange. (Là il faut qu’on soit calé au moment où il le bouffe). « Crrrr », hop !… Il l’a mangé !

 

Delphine :
Donc entre Julien et moi, on a des tops bien calés. Il joue très près de moi, on se connaît très, très bien, donc il sait comment je raconte, donc on peut improviser des choses ensembles. On travaille beaucoup ensemble en présentiel, même s’il y a aussi beaucoup de travail chacun de son côté. Je lui donne l’histoire que j’ai envie de raconter sur du papier ou dans un livre. Lui aussi apporte des histoires, il dit : « Ah ! j’aimerais bien qu’on raconte ça, je trouve ça cool, en plus j’ai un univers ». Moi je travaille un peu de mon côté, lui il travaille aussi de son côté sur à peu près comment on veut faire. Et après on se voit tous les deux, on se cale, et puis on dit : « Bon allez on y va ».

 

17. Origine du « Conte d’un futur commun »

Scène 1 : Chez Delphine, le téléphone sonne. C’est Louis Clément.

Louis : Mon nom est Louis Clément. L’association Antipode m’a donné votre nom. Je voudrais faire un spectacle dans lequel on imagine comment ce sera dans 100 ans, mais dans un monde idéal.

Delphine : Eh oui, il n’y a aucun doute là-dessus, on est dans ce monde idéal.

Louis : 100 ans après, ça, c’est fait.

Delphine : OK, et comment on en est venu jusque-là ?

Louis : Je raconte souvent des histoires, maintenant je suis un peu rodé, je l’ai fait avec plein d’élèves, parce que je fais beaucoup de résidences d’éducation artistique et culturelle, et ce dont je parle souvent, c’est le fait à mon échelle d’essayer de changer le monde : encore une fois, c’est utopique de ma part, mais voilà, c’est quelque chose qui me porte. Comment est-ce que je peux changer le monde ? Je ne peux pas inventer des énergies renouvelables très peu chères, je ne peux pas inventer un moyen de transport du futur totalement décarboné, comme le vélo-cargo par exemple. Du coup, je me suis dit que j’aimerais bien amener les gens à réfléchir sur leur avenir et surtout, à l’inverse de tout ce qui est dystopie, essayer de partir sur quelque chose où on réfléchit à un avenir où tout se passe bien et comment on y arrive.

Delphine : Ce que tu dis me fait du bien. Parce qu’en ce moment je suis dans le noir, dans des trucs punks, dans des choses où le monde est… Des fois, je me dis, que je vais mettre une bombe dessus ce monde, enfin, on va faire péter des trucs, quand tu te rends compte de ce qui se passe dans le monde, c’est quand même « aaaah !… » Des fois, on dirait qu’il y a des gens à tuer, il y a des choses à faire péter, enfin il faut que ça s’arrête, quoi. Je traîne dans le milieu punk, no futur.

Louis : À travers mes lectures, je me suis pas mal inspiré de récits qui disent que c’est grâce à la pensée qu’on arrive à faire les choses. Notamment Neal Stephenson qui est un auteur de science-fiction que j’aime assez, qui a sorti une théorie qui s’appelle la théorie du hiéroglyphe : c’est plutôt en rapport avec les avancées technologiques, où grâce à la science-fiction, on arrive à faire des avancées technologiques majeures. Son exemple préféré est le combustible pour les fusées, où il explique que c’est un auteur de science-fiction qui a dit que cela allait marcher de telle manière, et qu’ensuite, un chercheur s’y est penché et en se saisissant des intuitions de cet écrivain, il a réussi à créer le premier combustible pour fusée. J’aime bien raconter ça aux élèves avec qui je fais des interventions ou au public, j’aime bien insister sur le fait que, en gros, si l’on veut aller vers un futur désirable, il faut déjà y avoir pensé. Et que, du coup, la première étape pour avoir un monde qu’on a envie d’avoir, c’est juste d’y réfléchir.

Delphine : En fait, c’est chouette d’imaginer ça, ça contrebalance ces idées noires. OK, en fait, on se dit que dans 100 ans on est dans un monde idéal et on fait tout pour y arriver. Ce n’est pas de critiquer tout ce qui ne va pas, de mettre le doigt sur tout ce qui ne va pas, même si l’on sait que pas mal de choses ne vont pas. Non, on va dire, OK, dans 100 ans, on est dans un monde chouette. Et donc, OK. Je ne sais pas dans quoi je me lance. Ben, oui, je suis intéressée.

Louis : Ben tu es intéressée, vas-y, tu le fais.

Delphine : Mais, tu ne veux pas voir ce que je fais, avant ? Je joue à la médiathèque de Mâcon, tel jour, pour des enfants et le soir pour tout public.

Louis : Ah ! je ne peux pas le soir, je vais venir au spectacle pour les enfants.

 

Delphine :
Louis est ainsi venu me voir jouer le spectacle Jabuti à la médiathèque de Mâcon : du trapèze, justement. On avait remis le trapèze, parce que j’ai aussi une copine qui est trapéziste. Oui, j’ai un réseau trapéziste de circassiens autour de moi. Jabuti était un spectacle conte-trapèze-flûte traversière. C’était une balade : on se baladait avec les gens dans la médiathèque et on les amenait jusqu’au trapèze. Et donc, il est venu voir ce spectacle, c’est comme ça qu’on s’est vu la première fois.

Louis :
Du coup, c’est comme ça qu’on s’est croisé. Enfin, j’arrive un peu en avance avant son spectacle, on discute, je lui explique le projet, comment ça va se passer, etc. Après elle a présenté son spectacle et je devais repartir à Lyon avant la fin du spectacle, donc je n’ai pas eu le temps de lui en parler à la fin.

 

Scène 2 : Nouveau coup de téléphone de Louis à Delphine

Louis : Allo bonjour.

Delphine : Bonjour.

Louis : J’ai trouvé ton spectacle très bien. Ben ouais, c’est bon pour moi, si toi tu es toujours OK.

Delphine : OK, on y va.

Louis : C’est parti.

 

18. Le projet immersif de l’AADN

Yovan :
Le projet du « Conte d’un futur commun », c’est une idée de Louis. C’est son premier spectacle en vrai, il avait des idées au début qui germaient, il savait ce qu’il voulait faire, mais il avait du mal à les mettre en forme. Et du coup, quand on a commencé à en parler, il pensait à une première équipe et surtout il cherchait d’abord les subventions, en tout cas, pour qu’on puisse avoir des lieux qui nous permettent de créer aussi tout le côté immersif du spectacle. Une première proposition a été déposée, on n’était pas loin d’aboutir, mais ça n’a pas fonctionné. Ensuite, une fois qu’on a pu avoir les subventions de l’AADN pour ce projet d’immersion dans les planétariums dans certaines villes de France, on a commencé à parler de l’écriture du spectacle.

Maxime :
C’est comme ça que tout a commencé, Louis a eu cette intuition de nous rassembler. En 2019, on avait fait une résidence pour essayer de raconter une histoire à partir du Live Drawing, c’était un spectacle de cinq minutes, avec des graphismes très, très simples, c’était très chouette. On pensait qu’il y avait moyen de raconter une histoire, mais on n’est pas allé plus loin. Ça a germé très progressivement.

Louis :
Il y a eu l’appel AADN (Arts & Cultures Numériques) [22] avec qui j’étais bénévole au Conseil d’Administration. Ils ont lancé un appel pour la création immersive. Cela m’a bien intéressé parce que j’ai commencé à aller voir des spectacles sous dôme, je trouvais ça assez fou, enfin c’était assez bluffant ! L’immersion qu’on ressentait face à ces images avait éveillé mon intérêt. Le point de vue de l’AADN était de parier sur l’immersion collective, c’est-à-dire de faire participer beaucoup de spectateurs à une expérience, plutôt que d’avoir une immersion individuelle comme avec la réalité virtuelle (avec des casques). L’idée d’aller à l’encontre des formes individuelles d’immersion me plaisait beaucoup. Ce dont on parle aujourd’hui, c’est le « métavers » [23] ce qui veut dire, en gros, qu’on peut soit s’immerger individuellement dans quelque chose de collectif, soit de s’immerger collectivement dans un œuvre : on est ensemble.

Maxime :
Donc c’est Louis qui vient vraiment avec le concept, il sait déjà ce qu’il veut faire, et qui il veut recruter. On avait trouvé une première conteuse, finalement, on n’a pas eu forcément les subventions qu’on voulait, donc on a fini par trouver une deuxième conteuse, Delphine, et il avait déjà trouvé aussi Yovan pour la musique, comme il le connaît très bien. On a décroché la subvention immersive en 2021.

Louis :
Nous avons répondu à l’Appel à projets d’AADN, et donc je prends un certain nombre de décisions. Je commence à raconter cette histoire, je trouve le nom d’un « Conte d’un futur commun », je trouve que ça parle assez bien aux gens. Après avoir trouvé ce titre, je me suis demandé comment je vais concevoir ce spectacle. Après un premier refus de l’Appel à projet immersif de l’AADN, nous redéposons un projet. Et là, on l’a obtenu et l’AADN a accepté de nous prendre en production déléguée, c’est-à-dire qu’ils vont nous aider à aller chercher des financements et à diffuser le spectacle. À partir de là, on fait des dossiers et on commence les résidences. J’avais travaillé avec Maxime Hurdequint avec le Live Drawing, il n’était pas question de se passer de ses capacités de dessinateur, et je lui ai demandé de faire les décors. Il faut un musicien, je demande bien évidemment à Yovan Girard que j’admire beaucoup, qui a fait beaucoup de musique, qui a une sensibilité qui me plaît. Il fait plutôt de la composition pour des morceaux de musique mais il avait déjà fait une pièce de théâtre avec quelqu’un. Je sais qu’il est capable en plus de le faire. On se connaît depuis la petite enfance, parce que mes parents et ses parents sont très proches, ma mère et son père étaient ensemble au lycée, je crois.

 

19. Le « Conte d’un futur commun »

Louis :
Donc je fais un calendrier de création, on se cale des dates, on se voit, on commence à faire des trucs ensemble. Je continue parallèlement à chercher des subventions de mon côté. Si cet Appel à projet immersif nous donne de l’argent, cela ne suffit pas vraiment pour payer tout le monde tout le temps, et en plus je demande aux gens de travailler en dehors des périodes de résidence. On a déposé je ne sais pas combien de dossiers auprès de différentes structures. Par exemple, nous avons déposé trois fois un dossier auprès de la création hybride en Auvergne-Rhône-Alpes avant d’obtenir quelque chose de leur part, et je dépose aussi un dossier auprès du CNC (Centre National du Cinéma) et on obtient cette subvention et du coup on a pas mal d’argent. Grâce à ça je respire un peu plus, parce que je vais pouvoir payer les gens correctement pour la création, donc ça c’est une très grande chance. Et après on a eu aussi une subvention de la SACEM. On a pu refaire une résidence au LabLab et payer après coup les résidences qu’on avait faites au Centre des arts d’Enghien-les-Bains. Cette résidence avait duré deux semaines parce qu’on avait la chance d’avoir l’endroit disponible, ils nous fournissaient le lieu mais ils ne nous donnaient pas d’argent.

Avant de trouver le titre du « Conte d’un futur commun », je me suis dit qu’il fallait pouvoir infléchir le déroulé de l’histoire par les réactions du public. Je me disais que si c’était écrit, on allait faire des scénarios en arborescence, avec des arbres de choix multiples, ce qui allait être potentiellement très complexe. Et puis il y avait cette idée d’une histoire racontée autour du feu, avec la participation des gens, ce genre de chose. Ce qui me plaisait bien aussi, c’était l’opposition entre le côté du conte comme l’une des plus vieilles formes « d’art » entre guillemets avec sa manière de raconter des histoires, et le côté participatif, les smartphones, la projection, il fallait trouver un équilibre entre les deux. Alors, j’ai décidé que ça pouvait être un conte.

Delphine, Maxime, Yovan et moi-même, nous avons commencé à travailler ensemble sur ce projet. J’avais vraiment déjà tout l’univers dans ma tête. La première fois qu’on s’est rencontré avec Delphine, j’avais tout le déroulé de l’histoire, je savais où ça commence, qu’est-ce qu’on va voir et jusqu’où on va. En fait, je n’avais pas vraiment le déroulé de l’histoire, mais les lieux où elle se déroule.

 

20. Louis, une année de réflexion

Louis :
Pendant un an, il ne s’est quasiment à rien passé, il n’y a pas eu d’autres rencontres. J’ai réfléchi tout seul de manière plutôt introspective. Rien de spécifique n’a émergé, mais j’ai lu énormément, je ne lisais quasiment plus pour mon « plaisir » entre guillemets, Je me suis fait des énormes tableaux de livres à lire. Ce sont toutes les références à des concepts, à des gens, à des penseurs et à des projets qui m’inspiraient, de la part de gens qui parlaient de comment ils écrivaient à ce sujet.

Pendant cette année de réflexion, quand il fallait prendre des décisions c’était dans ma tête, à aucun moment je n’ai écrit quoi que ce soit. Je formalise les choses dans ma tête, je me dis juste : ça, ça va être ça, enfin, on va commencer là. Et puis il y a eu cette idée d’aller visiter des endroits où il y a des communautés qui sont en harmonie avec leur milieu et ça, en fait, ce n’est pas vite-fait : je fais le tour complet du milieu, la forêt, la montagne, dans les airs, sous l’eau… Et après, je me suis dit que, par son importance, la ville n’allait pas disparaître, et qu’il fallait donc trouver une manière intéressante de l’habiter. J’ai lu plein de trucs sur le ré-ensauvagement qui étaient à la mode : Baptiste Morizot [24] par exemple, enfin tous ces gens qui parlent de comment on peut redonner une place à la nature en ville.

 

21. L’écriture du Conte, Delphine et Louis.

Louis 
Avec Delphine donc, on se voit une première fois pendant deux jours. Au début, j’arrive avec mon histoire, mais en fait je n’ai que les lieux et Delphine, c’est elle qui va tricoter tout, les relations entre les personnages, comment ils vont se trouver, comment ils discutent, et ça m’aide beaucoup. Je présente mes idées et comment ça va se dérouler : je voudrais que l’héroïne aille là-bas, là-bas, et là-bas…

Delphine :
Je dessine, j’écris, et puis après, moi toute seule, je reprends ça, je réimagine à quoi ça ressemble et je trouve la manière de le dire. Et après, quand j’ai trouvé, je le fixe sur papier et je mets les textes sur mon ordinateur. Mais après cela, je continue à beaucoup les remodifier.

 

Feuille de notes de Delphine Photo: Nicolas Sidoroff
Feuille de notes de Delphine
Photo: Nicolas Sidoroff

 

Delphine :
Quand je travaille en résidence, j’ai besoin des papiers écrits que je rature et que je rectifie directement, je suis perdue si jamais c’est trop le bastringue. Il faut aussi que ce soit clair aussi dans ma tête, c’est pour ça que j’ai écrit beaucoup, beaucoup de textes. L’écriture du conte commence toujours avec du papier, car j’ai l’habitude d’écrire à la main. Louis est dans le canap’ qui me dit « OK ».

 

Scène 1 : la première séance de travail, Delphine et Louis

Louis : OK. On commence par les arboricoles.

Delphine : Il faut une héroïne.

Louis : Il y a la question de savoir si ce doit être une fille ou un gars.

Delphine : Ni l’une, ni l’autre, d’après moi.

Louis : Faut-il utiliser le principe du « iel » ?

Delphine : Pour moi, c’est assez compliqué à mettre en place, parce qu’il y a les conjugaisons derrière et que la compréhension par le public n’est pas évidente. J’ai lu des livres avec « iel », qui veut dire « il et elle », pour pas que ce soit un personnage féminin ou masculin. Beaucoup de féministes utilisent cette formule. C’est compliqué quand tu as un public qui ne sait pas, des enfants, par exemple, tu dis « iel » et ils ne vont pas comprendre.

Louis : On peut décider que c’est une fille.

Delphine : Oui, mais avec un nom qui peut s’appliquer aux deux genres. Au lieu d’utiliser il ou elle dans le spectacle, peut-être qu’on pourrait utiliser le prénom de la personne.

Louis : Je propose Camille.

Delphine : D’accord.

Louis : J’ai tous les endroits que l’on va aller visiter : arboricole, après la ville, après le corail… Je voudrais que Camille aille là-bas, là-bas, et là-bas et je ne sais pas où Camille va aller à la fin.

Delphine : On pourrait rajouter l’idée des « aimants » (boussoles) qu’on va voir pour déterminer qui sont les gens qui guérissent. Et aussi les prairies, les plantes, et ça peut finir sous l’eau.

Louis : Il y a cette idée de Grand Conseil qui est plutôt dans la ville.

Delphine : Je note tout ce que tu dis spontanément sur du papier que je garde dans un dossier. Je garde tout en vrac, même les choses que nous allons rejeter dans le spectacle. C’est la pile du « Conte d’un futur commun » tout entier. Tu vois, moi c’est du bazar, hein ! Il y a des phrases qui sont très nettes, que j’écris pour ne pas les perdre parce qu’elles me semblent justes, je les ai parfois trouvées à l’oral.

Louis : Moi je décris où ça va se passer, qu’est-ce qu’on veut, où est-ce qu’on va et qu’est-ce qu’on peut trouver à chaque fois, et toi, tu vas mettre tout cela en histoire. C’est toi, après qui va écrire le texte, la majeure partie de l’histoire.

Delphine : Je note : « Forêt, traversée de la forêt. La gare. Le village. La ville. La mer. La prairie. » Je te propose de mettre la prairie avant la mer. Et aussi que Camille finalement ne retourne pas chez elle. Il faut trouver quelque chose qui implique le public, qui le fasse évoluer tout au long du spectacle pour qu’on en ressorte comme si on avait fait un voyage. Je veux qu’on en ressorte chamboulé, qu’on puisse se dire, “on a fait un voyage dans un monde qu’on ne connaissait pas”, un monde qui nous a rappelé des souvenirs, qui nous a fait se poser des questions sur nous-mêmes.

Louis : Ce qui me plaît, c’est cette idée de rite initiatique, enfin, c’est un voyage initiatique.

Delphine : Tu vois, je vais même annoter les positions du corps : est-ce que je suis face aux gens ? Est-ce que je me retourne ? On peut aussi travailler sur la mise en scène, c’est aussi une dimension importante.

 

Feuille de notes de Delphine Photo: Nicolas Sidoroff
Feuille de notes de Delphine
Photo: Nicolas Sidoroff

 

Scène 2 : les mêmes, plus tard

Delphine : Dans cette scène, Camille descend dans la cité sous-marine.

Louis : Ouais tu vois, on pourrait avoir des bulles qui flottent à l’extérieur, et puis il y aurait des câbles qui tombent dans l’eau.

Delphine : Je le dessine.

 

Feuille de notes de Delphine Photo: Nicolas Sidoroff
Feuille de notes de Delphine
Photo: Nicolas Sidoroff

 

Scène 3 : les mêmes, la biocratie

Louis : Concernant le contrôle du climat, c’est l’idée de percer les nuages pour provoquer la pluie.

Delphine : Tu vois, le « solutionnisme technologique », je sais qu’il faut qu’on le case quelque part, mais je ne sais pas où. Il y a des choses comme ça : la biocratie.

Louis : Camille de Toledo [25] m’a vraiment beaucoup inspiré sur la biocratie. Je suis allé à une de ses conférences sur « Les témoins du futur », dans le cadre du « European Lab ». En fait, ce qui m’a vraiment plu, c’est qu’il parlait d’un futur où l’on allait réussir à améliorer le monde tout en le changeant, j’ai été beaucoup touché par le côté émotionnel. Et en plus, c’était quelque chose qui était très facilement réalisable dans le monde dans lequel on vit, c’était de se dire qu’on donne le droit à la nature d’être représentée comme une personne morale au même titre qu’une société. Et en gros, ça donne le droit à la nature d’attaquer les gens qui la détruisent. J’ai trouvé ça très intelligent, parce que cela se joue vraiment sur une chose minime. On a toujours tendance à se dire qu’il faut changer énormément les choses pour réussir à faire bouger le monde. Et, en fait là, non, ce ne sont vraiment que les petits détails qui comptent et on est capable de changer grâce au système qui existe déjà.

Delphine : Camille de Toledo, voilà, il est là, il a imaginé que dans le futur, il y aurait des maisons qui avaient été détruites pour faire des zones de pluie à carbone. Et les gens qui n’étaient pas contents décidaient de porter cela devant les tribunaux. Son histoire est pour moi très émotionnelle. Il y a un enfant qui dit : « Mon père est revenu en pleurant. Il avait les larmes qui coulaient et je me demandais pourquoi il pleurait comme ça, pourquoi il était si triste, qu’est-ce qui s’était passé ? » En fait, il pleurait de joie en disant : « Les abeilles ont cessé de mourir. Si les abeilles cessent de mourir, ça veut dire qu’on est en train d’y arriver ». Il imagine qu’il y a un vrai changement, sur les femmes aussi. Camille de Toledo, c’est lui qui nous a donné cette idée de lancer des procès : le lac d’Annecy contre les propriétaires du lac, Danube contre la mairie de Vienne, la mer du Nord contre les tankers russes, la Haute-Méditerranée contre Canal de Suez, les Association des forêts primaires contre les producteurs de charbon. Après, moi, ça me tient à cœur, aussi, de dénoncer, même si ça m’a replongée dans le truc pas cool. C’est vrai, quand tu replonges là-dedans, aïe-aïe, tu te dis, ouais, c’est pas possible là !

Louis : Alors ça, je trouve peut-être ce que tu dis un peu trop négatif, cela implique qu’il y a quelque chose de négatif dans le monde, dans ce monde parfait. Ben « parfait » ici c’est entre guillemets, ce n’est pas parfait, mais dans ce monde désirable.

 

Scène 4 : la coulée de boue

Delphine : Et puis, qu’est-ce que notre héroïne fait là ? Qu’est-ce qu’il lui arrive ? Quelle est la base de la technique, surtout ?

Louis : Tu écris, tu vas utiliser beaucoup de papier, tu vas écrire beaucoup de choses qu’on ne va pas garder.

Delphine : On n’a pas la fin, on n’a rien, on part sur quelque chose dont on connaît le début, mais on ne sait pas où on va aller. Qu’est-ce qui fait partir Camille à la fin ?

Louis : Une coulée de boue.

Delphine : Une coulée de boue, ça ne me paraît pas évident comme résolution du problème de la fin.

Louis : Ben, on va quand même choisir ça, parce que c’est ce qui convient le mieux.

 

Scène 5 : le propel stretch

Delphine : Il y a cette histoire du propel stretch. Écoute, qu’est-ce que c’est exactement tes propel stretches ?

Louis : Le propel stretch est un tissu élastique qui se tend.

Delphine : Parce que là, tu les accroches où ? Tu vois, à quoi tu les accroches ? Ça s’étire, OK, puis après ça, qu’est-ce qui fait que ça lâche ? Parce que si tu es accroché, comment tu te lâches ?

Louis : Elle l’accroche à une branche, elle le tend, puis elle se lâche et ça la propulse dans le ciel et comme ça, elle peut faire 50 km quand même, hein !

Delphine : Il faut qu’elle ait un casque, il faut qu’elle ait un masque !

Louis : Peut-être qu’il ne faut rien dire, on laisse les gens imaginer les choses.

Delphine : Oui, d’accord, on l’imagine et ça ne choque pas trop les gens. On ne veut pas trop d’incongru. On veut que ce soit quelque chose qui soit vraiment possible à imaginer. Il n’y a donc pas la magie qu’on trouve dans les contes. Par exemple, il n’y a pas d’animaux qui parlent, alors que dans les contes, fréquemment, un oiseau parle, un cerf parle, là, non, les animaux ne parlent pas. En tout cas, on ne comprend pas leur langage.

 

Scène 6 : La zone désaffectée

Louis : Il y a une zone désaffectée.

Delphine : J’écris « zone désaffectée » en couleur.

Louis : Ce n’est pas forcément écrit, là, en projection. En fait, ça fait partie du trajet : ici c’est la ville, la prairie, et il y a la zone désaffectée, tu sais, où il y a des usines en ruines qui sont en reconversion, c’est tout ce qu’on trouve dans la ville. Tout en haut de la ville, en fait, tout est en recyclage de plateformes pétrolières.

Delphine : J’écris : « Animaux, ponts de singes, hôtels à insectes ». Tout ce que dans l’imaginaire on voudrait qu’il y ait dans cet endroit. Globalement il faut qu’on touche un peu à tout sans aller à chaque fois vers les mêmes choses, parce que tu peux vite être trop répétitif.

Louis : C’est un vrai casse-tête.

Delphine : Par exemple, je voudrais parler quand même des femmes, d’un lieu où l’on prend soin des personnes âgées, où les enfants naissent, qu’il y ait un lieu pour ça. Ce n’est pas évident de parler de tout cela et en même temps de continuer l’histoire de la quête de Camille. C’est dense, parfois il faut faire des choix, ce n’est pas évident de tout conjuguer, d’éviter que ce soit lourd et en même temps de dire tout ce qu’on veut dire. Je voudrais parler de l’eau, je voudrais parler de toutes ces terres rares. « Pfff » je voudrais parler de l’argent « lala », le problème c’est qu’il y a tellement de sujets.

Louis : On commence par se dire « on garde tout, à peu près tout ce qu’on veut » et après, il faut enlever pas mal de choses.

Delphine : Mais ça, ça ne sert à rien de dire ça, on ne va pas parler d’argent.

Louis : Ben oui, on enlève.

Delphine : Oui, parce que cette histoire est tellement dense !

 

Louis :
C’est Delphine qui écrit le texte vu que c’est elle qui parle. Je dis « il faut dire ça », et elle l’écrit. Elle prend des notes, je lui donne les lieux et les humains, elle écrit et après elle commence à le raconter. Quand elle a le temps, elle s’enregistre et nous envoie une version, et puis après elle retravaille là-dessus et jusqu’à ce que cela l’aide à faire son chemin dans sa tête, elle a un déroulé, et ça fait qu’elle peut enlever des bouts et en rajouter d’autres. Elle envoie de l’audio ou du texte, ça dépend, et souvent les grands trucs on les fait en résidence.

Delphine :
Louis sur le canapé n’écrit pas, c’est moi qui écris. Lui, il est plutôt sur son téléphone pour chercher les choses. Par exemple, récemment on cherchait les cités sous-marines, il va chercher pour voir à quoi ça ressemble, ce qui existe vraiment, pour pouvoir peut-être s’en inspirer. Ou quand je lui dis : « Ah ! donne-moi un synonyme de ça parce que je suis en train d’écrire, je ne trouve pas le mot ». Hop, il cherche. Je lui pose des questions : « Ah ! parce que ça, tu penses qu’elle va faire comment si elle a fait ça, est-ce possible qu’elle préfère faire ça ? » Louis : « Ah oui attends, non mais c’est parce qu’elle fait comme ça tout simplement ! », et moi : « OK, ah oui, t’as raison ». Voilà.

Louis :
Après c’est une question de détail, je retouche très peu ce qu’elle fait, je donne mon avis, mais je ne vais pas lui dire : « Dis comme ci, dis comme ça ». Je sais que c’est elle qui va dire le texte. Delphine ne considère pas qu’elle improvise, il y a toujours un texte, mais elle le modifie au fur et à mesure qu’elle parle, elle considère que c’est de la mémorisation, la manière dont son cerveau mémorise ce qui va sortir, mais elle modifie un peu le texte. Après elle réécoute sa voix enregistrée en train de lire le texte et elle change des choses en conséquence. Au moment où elle l’apprend par cœur, il se modifie tout seul dans sa tête. Elle a une carte mentale qu’elle s’est faite de l’endroit où ça va, un chemin qui se déroule.

Delphine :
Je n’ai pas de problème de mémorisation parce que une fois que j’ai pris ce chemin-là, je sais que ça va tout droit et que ça roule. D’habitude, je prends un texte qui existe, je prends une histoire qui existe, que j’ai entendue ou que j’ai lue, donc j’ai un texte, j’ai quelque chose, une histoire traditionnelle de base. Après, je mets les mots que je veux, mais l’histoire existe. Parfois j’improvise autour du texte. Mais je travaille souvent l’improvisation chez moi, je garde le fil de l’histoire, je ne la trahis pas. Même si les textes sont parfois complètement écrits, si un texte est effectivement bien écrit, et que tu as un refrain, cette espèce de petite fredaine, c’est bien de le respecter, parce que ça donne du rythme à ton récit. Souvent, les histoires sont quand même bien écrites, mais après, tu peux vraiment transformer la manière dont l’histoire est écrite et la raconter vraiment autrement. Mais la plupart du temps, tu gardes le fil de l’histoire. Quand c’est moi qui écris le texte, je peux faire ce que je veux. Quand je travaille sur un texte, je cherche les mots comme si j’avais un public devant moi et quand je trouve une phrase qui tilte, paf ! je l’écris vite, hop ! OK, bon. Alors à haute voix je la répète et puis je continue. De fixer ce que je dis par écrit me permet de ne pas l’oublier, ce serait dommage quand on trouve une belle phrase qui a une belle musique. C’est quand je trouve mes mots, ma musique, qu’elle s’imprègne tout de suite, je m’en rappelle parce que ça colle bien. C’est quand je trouve les mots justes que je peux le mieux m’en souvenir.

 

22. Les dessins et leur animation. Louis et Maxime H.

Scène 1 : Coup de téléphone entre Maxime et Louis

Louis : Allo, Maxime ? On a décroché la subvention de l’Appel à projet immersif de l’AADN. Ben, ça y est, on fonce, quoi.

Maxime : Cette fois-ci, on y va. Mais moi, je ne sais pas faire de la bande dessinée, je ne sais pas faire du motion design, je n’ai absolument pas les compétences pour faire ça. Franchement, je ne vois pas du tout où je vais. Ah ! Louis, si ça se trouve, il va falloir que quelqu’un m’aide parce que je ne dessine pas spécialement des personnages, en tout cas, pas des personnages animés, je fais beaucoup plus de décors. Comment on va faire ? Et en plus, on a gagné une subvention pour être immersif, donc, sous dôme. Moi, je ne sais pas faire un dessin qui se tord sous un dôme, donc, il y a quand même pas mal de défis. Mais bon, on va bien voir, on y va !

Louis : À mon avis, pour adapter le dôme au frontal, je vais avoir besoin de temps au lab. ou bien il faudrait qu’on ait encore une résidence tous ensemble. Je n’ai pas l’intention de t’intégrer dans la plupart des résidences parce que je sais que tu viens d’être papa et je sais ce que cela veut dire. Ce n’est pas la peine pour toi de venir, vu que tu ne joues rien « en direct » entre guillemets, il n’y a pas besoin forcément que tu sois là, même si pour la cohésion c’est toujours plus intéressant que tu sois là.

Maxime : Les résidences, en théorie – il y a la théorie et la pratique – tout est déjà fait, puisque tous mes dessins doivent tous être prêts. Sauf que si c’est la première fois qu’ils sont projetés, ben je me rends compte que mon arbre que j’ai dessiné est trop petit, ou qu’il n’apparaît pas très bien en termes de contraste, donc il y a beaucoup d’allers-retours avec toi, Louis.

Louis : En fait, j’intègre les images dans mon logiciel qui les projette.

Maxime : Et au fur et à mesure que tu me les projettes, je me dis souvent, « Ah ! non, je ne vais pas laisser ce dessin, il n’est pas adapté ». Ou je fais des modifications. Donc les résidences, ça sert à ça. Il faut que je sois là vraiment dès le début pour faire les allers-retours avec toi quand tu mets en place le récit pour voir si c’est adapté au lieu. Alors comment va-ton travailler ?

Louis : On travaille d’abord tous les deux séparément. Il faudrait que tu dessines une usine pour la fin du conte.

Maxime : Ah ! non, je n’aime pas trop comme ça !

Louis : Ils sont où tes dessins pour les deux gros projets « Nuit Blanche » à Paris ? Tu les as faits ? Je peux passer chez toi pour les voir ?

Maxime : Je vais les mettre dans la Dropbox, tu peux aller les voir régulièrement. Il y en a des nouveaux.

Louis : Voilà, il faut que tu me dessines une ville où les immeubles et la nature sont entremêlés. Ils sont entremêlés, mais quand même de façon distincte, c’est-à-dire qu’il faut qu’il y ait des passages pour les animaux et après, il doit y avoir d’autres passages pour les humains, et voilà, vas-y quoi.

Maxime : Ben, je n’ai aucune idée… Je vais te faire 3 ou 4 croquis, mais franchement, là, je n’ai aucune idée. Il faudra qu’on prenne pas mal de café ensemble.

Louis : Je ne te fais jamais chier, tu fais ce que tu veux. Enfin si ! ouais, je te fais chier ! C’est bien ce que tu as fait avec le dessin de la ville, mais, hop là, je vois que tu as dessiné la ville vue d’en haut. Il faudrait qu’on la voie du dessous, comme ça, ça serait mieux, tu vois. Il faut me refaire la ville.

Maxime : Ça va, je suis reparti pour 20 heures de dessin pour refaire la ville.

Louis : Oui et on va voir cette image que pendant trois secondes à un moment donné, alors que je sais que ça t’a pris énormément de temps.

Maxime : C’est un peu frustrant.

Louis : Si tu ne le fais pas, cela ne va pas me déranger, tu peux tout aussi bien ne pas suivre mon avis.

 

Maxime :
En ce qui concerne les moyens d’adapter les dessins pour pouvoir les montrer sous le dôme, au début je n’avais aucune idée de la taille, du niveau de précision dont j’avais besoin pour faire les dessins. Je ne savais pas, quand j’allais mettre mon dessin dans le dôme, s’il allait être trop petit ou trop grand, donc en fait, j’ai fait en sorte que le dessin puisse se répéter latéralement. C’est-à-dire que quand on a le dessin, si on fait une photocopie, par exemple, et qu’on le met à gauche du dessin initial, alors il se raccorde parfaitement, et donc voilà, c’est infini. Je me suis dit que si je dois dessiner une forêt, je commence à dessiner quatre arbres, et je sais qu’après, je peux reproduire le motif à l’infini. Donc je pensais pouvoir changer, de réadapter ma production en fonction, si je me rendais compte qu’il me fallait reproduire quatre fois mon dessin pour faire le tour ou s’il fallait huit fois, je pensais ainsi pouvoir me régler comme ça, sachant qu’après, si c’est vraiment trop décalé, j’aurais à étirer un peu mon dessin pour être à la bonne hauteur. En tout cas, j’ai fait ce pari de reproduire le motif.

 

Scène 2 : Maxime et un membre d’une équipe technique

Un membre d’une équipe technique : Bonjour Maxime. Tu as une question ?

Maxime : Comment faire pour adapter l’image à la projection sous le dôme ?

Le membre d’une équipe technique : Voilà, il faut que ce soit un rond, donc l’image qui est vidéo projetée, c’est un rond.

Maxime : OK, mais moi, mes dessins, ce sont des carrés ! Et surtout, je suis incapable de prédire la déformation que je dois appliquer pour dessiner dans un rond.

Le membre de l’équipe technique :
Il faut que tu dessines sans la moindre déformation, et que sur ton ordinateur, tu trouves quelle commande, quel outil utiliser sur Photoshop pour procéder à la déformation.

Maxime : J’ai cherché hein ! j’ai cherché sur internet, j’ai fait des tests, je n’y arrivais pas du tout ! Ça me faisait une déformation trop bizarre, et j’ai fini par trouver qu’effectivement, je pouvais tordre le dessin en demi-cercle, et dans ce cas, je pouvais faire un copier-coller en symétrie, et cela produisait un cercle complet que je pouvais vidéo-projeter. Et après cela, une fois que ça, ça marche, c’est vraiment comme une machine, c’est-à-dire qu’après, quand je fais un nouveau dessin, j’utilise la même commande, et le travail se fait automatiquement. Une fois que j’ai un nouveau dessin, il est traité par la machine, et il ressort avec la bonne taille, la bonne déformation, et après, je peux éventuellement faire des petits réglages. Une fois sous dôme, c’est quand même le moment de vérité et je me dis : « J’ai bien anticipé par rapport à la dernière fois, mais peut-être que dans ce dôme-là, ça nécessitera une petite mise à l’échelle ». Donc, à chaque nouvelle résidence, il y a, avec Louis, un temps de réglage, où je dois souvent lui redonner tous les contenus un par un pour les remettre à l’échelle.

 

Louis :
En fait sur l’animation des dessins, je récupère un dessin que m’a fait Maxime, qu’il a déjà inversé pour que le fond soit noir à la place d’être blanc. Quand on est sous le dôme, il a déjà traité l’image pour l’adapter au dôme. Et moi à partir de là, je les allie pour en faire ce que je veux, sachant que le but de l’animation, c’est vraiment de faire un truc très simple au début de l’histoire, et de le complexifier au fur et à mesure du récit. Je rentre une image dans le logiciel et grâce à ça je peux l’animer, la déplacer, et mettre des effets par-dessus, des effets de style. Pour animer les images il faut que je lance quelque chose, qu’elles se déplacent d’une certaine manière, à une certaine vitesse, qu’elles montent et qu’elles descendent, etc. Voilà, à la base, le logiciel n’est pas fait pour faire ça, mais je m’en sers de cette manière. Après je fais des fondus, soit un fondu au noir avec une autre image, ou bien l’autre image qui apparaît par-dessus une autre, ou d’autres options. Et je fais bouger des trucs à l’intérieur de l’image, ou je rajoute un calque, c’est-à-dire que je rajoute une autre image par-dessus la première et je la fais bouger. Par exemple, je fais monter les masques du Grand Conseil, enfin voilà, des trucs assez simples. Et pendant toutes mes premières résidences je galère à appuyer sur les manettes, à faire monter les images. Après je dois revenir en arrière : une fois qu’on a fini la boucle qu’on a fait, il faut que je reprenne tout depuis le début, que je me souvienne où sont les choses pour les remettre à zéro pour pouvoir après les relancer, pour que, quand je reclique sur le truc, ça redémarre l’animation au bon endroit

J’avais fait un clip pour Kunta, qui est le groupe de Yovan, j’ai participé avec eux à une résidence au LabLab, où je faisais la partie de projection vidéo (il y avait quelqu’un qui filmait), et c’était une galère de fou, parce que j’étais sur Resolume, et eux avaient un truc où c’est timé sur leur Medlay [26] qu’ils ont fait à la seconde près. Et du coup, le vidéaste a refait exactement le même plan sept fois pour pouvoir faire son montage à l’intérieur. Ça voulait dire que toutes mes vidéos devaient être timées au poil de millième près. Et ça nous a pris deux jours, c’était interminable. Alors je me suis dit : « Plus jamais ça, c’est vraiment trop horrible ! ».

Scène 3 : Louis, un collègue et le logiciel Chataigne

Un collègue : As-tu entendu parler d’un autre logiciel qui peut piloter ça, qui s’appelle « Chataigne » qui a été conçu par un lyonnais, Ben Kuperberg ? Avec Chataigne, tu aurais pu lancer, clip par clip, tes trucs et ça aurait pu être dans une timeline mais vraiment à la seconde près. Chataigne est une espèce de tableau de bord qui fait communiquer les différents logiciels entre eux.

 

Louis :
Donc, je me mets sur Chataigne, je fais des tutos simples, il y a une documentation, etc. J’arrive plus ou moins à lancer mon premier clip tout seul : si j’appuie sur telle lettre du clavier ça lance le clip. Mais après, j’ai découvert qu’il valait mieux le placer sur une timeline, parce que si je dois utiliser toutes les touches de mon clavier, je risque de me tromper de touche et ça ne marchera plus. Avec la timeline, chaque fois que j’appuie sur la barre espace, je lance un truc, et je peux appuyer une deuxième fois pour l’arrêter.

 

Scène 4 : les mêmes plus tard

Le collègue : Je vais te montrer comment utiliser les cues, de sorte que le truc s’arrête automatiquement au bon moment.

Louis : Mais quand j’utilise les cues, il arrive souvent que deux choses se déclenchent quand j’appuie sur espace : Ah ! non ! pas ça !

Le collègue : Ah ! oui, c’est vrai pas con !

Louis : On pourrait se servir du téléphone pour le faire ?

Le collègue : Tu peux essayer, ça marche aussi.

 

Louis :
Du coup, ça marche aussi, mais je ne peux pas tout faire, parce que Chataigne ça marche bien pour le Resolume, mais je n’arrive pas à récupérer les dessins, enfin je ne peux pas réadapter le Live Drawing avec Chataigne. C’est-à-dire que je ne peux pas le faire tout le temps, enfin il faut que je sois tout de même derrière mon ordinateur à certains moments, notamment quand il y a la participation du public, ne serait-ce que pour voir ce que les gens écrivent. Quand j’ai des galères, j’appelle les copains au téléphone pour savoir comment faire les choses. Dans tous les projets, c’est tout le temps comme ça.

 

Scène 5 : Louis et le logiciel Chataigne

Louis : Grâce à toi, Chataigne, j’arrive à me faire une time line.

Chataigne : Oui tu me donnes des éléments.

Louis : Voilà un élément, tu lances ce truc-là, tu le fais monter jusque-là.

Chataigne : Tout ce que tu faisais à la main, je le fais tout seul automatiquement. Voilà cinq images de faites.

Louis : Et là tu me remets la première à zéro, enfin par exemple telle coordonnée à 5000 pixels tu me la remets à zéro et tu remets une opacité de 100%.

Chataigne : Oui, Louis, avec plaisir. Grâce à moi, tu topes tous tes trucs maintenant, tu n’as plus besoin de cliquer, de chercher, de déplacer les choses.

Louis : Grâce à toi, je n’ai plus qu’à appuyer sur « espace », ça déroule le truc et voilà.

 

Scène 6 : Louis et Maxime. Projection sous le dôme

Louis : Grâce à un autre logiciel, j’ai pu dépasser les contraintes qui étaient les miennes au départ. Par contre, quand on est passé sous le dôme, il y a eu vraiment un moment de flottement, parce que tous mes trucs qui étaient des travellings de gauche à droite, de haut en bas, en diagonale, sous le dôme ça ne marche pas. Parce que si tu bouges de gauche à droite, ben là tu n’as plus rien, il n’y a plus d’image et ça fait un peu bizarre. Parce que sous le dôme, l’image est carrée, 7000 par 7000 ou 8000 par 8000, où en haut, en gros, c’est le centre de l’image.

Maxime : Je fais des dessins sur un format carré de 4000 par 4000 pixels, ensuite, je les balance dans mon logiciel pour en faire des cercles. Pour faire mon demi-cercle, je suis obligé de copier un deuxième dessin pour produire un rectangle de 4000 par 8000 pixels. Je multiplie ensuite le demi-cercle par deux pour obtenir symétriquement un cercle complet. Donc je sais qu’en général, quand je fais un dessin 4000 par 4000, il apparaîtra 4 fois sous le dôme. Le centre du cercle, c’est le point le plus haut de l’image dans un dôme et c’est là où la déformation est la plus forte. Donc je n’ai pas intérêt à trop m’approcher du centre, parce que sinon mes dessins, ils sont vraiment très, très écrasés. Comme on a beaucoup de scènes d’extérieur, souvent mes dessins sont rectangulaires. Et quand je les passe sur l’ordinateur, « hop », j’augmente la surface de la page en haut et ça me fait un format carré. Et il y a juste certains éléments qui m’ont obligé à changer de stratégie : par exemple, on est dans une bibliothèque, avec des livres jusqu’au plafond, j’ai fait vraiment un dessin assez petit, un motif que j’ai multiplié peut-être 50 fois, comme un papier peint et donc après, là, j’ai pu le mettre jusqu’en haut. Le motif est multiplié en largeur et en hauteur, donc le dessin doit pouvoir se superposer à lui-même à la fois verticalement et horizontalement.

Louis : En fait, j’ai mis un peu de temps à comprendre comment on fait, et après de comprendre que si je voulais animer mon image, il fallait que je zoome à l’intérieur de ce carré de 7000 par 7000 pour qu’on voit un déplacement comme ceci ou comme cela. Donc je zoome et je fais des rotations, voilà. J’ai pris une suite de plug-ins d’effets sur Resolume [27] qui sont spécialement adaptés pour le dôme et qui me permettent de faire ce qu’on appelle « Fisheyes rotations ».

 

Maxime :
J’aurais pu choisir une façon beaucoup plus simple de dessiner pour correspondre aux divers formats de projection. J’aurais pu, je pense, dessiner directement sur un iPad et faire tout de façon informatique. Mais je fais de l’ordinateur toute la journée quand je suis architecte, je voulais vraiment passer par le feutre. Donc déjà, je pense que j’ai fait un choix un peu archaïque : tout part d’une feuille de papier et d’un feutre. Pour que les dessins puissent se suivre, je fais mon premier dessin, ensuite, je fais comme un marque-page qui fait la même hauteur que le dessin que je viens poser à droite du dessin, donc je prolonge le dessin, je prends mon marque-page, je le passe de l’autre côté de la feuille, et là, je reprolonge et je fais en sorte que ça marche. Et c’est ce petit marque-page que je peux glisser à droite et à gauche qui va me faire la continuité des dessins. C’est vrai que là, c’est très simple à montrer, mais assez difficile à expliquer.

Parfois, j’ai travaillé avec du papier calque : au début de la pièce, il y a une forêt et ensuite, il y a une ville dans la forêt. Donc j’avais deux solutions : soit je restais archaïque, et je redessinais une deuxième fois la forêt en ajoutant la ville, soit je prenais une feuille de papier calque à l’ancienne et je dessinais ma ville par-dessus. C’est ce que j’ai fait, j’ai gagné pas mal de temps, j’ai pu plus me concentrer sur d’autres choses. Donc, il y a quelques fois où le dessin final n’existe pas vraiment, il n’est pas complètement sur un seul papier. Il n’est pas utilisable tel quel pour une exposition. À un autre moment, il y a un vaisseau volant, j’ai dessiné d’abord ce vaisseau vide, parce qu’on n’avait pas trop de temps. Et je me suis dit, ce n’est pas grave, je vais mettre une feuille par-dessus et je vais dessiner tous les personnages et comme ça, si je me rate sur un personnage, ce n’est pas grave, je ne vais pas perdre mon vaisseau, j’aurais droit à un deuxième essai. Quand je n’ai pas tout à fait confiance, je me donne cette possibilité d’avoir plusieurs épaisseurs de dessin que je peux après faire fonctionner ensemble sur l’ordinateur. C’est une liberté qui est assez agréable, quand on dessine, tout part de la main, mais après, on peut réassembler, on peut corriger, on peut gommer aussi.

Sur l’ordinateur, ça peut m’arriver que j’aie des petites jonctions qui ne soient pas toujours parfaites, étant donné ma fameuse technique archaïque de marque-page, donc ça me demande un peu de reprise. C’est ainsi que j’ai plus gommé pour faire des ajustements, que dans le cas d’avoir à refaire un dessin à cause d’une mauvaise trace, comme une goutte de café qui tombe accidentellement sur mon dessin qui est fini. En cas d’erreur, j’ai l’ordinateur qui peut me sauver.

 

Scène 7 : Louis et Maxime

Maxime : Là, le dessin est trop petit, là tu me l’as tordu, là ça ne va pas.

Louis : Mais là, ce dessin-là, il ne sort pas bien, il n’est pas assez contrasté ou il est trop petit.

Maxime : Je vais bosser dessus.

Louis : Non mais là ça ne va pas, c’est trop petit, c’est moche. Je devrais le modifier.

Maxime : Mais je ne pensais pas que tu arriverais à trouver autant d’effets différents pour que ce ne soit pas ennuyeux et que ce soit logique avec le fil du récit.

 

Maxime :
Les croquis sont réalisés en noir et blanc et de façon très lâche, c’est-à-dire que je laisse un peu le poignet guider et quand le croquis commence un peu à prendre forme, je passe en couleur pour distinguer un peu les différents éléments.

 

Photo: Nicolas Sidoroff
Photo: Nicolas Sidoroff

 

Maxime :
Ma façon de dessiner est basée sur des motifs qui se répètent. Dans les croquis, j’essaie d’abord de trouver les ingrédients de la recette et puis après, je cuisine les choses à partir de là. Par exemple, il y a beaucoup d’arbres dans les dessins, donc, je trouve un peu la bonne forme d’arbre.

 

Photo: Nicoals Sidoroff
Photo: Nicoals Sidoroff

 

Maxime :
Ensuite, si c’est une ville, je trouve le motif de façade et dans le cas de la ville, il y a des passages pour les animaux. J’ai trouvé une solution : ils sont suspendus sur des ballons. Et après, tout s’est un peu assemblé et je fais en sorte que ce soit toujours enchevêtré, mais si on voit bien que ça s’enchevêtre, pourtant ça ne se cogne pas. C’est un peu comme ça que je fais mes dessins, pour avoir une espèce d’harmonie entre plein d’ingrédients.

 

Photo: Nicolas Sidoroff
Photo: Nicolas Sidoroff

 

Maxime :
Mes premiers croquis, c’est au stylo, pas au crayon de papier. Et après, quand j’en arrive vraiment au dessin final, j’utilise le crayon de papier pour tirer un peu les grands axes, c’est-à-dire que cela donnera la silhouette des grands éléments. Et après, je les dessine tout de suite au feutre. Et à la fin, je gomme mes petites silhouettes que j’avais faites au début. Donc il y a bien quelques lignes qui structurent le dessin.

En général, je fais mon dessin au crayon de papier et je le gomme à la fin, j’ai assez peu besoin d’y revenir. J’ai juste fait quelques dessins où, d’habitude, j’essaie de faire abstraction des règles de perspective, je les respecte un petit peu, mais je suis assez libre. Il y a quelques scènes qui sont en intérieur et j’avais envie d’avoir de bonnes proportions, donc là, ça prend beaucoup plus de temps. Il y a quelques dessins où vraiment, j’ai passé je pense 2 ou 3 heures juste sur le crayon de papier à dessiner, gommer, dessiner, gommer jusqu’à ce que j’aie vraiment trouvé le dessin et pour le coup, je redessine entièrement au feutre, mais c’est presque plus un travail de mise en couleur. Pourtant, il y a beaucoup de dessins où il s’agit d’une ébauche très lâche qui devient tout de suite un dessin achevé. Dans mes dessins, j’utilise différentes démarches.

Il y a une partie de la pièce où l’animation des images est prédominante et au début, je ne sais pas comment on va faire. Je fais plein de dessins, mais je ne sais pas comment on va faire pour les animer. Je fais confiance à Louis, en me disant qu’il saura comment on fait la transition quand on passe, disons, de la forêt à la ville, il va faire un fondu au noir, ou bien il va faire apparaître l’image progressivement, donc c’est lui qui fait de la vraie création artistique en liant les choses. Il y a donc des personnages, des éléments à intégrer dans l’image, c’est lui qui va les positionner et les faire se déplacer (parce qu’on a des objets qui se déplacent).

 

Photo: AADN
Photo: AADN

 

23. Une musique traditionnelle du futur ?

Scène 1 : Louis et Yovan

Louis : Je veux que tu me fasses de la musique traditionnelle du futur.

Yovan : C’est compliqué, car la musique traditionnelle est déjà pleine de codes, ça ne correspond pas à ma façon de travailler.

Louis : Je dis ça, parce que je suis sous l’influence de Super Parquet, un groupe qui mixe de la musique électronique avec de la musique traditionnelle du centre de la France, que j’ai vu en concert et qui m’a vraiment beaucoup plu, j’aime bien ce côté un peu musique traditionnelle du futur.

Yovan :L’idée est plutôt d’avoir une électronique qui ne soit pas que synthétique, et surtout, et je ne connais pas assez la pratique d’une musique traditionnelle. Laissons les auditeurs imaginer des choses. On peut s’inspirer de beaucoup de différentes sources, ça correspond plus à ma façon de penser.

Louis : Si j’ai mentionné l’idée de la musique traditionnelle du futur, c’était pour t’orienter un peu.

Yovan : La musique traditionnelle pourrait peut-être me rassurer en prenant l’idée qu’on va essayer de la moderniser, cela pourrait vraiment devenir une base pour mon travail, vu que je n’ai pas trop de règles et que je ne sais pas par où commencer. Mais je préfère dire que je pars d’une musique électronique qui est aussi un peu organique.

Louis : Concernant la musique traditionnelle, j’avais parlé aussi avec Jacques Puech [28] grâce à l’Ensemble Aleph et il m’avait expliqué que la musique traditionnelle est en fait une musique beaucoup plus vivante que toute la musique écrite, parce qu’elle évolue continuellement au fur et à mesure du temps. Du coup, je me suis dit que ça serait intéressant effectivement d’aller voir de ce côté-là.

Yovan : Ouais, j’aime bien, je vais reprendre des boucles de musiques traditionnelles africaines, ou bien des boucles de je-ne-sais-pas-quoi.

Louis : On n’est pas vraiment sur la fonction sociale de la musique traditionnelle, ni sur comment elle est écrite et comment elle se fixe.

Yovan : C’est plutôt quelque chose du genre : « Je vais reprendre des bouts de ci, et puis je vais les adapter à ma sauce ».

Louis : Et de toute façon, connaissant ta musique, je ne m’attends pas du tout à ce que tu ais une approche de musique traditionnelle.

 

24. L’élaboration de la musique. Musique pré-enregistrée ou musique en direct. Louis et Yovan.

Scène 1 : Louis et Yovan

Louis : Il s’agit de faire un spectacle immersif avec un musicien sur scène.

Yovan : J’aime bien avoir une trame bien définie pour comprendre ce que tu veux.

Louis : Je voudrais que tu improvises tout en faisant ta propre musique.

Yovan : Je ne veux pas faire ça, pour moi ça ne veut rien dire. Si tu veux que je compose des productions musicales comme des morceaux de musique électronique ou tout ce que je peux faire d’autre, eh bien, il faut le définir dans notre dossier de subventions, il faut qu’on arrive à le mettre en mots. Il faut expliquer les choses, donner des références de musique traditionnelle.

Louis : C’est un conte sur l’écologie, sur la planète, sur la nature.

Yovan : Alors, il faut peut-être quelque chose de plus que l’électronique, avec aussi des instruments organiques. Mais si tu veux, je peux ne faire que de la musique live avec du violon et des effets.

Louis : Mais non, moi j’aimerais que tu composes parce que tu as l’habitude de composer pour d’autres projets, que ce soit de l’électro, de la pop, ou d’autres choses.

Yovan : Dans ce cas-là, autant que j’essaye déjà de timer ce qui se passe avec la conteuse pour que la musique corresponde avec des bruitages. C’est plus simple de ne mettre qu’un petit peu de musique live, mais surtout d’avoir une vraie écriture musicale où j’ai plus de liberté pour composer, pas juste de jouer du violon.

Louis : Ça serait bien d’avoir plusieurs instruments.

Yovan : Je vais essayer de faire quelque chose qui suit un peu la conteuse et ce qu’elle raconte, et après je verrai ce que je peux jouer en live, on verra au fur et à mesure. Vu que je suis tout le temps sur ma souris à être sûr d’envoyer le bruitage au bon moment avec Delphine, alors je ne vais pas tout jouer en live, il faut que je fasse des choix. Du coup, il y a beaucoup de choses qui vont être pré-écrites, avec cette idée d’avoir des morceaux électroniques, et à un moment donné, comme tu veux du violon, oui, je peux me lever. Mais au début, je reste dans le noir.

Louis : Non, il faut qu’on te voit.

Yovan : C’est vrai que c’est important qu’on me voit, alors je te demande, est-ce que c’est important qu’on me dessine aussi ? Il faut choisir.

Louis : Bon, ben voilà, à un moment il y a du violon, c’est bien.

Yovan : D’accord, on voit bien que d’avoir un violon sur scène rajoute quelque chose au spectacle.

Louis : Il faut l’assumer.

Yovan : Tiens ! là, on est sur quelque chose de différent, on se laisse porter par les images, il y a de la musique en live et je pense que ça donne une respiration dans le spectacle. Et puis c’est toujours bien pour le public de voir un instrumentiste jouer sur scène, c’est plus agréable que de l’avoir dans le noir. C’est petit à petit, au fur et à mesure qu’on se rend compte de ce qu’il faut faire dans la pièce.

 

Yovan :
Le dossier de subvention a été écrit en reprenant ces idées et après, évidemment, dans la réalisation ça a pris une forme un petit peu différente. Avant de soumettre le dossier à AADN, Louis m’avait demandé de composer un morceau. Par rapport à ce qu’on avait mis sur le cahier des charges de la musique dans le dossier, j’étais parti sur une instrumentale à partir d’un échantillon de percussion africaine et j’avais réalisé un petit morceau. C’était juste une question d’avoir un peu de musique et après cela a complètement changé. Cet échantillon de percussion africaine a été réutilisé pour un morceau dans le spectacle, c’est le premier segment que j’ai fait, justement quand elle survole la forêt au début. Après cela, j’ai fait le morceau d’intro, avec des sons d’oiseaux et de forêt, parce qu’au début, elle présente la forêt.

Louis :
Franchement, je ne m’attendais pas à ce qu’il utilise sa voix. Il faut savoir que Yovan est en ce moment chanteur et qu’il ne fait quasiment plus que ça. Yovan joue du violon en direct, mais sa voix reste enregistrée, car il a utilisé une superposition de sa propre voix pour produire un effet de chœur, il s’enregistre sur pas mal de trucs. Quand j’ai reçu les premiers morceaux qu’il m’a envoyé, j’ai d’abord pensé que ce n’était pas du tout ce que je voulais, mais au final j’adore. Effectivement, cela n’a rien à voir avec la musique traditionnelle du futur, ce n’est pas ce qu’il fait.

Photo: Valentin Bisschop
Photo: Valentin Bisschop

 

25. La musique et le conte, Delphine et Yovan.

Yovan :
Et ensuite Delphine est arrivée et une fois qu’elle a mis l’histoire en mots, il s’agissait de trouver les moments où j’aurais des espaces pour la musique. J’ai demandé à Delphine de s’enregistrer pour que je puisse écouter ce qu’elle racontait.

Delphine :
J’ai donc envoyé un enregistrement audio de mon texte à tout le monde et ils l’ont écouté chez eux en boucle. Avec Yovan, on a créé un peu ensemble et puis on a eu de la chance parce qu’on s’est tout de suite bien entendu. Il a pré-enregistré de la musique sur ce qu’il avait entendu de moi et on a tous les deux essayé des choses ensemble pour voir comment ça collait. Il y avait des choses qu’il avait faites qui n’allaient pas. Parce qu’une fois que je racontais l’histoire pour de vrai, ça ne marchait pas. Je lui avais envoyé le texte, mais en fait une fois qu’on racontait l’histoire, ça n’allait pas. Il a dû changer et faire un gros boulot d’adaptation à la présence d’une conteuse.

Yovan :
Delphine est surtout celle qui a le plus influencé le résultat sonore final, parce que j’écoute sa manière de raconter l’histoire.

 

Scène : Delphine et Yovan.

Yovan : Tiens, là, ce serait bien de couper un petit peu. Voilà, là, je propose de couper la narration et de mettre de la musique. Tiens, pendant que tu dis ça, ça ce serait bien qu’il y ait un peu de musique derrière pour donner du rythme.

Delphine : J’aime bien le fait que tu apportes une musique qui me donne aussi un rythme. Ça m’aide, ça donne un ton, un rythme.

Yovan : Ce qui est le plus simple pour moi, c’est de trouver le rythme en fonction de ton texte. Souvent toi et Louis, vous êtes vraiment axés sur l’écriture du conte, alors que moi, je suis plus préoccupé par le rythme [il frappe des coups réguliers sur la table avec sa main], comme ça… voilà, comme ça… Le rythme du spectacle : quand on raconte notre histoire, peu importe combien de temps ça dure, est-ce qu’il y a du rythme ?

Delphine : Il faut se demander si ce n’est pas un peu ennuyeux à certains moments ?

Yovan : Oui. Dans deux des compositions, je joue du violon. Ce sont vraiment deux moments. L’un des deux correspond à la séquence de la balade, c’est improvisé, j’ai écrit quelque chose de simple, quelque chose que j’ai commencé par jouer, que j’ai développé en improvisant et que maintenant j’essaie de garder tout le temps. C’est lié au rythme du spectacle.

Delphine : Je pense que tu es d’accord pour prendre en compte ensemble les variations qui pourraient se produire.

Yovan : Oui, tout à fait.

Delphine : Si tu entends que je dis quelque chose qui veut dire la même chose que ce que je dis d’habitude, mais pas avec les mêmes mots, il y a toujours un silence qui signale que j’ai fini, alors, tu balances la musique.

Yovan : Je vais essayer de faire quelque chose qui suit un peu ce que tu racontes, et après je vois ce que je peux jouer en live, on verra au fur et à mesure.

Delphine : Ouais, j’essaye de respecter ce que tu fais, on jongle tous les deux, c’est réciproque. C’est quand même plus moi qui m’adapte à toi, mais tu dois aussi le faire avec moi.

Yovan : Pile quand tu dis ça, paf ! je balance cette musique et paf ! tu dis ça.

Delphine : Je ne connais pas encore le texte par cœur.

Yovan : À ce moment-là, quand tu dis ça, après, il y a un silence, je vais caser cette musique.

Delphine : Je suis conteuse, moi ! Comment tu veux que je me rappelle ?

Yovan : Il faut aussi trouver des bruitages, parce qu’on en a besoin à certains moments.

Delphine : Ils doivent être synchronisés entre toi et moi. Par exemple, à un moment donné où un talisman tombe par terre, il dévale 4 ou 5 marches et puis il s’arrête aimanté à un livre. Là, il faut qu’on soit exactement ensemble, c’est vraiment un bruitage précis. Mais après c’est facile dans le sens où je sais qu’à partir du moment où je commence à déballer ce que je dis, c’est-à-dire le talisman qu’elle a dans sa poche, qu’elle sent dans sa poche, il tombe à terre, ça-y-est c’est parti ! tu l’envoies. Elle sent que dans sa main le talisman bouge et toi, ça-y-est, tu sais qu’il faut que tu envoies le bruitage.

Yovan : Les bruitages doivent parfois être fabriqués : par exemple, à un moment il y a une luciole électronique, c’est forcément un cliché. J’ai en tête un son dans Star Wars, où il y avait une espèce de papillon sur Tatooine, une espèce de personnage volant. Tiens, le bruit des ailes, je me souviens de ça, alors on peut essayer de le retrouver – comme Louis adore Star Wars, il connaît peut-être la référence – ce n’est pas évident d’y arriver.

 

26. La musique et le conte. Louis et Yovan

Louis :
Ce n’est pas parce que la musique de Yovan a été écrite avant, qu’elle est totalement fixée. Il y a plein de moments où il joue des boucles et il fait pas mal de bruitages aussi pour correspondre à l’action sur scène.

Yovan :
Par la suite on a trouvé d’autres solutions : par exemple, contre un mur, un mur acoustique où il y a des trous (c’est plein de petits carrés dans le mur), et du coup on a mis nos doigts dedans, « Brrlrrlrrlrrlrrlrrlrrl », ça faisait un peu le bruit des ailes, ça fait une espèce de bruit de luciole électronique. J’ai fabriqué ce genre de sons. Sinon je suis aussi allé sur Splice où il y a des samples de sons, la Sonotec. Les sons qu’on a utilisés sont souvent des sons de la nature, après ça dépend des situations. À un moment donné, il y a une histoire de mousqueton quand Camille s’accroche à un câble, il faut trouver un son de mousqueton. Quand on ne peut pas le trouver en ligne, il faut le fabriquer, c’est encore un autre type de travail. À un autre moment, il y a les chasseurs d’éclair qui entament un chant, c’est ce qui est vraiment là dans le texte, donc j’ai fait un chant pseudo-grégorien, ce n’est pas vraiment ça, mais c’est quelque chose d’épique.

 

Scène 1 : Delphine, Louis et Yovan

Yovan :
Bon, là, ça manque un peu de bruitage, il faut entendre les éclairs.

Louis :
En fait, il faudrait des bruitages, mais il faudrait les avoir avant les éclairs.

Yovan :
Quand elle voit les chasseurs d’éclairs, ils sont déjà derrière elle, ils arrivent. Tiens ! ce serait bien que sur les chasseurs d’éclairs, où Delphine raconte quelque chose, il n’y ait pas de musique, et pendant qu’elle parle que la musique revienne petit à petit.

Delphine :
En fait, peu de temps après, je m’arrête de parler pendant deux minutes et je laisse la musique tourner.

Yovan :
La musique continue pendant que la chasse se poursuit. Il faut trouver des moyens de découper le texte en sections pour insérer des morceaux de musique ou pour le traiter comme un élément musical. Comme ça on accorde bien nos violons et ça fonctionne bien.

 

Yovan :
Je chante aussi un peu, j’utilise ma voix pour avoir des chœurs dans mes compositions (en réenregistrant ma voix) ou juste une voix, mais je ne me considère pas comme un chanteur.

 

Scène 2 : Delphine, Louis et Yovan

Louis : Pourquoi ne pas faire chanter le public ?

Yovan : Oui, mais à ce moment-là, est-ce qu’on ne va pas perdre la chose ? En fait, on va regarder en l’air et on va voir les chasseurs qui s’élancent pour chasser et je trouve que ce passage est bien comme ça.

Delphine : Louis et moi, on voudrait faire chanter les gens.

Yovan : Ben voyons ! il faudrait trouver un autre moyen, à un autre moment dans le spectacle.

 

Yovan :
Pour moi, c’était beaucoup trop d’idées, c’est ce qui a été difficile, en tout cas au début : décider de ce qu’on allait en faire. C’est que le rôle de Louis était d’imaginer les choses, c’était vraiment une bonne chose, parce que l’univers qu’il a voulu développer est très intéressant, mais il a amené tellement de choses en plus du scénario, l’idée de parler d’écologie, les dessins, la conteuse, la musique, la musique en live, plusieurs instruments (etc.), qu’il a fallu tout simplement faire des choix à un moment donné.

 

Scène 3 : Louis et Yovan.

Yovan : Tiens, ça pourrait être intéressant qu’à certains moments où Delphine raconte l’histoire, il y ait un interlude musical pendant telle ou telle promenade.

Louis : On peut essayer d’imaginer ces moments-là.

Yovan : Alors j’aurais au moins quelque chose sur lequel je puisse m’appuyer.

 

Yovan :
Donc, les choses se mettent en place petit à petit, parce qu’il fallait penser à tout, c’était notre premier spectacle, on n’y avait pas trop réfléchi. Louis avait ses concepts mais il n’avait peut-être pas toutes les clés de ce projet ambitieux. Mais c’est bien, au moins on a appris beaucoup de choses, on a découvert le monde des bruitages, et tout ça.

 

27. Les conceptions de Yovan sur la musique et de Maxime sur les dessins.

Yovan :
Je connaissais Maxime un petit peu avant. Je n’avais pas vu beaucoup de ses dessins, mais je savais qu’il travaillait dans l’architecture. Je le connaissais aussi via le Live Drawing Project de Louis. Les dessins de Maxime donnent tout de suite l’ambiance, un peu comme un roman graphique géant, c’est ce que j’ai bien apprécié. La question est alors de savoir comment doser le conte, la musique et les dessins. Parce qu’une fois qu’on a les dessins, certains disent : « Tiens, il en faudrait plus », et d’autre disent : « Il en faudrait moins, parce qu’on ne regarde pas la conteuse ». C’était très ambitieux parce qu’il y a tellement de choses, c’est la façon normale de travailler à faire un spectacle. Je n’ai pu voir les dessins que pendant les résidences, parce que Louis les reçoit et il doit adapter leur format pour les projeter dans l’espace dans lequel on travaille. Je me suis dit parfois : « Tiens ! ce serait bien qu’il y ait quelque chose un peu comme une scénographie dans un concert d’électro, où il y a telle image qui apparaît pendant la musique, enfin des calages ». Finalement, ça s’est transformé en tops : « Tiens là, je lance cette musique avec l’apparition des dessins, ce serait bien que tout de suite on soit dans la nouvelle ambiance ». Il y a quelques tops comme ça. Moi, j’aurais bien aimé que ça communique un peu plus, ça communique un petit peu quand même, mais je pense qu’on pourrait aller encore plus loin avec ça à l’avenir.

Maxime :
Ce que j’aime bien dans le conte et ce que je trouve hyper étonnant, c’est vraiment la construction hybride du projet. En fait, on ne se marche jamais sur les pieds et c’est la façon dont Louis a construit l’équipe. C’est lui qui arrive avec un récit qu’il construit au fur et à mesure, avec assez d’informations pour nous permettre d’inventer des choses. Parfois, quand il nous donne des infos, j’ai l’impression qu’il n’a pas vraiment l’image en tête. Alors, je me dis : « OK, je ne sais pas où je vais, mais je vais te montrer un truc, on va voir ». Je pense que c’est la même chose pour Yovan et pour Delphine, où en fait, on apporte nos idées, et après, dans l’échange, on fait légèrement évoluer les choses. Louis est quand même très souple sur ce qu’il veut. C’est-à-dire qu’il sait ce qu’il veut, mais il n’a pas besoin de contrôler la forme de ce qu’il veut. Parfois, je l’ai emmené là où il n’avait pas prévu d’aller, mais il a dit : « OK, ça va dans le sens de ce que je racontais ». Je pense qu’il a bien établi des liens entre nous et qu’on a chacun pu avoir notre « couloir » (entre guillemets) d’expression, qui, du coup, s’additionne sans se gêner, vraiment en s’amplifiant. C’est ça que j’aime bien dans ce projet, c’est qu’on travaille un peu chacun dans notre coin, moi, sur mon bureau, Yovan, je ne sais pas où, Delphine, j’imagine, sur son ordinateur pour écrire les textes et à la fin, on s’additionne et ça donne quelque chose d’encore mieux.

Yovan :
Le format de la composition était un petit peu comme dans la musique électronique, avec l’aspect répétitif qu’il peut y avoir dans la techno, dans la musique électro, et du coup il y a souvent un beat répétitif. La direction que j’ai prise, c’est de partir de quelque chose qui est basé sur un instrument organique, par exemple un instrument chinois qui ressemble à un banjo. Bref, l’idée est de partir d’un instrument de musique traditionnelle, et d’avoir en même temps cet aspect électronique. Je savais que de toute façon les morceaux ne pouvaient pas être trop longs, parce que on s’en est vite rendu compte que quand Delphine racontait l’histoire, et par rapport à tous les mondes que Louis voulait explorer, il serait impossible de s’attarder. Pendant la semaine de composition, je me suis dit : « Tiens ! ça serait bien que j’aie ces trois morceaux, parce que tout simplement je n’aurais pas le temps de faire le reste avant la première résidence où je suis censé avoir tout écrit. Je ne vais pas m’étaler trop sur chaque composition, et éventuellement comme il y a un côté très répétitif, ce sont des choses que je peux faire évoluer sur la longueur ».

Maxime :
Pour moi, c’est Louis qui est au centre du projet, j’ai eu moins d’interactions avec les autres, mais ça n’a pas forcément posé problème. Je trouve que les musiques marchent très bien avec les dessins et je pense que Louis a donné de belles indications. J’ai peu eu les sons à l’avance, donc je ne peux pas dire que les sons que j’ai reçus ont influencé ma façon de dessiner et je ne sais pas dans quelle mesure Yovan a été influencé par les dessins en cours que j’ai envoyés au groupe.

Yovan :
Avec les dessins de Maxime, à un moment donné il est question de vélocité, où en gros il y a un tour de vélo. J’ai regardé les images de Maxime et je me suis dit : « Ben là, ce serait bien qu’on arrive à faire comme avec une soirée électro où il y a la sono qui monte progressivement : au début, il y a le kick et la basse et puis petit à petit des choses se construisent », et ça m’a poussé à proposer cette idée.

Maxime :
Je pense aussi que certains dessins impliquent que la musique est très présente à certains moments caractéristiques : par exemple, à un certain moment, l’histoire se passe dans les nuages, avec des éclairs, c’était assez clair qu’il fallait représenter les choses pour le public. Donc, je dessine les nuages, les éclairs, et lui il a fait des sons d’éclairs, il y a ajouté une mélodie, je l’ai fait à ma façon graphique, lui l’a fait à avec ses sons et on s’est retrouvés au même endroit. Ensuite, il y a une marche dans la forêt, c’est pareil : moi, je vois bien ce que je dois dessiner comme forêt et lui, il voit bien ce qu’on attend aussi d’une forêt. La question à laquelle on doit tous les deux répondre est la même, on arrive à un résultat à peu près bien synchronisé.

Yovan :
J’essaie d’introduire des éléments musicaux, des samples ou des chants : à un moment donné, il y a un chant de musique grecque, à un autre il y a une espèce de cithare chinoise, pour chaque segment de musique, j’essaie de penser un petit peu de cette manière en mélangeant des instruments acoustiques à de l’électronique. C’est quand même assez libre, le postulat de base s’est vite transformé en quelque chose d’autre, car il s’agit vraiment de penser en termes d’illustration sonore de ce que Delphine raconte. Quand elle présente un univers particulier, j’essaie de coller un petit peu à cet univers, comme dans la musique de spectacle ou de film, d’illustrer par rapport au conte. La musique ne doit pas prendre le dessus sur la narration, même s’il y a des moments de musique qui viennent prendre le relais, pour qu’on sente que : « Tiens ! il y a un moment où on peut écouter de la musique avec des dessins c’est sympa », quelque chose comme ça. Il s’agit vraiment de ne pas penser uniquement à la cohérence d’utiliser une gamme ou un concept, mais en plus de se dire : « Tiens ! en fait, il faut surtout que ces différents moments de narration et de musique soient bien dosés ».

Maxime :
J’ai très peu d’échanges en direct avec Yovan, on n’en a pas le besoin. Je pourrais l’appeler, il n’y a pas de soucis, mais on n’a pas besoin de le faire. Alors qu’avec Delphine, il va y avoir plus d’échanges.

Yovan :
En gros, j’ai ma trame, j’ai une session Cubase. J’ai l’impression que ça me fait un petit peu ma conduite de spectacle. Je mets la conduite sur papier, c’est vraiment comme une setlist, j’écris très gros pour pouvoir la voir sur scène. C’est écrit sur une petite feuille discrète et j’ai tous mes éléments principaux sur cette setlist. C’est une automation des évènements, mais le problème, c’est qu’à chaque fois qu’on change d’endroit, parfois on est en 7.1, ou bien on va être en 4.1, donc je suis obligé de changer les choses. Avec mes automations, on va être au milieu, là, on va être tout à droite, là, on va être au milieu, au milieu à gauche, là tout à gauche. Avec la pluie par exemple, il y a d’autres bruitages, voilà, je les mets à gauche… Toute cette introduction, là, [il diffuse un court extrait] je la double au Sequential OB-6 (un synthétiseur analogique) parce qu’une fois que c’est dans les enceintes, ça manque de vraie présence analogique. Il y a des choses que je ne fais qu’au clavier où il n’y a que du bruitage [il joue un autre extrait]. Je presse sur les différentes touches pour déclencher différents effets sonores, c’est vraiment le bazar, je sais à peu près où je dois aller : je vais par-là, après je sais que je dois aller en bas pour déclencher les bruitages qui sont là.

 

28. Le conte et les dessins. Delphine, Maxime et Louis.

Scène 1 : Delphine, Louis et Maxime

Louis : Ben écoutes, Maxime, voilà, il faut que tu me dessines une forêt, c’est parti, avec des animaux dans la forêt, après il faut que tu me dessines des nuages, après il faut que tu me dessines…

Maxime : Ah ! oui, là, quand Delphine dit ça, il faut que je rajoute ça. Puis là, il faut absolument que je fasse la machine à la fin. Et puis il faut que je fasse un tableau de commande.

Louis : Là, il faut qu’il y ait des bulles qui s’agglomèrent à un câble.

Delphine : Ces bulles, je pense que ce sont des espaces de vie.

Maxime : J’ai dessiné les bulles avec du corail autour.

Delphine : Mais je ne comprends pas pourquoi il y a du corail autour ? Puis, qu’est-ce que tu as mis dedans ? Les bulles sont des lieux de travail pour le corail, il faut qu’on soit d’accord sur ce qu’on raconte, il faut qu’on raconte la même chose, toi en dessin, moi avec le texte.

Maxime : Cela ne veut pas dire qu’il faut dire et montrer les mêmes choses en même temps.

Delphine : Oui. Si tu dessines ça, ben du coup, je ne le raconte pas, on ne va pas faire deux fois la même chose. Et puis moi, ça m’allège, parce que je dis déjà beaucoup de choses. Dessine les chasseurs, l’éclair, il faut que tu les fasses, qu’on les voie, même si j’en parle dans le texte.

Maxime : On est tout le temps en train de se dire : qu’est-ce qu’on illustre et qu’est-ce qu’on n’illustre pas ?

Delphine : En général, dans le conte, rien n’est illustré visuellement, il n’y a pas de dessins. Ce que je raconte est laissé à l’imaginaire du public.

Louis : J’ai envie que les gens gardent un imaginaire, je n’ai pas envie qu’on leur donne tout. Le conte doit se baser sur l’imaginaire.

Delphine : Si on commence par tout leur balancer dans les dessins, alors je ne sers à rien, je ne parle plus : c’est un conte en dessin. Il faut que les gens puissent encore imaginer des choses. Donc on est toujours en train d’essayer de trouver un compromis sur ce qu’on doit illustrer.

Maxime : Parfois je me demande : « Ah ! je n’ai pas dessiné ça, c’est dommage, j’aurais bien voulu le faire. »

Delphine : Ouais !

Louis : Ben oui, mais plus on en dessine, et plus les gens en veulent.

Delphine : Tu vois, ce n’est pas facile de trouver un compromis. Qu’est-ce qu’on dessine ? Qu’est-ce qu’on laisse à l’imagination des gens ?

Maxime : Donc il y a beaucoup de choses qui ne sont pas dessinées.

 

Photo Valentine Bisschop
Photo Valentine Bisschop

 

Scène 2 : Delphine et Maxime, lors d’une résidence

Delphine : Louis m’a demandé de dire à ce moment précis : « des grosses bulles blanches ».

Maxime :
On décide d’un top pour que le dessin apparaisse quand tu dis cela. Top !

Delphine :
[Elle a le dos tourné à l’écran.]
Des grosses bulles blanches flottent sur l’eau et dans l’air.
[Elle se retourne et voit que les bulles sont noires!]

Maxime :
D’accord, tu colles bien au texte !

Delphine :
Mais non ! Je dois respecter ce qu’on a convenu avec Louis, je ne vais pas venir dire complètement autre chose que ce qu’on a décidé. Et du coup, en même temps, il faut que je colle aussi avec la musique, parce que Yovan, il doit parfois m’attendre. Il sait que là, il y a un top, et moi, je sais qu’il y a un top, il faut que j’y aille. Donc oui, il faut malgré tout que je respecte un texte, même si, je peux varier, même si je ne suis pas obligée d’employer tout le temps les mêmes mots, je peux rajouter des choses, je peux moduler. Mais il y a des choses qu’il faut que je respecte absolument, parce que je ne suis pas toute seule. C’est ça, on est trois dans l’histoire, en fait on est quatre.

 

Photo: AADN
Photo: AADN

 

Scène 3 : Delphine et Maxime

Maxime : Delphine, tu m’as envoyé au début cinq minutes de texte du spectacle et j’ai fait des dessins dessus. Mais il y a eu d’autres parties où tu n’avais pas vraiment écrit les choses et où j’avais pris de l’avance sur les dessins.

Delphine : C’est dans ce cas que je me suis inspirée des dessins pour des petits détails de narration, d’accroche, ce genre de choses.

Maxime : À un moment donné, il y a une ville et ce n’est pas évident de décrire une ville si on ne la visualise pas, donc, je pense que ça t’a aidé que je la dessine.

Delphine : J’ai pu mieux accrocher des petits détails à l’histoire.

Maxime : Il faut que je dessine une route, Camille avance à vélo sur cette route et elle dit qu’il faut qu’elle évite les racines. Pas de bol, je n’ai pas de racines narratives ! Moi, je ne peux pas te dessiner tes racines, à la place je vais dessiner une poule. Il va falloir que tu changes un peu ton texte. À un autre moment, il y a un vaisseau avec des bonbonnes, des paniers qui descendent, des choses comme ça, et je pense que comme tu n’as pas encore écrit le texte et que j’ai fait le dessin, tu peux directement baser tes descriptions dessus.

Delphine : Pour la ville, il y a des patios.

Maxime : Il faut plutôt parler de coursives ou de choses comme ça. Il est nécessaire de réadapter le vocabulaire de cette manière.

 

Maxime :
Mes dessins font partie du décor, ils viennent souvent appuyer la narration, mais souvent la narration et le dessin ne disent pas la même chose. Donc Delphine va passer beaucoup de temps à décrire les actions qui vont se passer et finalement elle n’aura pas trop besoin de décrire le décor puisque ce serait déjà une redite. Donc quand on arrive dans un amphithéâtre, elle va dire : « Voilà on est dans un amphithéâtre ». Mais finalement ça ne m’a pas spécialement contraint dans ce que je devais dessiner. Et ensuite, vu que l’amphithéâtre apparaît, les gens le voient et elle n’a plus du tout besoin de faire une description précise, elle va tout de suite raconter ce qui se passe dans cet amphithéâtre. Parce qu’on a aussi choisi de ne pas représenter l’héroïne du spectacle et de représenter très peu de personnages, sauf quand visuellement c’était assez fort ou que ça permettait d’enlever certaines ambiguïtés. Au départ on avait vraiment presque envie qu’il n’y ait aucun personnage, mais on s’est dit que c’était une règle qui était trop stricte et que, finalement, il n’y avait pas de raison d’être aussi dur à se l’imposer, que ce n’était pas grave, il pouvait y avoir des dessins de personnages. Donc Delphine et moi, on est côte à côte et le résultat est une amplification qui s’additionne sans jamais faire baisser la qualité, on s’est bien mis dans des rails qui ne se gênent pas.
Par exemple, à un moment donné, on a une femme géante qui apparaît et du coup j’ai fait un dessin géant. C’est quelque chose qui visuellement est assez beau parce que quand on est sous un dôme, je peux vraiment mettre un personnage très, très grand. Et ça marche très bien puisque dans ce cas-là, la conteuse finit par incarner l’héroïne qui est petite. J’aime bien cette ambiguïté, je ne sais pas dans quelle mesure elle est prévue à la base puisque la conteuse est censée être la narratrice. Mais forcément il y a des moments où je pense que le public la perçoit un peu comme le personnage principal, car elle parle parfois au nom de l’héroïne. Je pense que c’est aussi le rôle d’une conteuse : personnifier un peu tous les personnages et être en même temps narratrice. Le fait de ne pas mettre trop de personnages, le fait de ne pas représenter le personnage principal, ça a fait que le public ne sait pas si la conteuse est le personnage principal ou le narrateur, alors qu’en fait elle est les deux à la fois, en jouant avec cette ambiguïté. Je ne sais pas dans quelle mesure avec Louis, c’est assumé, mais je trouve que c’est bien.

On a eu un débat pour savoir s’il fallait ou non montrer les personnages. Concernant la figure géante on a testé avec le public et on a eu de bons retours là-dessus. À un moment on l’a enlevé et on a trouvé que c’était moins bien, on aimait bien quand elle apparaissait.

 

Photo: AADN
Photo: AADN

 

29. La sonorisation

Yovan :
En général, on joue avec un sonorisateur et on travaille sur cet aspect. À Nantes, on avait un excellent ingénieur du son, l’équilibre a été fait sur une semaine, on travaillait tous les jours. Dans certaines résidences on nous a dit au dernier moment : « On vous prête cette salle-là, par contre, vous n’avez pas de sonorisateur ». Delphine peut être tendue parce qu’on manque de temps avant la performance en public. Le son dans ce cas n’est pas très bon. L’équilibre entre la voix de Delphine et la musique est essentiel, s’il n’est pas très bon, ça peut porter préjudice au spectacle. On a donc beaucoup travaillé sur ce point.

Delphine :
Avant le « Conte d’un futur commun », ma voix n’avait jamais été amplifiée. Le guitariste avec lequel je jouais avait une guitare acoustique. L’amplification me fait un effet très bizarre, très étonnant, cela a changé ma relation au public : je peux parler tout doucement, je peux chuchoter, ça dépend aussi de la qualité de l’amplification, qui a été très bonne, par exemple, quand on a eu un bon ingénieur son et très mauvaise à d’autres moments.

Yovan :
Le problème, c’est qu’à chaque fois qu’on change de salle et d’équipements, et qu’on n’a pas d’ingénieur du son attaché au groupe qui sait déjà exactement ce qu’il faut faire en deux minutes, on doit s’adapter. Mais quand il y a un bon ingénieur du son, j’ai été bien aidé, notamment j’ai appris à me servir de Dante pour le mixage en 7.1. C’est une carte-son numérique qui est intégrée sur les tables de mixage des ingénieurs du son aujourd’hui et ça permet de ne pas avoir à prendre de carte-son dans son ordinateur, mais de passer par un câble ethernet et d’avoir directement sa balance en fonction du lieu. Avec Dante, on peut communiquer directement avec la table de mixage. Donc, j’arrive avec ma configuration 7.1, j’appuie dessus et si j’arrive dans une nouvelle salle qui a également Dante qui est en 4, parce qu’il n’y a que 4 enceintes, alors je n’ai qu’à changer ma configuration, je n’ai même pas besoin de faire de balance. Donc ça, c’est pratique, mais dans toutes les résidences on n’a eu ce système que deux fois malheureusement, il y a beaucoup de lieux qui n’ont pas Dante. J’ai maintenant installé ma carte-son numérique dans mon ordinateur pour pouvoir faire la balance quand ils n’ont pas Dante. En tout cas, à chaque fois, on se tire les cheveux pendant au moins une journée de préparation technique sonore et puis aussi la nuit avant de pouvoir commencer à travailler sur le spectacle.

Delphine :
Si l’amplification n’est pas bonne, ça peut être très pénible, parce que je trouve qu’il y a quelque chose d’intime dans ce spectacle. Si mon micro marche bien, je n’ai pas besoin de parler fort et pour moi, c’est un effort, parce que j’ai tendance à avoir de la gouaille.

Louis :
Delphine n’a pas encore l’habitude de parler dans un micro, c’est souvent un problème technique de retour audio. Elle ne s’entend pas bien, c’est un problème avec la sonorisation, il faut qu’elle s’entende aussi bien que le public l’entend. Il est clair que ce n’est pas la même situation que dans la tradition du conte. Si les gens du milieu du conte viennent voir ça, ils trouvent que ce n’est pas un conte du tout, parce que déjà, dans un conte on ne montre jamais d’images, il y a rarement de la musique et en général c’est une personne seule qui raconte son histoire face à un public, il n’y a pas de mise à distance avec le public. Le micro la met à une certaine distance du public, mais c’est aussi une autre situation qui est à double sens : d’une part, elle se met à distance dans sa façon de raconter le récit et d’autre part, après, elle revient très fortement vers le public quand elle va aller les chercher pour leur poser des questions.

Yovan :
À chaque résidence, il faut se réadapter, avec l’électronique, il y a toujours des soucis. Souvent, on ne sait pas pourquoi, il y avait deux enceintes qui marchaient sur quatre, enfin finalement on les a, c’est bon. Il y a l’image et le son à gérer. Quand il n’y a pas d’ingénieur du son et qu’il y a tous ces bruitages qui passent normalement dans 8 enceintes, mais que là il n’y en a que 4, ce ne sont plus les mêmes réglages. J’ai donc trois configurations, j’ai 5 points, 4 points et 7 points, et à chaque fois je dois me réadapter. Par rapport aux bruitages, il y a deux ou trois morceaux où j’ai fait ce qu’on appelle des Stems [29] , c’est-à-dire que j’ai séparé la basse de la batterie, des accords et des voix pour les mixer un petit peu. Tu peux faire passer la basse ici, la batterie là, pour que ça soit plus immersif. Mais en fait, ça ne me plaisait pas sur tous les morceaux, parce que parfois, je trouvais que ce n’était pas très intelligible, je préférais avoir une source qui sortait en stéréo, avec les bruitages derrière, sinon je trouvais que c’était trop éparpillé. C’est l’ingénieur du son qui m’a initié à Dante qui connaissait très bien tout ça. Il a essayé de remixer des morceaux, je lui ai envoyé les Stems de mes morceaux.

Delphine :
Mais quand on a joué à Paris, Marie-France Marbach est venue me voir à la fin et m’a dit : « Écoute, il faut que tu fasses une formation sur la voix, tu ne peux pas continuer comme ça ». Depuis, je fais une formation à Lyon, avec une dame qui s’appelle Mireille Antoine, qui est extra. Une dame avec un charisme incroyable et en même temps une grande humilité. Elle me fait bosser la voix qui a tendance à être toute en force. La voix est en fait très intime, donc elle voit tout de suite un peu tout ce que j’ai raconté tout à l’heure, elle me dit : « En fait, tu es toute dans la force, tu es une guerrière, tu as bâti tout, ton garant c’est la force, tu as mis tellement de soutènement, tu as tellement mis de carapace pour t’assurer de ne plus jamais être vulnérable. Et du coup, il va falloir qu’on fasse tomber les murs pour que ta voix vienne du ventre pour ne pas bloquer l’émotion. » Parce que ses propres émotions, ça ne sert à rien, ce sont les gens qu’on veut emporter. Et en plus c’est dangereux, parce que je me donne à corps perdu et après, mince, je me fais mal. Et ça peut être désagréable pour le public aussi parce qu’ils n’ont pas à porter ce poids-là. Donc c’est vraiment un travail de poser sa voix et aussi mettre une distance avec ce que je raconte, pour laisser résonner la voix et pas m’emporter. Gros boulot, mais c’est très intéressant.

Yovan :
Par exemple, un ingénieur du son a parlé à Delphine : « Là, tu parles beaucoup trop fort dans ton micro, il n’y a pas besoin de faire ça ». Mais elle a l’habitude de s’exprimer en acoustique, il l’a mis moins fort et elle a fait plus attention. Quand elle est un peu stressée, elle a tendance à parler plus fort, et puis, parfois la musique est trop forte par rapport à la voix, ce sont des choses que je peux contrôler. À Nantes, ça s’est très bien passé, il y avait un rythme qui fonctionnait, on avait une semaine pour répéter chaque scène, donc on était dans un équilibre qui fonctionnait mieux. Parfois, on s’aperçoit que dans une salle on est moins à l’aise, c’est le spectacle vivant. De toute façon, c’est comme ça.

Delphine :
J’ai tendance à parler fort, donc j’ai vraiment un effort à faire pour baisser la voix. Mais c’est vrai que la présence de l’ingénieur du son fait qu’il y a une responsabilité qui ne m’incombe pas, dans le sens où, l’air de rien, si le son de ma voix ressemble à une marchande de tapis, ça peut vite être perçu comme celui utilisé pour vendre de la lessive sur le marché. Donc dans ce cas, je n’y peux rien, j’aurais beau ne pas parler fort, essayer de mettre peut-être plus de musique dans ma voix, dans ce que je raconte, il y aura toujours ce son. Tu as beau parler moins fort, essayer de « na na na », le son est pourri.

 

30. Communication par Notion [30].

Maxime :
Nous utilisons Notion, un logiciel qui permet de partager les choses entre plusieurs participants. Par exemple, Louis me dit : « Là, avec Delphine, on a écrit un texte. Elle doit le remettre au propre et elle le met sur Notion et c’est ce lien-là. » Du coup, je clique dessus et je vois qu’effectivement, elle l’a mis à jour il y a une journée et que c’est la dernière version du texte. Et si jamais une semaine après, je veux reprendre le texte, si ça se trouve elle l’a modifié. Comme ça j’ai la version mise à jour, ça me permet de toujours travailler sur la dernière version.

Delphine :
Avec Louis, ce qui est bien, c’est qu’on communique avec l’application plateforme Notion, je peux écrire dessus et il peut y accéder de manière immédiate. Donc parfois, quand j’ai des questions, j’écris et puis je l’appelle, je lui dis : « Regarde ce que j’ai fait. Qu’est-ce que tu en penses ? »

Yovan :
Louis utilise Notion pour communiquer une série de ressources, des textes qui m’ont inspiré, notamment sur la biocratie. On en avait déjà parlé ensemble. Il faut interroger Louis sur la biocratie parce que c’est un concept qui l’a beaucoup inspiré, notamment pour les grands procès inclus dans le spectacle qui permettent à la nature, à une rivière, à un arbre, d’avoir les mêmes droits que les êtres humains et donc de pouvoir mettre en procès une entreprise comme Total. Ce concept correspond bien à l’idée du spectacle d’êtres humains qui se reconnectent à la nature. Il a mis beaucoup de ressources à ce sujet sur Notion.

Maxime :
J’ai tous mes dessins sur ordinateur et je les partage avec Louis sur Dropbox. Comme ça, je sais si Louis les aime bien – parce que moi, je ne le sais pas forcément, – mais effectivement, il a une petite notification à cet effet. Quand j’ai mis un nouveau dessin, je l’appelle, je suis fier de moi.

 

Scène 1 : Maxime et Louis

Maxime : Écoute, franchement, j’ai bossé, j’ai fait trois nouveaux dessins.

Louis : Oui, je sais, j’ai vu la notification sur Dropbox avant-hier.

Maxime : Ah ! oui, OK.

Louis : Oui, je l’ai regardé, c’est bon, nickel ! OK !

 

Maxime :
Et après, dans la façon de travailler, c’est vrai qu’avec Louis, on aime bien les outils participatifs, les logiciels participatifs, donc des espèces de to-do list que l’on peut consulter tous les deux, et de se dire : « Ah ! ça, je le coche, comme ça, il va voir que je l’ai fait ». Donc, je pense que déjà, ces outils-là améliorent grandement les choses. J’aime bien aussi le coup de téléphone informel pour parler de ceci et de cela, on peut aller beaucoup plus loin dans les choses. Je pense qu’il y a des éléments de messages qui sont importants, surtout quand j’envoie des dessins en cours pour avoir des remarques avant de les avoir finis. Les messages sont très utiles lorsqu’ils m’indiquent dans quelle direction je dois aller ou me donnent la possibilité de dévier le sens du courant. Et après, quand on est plus dans des phases de prospection, avec Louis, on va se voir ou on va s’appeler. J’estime que quand on ne sait pas quelque chose, ça ne suffit pas d’être juste sur WhatsApp, sur un groupe de conversation pour faire un projet. Ça passe forcément par se voir à certains moments. Mais une grande partie du temps de travail se fait en solitaire. Donc, c’est très hybride, il y a les temps forts pour discuter et après, il y a tous les temps individuels.

Yovan :
En fait, j’ai constaté que, dans les groupes avec lesquels je joue, on dit souvent : « On n’est pas sur Messenger, on n’est pas sur WhatsApp, on est sur Signal, c’est mieux. » Du coup, je reçois plein de liens et on me dit : « C’est vrai, on ne va plus sur ce genre de choses. » Notion est intéressant, oui, Louis aime bien tous ces moyens de communication, je ne suis pas tant allé dessus, mais c’est là où l’on s’envoie les choses et où l’on peut voir ce qui a été changé. Je pense qu’il y a plein de ressources intéressantes, mais pour moi c’est une question de temps. S’il y avait eu une année avec moins de trucs à faire, j’aurais eu plus de temps pour aller dessus. Et puis, comme on en parle déjà, et que je n’ai besoin que de quelques éléments pour écrire la musique, il me suffit d’y penser.

Maxime :
Pour ce qui est des logiciels que nous utilisons, c’est vraiment Notion, WhatsApp et Dropbox. Pour des formes de discussion, ça va vraiment être soit le groupe WhatsApp, soit moi qui appelle Louis et parfois ça peut m’arriver d’appeler Delphine pour le conte, mais finalement, moins, parce que c’est surtout Louis qui est en contact avec elle. C’est vraiment Louis qui maîtrise le flux des choses avec tout le monde. Et du coup, quand on l’appelle, il peut repasser les informations aux autres. C’est lui qui est au centre, les choses gravitent autour de lui. C’est pour ça qu’on l’appelle « le créateur » qui pilote un peu tout. Il n’écrit pas, il n’y a pas de contenu vraiment visible, même s’il crée le contenu et met en mouvement mes dessins.

 

31. Les résidences : LabLab, Chevagny, Vaulx-en-Velin, Enghien-les-Bains

Louis :
Je prévois mon planning de résidences à la minute à la minute près : le matin, on parle de ça, après chacun se présente, puis on fait une pause, on va marcher ensemble, après on revient, puis on travaille sur le début de l’histoire, etc. Je le fais quasiment dans toutes les résidences, qu’est-ce qui va se passer heure par heure. Et mine de rien, ça nous a bien servi de nombreuses fois où tu te retrouves perdu, tu es dans le dur, tu es en train de faire les choses, et là tu as la page blanche, tu ne sais plus quoi dire, quoi faire. Alors tu te dis : « Ah ! on avait prévu une balade dans la forêt », hop, balade dans la forêt, voilà. J’avais ce genre d’idées : le fait d’aller se balader, vu qu’au début l’histoire se passait dans la forêt, je voulais les emmener dans les arbres, faire de l’accrobranche et même dormir dans les arbres, mais je ne l’ai jamais fait. Là, j’ai retrouvé un de ces calendriers :

 

10h-11h : Présentation de nous et de notre univers.
11h-midi : Présentation du projet.
12h-13h30 : Pause déjeuner.
13h30-15h : Exploration libre du monde de demain, où on va.
15h-17h : Et surtout avec qui on y va.
17h-17h30 : Bilan de la journée, qu’est-ce qu’on fait demain ?
Si on ne sait pas quoi faire : demain, tour du village pour parler.

 

Abordons maintenant les résidences d’écriture, je les appelle « résidences émergences ». C’est d’abord le 6 et 7 janvier 2022. Après on s’est revu le 5 mai et le 6 mai 2022. On a eu une résidence musique avec Yovan et moi qui a finalement fini par une visio-conférence le 27 janvier 2022 avec nous quatre.

Après il y a eu une résidence « Déroulé du conte » les 23 et 24 juin 2022. Cette résidence était encore au LabLab, à Lyon. Nous avons beaucoup utilisé ce lieu. On est tous les quatre. Voici le planning préétabli :

 

10h. : Présentation des avancées de la trame narrative et retour, présentation de la musique et retour, présentation des dessins et retour, présentation du Live Drawing et retour.
11h30 : Identification des zones de contact entre musique et dessins, conte et participation du public.
12h. : Repas.
13h. : Installation, setup dessins et musique..
13h30 : Première scène.
15h30 : Deuxième scène.
16h30 : Pause.
17h. : Troisième scène.

 

C’était un peu ambitieux, je crois qu’on n’a pas réussi à finir le programme fixé. On a fini à 18h30. Et puis arrive le vendredi :

 

9h. : Retour sur le jour 1.
10h. : La scène 0 qui est l’accueil du public, on a beaucoup réfléchi à comment on allait accueillir le public, parce que cela faisait vraiment partie de l’immersion et de montrer les outils, comment ça allait se passer.
11h. : Enchaînement, scène 1, 2 et 3.
13h. : Présentation publique.

 

À la fin de la résidence, il y avait une présentation publique et après des retours, on était supposé retravailler un petit peu avant que tout le monde s’en aille. Mais on a pas du tout retravaillé après la représentation, on était épuisé. Donc, je me suis dit qu’il ne fallait plus jamais envisager de retravailler après une représentation.

En août 2022, notre première réelle résidence a eu lieu où à la fin, la totalité du conte va être présentée. C’était dans le cadre du festival « Chevagny Passions » [31], grâce à Antipode et à Chevagny Passions. C’est la première fois qu’on était payé. On a passé un jour avec Antipode, et au début, le mardi, mercredi et jeudi, on ne se voit qu’avec Delphine, et le vendredi Yovan arrive et on a travaillé tous les trois ensembles. Et on a joué une fois le samedi et deux fois le dimanche. Et là on arrive à présenter quasiment 20 minutes du spectacle, un peu plus. On a des retours hyper positifs du public, on joue pour chacune des trois représentations devant entre 60 et 80 personnes.

Maxime :
On avait fait une première résidence sans dôme à Chevagny-sur-Guye, et c’est là qu’on a pu tester l’idée d’avoir des dessins avec une conteuse, avec du son et avec un public qui a réagi assez favorablement à l’outil de participation. Finalement, on est quatre personnes, plus l’outil participatif qui amène les gens dans le récit.

Louis :
Les représentations étaient dans l’église, et j’avais récupéré le vidéoprojecteur du Live Drawing qui nous a permis de projeter les images sur tout le mur du fond de l’église. Tous les bancs de l’église avaient été enlevés et remplacés par des chaises longues, des poufs, des tapis. On a été très bien reçu.
La planification ça m’aide, parce que ça me sécurise. Disons que je ne me perds pas, et vu que je dirige une équipe, il vaut mieux ne pas avoir de blancs. Enfin, je sais qu’il ne faut pas que je me pointe en disant : « Ah ! ben là je ne sais pas ce qu’on fait ». Je sais que ça les déstabiliserait et ça ne leur ferait pas plaisir.

Ça marche, on est content et c’est juste un mois avant la résidence au Planétarium de Vaulx-en-Velin, où là on a deux semaines de travail. Le but était de faire 30 minutes de spectacle jusqu’au « Grand Conseil ». C’est la première fois qu’on adaptait les visuels pour le dôme, cela a pris énormément de temps. On a adapté la musique pour une spatialisation sonore et on a avancé sur l’histoire, en terminant la « chasse aux éclairs », en créant « la ville » et « le Grand Conseil ». On a également parlé du budget et du déroulé des interventions pédagogiques qu’on avait décidé de faire.

Maxime :
Il faut à chaque fois s’adapter au lieu, parce que si on change de salle, on change de taille d’écran, certains dessins se retrouvent un peu écrasés ou bien un élément du dessin est un peu trop important, il se trouve un peu trop sur le côté. Parfois quand on est sous un dôme, on peut voir des images derrière soi. Le public est soit orienté dans la même direction, soit les gens sont orientés tous vers le centre de la salle. Par exemple, il y a un moment où les gens doivent regarder deux chemins possibles et décider s’ils doivent prendre le chemin de droite ou celui de gauche. Mais si les gens sont face à face, il y a ce genre d’absurdités où pour la moitié des gens le chemin de droite, c’est le chemin de gauche. Heureusement, le gérant de la salle nous avait prévenu, il était venu à Paris, il nous avait dit : « Faites attention, cette image-là, elle ne marchera pas ». Donc j’avais fait en sorte qu’il y ait une flèche blanche sur le panneau de droite et une flèche noire sur le panneau de gauche, et on pouvait dire : « Bon voilà, vous prenez la flèche noire ou la flèche blanche ». Il y a plein de choses comme ça qui peuvent varier.

Louis :
La résidence suivante de 10 jours, s’est déroulée au Centre de arts d’Enghien-les-Bains.

Maxime :
Le temps de résidence, c’est super, parce que c’est le moment où l’on découvre vraiment ce qu’ont fait les autres. Yovan, il a très peu envoyé les sons préparés à l’avance, je les ai souvent découverts pendant les résidences. J’apporte mes dessins et ça peut m’arriver de prendre un calque et de redessiner un élément que je vais ensuite incruster dans le dessin. Je viens en résidence avec mes crayons au cas où il peut se passer quelque chose. J’utilise le logiciel Photoshop pour éditer les images dans la plupart des cas, mais je suis parfois obligé de les faire à la main. Lorsque je montre un dessin, il n’y a généralement pas beaucoup de réactions, tout le monde semble satisfait. Mais Delphine m’a dit un jour :

Delphine :
Ouais, ton dessin, c’est bien, mais en fait, ça manque de fleurs. T’es un peu tristoune, là, il faudrait mettre des fleurs.

Maxime :
Ben, t’as raison, je vais aller dans ton sens, ça ne m’arrange pas, mais… t’as raison, je vais mettre des fleurs ».
Donc j’ai dessiné plein de fleurs pour pouvoir les prendre une par une et après les intégrer dans le dessin. Et c’est mieux, c’est beaucoup mieux, donc ça m’a pris du temps mais… Maintenant qu’on est presque au bout, j’ai une liste de retouches comme ça à faire sur différents dessins où il faut que je rajoute des fleurs, que j’enlève des arbres, ce genre de choses.

Une fois que le spectacle commence, par contre, je n’ai pas grand-chose à faire, parce que mes dessins sont déjà produits, c’est Louis qui les anime. Je m’occupe alors de la gestion de la partie participative (les gens qui vont dessiner et tout cet aspect), ou bien de la mise en lumière. On avait fait un filage ensemble, une personne du lieu m’avait aidé, elle m’avait dit : « Tu vois, là, tu l’allumes, là, tu l’éteins ». Pour que ça ait du sens vis-à-vis du récit, il fallait que la conteuse soit parfois mise en avant par rapport aux dessins, et par contre, à d’autres moments, de l’éteindre pour que les dessins reprennent vraiment toute l’attention du spectateur. Ça, c’est un aspect intéressant que j’ai découvert, je trouve que ça enrichit bien le spectacle de pouvoir monter ou descendre la présence de la conteuse.

 

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Photo: Nicolas Sidoroff
Enfants regardant les dessins de Maxime
Photo: Nicolas Sidoroff

 
 
230618_1639dessins-CDAEnghienLesBains - Moyenne

 

 

32. La participation du public

Louis :
Et puis, il y a l’importance de l’interaction avec le public, comment on se sert de ce qui existe et qu’on maîtrise déjà, pour faire participer le public. À la base, ce n’était pas seulement pour leur faire faire des choses comme créer le décor, mais aussi que les gens puissent vraiment faire passer leurs idées par le dessin. Dans le Live Drawing, on leur pose des questions pour donner des thématiques de dessins et après ils dessinent. On s’est aperçu qu’au début, pour que les gens commencent à dessiner, il faut être très simple, mais après, on peut aller très loin, les gens vous suivent et ils te sortent des trucs stupéfiants. Quand j’étais en train de créer le « Conte », j’ai toujours pensé que les évènements réalisés avec le Live Drawing pouvaient m’aider à trouver comment faire participer le public pour le conte, par exemple en proposant des thématiques de dessins comme : comment tu vois le transport du futur, comment tu vois les choses…

Maxime :
Il y a la question du mur qui existe entre la scène et le public et comment tenter de partiellement le supprimer. J’ai l’impression que le mur n’existe pas, mais je me rends compte qu’on a quand même un petit filtre, un calque, il y a quand même entre les deux un écran. Quand on a cherché à faire des projets en numérique, nous avons vu beaucoup de choses qui dépendaient d’une seule télécommande, il fallait des queues de 50 personnes qui attendaient pour accéder à l’outil technologique. On a pensé que le Live Drawing était une bonne idée parce que cette fois-ci, c’était vraiment participatif, c’était tout le monde qui faisait des choses en même temps. Donc d’un côté on a toujours un mur des plus fins, puisqu’on utilise le téléphone, mais on a quand même au moins rendu le truc accessible à tous. On a poussé cette idée, parce que c’est ce que les festivals attendaient de nous. Ils nous ont dit : « Ce qui nous a plu, c’est le fait que tout le monde fasse les choses en même temps, l’année dernière il y avait 50 personnes qui attendaient, c’était hyper frustrant pour tout le monde ». Alors on a dit, « Ah ! Banco ! » Il y a toujours une limite, c’est que c’est anonyme : les gens dessinent, mais ils peuvent complètement se mettre dans un canapé, dessiner dans leur coin, ou faire des dessins sans intérêt pour être projetés sur le mur en Live Drawing qu’on est obligé de supprimer sans savoir qui l’a fait. De cette manière, on casse le mur puisque tout le monde est proactif de l’œuvre, mais en même temps il y a encore un petit filtre dans le sens où les gens étant anonymes, ils ne sont pas complètement tenus responsables de leurs actes. Et en même temps c’est ce qui les débride aussi, je leur disais : « Allez-y, de toute façon si vous faites un dessin pourri, personne ne saura que c’est vous qui l’avez fait, vous n’aurez pas à le montrer à votre fils à côté de vous, il ne le saura pas, et au moins vous aurez essayé ».

Louis :
Concernant la participation du public et le Live Drawing, j’ai fait des allers-retours avec Maxime Touroute et Rémi Dupanloup. Entre-temps on avait fait un autre projet intitulé « la Bulle du personnel », un projet institutionnel pour un hôpital où on voulait créer un mur de cartes postales interactives. Maxime Toutoute et Rémi, qui ont développé ce projet, ont repris le Live Drawing et y ont rajouté de nouvelles briques à l’intérieur : notamment la possibilité d’insérer du texte. Et du coup, je me suis dit : « Ça serait très intéressant que les gens puissent écrire au lieu d’utiliser uniquement le Live Drawing ». J’ai adapté mes envies de participation du public en fonction des outils que j’avais. Je n’ai pas pu changer, je n’ai pas pu repartir de zéro, parce que j’avais trop de contraintes, mais j’ai quand même réussi à faire écrire les gens, notamment sur les grandes lois du futur.

Delphine :
Je ne me sens pas si loin des gens présents dans le public, parce que je leur demande leur avis. Je sens la présence du public, je sais qui est là. On les aide à se connecter, on leur demande s’ils sont bien installés. Et après quand je leur demande justement leur avis, est-ce qu’on prend le chemin de gauche ou de droite, souvent je prends vraiment le temps de dire « C’est bon vous êtes tous d’accord ? Quelqu’un n’est pas d’accord ? » Et l’air de rien j’ai envie de tisser cette relation.

Louis :
Le but de ce projet, ce n’est pas forcément de faire participer les gens, le but du projet c’est de les projeter dans un avenir désirable et de les amener à y réfléchir. Et pour qu’ils y réfléchissent, je leur propose de participer pendant le spectacle, et de commencer à les engager dans ce processus. Pour cela, j’utilise une graduation dans la participation :

    1. Avant le début du spectacle, ils dessinent des étoiles sur leur téléphone pour les introduire à la situation.
    2. Après, ils voient leurs étoiles apparaître sur le mur, donc ils comprennent que ce qu’ils font sur leur téléphone, ça va servir dans l’histoire.

 

Photo: Valentin Bisschop
Photo: Valentin Bisschop

 

  1. Ensuite, je leur fais dessiner la pluie, c’est le même principe, mais là, ils voient que leur image s’anime et qu’elle interagit avec le scénario.
  2. Et après ils choisissent un chemin, donc là ils sont vraiment dans une participation en disant oui ou non, un choix simple qui va faire évoluer l’histoire.
  3. Et après, on leur a posé des questions en direct, en leur disant par exemple : « Voilà, dans le monde du futur, que fait-on des gens qui ne respectent pas les règles ? ». Donc là, on commence déjà à avoir une interaction plus profonde et surtout qui va les mettre en réflexion sur comment ça se passe effectivement quand il y a un conflit, quand il y a quelqu’un qui ne respecte pas les règles, comment ça pourrait se passer alors, dans un futur désirable (on le reprécise bien à chaque fois), surtout quand on a des élèves, qui veulent pendre les gens.
  4. Puis, après le Grand Conseil – là, c’était vraiment ce qui me tient le plus à cœur et c’est ce que j’essaie de conserver – on leur demande d’écrire une loi qui pourrait aujourd’hui nous servir à atteindre ce futur désirable.

Maxime :
Avec le « Conte d’un futur commun », on est allé un peu plus loin en demandant aux gens de participer à un véritable débat, en s’adressant directement au public : « Là, qu’est-ce qu’on fait, comment on avance dans l’histoire, allez-y proposez-nous des choses ». Donc, il y a une période où le public doit assimiler ce qu’on leur raconte, il y a des temps ouverts où ils sont sur leur téléphone anonyme, et il y a au moins une période où on rallume même la salle pour avoir un débat. Cela veut dire que le mur de séparation entre la scène et le public constamment monte et descend, il y a plusieurs couches, mais on ne peut pas dire que le mur s’enlève complètement. Mais je pense que si on ouvrait trop, on ne pourrait pas raconter notre récit avec les valeurs que Louis voulait porter.

Louis :
Et je pense que le Grand Conseil, quand on explique la biocratie et au moment où on les fait participer, c’est vraiment au cœur de ce que je voulais faire. Je pense effectivement qu’on pourrait aller plus loin dans la participation, et on pourrait le faire différemment, mais en tout cas, je me dis que s’ils arrivent à penser à une loi dans le cadre de notre société démocratique actuelle pour que le monde devienne meilleur, ça veut dire qu’on ne va pas faire une révolution par la violence, mais plutôt une révolution plus bienveillante. C’est vraiment un truc qui me motive et j’ai envie de montrer aux gens que le système a certes ses défauts, mais que l’on pourrait trouver à l’intérieur de ce système des solutions pour réussir à évoluer de manière positive.

Delphine :
Même si le téléphone portable est un appât à adolescent, parce que quand on dit aux gamins « Vous allez pouvoir dessiner sur votre téléphone », ils disent « Ah bon ? » ils veulent aller voir ce spectacle. C’est dingue hein ! Alors qu’en fait, ils ne font pas grand-chose dessus : ils dessinent la pluie. À la fin du spectacle à Nantes, une dame est venue me voir et elle m’a dit : « Dites donc, c’est un peu de la triche votre utilisation des téléphones, c’est un peu pour attraper les jeunes, parce que personne ne choisit rien du tout dans cette histoire ». J’ai dit « oui », parce que je n’allais pas lui dire le contraire, elle avait tout vu.

Maxime :
On doit faire attention à comment on communique notre histoire, parce que si on vend trop le côté participatif du conte plutôt que la narration, les gens risquent d’être déçus. Au départ on avait un peu vendu le spectacle en disant « C’est un jeu vidéo, vous êtes actifs sur l’histoire ». Il me semble que ce n’est pas un jeu vidéo où à tout moment le public prend un joystick et déplace des choses. On a décidé qu’il ne fallait pas trop baser la communication sur cet aspect, parce que les gens risquaient d’être déçus par quelque chose ne correspondant pas exactement à ce qu’on fait. Quand on commence une création, on a beaucoup d’ambitions et une fois que la création a jailli, il faut se dire que même si on aime bien ce qui a été créé, ça ne correspond pas à l’ambition de base du projet. Il faudrait que ça corresponde à ce qu’on veut faire. On a donc beaucoup travaillé sur ce côté participatif, mais maintenant c’est plus un des ingrédients que l’élément fondateur du spectacle.

Concernant la question d’une contradiction possible dans les relations avec le public entre le caractère intime du conte et les technologies utilisées, ce qui est intéressant c’est de prendre vraiment le problème dans l’autre sens. Dans l’appel à projets immersifs, il y avait beaucoup de gens qui postulaient des choses très technologiques, leurs lignes de pensée ne quittaient pas vraiment l’ordinateur. Et le fait d’introduire l’idée du conte veut dire qu’on amène un élément archaïque dans l’univers très technologique des arts numériques. On a proposé un projet qui n’est pas technologique et pareil pour les dessins qui sont faits à la main. Donc, plutôt que d’avoir entre guillemets « numérisé » le conte et les dessins, on a rendu plus humain les arts numériques. En tout cas, moi je ne m’attendais pas à ça, mais les gens qui nous ont soutenus nous ont dit : « C’est ça qu’on a apprécié dans votre dossier, c’est le fait que vous nous proposez des univers qu’on ne pensait pas pouvoir faire cohabiter. » C’est encore le fait de Louis d’avoir eu cette intuition de rafraîchir un peu les arts numériques en montrant qu’ils peuvent être appliqués de plein de façons différentes. C’est vrai que dans le « Conte d’un futur commun », on est dans une tension, parce qu’on veut raconter une histoire, et en même temps on veut faire participer les gens. Donc l’équilibre à trouver est très délicat. On a trouvé un équilibre où peut-être on pourrait ouvrir encore plus à la participation du public, et en même temps, à partir du moment où on s’est fixé un récit, on va forcément plus ou moins d’un point A à un point B, où en tout cas on n’a pas 10.000 entrées. Cela referme un peu la question de la participation.

 

33. La résidence d’éducation artistique et culturelle à Hennebont. Louis, Delphine et Yovan.

Louis :
Une autre forme de participation a été expérimentée dans la résidence dans les écoles d’Hennebont (Bretagne), c’était une résidence EAC (Éducation artistique et culturelle – Affaires Culturelles) [32] qui a duré 10 jours dans le cadre collège-lycée-primaire avec Delphine et moi. Nous avons travaillé tous les deux quasiment huit heures par jour pendant cette période dans plein de classes différentes. La participation du public s’est inscrite dans une autre forme de temporalité : avec le « Conte d’un futur commun », le public n’est là que pendant une heure, c’est sûr que le spectateur d’une heure va potentiellement moins réfléchir que les élèves des écoles primaires et secondaires qui travaillent à ce projet artistique pendant toute l’année et qui est en plus encadré par les professeurs qui en parlent avant notre arrivée. Cela veut dire que quand c’est bien fait, comme à Hennebont, ils ont déjà passés quatre mois à réfléchir à ça dans différents cours, en tout cas en arts plastiques. Et après, j’en remets une couche, je demande aux élèves : « Qu’est-ce que vous aimeriez dans le futur concernant votre habitat, qu’est-ce que vous aimeriez comme moyen pour vous déplacer ? » Et je leur montre les éléments du spectacle : « Nous, on a pensé que ça serait comme ci ou comme ça, mais vous, comment vous le voyez ? » Et généralement, si on montre aux gens quelque chose sur laquelle ils peuvent réfléchir, le niveau de réflexion remonte à l’évidence. Les deux situations de participation, se produire devant un public et enseigner dans les écoles, sont tout aussi importantes pour moi. Peut-être que les élèves ont plus de temps pour y penser.

Delphine :
Il y a eu cette résidence à Hennebont dans les écoles primaire et secondaires. Ils ont dessiné des choses qui ont ensuite été projetées pendant le spectacle. Pour lier tout cela à notre spectacle, je résume brièvement l’histoire du spectacle qu’on va présenter. De toute façon, au départ, on fait toujours une présentation générale avec Louis.

 

Scène 1 : Delphine et Louis. Introduction devant les élèves.

Louis : Voilà, on a un spectacle qui s’appelle « Conte d’un futur commun ».

Delphine : On imagine un futur qui soit désirable, na-na-na-na…

Louis : Vous allez travailler sur du conte avec Delphine, puis vous allez faire du numérique avec moi.

 

Delphine :
Du coup, après, on se retrouve et puis, selon les situations et les classes, on décide de notre ligne, de notre objectif, qu’est-ce qu’on attend d’eux à la fin de la journée : est-ce qu’on veut qu’ils racontent quelque chose, qu’ils produisent des choses ?

Louis :
Avec les classes de SES [Sciences Économiques et Sociales] j’ai travaillé sur les modes d’organisation de la planète pour la prise de positions collectives dans le futur, quels modèles économiques, quels types d’échanges commerciaux et diplomatiques entre les communautés, quels types de travail et d’emploi. Dans toutes mes interventions généralement, je parle de comment on va habiter dans le futur (surtout avec les petites classes), et comment on va se déplacer, se transporter entre les endroits. Je m’intéresse à l’Intelligence Artificielle et j’ai donc pas mal parlé de la génération d’images par l’IA qui n’était pas très en rapport avec le projet du Conte, mais qui m’intéressait à ce moment-là.

Delphine :
Avec une classe, on avait produit des procès. Ils travaillaient en petits groupes, ils avaient le droit de prendre leur téléphone, mais pas pour aller là où ils vont d’habitude, mais pour aller sur des moteurs de recherche, à la recherche de procès. Donc il fallait une victime, un coupable et un procès, une cause. Et il y a des filles très bien fringuées, qui sont venues pour faire le procès de Zara, H&M et ASOS, génial ! Et je leur disais, « Vous le direz à vos copines ». Elles ont découvert (et je l’ai appris d’elles) que ce sont les Ouïgours de Chine qui font toutes ces fringues dans une pauvreté extrême et tout le monde ici les achète. « Moi, tu vois, j’achète les fringues sur Vinted et il y a plein de fringues à acheter, c’est dingue ! [Murmuré :] Et en fait tout le monde achète ses fringues là-dessus quoi. [Voix forte :] Ç’est à très bas prix. » Donc elles ont découvert ça, et je trouve ça chouette aussi que les gosses se mettent en petits groupes et cherchent sur leur téléphone, parce que c’est un outil qu’ils ont tout le temps. Tout le monde a un téléphone, quand on dit « Prenez votre téléphone », il n’y a pas un qui dit, « Mais moi, je n’ai pas de téléphone ». Par contre ils ne sont jamais allés chercher ce genre de choses, ils sont juste sur les réseaux sociaux, ils ne vont pas s’en servir pour autre chose.

Louis :
A certains moments, Delphine et moi étions ensemble devant une classe, mais la plupart du temps en solo avec les classes. Et c’étaient des interventions très courtes, les plus longues duraient trois heures. Donc j’ai fait un aller-et-retour : je suis resté une semaine, et je suis retourné à Lyon, six heures de train, puis je suis retourné là-bas pour deux jours pendant lesquels on a fait cinq représentations, un marathon de fous. Yovan nous a rejoints à ce moment-là. Lors des performances, j’ai intégré tous les dessins que les élèves avaient faits.

Delphine :
L’éducation artistique m’intéresse beaucoup. Avec les enfants du primaire, je n’ai fait que de leur raconter des histoires, parce que c’est qu’ils voulaient. J’ai essayé de reprendre les bases du spectacle. Ils ont fait quand même du dessin, ils adorent les dessins, les gamins. En fait, on ne leur raconte pas tant que ça. J’ai commencé par leur demander : « Si vous deviez faire de grands procès pour que le monde soit meilleur demain, qu’est-ce que ça serait ? Qu’est-ce qu’on peut imaginer ? »

Louis :
Les élèves avaient essentiellement à dessiner des choses. En amont, les professeurs avaient travaillé sur le projet, sur les avatars du futur, leur habitat, les élèves avaient déjà commencé à décrire ces choses, ils ont dessiné leur habitat du futur, leurs personnages du futur (etc.) et je les ai intégrés dans les dessins de Maxime. Ça m’a donné énormément de travail ! Je ne le referai plus jamais ! Ça m’a pris dix heures de détourage, je ne sais pas combien de milliers de dessins, c’était insupportable. Enfin « insupportable », ce n’était pas insupportable, mais ça m’a vraiment fatigué. Après, ça m’a permis de recalibrer mes interventions, en me disant : « Ah ! Un seul dessin par classe ! »

Delphine :
Alors, on a eu toute cette discussion sur la peine de mort, ça a été terrible ! Ils étaient tous pour la peine de mort. C’est compliqué, hein ! Du coup on a passé une séance entière à discuter de ça. En fait, aujourd’hui on ne parle plus de la peine de mort dans les écoles, les profs m’ont dit qu’ils ne le faisaient plus. Moi à l’école, on m’a bassiné sur la peine de mort. On en parlait beaucoup, on a lu des textes, “na-na-na na-na-na”, Victor Hugo, “ta-ta-ti ta-ta-ta”. Aujourd’hui on n’en parle plus, donc les gamins, ils écoutent des émissions à la télé.

 

Scène 2 : dans une classe avec Delphine

Une élève : J’ai vu à la télé un gars qui racontait qu’une fille avait été violentée, et que le coupable, on ferait mieux de le pendre.

Une élève : Il a raison.

Un autre élève : Oui, il a raison.

D’autres élèves : Il a raison !

Une autre élève : Il y en a qui font de la prison, ça ne sert à rien, ils sont trop heureux en prison.

Delphine : Ah ! oui comment tu sais qu’il est bien en prison ? T’es déjà allé en prison ?

L’élève : Non mais je veux dire, en prison il a à manger, il a à boire, il a un toit.

Delphine : Et toi si tu étais accusé d’avoir violenté quelqu’un mais que ce n’était pas toi, mais que tout le monde dit que c’est toi, et que t’allais en prison ?

Un élève : Ah ben non ! mais pas moi, ça ne peut pas m’arriver !

Delphine : Ah oui ?

L’élève : Non.

Delphine : Ça ne peut pas arriver à toi, hein, ça n’arrive qu’aux autres !

Une élève : Les autres, ce n’est pas grave si ça arrive aux autres.

 

Delphine :
Les professeurs m’ont dit par la suite qu’en fait, ça a fait du bien d’en parler parce que ce sont des choses qu’ils gardent pour eux. Donc ils ne disent rien à personne, ils sont sûrs d’eux, ils sont sûrs de leurs petites conceptions. Et du coup, d’en discuter, ça bouge les choses. Mais du coup c’est difficile à amener parce qu’il ne faut pas non plus juger ce qu’ils disent, justement un espace de parole c’est un espace où on laisse parler. Et il y a des perles dans ce qui est dit comme : « Non, mais ils devraient s’arrêter à l’iPhone X et après ça ils devraient arrêter d’en faire. » J’ai dit : « Oui d’accord. »

Le fait que je n’ai pas aimé le lycée, d’avoir été en marge, est la cause que je n’ai pas d’a priori sur les élèves. À la limite, parfois je trouve ceux qui sont en marge les plus intéressants, pourtant ce sont tous les élèves qui m’intéressent. Comme je n’ai pas une grande estime de moi, je n’ai pas de préjugements comme en ont parfois les intellectuels face à ceux qui n’arrivent pas. Et à cela, j’y tiens beaucoup. Ce que je retiens du cirque, c’est la position du corps : c’est que déjà, on s’assied, on met les pieds sur le sol, on a tous le dos droit et puis on est là tous ensemble. On n’est pas comme ça [elle montre une position avachie], s’il y en a qui veulent vraiment rester comme ça, ce n’est pas grave. Mais, je veux dire qu’on est là, présent, avec son corps et puis il y’a le travail de respiration, le travail de rester le dos droit, de lancer ce qu’on veut dire là où on veut le dire – [murmuré] parce que si on parle comme ça, personne ne comprend rien – [voix normale] et du coup, ça leur sert aussi à l’école après, parce que quand ils passeront l’oral, le grand oral, ils sauront parler. Au départ, on va juste dire leur prénom et puis leur demander s’il y en a qui sont gênés pour parler en public, parce qu’il y en a qui le sont et d’autres qui ne le sont pas du tout. Il ne faut pas laisser parler tout le temps ces derniers alors que ceux qui ne parlent pas restent silencieux, donc il faut gérer cet aspect et puis fixer des règles. Je mets des règles dès le départ : on ne se moque de personne ici, on a le droit de dire ce qu’on veut, ça ne sort pas de cette salle, ça reste entre nous. On peut discuter, mais on n’est pas là pour dire n’importe quoi, c’est un espace de liberté, on respecte les autres, pas de moquerie, je ne le supporte pas. C’est plutôt le cirque qui m’a apporté cette posture qui implique beaucoup le travail du corps, et c’est aussi le conte où le travail du corps est lié à la parole. Et puis, je leur raconte des histoires et je leur demande ce qu’ils en pensent. Évidemment, je ne vais pas raconter les mêmes histoires aux ados et aux primaires.

On a travaillé avec les partenaires, les instits. Par exemple, on a bossé avec une professeure d’espagnol. Donc je les ai mis en cercle et puis on a cherché des mots pour imaginer en espagnol, par exemple, le Propel Stretch. Je leur ai expliqué ce que c’était et puis ils ont commencé à chercher dans le dictionnaire, ils se sont éclatés. Moi je ne sais pas du tout parler espagnol, donc ils essayaient de prononcer des choses, et je leur disais : « Comment ça se dit ? Ça je ne connais pas ». Donc les gosses essayaient de le dire. Et là, la prof m’a dit : « Les cours d’espagnol n’ont jamais été aussi bénéfiques que celui d’aujourd’hui ». Parce que c’est une autre approche, on a cherché un vocabulaire pour des habitats du futur en espagnol. Tout est possible en fait.

Maxime :
Il y a eu une résidence à Hennebont avec des lycéens, je n’y étais pas, et je pense que ça a dû avoir une influence sur l’écriture, parce que Louis en est revenu en me disant : « Ils ont lâché des idées incroyables, ça nous a donné plein de pistes ». Donc, ça a peut-être orienté un petit peu l’histoire, mais ils ont aussi beaucoup dessiné. Et cela ne correspondait pas complètement à ma pratique, parce qu’il ne faut quand même pas oublier que le dessin est une pratique solitaire qui se fait avant de pouvoir se retrouver en collectif. Je pense que les musiciens ne sont pas aussi solitaires, parce qu’il y a des temps de répétitions, il y a effectivement des temps de pratique personnelle, mais je pense que le collectif intervient plus souvent. Je travaille en solitaire avant d’apporter de nouvelles briques au travail collectif de l’équipe.

 

34. Les résidences (suite) : Paris, Nantes.

Louis :
La prochaine résidence a eu lieu à Paris, à la Cité des Sciences. C’était une résidence de cinq jours et je n’avais fait un planning que pour le premier jour :

 

9h. : Installation
10h.: Internet test
11h.: Video test
12h. : Lighting test
13h. : Pause déjeuner

 

Ah ! oui et là, il y avait Émilie Baillard qui est une metteuse en scène, je lui ai demandé d’avoir un regard extérieur sur les déplacements de Delphine sur scène. Elle est venue, et ça nous aurait demandé une résidence entière alors qu’elle n’est restée qu’une journée et on avait plein d’autres trucs à faire. À Paris on n’arrive à montrer que trois minutes ou quatre minutes de plus.

 

Scène 1 : Delphine et Louis

Louis : Bon ! Il va falloir qu’on avance, hop !

Delphine : Oui, allons-y.

Louis : Il va falloir qu’on avance un peu, parce que c’est chaud là, on n’a pas réussi trop à avancer depuis la dernière fois, il faut qu’on finisse l’histoire pour Nantes. C’est notre dernière résidence dans le cadre de l’Appel à projets immersifs de l’AADN.

Delphine : On peut se revoir avant d’aller à Nantes.

Louis : Il faudrait envisager deux résidences d’écriture de deux jours à Lyon.

Delphine : Je peux venir à Lyon parce que je prends des cours. On peut essayer d’arriver à la fin de l’histoire.

 

Louis :
À Nantes, Yovan, Delphine et moi sommes présents tout le temps. Et là, les journées n’étaient pas organisées très précisément, comme d’habitude je crois que j’avais fait un planning un peu complet. Et là on enchaîne bien le conte de bout en bout, parce qu’on arrive à la fin. Les deux derniers jours on fait deux restitutions publiques le jeudi soir et le vendredi soir, avec la totalité du spectacle, même s’il nous manque encore des dessins, même si Delphine lit son texte. Peut-être que je ne l’ai pas mentionné jusqu’à présent, mais il faut souligner le travail énorme qu’a fait Delphine. À Nantes, les journées de travail ne se terminaient pas à 18 h. mais bien plus tard dans la soirée. Il y a beaucoup de moments où Delphine et Yovan ont travaillé ensemble, pendant que je suis en galère avec mes dessins, et du coup je n’ai pas le temps de faire des choses avec eux. Ce qui est super avec Yovan, en tant que musicien, c’est qu’il a un sens du rythme, et du coup, il peut dire à Delphine :

Yovan :
Là, tu vois, quand je joue ça, toi il faut que tu dises ça.

Louis :
Et il fait beaucoup d’allers-et-retours avec Delphine là-dessus. Il y a beaucoup de moment où il doit caler des trucs.

Yovan :
Ah ! non, c’est là ! exactement !

Louis :
Ils se font des enchaînements de la pièce tous les deux. Pendant les répétitions, je travaille souvent sur des dessins qui n’ont rien à voir avec ce qu’ils sont en train de faire. Souvent, je travaille beaucoup tout seul, j’ai beaucoup de moments où je dois caler des choses qui ne marchent pas, je refais, ça ne marche pas, je refais… ça ne marche pas ! Au bout d’un moment, ça finit par marcher.

 

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Le poste de travail de Louis pendant la perormance
Photos: Nicolas Sidoroff

Louis :
De temps en temps j’appelle Maxime. Et je dois m’occuper de tout le reste aussi : l’animation des dessins, la vidéo, tout ce qui fait partie de la participation du public, je cale à chaque fois ce qui va apparaître sur les téléphones portables, ce qui va apparaître sur l’écran, tous les changements que cela implique, parce que ça change tout le temps au fur et à mesure, il faut changer les questions adressées au public, il faut changer l’interface, etc. Il y a plein de choses à changer avec le Live Drawing que je connais maintenant très bien. Et je fais aussi la lumière. Ça fait beaucoup de choses à faire, et c’est moi qui gère la technique, par exemple c’est moi qui gère le son de Yovan quand ça ne marche pas. Enfin lui, il regarde, il fait des choses, mais généralement c’est moi qui vais mettre les mains dedans.

Yovan :
Louis met aussi la main à la pâte, sinon ça ne marcherait pas. On le sait maintenant que pour un spectacle comme ça, il faut quelqu’un qui soit un permanent pour s’occuper des aspects techniques du son et de la musique, au fond ce n’est pas trop demander. Ce projet m’a permis d’apprendre beaucoup de choses à la fois et franchement, c’est ce qui pour moi était intéressant. Tout l’enjeu à chaque fois c’était de se dire : « Ah ! là, ça n’a pas marché ! » Ça prend une journée de préparation et puis le lendemain, on se remet dans le rythme du spectacle. En fait, à chaque fois, il faut se familiariser avec le lieu, une fois qu’on est bien dans le lieu, qu’on a nos équilibres sonores, tout va bien se passer.

Louis :
Puis voilà, à la fin, je me retrouve souvent tout seul à désinstaller. C’est à moi de remettre les choses en ordre, mais j’ai un peu l’habitude, ça fait partie du rôle du régisseur au début et à la fin après que tout le monde est parti.

Yovan :
On a fait vraiment le truc à trois, parce que le spectacle était toujours en cours d’écriture, enfin, il s’écrivait au fur et à mesure, ce n’était pas une situation genre « bon voilà j’ai écrit ça, maintenant débrouille toi ». Au départ c’est comme ça que j’ai vraiment fait avec le texte de Delphine en composant la musique dessus. C’était une bonne façon de faire mais au bout d’un moment, il devenait urgent de se rencontrer. Les résidences ont été l’occasion de travailler ensemble, notamment à Nantes où le texte n’était pas encore complètement écrit. Delphine ne m’avait rien envoyé avant la résidence, parce que Louis avait l’idée mais il fallait qu’ils se mettent encore d’accord sur ce qui allait vraiment se passer. Louis n’est pas écrivain, il n’est pas auteur, mais il est le responsable du concept du spectacle et il avait besoin de Delphine pour mettre l’histoire en mots. Et vu que je n’avais pas non plus décidé de la musique, j’ai dit : « Je préfère composer avec vous ». Donc, pour la fin du spectacle à Nantes, j’ai travaillé avec eux, je faisais les bruitages avec eux. Et quand ils me demandaient : « Tiens là, par contre, ce serait vraiment bien qu’il y ait un moment de musique », je savais très vite comment produire quelque chose que je réécrirai plus tard à la maison. On a ainsi appris à mieux se connaître. Le projet de Louis, dès le départ, était quand même très ambitieux, parce qu’il avait beaucoup d’idées qu’il a fallu démêler. Et je pense que maintenant qu’on se connaît, on sait ce qui a bien fonctionné et pour un éventuel prochain projet, on saura ce qu’il ne faut pas faire en tout cas, pour gagner du temps.

Louis :
Donc, à la fin de la résidence à Nantes, on est extrêmement content, parce qu’on a réussi à à présenter le spectacle complet au public, avec des retours très positifs.

 

Scène 2 : après le spectacle, Delphine, Louis, l’amie d’Amandine, une personne du public

Une personne du public : Je suis super contente d’être venue parce qu’on voit que c’est possible de changer les choses et ça nous donne envie de faire.

Louis : C’est exactement ce que je voulais. Je suis très content.

L’amie d’Amandine : J’ai trouvé ça super. Mais j’ai voulu inviter plein de collègues, mais ils n’ont pas voulu venir, ils ont dit que c’étaient des trucs écolo.

Delphine : Ah ! bon, comment savent-ils que c’est un truc écolo ?

L’amie d’Amandine : Ben tu as vu la présentation du spectacle ?

Delphine : C’est moi qui ai écrit la présentation.

Louis : Voici le texte : « Ce spectacle est un voyage participatif dans un futur désirable, c’est un conte immersif interprété par une conteuse, le public contribue au déroulement de l’histoire avec les outils numériques, des discussions, des réflexions. Cette œuvre crée des espaces propices pour aborder des thématiques sociétales qui aujourd’hui nous préoccupent : l’injustice, l’écologie et la guerre. »

Delphine : S’il n’y avait eu que la guerre ils seraient venus ! Bon, je ne trouve pas que le texte de présentation soit si évident.

L’amie d’Amandine : Pour quelqu’un qui est écolo, oui ça ne paraît pas écolo, mais pour quelqu’un qui ne l’est pas…

Delphine : D’accord. Et en même temps, je ne comprends pas comment aujourd’hui, à notre époque, on ne peut pas être touché par l’écologie. Je ne comprends pas comment tu peux dire qu’on n’en a rien à foutre. Je suis atterrée par les gens qui disent « Oh ! encore un truc écolo ». Oh je veux dire, t’as vu comment on vit ? T’as vu ce qui risque de nous tomber sur le coin de la figure ? Enfin t’as des enfants ? Même sans avoir d’enfant ? T’aimes les animaux ? T’aimes les fleurs ? Comment peux-tu être aussi indifférent à ça ? Ça me semble vraiment compliqué, ça me semble fou. Après, gauchiste, moi je suis anarchiste depuis longtemps, je fais un spectacle de gauche, bon. Ben c’est vrai que ce sont les riches qui polluent le plus, hein ! Des délires de luxe, là ! Et plus tu grattes, et plus tu… Pour les abeilles, les lobbyistes viennent faire des faux dossiers pour dire « Non, non, non, les pesticides c’est pas du tout mauvais pour les abeilles, il n’y a aucun souci ». Tout le monde sait que c’est faux, que c’est juste une question de pognon et en fait ils continuent avec leurs pesticides contre les abeilles, ils défoncent trop, ils tuent tout.

 

35. Écologie. Delphine.

Delphine :
Aujourd’hui, finalement, je suis peut-être une bourgeoise par rapport à ce que j’étais avant et peut-être que je ne suis pas « tout écolo ». C’est clair. Mais j’essaye de faire le plus que je peux. Mais c’est vrai que je pense que les très riches, c’est à un autre niveau : ce sont des concours de fusée, des bateaux énormes, des avions tous les jours, enfin c’est puant, quoi. Je pense que déjà on pourrait arrêter un peu d’utiliser les pesticides. On ferait juste un peu, déjà ça serait déjà pas mal. Je dénonce Total dans le spectacle. En Ouganda et en Tanzanie, là, c’est terrible, ils défoncent tout. C’est un paradis terrestre la Tanzanie. Il y a des girafes, des éléphants, « prrrrrou gré grog trac troc pèl ». Il y en a qui se rebellent, ils les enferment dans le noir pendant six mois. Et Macron soutient. Et tout le monde soutient, BNP Paribas finance, non mais où est le problème les gars ? C’est affreux. C’est affreux, mais bon ça continue. Après il y a des gens qui dénoncent, moi, j’ai appris ça en regardant l’émission Investigation machin : une fille blonde, les cheveux très courts qui fait des investigations à la Tintin, je ne sais pas comment on dit ça, ce n’est pas écrit quelque part ? [Bruits de pages qui tournent] Bref, du coup, il y a quand même des journalistes qui dénoncent, il y a quand même des choses qui se passent. Je pense que ça va bouger, enfin j’espère.
Le problème c’est que les riches n’en ont justement rien à faire. Étonnamment, ils veulent rester dans leur luxe et ont tellement peur de perdre leur argent. Pourquoi ? C’est dingue. On ne leur demande pas de se retrouver au RSA, hein ! et d’aller balayer le trottoir, comme on demande aux gens au RSA aujourd’hui. Ouais, c’est vrai que moi je viens de très bas, Je viens de pas-de-thune, et peut-être que j’ai cette empathie ou cette compréhension que d’autres n’ont pas parce qu’ils sont nés dans le luxe et qu’ils ne comprennent pas qu’un jour, s’ils n’ont plus ça, ça peut quand même aller, ça peut être une très belle vie sans tout ça. On a presque envie de leur faire des câlins à ces gens : « Ça va bien aller, t’inquiètes pas ! »
J’ai découvert des architectes qui sont incroyables, comme Ferdinand Ludwig. On a cherché des exemples d’architecture, comme l’architecture vernaculaire , c’est-à-dire tous les bâtiments qui sont construits avec des arbres et des plantes. Je n’étais pas trop d’accord avec ça. On en a beaucoup parlé avec Maxime parce que, pour moi, si tu fais des bâtiments avec des arbres, il faut qu’ils soient enracinés dans la terre et souvent dans les bâtiments qu’on voit, les arbres sont dans des pots. Moi qui aime les arbres, qui ai beaucoup lu, je sais que les arbres communiquent par les racines, du coup c’est raté si tu fais ça : ils ne peuvent pas communiquer. Les arbres se protègent de certaines maladies par les racines, par le mycélium, ils s’envoient des informations, s’il y a une bête qui attaque. Un arbre envoie le message : « Vite, protège-toi ! », du coup il meurt, mais pas les autres à côté. Je trouve donc dommage de les mettre dans des pots. Mais de toute façon, ils vont être obligés de mettre des plantes, de la végétation dans les villes, sinon trop de gens vont mourir. C’est clair.

 

Photo: Valentin Bisschop
Photo: Valentin Bisschop

 

36. Conclusion

Louis :
J’ai monté une équipe de gens qui font bien ce qu’ils font, sinon je n’aurais pas travaillé avec eux. Donc, à partir de là, quand ils proposent quelque chose, je pars du principe qu’ils savent mieux que moi ce qui est bien, parce que c’est leur job. Yovan pareil, je ne l’embête pas sur la musique, je ne vais pas lui dire ce qu’il doit faire… Oh ! si d’ailleurs, je le fais un peu !

Yovan :
Dans ce projet, les personnes n’avaient pas d’exigences particulières, elles me faisaient confiance et m’ont laissé libre de développer mes propres choses. Ça m’a permis de m’exprimer et de continuer à évoluer. J’ai pu adapter la musique à différentes situations, si c’était trop long ou trop court, de décider de ce qui marche et de ce qui marche moins bien. Et après, parfois, Louis et moi, on n’était pas d’accord, il me disait : « Tiens ! là j’aimerais qu’il y ait plus de ça, j’aimerais bien que ça tu le joues en live » ou des choses comme ça. Mais c’était toujours en vue de trouver un terrain d’entente entre nous.

Louis :
Je les titille tous un peu, c’est tout de même un peu mon rôle. Je donne mon avis, puis ils le suivent ou ne le suivent pas. À la base, je donne de grandes directions. Mais globalement je leur laisse 100% de liberté.

 

Photo: Valentin Bisschop
Photo: Valentin Bisschop

Maxime :
Quand je dessine, j’ai cette idée toujours d’aller un peu contre ma pratique de l’architecture, il y a vraiment peut-être un, deux ou trois croquis en noir et blanc qui me prennent je dirais deux minutes et après, quand j’en tiens un, j’en fais un croquis en couleur en peut-être cinq minutes et puis, en général, je ne reviens pas trop en arrière. Comme je sais que j’ai un temps limité, je ne fais pas trop de recherche. Assez vite, je me dis : « Là, j’ai vraiment beaucoup de dessins à faire, il faut avancer » et j’aime bien ce côté instinctif. Pas trop de tergiversations, mais aller comme ça, à l’instinct.

Yovan :
Ce que je retiens du travail collectif, c’est que même le négatif nous apprend des choses. À certains moments on se tire les cheveux, mais c’était intéressant en tout cas de travailler dans un planétarium et tout ce que cela implique. J’ai rarement visité ce genre d’endroits, ce ne sont pas des lieux qu’on fréquente tous les jours, je parle pour moi, mais c’était intéressant de voir que ce sont des lieux qui sont très équipés pour le son et la musique (mais aussi du côté du visuel). Et du coup, il y a beaucoup de choses à faire, notamment avec les arts numériques qui est quand même une pratique assez nouvelle. J’ai pas mal d’amis qui se mettent aux arts numériques, il y a tellement de choses qui sont en train de se passer avec ça. Le phénomène va au-delà des performances des artistes numériques, ce sont des choses qui se développent aujourd’hui aussi dans les concerts, dans les concerts de musique électronique, même dans les concerts de rock et de rap, on est dans les textures, dans les lumières, etc. J’ai appris que pour caler à un spectacle qui va peut-être ne durer qu’un quart d’heure, ça va être beaucoup de travail et encore heureux, on n’était que sur des dessins fixes et pas sur des dessins animés. J’ai bien apprécié de découvrir ce genre de travail très minutieux et qui prend un temps très long. Par contre, je pense que l’idéal aurait été d’avoir un maximum de choses déjà posées avant la première résidence, notamment dans l’écriture du conte, pour qu’ensuite, une fois qu’on est dans la phase de création, on puisse aller un maximum dans le détail pendant les répétitions et d’élaguer les choses. On n’a pas eu assez de temps pour faire cela par rapport à ce qui n’allait pas, pour aérer le spectacle. Mais cela va nous servir pour la prochaine fois, c’était plein de découvertes et puis à la fois aussi, de ce qui peut aller mieux, mais c’est le cas dans tous les projets de toute façon. Donc, franchement, il y a en majorité des aspects positifs dans tous les sens, maintenant, et maintenant voilà le spectacle, en espérant que ça tourne un petit peu et qu’on puisse continuer à le peaufiner.

Delphine :
Ce sont de belles rencontres, je suis contente de les avoir rencontrés tous les trois. C’est vraiment chouette d’être avec eux, c’est une équipe qui fonctionne vraiment bien. C’est d’autant plus chouette que ce n’est pas évident de pouvoir travailler avec tout le monde, c’est vrai, ce n’est pas toujours aussi simple. Et là, on s’entend tous très bien, même au niveau de la créativité.
Je relis maintenant mes notes, ça me fait rire. Ce n’est plus du tout ce que je dirais aujourd’hui. C’est drôle.

 


 


Le « Conte d’un futur commun » a été présenté pour la première fois le 18 juin 2023 au Centre des Arts d’Enghien-les-Bains.

Le Conte d’un futur commun choisit d’explorer de manière collective un futur désirable et les manières d’y parvenir. Spectacle participatif, c’est à l’aide de son smartphone et de sa voix que le public va participer à l’histoire à la manière d’un jeu vidéo. Cette histoire se construit comme une improvisation collective, où chaque participant peut à tout moment la faire dévier ou bifurquer, la bousculer, l’augmenter, la détourner.

Co-production : AADN – Arts & Cultures Numériques à Lyon, Planétarium de Vaulx-en-Velin, Planétarium de la Cité des sciences et de l’industrie de Paris, Stereolux, Planétarium de Nantes, association Antipodes, Pays d’Art et d’Histoire entre Cluny et Tournus.

Avec le soutien du Centre National du Cinéma et de l’image animée et de la SACEM cda95.fr/fr

 


1. Marie-France Marbach est une conteuse, directrice artistique du festival Contes Givrés et glotte-trotteuse. Geo Jourdain est le président fondateur de l’association Antipodes et un agitateur d’idées. L’association Antipodes, menée par Geo Jourdain et Marie-France Marbach se trouve à Saint-Marcelin-de-Cray (Bourgogne). https://www.association-antipodes.fr

2. « On retrouve François Pin dans son habit de président de l’association La Carrière de Normandoux, où tout a commencé, sur le lieu qu’il a acquis sur un coup de cœur en 2004 à Tercé, à 20 km de Poitiers ». lejdd.fr/Culture/L-etonnante-carriere-de-Monsieur-Pin-

3. IRFA-Bourgogne is a Training organisation in the Region Bourgogne Franche-Comté since 35 years.

4. L’Atelier du Coin, à Montceau-les-Mines, est un atelier chantier d’insertion. atelierducoin.org

5. Gus Circus de Saint Vallier, Fjep, école de cirque. koifaire.com

6. BIAC : Brevet d’Initiation aux Arts du Cirque, un diplôme pour enseigner les arts du cirque. Voir ffec.asso.fr

7. Nicole Durot. Voir « La Bulle verte » : En 2005, Nicole Durot crée La Bulle verte, une école de cirque réunissant jeunes et adultes valides et handicapés.labulleverte.com

8. Il s’agit de Laurent Fréchuret. Les paroles qui lui sont attribuées ici sont une fiction. Voir Laurent Fréchuret

9. Minuit : Passionné d’architecture, Dorian aka Minuit Digital est un artiste lumière et numérique qui aime entremêler structures physiques et digitales. Minuitt

10. Les Contes Givrés est un festival organisé par l’association Antipodes. association-antipodes.fr

11. Les architectes qui exercent la maîtrise d’œuvre sont tenus responsables des dommages qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui le rendent impropre à sa destination pendant les dix années qui suivent la réception des travaux. architectes.org

12. L’Ensemble Aleph est un groupe de musique contemporaine basé à Paris qui a existé de 1983 à 2022. ensemblealeph.com

13. Mapping : « le mapping vidéo est une animation visuelle projetée sur des structures en relief ». fr.wikipedia.org

14. Maxime Touroute : maximetouroute.github.io

15. Théâtre C2 à Torcy en Saône-et-Loire. 71210torcy.fr

16. Jacques Prévert, « L’Autruche », Contes pour enfants pas sages, Illustrations de Laurent Moreau, Paris : Gallimard-jeunesse – Folio Cadet, les classiques N°8, 2018. artpoetique.fr

17. Débruit ((Xavier Thomas) : limitrophe-production.fr

18. « KoKoKo! est un projet né à la faveur d’un tournage documentant la scène contemporaine du Kinshasa underground ». limitrophe-production.fr

19. Julien Lagrange, guitariste, enseigne à l’École de Musique (EMDT) du Clunisois (Saône-et-Loire) la guitare et les ateliers handicap. enclunisois.fr

20. Google : « Avec le format sonore 7.1, un canal central arrière est généré en plus de ces canaux et réparti sur deux autres enceintes (appelées centres arrière). Ce canal, codé dans les canaux d’effets stéréo, permet de mieux localiser les effets et les signaux musicaux directement derrière la position assise. » google.com

21. Laboratoire artistique, le LabLab offre un espace de recherche et de création intégralement équipé pour de nouvelles expériences audiovisuelles, immersives et interactives. polepixel.fr

22. AADN (Arts & Culture Numériques) est une association créée en 2004, elle porte des projets artistiques et culturels qui bousculent les imaginaires et suscitent le désir de fonder une société post-numérique sensible, solidaire et responsable. aadn.org

23. Métavers : « par définition un métavers est un monde virtuel. Le terme est régulièrement utilisé pour décrire une version futuriste d’Internet où des espaces virtuels, persistants et partagés sont accessibles allant au-delà du monde réel. » wikipedia.org

24. Baptiste Morizot est un philosophe français qui enseigne à l’université d’Aix-Marseille. Ses recherches portent principalement sur les relations entre l’humain et le reste du vivant. wikipedia.org

25. Camille de Toledo est un essayiste et écrivain français vivant à Berlin. Il est aussi plasticien, vidéaste et enseignant à l’ENSAV (La Cambre) à Bruxelles. wikipedia.org

26. Medlay est un concept de média hybride permettant de créer un artefact multimédia pour raconter une histoire et/ou communiquer une idée sur le Web. ranbureand.github.io

27. Resolume Wire est un environnement de patch modulaire basé sur des nœuds pour créer des effets, des mixeurs et des générateurs vidéo. resolume.com

28. Jacques Puech est un chanteur et joueur de cabrette de la musique traditionnelle du Massif Central en France, voir la Novia : la-novia.fr

29. Stems : « Ce qu’on appelle les «Stems», ce sont les différentes pistes sources dans votre projet de production, mais regroupées par section. » loreille.com

30. Notion est une application de prise de notes, de gestion de projet et de collaboration développée par Notion Labs Inc. Wikipédia fr.wikipedia.org

31. Chevagny-Passions est un festival des arts qui a lieu une fois par an à Chevagny-sur-Guye (Saône et Loire). fr.wikipedia.org

32. EAC, Ministère de la Culture : « L’éducation artistique et culturelle (EAC) a pour objectif d’encourager la participation de tous les enfants et les jeunes à la vie artistique et culturelle, par l’acquisition de connaissances, un rapport direct aux œuvres, la rencontre avec des artistes et professionnels de la culture, une pratique artistique ou culturelle. » culture.gouv.fr

On Notational Spaces in Interactive Music

Access to the French translation “Espaces notationnels et œuvres interactives”
 
Go to the English version of the Encounter with Vincent-Raphaël Carinola and Jean Geoffroy:
 
Go to the French version of the « Rencontre avec Vincent-Raphaël Carinola et Jean Geoffroy »:
 


 

On Notational Spaces in Interactive Music

Vincent-Raphaël Carinola and Jean Geoffroy

 

The article “On Notational Spaces in Interactive Music”, by Vincent-Raphaël Carinola and Jean Geoffroy, is available on the International Conference on Technologies for Music Notation & Representation (TENOR) website (see the link bellow). It follows on from the conference organized by PRISM-CNRS in Marseille in May 2022, which published the proceedings, edited by Vincent Tiffon, Jonathan Bell and Charles de Paiva Santana.

 

Abstract

This article presents a reflection on the nature of notational spaces in interactive musical works using digital devices. It builds on the author’s experiences in Toucher (2009) for theremin and computer and Virtual Rhizome (2018) for Smart Hand Computers. In interactive music, notational spaces are correlated to the spatial structure of the dispositif, a notion that must be understood in the sense of an extension of the traditional instrument. That’s why composing a work is equivalent, at least in part, to composing the instrument. The notational spaces — in other words: the places making possible a writing, and thus a musical interpretation — are distributed among the different components of the dispositif. The way in which its digital devices are interconnected (the mapping), the algorithmic logic of the “if-then-else” and the notion of openness play a fundamental role for the composer and the performer. However, in the case of miniaturized (or embedded, or embodied) dispositifs, this spatial structuring of its components seems to be absent and, consequently, questions the existence of a place for composition and interpretation. One of the solutions explored here is to conceive the work as a virtual architecture that recalls a “world” in the field of video games. This architecture, open to a plurality of courses, then assumes the function of a notational space by calling, paradoxically, on techniques of memory specific to orality.

 

Link to the original English text of the article
published by the International Conference on Technologies
for Music Notation & Representation (TENOR)

 

 

Encounter with Vincent-Raphaël Carinola and Jean Geoffroy

Vincent-Raphaël Carinola and Jean-Geoffroy’s contribution is in two parts. On the one hand, a research article, “Espaces notationnels et œuvres interactives”, originally published in English under the title “On Notational Spaces in Interactive Music”, by Vincent-Raphaël Carinola and Jean Geoffroy, in the proceedings of the conference organized by PRISM-CNRS in Marseille (May 2022).
On the other hand, the transcript of a meeting between Vincent-Raphaël Carinola, Jean Geoffroy, Jean-Charles François and Nicolas Sidoroff in Lyon in February 2023.

 

Access to the two parts and their French versions

First part

Access to the article “On Notational Spaces in Interactive Music”
Access to the French translation “Espaces notationnels et œuvres interactives”
 

Second part

Encounter with Carinola, Geoffroy, François, Sidoroff
Access to the French original version of « Rencontre avec Carinola, Geoffroy, François, Sidoroff »

 


 

Encounter with
Jean Geoffroy, Vincent-Raphaël Carinola
and
Jean-Charles François, Nicolas Sidoroff

1erFebruary 2023

Translation from French by
Jean-Charles François

(with the help of Deepl.com)

 

Summary :

1. Origin of the Collaboration
2.1 Toucher Theremin and Agencement
2.2 Toucher, Hands/Ears Correlation
2.3 Toucher, Notation
2.4 Toucher, Form
2.5 Toucher, Process for Appropriating the Piece
3.1 Virtual Rhizome, Smartphones, Primitive Rattle, Virtual Spaces
3.2 Virtual Rhizome, the Path to Virtuosity, Listening
3.3 Virtual Rhizome, a Collaboration Composer/Performer/Computer Music Programmer
3.4 Virtual Rhizome, the “Score”
3.5 To conclude: References to André Boucourechliev and John Cage
 


 

1. Origin of the Collaboration

Jean-Charles François

Could you retrace the story of how you met, how did your collaboration come about, and what was its context?

Vincent-Raphaël Carinola

We already worked with Christophe Lebreton[1] on different projects and although Jean and I had often crossed paths, and I knew and admired his work and his various collaborations with composers, I was looking forward to the opportunity to work with him. The point of departure was all the work they had done, Christophe and Jean, on new electronic interfaces and the role of the performer in relationships to them, Jean will be able to tell you more about these projects in detail.

Jean Geoffroy
The work with smartphones started for me thanks to Christophe, and to a first deviation from the usual applications I had created for Xavier Garcia’s pieces.[2] In 2018, Christophe and I created a structure called LiSiLoG in which we develop all kinds of projects around artistic innovation and transmission, which could be summed up in a phrase by Bram van Velde, a painter in an interview with Charles Juliet: « You have to give an image never seen before ».[3] It’s quite a simple phrase, and yet so difficult to grasp!

For a concert in Seoul, I had selected some applications taking account for their framework, sound possibilities, possible developments and I had written a short text as an introduction to the concert, in which we also played other pieces by Xavier.
What I realized almost immediately was the possibility of recreating spaces that were different from those imagined by Xavier, and it was equally possible to work on a kind of “sound intimacy”, because in fact, there’s nothing “demonstrative” about playing with a smartphone, you have to lead the audience to enter in the space you’re proposing, and thanks to the different applications deviating from usual utilization and used in different ways, it was as if I had in front of me a new instrument.
In this case, everything stems from the sound and the space it suggests, and then you need a narrative that will enable you to keep a relatively clear framework, since without this framework you run the risk of going round in circles, and playing the smartphones like a child with a rattle…
As with the Light Wall System[4] also designed by Christophe, the most interesting thing, besides music itself, is the absolute necessity of working on a narration, on a form. This should be obvious to any performer, but which is sometimes forgotten it in favor of the instrument, its virtuosity, its placement on stage…
With the SmartFaust applications,[5] the main aim was to return to a sound devoid of « artifice », that would enable us to invite the audience into a totally revisited sound universe.

After this concert, Christophe had the idea of taking his work with smartphones a step further, and then he proposed to Vincent to imagine a piece for “Smart-Hand-Computers – SHC”, a term that better represents this interface than the word “smartphone” which is primarily used to designate a telephone.

From the outset, however, the process was different than with Xavier, if only in terms of creating the sounds. The fact of having two SHCs totally independent of each other with the possibility to include aleatoric elements in the piece and above all, work on the writing of the piece itself made it a totally different project from anything I had done before. Moreover, this piece is an opportunity for us (Christophe and I) to imagine other performing frameworks: we developed a solo version with a set-up similar to that of the Light Wall System, and we’re working on a project for two dancers. Virtual Rhizome by Vincent-Raphaël Carinola really functions as a permanent laboratory, which incites us to constantly revisit the work, which is essential for a performer. These three proposals around the same piece raise the question of our relationships with the audience: from a) the intimacy of a solo with two SHC, b) to a form of address to the public within the Light Wall System framework, and c) to a choreographic piece in which dancers are at the same time performing the music with their body movements.
This piece enables us to re-examine the act of interpretation, which in itself is an exciting question that performers I think don’t often enough consider.

 

2.1 Toucher, Theremin and Agencement

Jean-Charles
We can separate the two pieces Toucher and Virtual Rhizome. Toucher involves the theremin, but as I understand it, it’s not at all the traditional theremin where you’re constantly controlling pitch in order to produce melodies with very precise intonation. It’s consequently a very different situation, and I was wondering in what way it involves a fundamental change in comparison to percussion playing, and if there were any particular problems induced with this change of media, this change of instrument?

Vincent-
Raphaël
Toucher is another story. Here too, the initial idea was the relationship with the performer, in this case Claudio Bettinelli.[6] He owned a theremin that we used in a performance piece called Typhon.[7] He suggested to use the theremin by connecting it to a computer, using it as an interface to control image and sound.

Following this first experience we wondered whether it would be interesting to write a work for this “instrument”, bearing in mind that from the moment the theremin is connected to a computer, the instrument is definitively no longer a theremin (the more so since its original sound is never heard). The instrument is the theremin connected to a computer, to sounds and sound processing modules distributed around the audience. This is partly the subject matter of the article « On Notational Spaces in Interactive Music »:[8] here the instrument becomes a playing system. What we consider to be the instrument, the theremin, is just one part of the system, which is in fact the “true” instrument. The theremin is equipped with antennas that capture the performer’s gestures, lamps or electronic circuitry that generate a sound that varies according to the distance of the hands from the antennas and, sometimes, in the same cabinet, a loudspeaker is included. This is like electric guitars, there is a kind of amplifier that can be more or less close to the musician. What interests me here is the possibility to dissociate the organological elements of the instrument and turn each component into a writing support. The performer is then confronted with a sort of fragmented object within a system. On the one hand, the performer has to deal with an instrument very different from the traditional one, since he/she doesn’t control everything because part of the sounds are generated by the computer – so, he/she is playing an instrument that has the ability to function on its own – and, on the other hand, the performer has to follow a score which is not entirely constituted by notation on staves. The score also includes the computer program, which contains the sounds I have generated, integrated into the computer’s memory. So, the score itself is scattered across the whole range of media supports: the graphic score of the gestures, that of sounds, the computer program, the interactive programs, and even the “mapping”, that is, the way in which the interface is correlated with the sounds and with the unfolding of the piece in time.

This is why the performer’s work is quite different from that of a performer who is playing an instrument with which he forms a single body, since with this new instrument – as a system – the body tends to be separated from the direct sound production. One part of the way the instrument functions escapes him/her. The performer doesn’t always control the totality of the sounds (since I am the one who generated them as well as the sound processing modules). Moreover, the computer can also function automatically. That’s what’s so interesting, because it means that the way the performer can adapt to the system becomes in itself an object of creation, the object of the composition, and that’s what’s so beautiful. The performer cannot be considered as someone who appropriates a piece fixed on a support, external to her/him, and which she/he then comes to interpret: he/she is part of the work, one component of this “composed” ensemble of interfaces, the computer, the fixed sounds, him, her, the musician, her/his corporeal presence on stage, etc. We face the same type of problem with Virtual Rhizome but addressed in a very different and very strange way.

Here is the video of the version of Toucher by Claudio Bettinelli :
 

 

Jean
With Toucher, Vincent is right, it’s a question of building the space and consequently becoming part of a system, which itself partly escapes you. This is a really fascinating situation that forces you to be at the same time interpreter and “learner” all at once in real time. You have above all to develop a certain quality of listening, which is not based on expectation but on surprise. That’s what I’ve learned with these two pieces, even if I started by Virtual Rhizomes and then turned to Toucher.
The fact that the situation in which you find yourself partly escapes us could mean some sort of comfort for the performer, but on the contrary, it really disturbed me. This project allowed me to find myself really at the center, first and foremost as a “listener” before being a performer. This requires concentration, to pay attention to all the sound events that you generate, as well as those that you don’t necessarily control and that you need to appropriate and integrate into your “narrative”.
What makes this attitude more sensitive is the fact that, with these instruments, everything seems simple, because just in relation with a movement. Even though the theremin is extremely technical, each person develops his/her own technique, an attitude linked to a form of inner listening to sound, listening that does not pass exclusively through your ears but also through the body.

Vincent-
Raphaël

In fact, what’s very complicated for me with interactive systems in general is that, if everything is determined, that is if the performer can control each sound produced by the machine, she/he becomes some sort of “operator”. The computer takes no initiative, everything must be determined by conditional logic: if-then-else. The computer is incapable of reacting or adapting to the situation, it only does what it’s asked to do, with a very… binary logic. Everything it does, the way it reacts, is limited by the instructions specified in the software program. That’s why you never have the same relationship with the digital instrument as you do with an acoustic one, in which there is a resistance, a physical constraint, linked to the nature of the instrument, which structures gestures and allows the emergence of expression. That’s why the idea of simulating an instrument that escapes the musician’s control, forces the performer to be in a very attentive listening, to be literally on the look-out, to strain the ear, to charge listening with tension. I think that if you want – I don’t know if it’s possible – to be able to find something equivalent to an expression – when I say “expression”, I don’t mean romantic expression or anything like that, it’s something proper to the musician on stage, to the performer, something that belongs only to him or her – you have to find new ways of making it emerge in interaction with the systems, that’s somewhat the idea of inviting the performer to “stretch the ear”.

Jean
I’d like to add one little thing: when you speak of tension, it’s for the performer and it’s also the case for the audience. Because ultimately, there are no predicable gestures in the sense that when a violinist takes her/his bow, moving it towards the strings, everyone expects to hear a violin sound, whereas with the theremin, even if one gets nearer to the antenna, you never know when or what sort of sound will be produced. In addition, before the actual beginning the piece, I proposed an introduction in silence, precisely so that the attention of the audience would be drawn to this silent gesture which would then reveal an unexpected sound. The idea to put the public in this state of listening/searching/waiting… ultimately making them “actors” of this shared artistic moment. Effectively, something is at stake, raising tension, something is at play, at that very moment.

 

2.2 Toucher, Hand/Ear Correlations

Jean-Charles
In the article “On Notational Spaces in Interactive Music”, you mention “a hand/ear correlation of great requirement”.[8] What do you mean by requirement concerning the hand?

Vincent-
Raphaël
You could say that it is the requirement of the meaning you give to the sound and therefore to the expressive movement of the hand that produces it, but it’s also the structurating of a space that is drawn around the theremin, making possible gestures that have meaning in themselves, a choreography you could say.
Then there’s also the process of interaction, on what actual parameters is it possible to act, a volume, a sound form? From there on, you have your “playground” where the hand can develop its movements, intuitively at first, then by exploring the relationship between sound and gesture to give it a singular form of coherence.

Jean
First and foremost, there is a sound, and the “response” you have to propose; how spontaneously, intuitively, my body or my hands will interpret that sound, shaping it in a physical form. All this provides a consistency, an expression, a projection, which without the gesture would not at all be the same. It’s quite simple to do this experiment: take a mechanical sound made of “beep, beep, beep, beep”, nobody will listen to it and it’s uninteresting, but if we start to incarnate it, to give it a temporality, a form, a space, it changes everything. That’s exactly what’s at stake in the piece Silence Must Be by Thierry de Mey.[9] At this point, the hand, the gesture, the presence, will give a direction to the sound, will give it a meaning that a priori it doesn’t have. In Toucher, the relationship to sound is far more complex: the gesture must produce the sound while drawing it in space. Claudio’s version is brilliant from this point of view, there’s a real choreography of sound, which results in a sort of totally insane form in terms of space, and relationships to the instrument. Ultimately, it’s all about presence of the sound, and of the performer. Each performer playing the piece will have re-imagine a form that has nevertheless already been written, but that has to be inscribed in a space that needs to be each time reinvented. And it’s the performer’s task to reveal this through a gesture, a movement, a pause, a suspension, something that belongs to the performer. At that precise moment, the gesture embodies that, or at any rate gives an incarnation to an immanent sound, which is not produced in any case by blowing or striking in a way that could be predictable.

Vincent-
Raphaël
That’s really the most appropriate term in my opinion: “immanent”. Unlike acoustic instruments when to produce a sound you need to apply a more or less strong force according to the desired result, with Toucher — but it’s also the case with Virtual Rhizome — you have instruments where it’s as if the music was playing in the background. This bring us back to what I was saying earlier concerning the “automatic” aspect of the instrument. The sound materials are there, the musician doesn’t produce them in the strict sense of the term: the sounds are recorded, the modules are fabricated or programmed, and so on. It’s as if the role of the hand were to dig into the matter and to extract it from a kind of magma. That’s why this reference to immanent music appeals so much to me. The musician searches inside something that’s already there, to make certain points of view emerge. This is evident in certain passages of Toucher with its many layers, and the fact that you might be here or there in relation to the antennae, or that you move the hand in one direction or another, or from one point to another, etc. It’s in some ways as if you were working with a material, as if you were in the process of sculpting it. As you said, Jean, with Claudio, there’s something that pertains to a construction, to the evolution of things: he seeks out one element, then another, and thus shapes the discourse. What was fairly new for me and very surprising in the version Jean played, was that he juggled with all these materials. You got the impression of an erupting volcano, from which emerged a completely splintered universe of magma, lava, basalt fragments… I mean, it was all over the place. And that’s also another way of working the material that I really like. The work of interpretation also consists in becoming one with this apparatus system [dispositif] in a certain way, but in a manner that is completely different from a traditional instrument where everything is determined by the movement of the body. Here, there is a kind of encounter between two logics, the logic of the machine and the logic of the performer, and from this encounter emerges something very interesting..

 

2.3 Toucher, Notation

Jean-Charles
How does the relation to notation function?

Jean
This is a fundamental issue in this type of adventure! And I learned a lot about this question of writing while working on Virtual Rhizome. As performer, you are constantly looking for a framework, for an artistic writing that allows you to enter into the composer’s approach and give concrete substance to a written work. In relation to scores, I’ve often been frustrated. Either it’s too directive (too many injunctions, signs, notes that don’t allow a singular reading, as you are too busy doing what’s written down…) and in that case, you’re looking for some space of interpretation, you say: “But how am I going to breathe?” Or it’s extremely open with all kinds of possibilities of interpretation and approach. I’m not speaking of mf, ralentis, accel. etc., but of words that would enable us to really contextualize a form, a phrasing. Sometimes, the role of the performer is reduced to a minimum, even, from time to time, not really considered by the composer. Or on the contrary, you are into something very (overtly) open which leaves a lot to improvisation and less to form, in any case less in terms of storytelling, of narrative. It’s the in-between that is interesting, having something that’s absolutely written down, absolutely thought out – and we will talk further about this for Virtual Rhizome, but it’s the same for Toucher – but which leaves room for the performer to interact.
Ultimately, the question is: should we play what’s written or what we read?
This approach changes things considerably. In many pieces you have introductory notes that resemble more instruction manuals, sometimes they are needed, but they become a problem when there is nothing else besides!
When You read Stockhausen’s Kontakte, even without having read the introductory notice, you’re capable to hear the energies that he wrote in the electroacoustic part. In Toucher, as in Virtual Rhizome, we have a very precise structure, and at the same time sufficient indications to leave the performer free to listen and make the piece his or her own, keeping with the limits set by the composer. It’s really this alloy between a predicted sound and a gesture, an unstable equilibrium… but it’s the same thing with Bach.
With pieces like Vincent’s, it’s essential to have this intimate perception: what do I really want to sing, ultimately, what do I want to be heard, what pleases me about it? If you adopt exactly the same attitude behind a marimba or a violin or a piano, you will really achieve as performer something that will be singular, corresponding to a true appropriation of the text you are reading. The idea is to make people hear and think, just as they do when a poem is read: what will be interesting will be the multiplication of the poem’s interpretations, each one allowing the poem to be always in the making, very much alive. It’s exactly the same with music.

Vincent-
Raphaël
Here, unlike in classical notation, not all the information is on the score. I know that this has never been the case, that there are historical codes, such as ornamentation, which were not always notated. With these works, it’s even more the case since, as mentioned earlier, there’s one part of the instrument that functions autonomously. The instrument is fragmented into its different components (gesture sensors, sound generators, loudspeakers, etc.) and each component of the instrument is subjected to a writing process. As a result, the score itself is broken down into the different components of the system, such as the computer program, the recorded sounds in the computer memory. If you follow the score and do the gestures exactly as notated, you get nowhere. In fact, in a piece like Toucher – we’ve got enough hindsight now to be able to say this, since it has been played by quite different performers – you have to understand technically how it works, that is, to know what a Max patch is, how the machine functions in interaction, what is a granulator (etc.), in order to play it with ease. By understanding what’s happening, you can better control the instrument, follow the score, and grasp more precisely what is graphically notated. It’s not possible to keep up a traditional attitude of reproducing a certain type of gestures as they are notated by the composer and therefore have to be respected. It doesn’t work like that, it cannot work like that, it’s impossible for the reasons given earlier, because the relationship to the instrument is not at all the same. In Toucher, there is a representation of the gestures and also a notation of what should be heard, indicated with the name of the sounds. But there’s a third notation at the very end of the score: it’s a script that describes what’s happening in each part of the piece. There are 19 parts, it’s relatively easy to memorize and ultimately this is what the performer memorizes most of all. The performer keeps two different things in mind: a) how the instrument works, i.e. how it responds to the musician’s action, how the space around the antennas is organized, what the patch does, the different samples used, etc.; and b) the script, i.e. the successive activation of the instrument’s various components over time.

 

2.4 Toucher, Form

Jean-Charles
Because the 19 situations can occur in different orders?

Vincent-
Raphaël
No, not in Toucher, unlike Virtual Rhizome. In Toucher, the form has a very directional layout. It’s structured in two parts that follow the same outline: it’s as if you were drawing something, first by making dots, then lines, then ornaments within the lines, and then, there is moment when it becomes so complex that you lose the link between the gesture and what you’re hearing. It’s at that moment that appears the “true” sound of the theremin, as if it was saying: “Ah! but here I am, I’m the real instrument.” So, there is a formal order: it begins with number one, then at number two there’s a new element, at three a third one, at four you come back to three, and so on. Therefore, you cannot play it in any order.

Jean
As for me, after having assimilated the different parts, I try to highlight some “pivotal states”, some kind of punctuations that enable me to build my interpretation and therefore my reading of the form of the piece. It’s not a question of telling a story but to convey a sort of narrative in the sense of a trajectory, an inner journey that unfold like the threads between the sounds you reveal, or that you are going to hide. It’s this relationship with sound that we have over time that in the end shapes the narrative. To start with little things, with scraps of sound, and then begin to construct by paying attention to never “losing the audience”, by providing some listening clues. If the performer is really involved in this dynamic of listening to time and space, there will necessarily be something that the public will grasp. It’s clear that in this context, members of the public must also be curious about what is or isn’t going to happen; as the piece progresses, a kind of “co-listening” can be perceived, and from that moment, the sounds become definitively shared by all present. The issue is to get in the same “fragile listening”, between a sort of communicative tension and intense listening, audience, and performer here and now.

Vincent-
Raphaël
In the case of Toucher, you cannot modify the order of the sections, however, each section leaves enough leeway to develop its own particular discourse. This said, all this should flow in a continuity, you cannot stay in one spot for half an hour, because then the whole continuity would disappear. But this possibility to take your time is important in order to rediscover this manner of seeking out the music in the instrument, and letting it emerge. So, it’s important that there’s a certain temporal freedom to be able to do this. Some modules contain a small amount of randomness, sometimes resulting in unpredictable results. Consequently, while the musician is shaping the sound material with the hand, if he/she hears something interesting, unexpected, she/he can repeat it because it’s good and makes him/her happy. In concert, something unexpected might happen: “Ah! well! that’s amazing, I’ve never heard this before, I’ll do it again”. And so, there’s also this kind of opening in the piece that allows to have these pleasant, surprising moments. All the while trying not to succumb to the machine’s charm!

Jean-Charles
To pass from one section to the next, for example from 1. to 2., the timing is controlled by the performer?

Vincent-
Raphaël
Yes. For example, in number 1, in Toucher, you never know precisely what sound is going to appear. You know that there’s a reservoir of vocal sounds, of sighs, there are some that make “pook, bong, zoom” [sons vocaux très courts], and then others much longer that make “paaaaaah” [whispered]. So, if you hear one that’s longer, you have to wait to avoid it being too busy… You could trigger a lot of them, it’s not prohibited to do it, but it wouldn’t make sense. Sometimes it happens that you would add one or two more, or that, I don’t know why, you would want to hold on a little longer, and then, when things are settled down, when they are well in place, you’ll move to number 2, which retains the elements of 1 with an additional variation.

 

2.5 Toucher, Process for Appropriating the Piece

Nicolas
Sidoroff
I was listening to you, but I was also looking at you, because you were making all kinds of interesting gestures. Concerning the way Jean appropriated this score, or this notation, or this work – I don’t know what is the best term to use – how did it start, what did you do and in what order? You said that you’d discussed it a lot with Vincent, so when and how this happened? Was it before, during or after? Or maybe all three? What is the temporal process of appropriating the score?

Jean
As with any piece involving electroacoustics, as far as I am concerned, everything starts with the sound. It’s the composer’s “signature” and that’s what guides me. From there, you start to understand the composer’s space, universe, and it’s a question of finding your place in it, your reading of it, your response to it. For these two pieces, it’s not just a question of playing the sound, but to making it your own. Once you have the idea of the sound space of each one of the parts, you can begin to inhabit these different spaces by giving them your own perception through gesture.

For me, there’s one thing that’s really incredible, it’s the prescience that you can have of a sound, a prescience that is revealed through an attitude, a gesture, a listening. For Virtual Rhizomes, we don’t always know which texture is going to be played, what impact it will have, and the listening and attention that result from this open up incredible horizons because potentially, it compels us to be even more intuitively aware of our own sound sensations. It’s this balance between the attitude of anticipating integral listening, and the notion of form we’ve been working on, that you need to keep in mind, so as not to get into that famous « rattle » Vincent talks about. It’s interesting to think that a texture played that you don’t know a priori will determine the development of this particular sequence, but you still have to give it a particular meaning in terms of space.

During my last years as percussion professor in Lyon, in order to ensure that this particular attention to sound was an essential part in the work on a piece, I wanted no dynamics to appear on the scores I gave to the students, so that they would just relate to the structure, and that the dynamics (their voice) would be completely free during these first readings. At that point, the question of sound and its projection becomes obvious, whereas if you read a written dynamic sign in absolute terms and therefore decontextualized from a global movement, you don’t even think about it, you just repeat a gesture often without paying sufficient attention to the resulting sound.

On the contrary, Toucher and Virtual Rhizome (like other pieces) force us to question these different parameters. For me, Toucher as Virtual Rhizome, are fundamentally methods of music: there are no prerequisites, except to be curious, interested, aware of possibilities, and present! Such freedom offered by these pieces is first and foremost a way of questioning ourselves at all levels: our relationship to form, sound and space, this is why they are true methods of Music. These pieces are proposing a real adventure and an encounter with oneself. On stage, you know pretty much where you want to go, and at the same time everything remains possible, it’s totally exhilarating and at the same time totally stressful.

Nicolas
I have the impression that to work on it, you « squatted » each of the 19 situations, as if they were « houses ». Did you stay in the first house, to use that image, to see what was going on in its corpus, what it was all about, before moving on to the second?

Jean
Exactly.

Nicolas
Or instead, did you do a global reading, saying to yourself: “Ah! there’s a journey to the next house”?

Jean
No, I really proceeded part by part, in any case this is my way of doing things, to manage to find yourself in the best possible way in one space before going on to explore the next. This is what I call “presence”, you must be present, firmly anchored in the ground. With new technologies, we could remain in a form of superficiality, totally focused on representation and the use of effects. That’s precisely what is at issue with these electroacoustic systems, which function somewhat like Pandora’s boxes, with all the dangers this represents in terms of interpretation: do we decide for the instrument or does the instrument decide for us…?

Nicolas
You said a moment ago that you’d seen Claudio’s version? At what moment in the process?

Jean
Afterwards, always after I’ve got a pretty clear idea of what I want to do. I know Claudio well, he was one of my students at the CNSMDL [Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon], he is a very talented musician, with a very Italian, magnificent presence. His version sounds like an evidence. I would be incapable to reproduce what he does, his version being so totally singular and corresponding so perfectly to his personality. If I decided to reproduce what he does, it would be a disaster, it would be ridiculous. And that’s precisely what’s so strong about this piece, there is no right or wrong version, just an exactitude of interpretation. To be exact is something that’s both simple and terribly complicated, as it’s a matter of finding yourself.

Nicolas
The silent gesture that you make before starting the piece, that you mention several times, at what moment in the process of learning the piece does it appears? And do you always keep it, because it’s now part of your interpretation? How does it come about?

Jean
To play in silence just a few gestures is something that’s touched me greatly, ever since I started to play the piece by Thierry de Mey,Silence must Be many years ago. I became aware that creating a gestural space in silence enabled me to concentrate on presence, and presence alone, because there’s no artifice, no virtuosity, only presence. The idea is for the audience, surprised at first, even incredulous, to gradually enter into your discourse, and in the case of Silence Must Be, the clues are given later when I play again the same silent sequence accompanied by a recorded soundtrack. For Toucher, I really like to start in this way, with the difference here that I build a gesture that increases more and more, giving the public a key to reading. The idea behind this is to really “make silence” which is the best way to work on sound, since playing more doesn’t make you hear. On the contrary, it sometimes knocks you down, and very often the more you boost the sound, the more you crush it. Here, the idea is to ensure that the first sound produced by the theremin should be extremely thin, almost at the limit of the audible, and in order to achieve this, a real silence is needed. Once the piece begins, it’s from this dynamic level and initial listening that you are able to develop it further.

Jean-Charles
Apparently, in all this, the notion of recording a given performance raises some questions. Often, for example, in improvisation, you don’t use recording for public release, but as a mirror to listen to what really happened, because there is a difference between listening afterwards and listening while playing. What is the status of recordings in this context?

Vincent-
Raphaël
There is the possibility of video capture, which is part of the working tools, but it’s not simply a sound recording. It is, of course, the trace of an experience, but for those playing the piece, it can also be a working tool, helping to understand how it works. There is also the audio recording itself: it’s pretty funny, because I remember when the piece was broadcasted on the radio, listening to it, I wondered if it was really the piece? What we hear is only one part of the piece. This is why I promote the idea that the works are very particular agency systems, it’s not simply the sound, it is a combination set up between sound, the performer who plays, and the gestures he or she makes. All this carries some sense in Toucher. If you listen to it on a recording, it’s as if you would listen simply to an acousmatic piece. Personally, I was quite satisfied because it sounded good as an acousmatic piece. Except that this piece isn’t based on a fixed support, even so there exists a fixed system, since the computer is there, and the program is fixed on a memory. But each time, it gives rise to a different interpretation, to a new unique projection in time. The video capture makes sense in terms of trace of an event, as with any recording of any work.

Right now, one of my students is practicing the piece. He worked on the available online videos to understand it, to understand its notation, etc., which saves time. But that wasn’t the approach used by Jean, who had another kind of experience. I think that each person deals with it in a certain way. But it’s fair to say that, generally speaking, video has become an accessory to the score.

 

3.1 Virtual Rhizome, Smartphones, Primitive Rattle, Virtual Spaces

Jean-Charles
We can now move on to Virtual Rhizome. In this piece, the interface between the performer and the system set up is achieved through the manipulation of smartphones. To begin with, we’ll go back a little to what has already been discussed: in the article already mentioned, you speak concerning this subject of « hochet primitif » [primitive rattle].[10]

Vincent-R.
[laugh] I like it.

Jean-Charles
It seems to me that this idea is connected in some way to video games, where there are beginners and then virtuosos…

Vincent-R.
… those who win and those who lose…

Jean-Charles
But in video games, it seems that beginners are somehow recognized as respectable in the same way as virtuosos. Is this the case, that is, is the piece still the piece, no matter who plays it, even someone who’s never studied music before?

Vincent-
Raphaël
I don’t know. About this idea of rattle, it’s linked to the issues of interfaces. In Toucher, the link between gesture and sound is completely arbitrary, I chose it myself, it’s a purely contingent relationship. The same gesture, used elsewhere in the piece can produce very different sounds. But the object-theremin is there, with the space around the antennas. There’s everything we were talking about earlier, which structures the musician’s gesture, enabling to play in an expressive way. With smartphones, for me, it was a problem, because in this case, space is no longer an issue, it’s an object reduced to the minimum movement. From the gestural point of view, you can make all the gestures you want, but it’s an object that you’re holding in your hand and with one and the same hand movement you can produce a billion different sounds. So, there was a problem concerning the construction of a discourse, due to the absence of a structured space that would allow you to say: “Well! first I’m here, then I’ll play there, then I’ll move away, I’ll go to…”. In Toucher, , this structured space exists around the antennas. In Light Music by Thierry de Mey,[11] that Jean premiered, there is a light surface, also virtual, you don’t see it, but when he places his hand somewhere, it’s not just anywhere, he places his hand according to the structure of the space. With the smartphone, there’s no structure. It’s a punctual object, almost “incorporated” that can only be shaken. It reminded me of a maracas. Really, all this technology for making the gesture of a maracas, it wasn’t worth doing all that [laugh] This was a big problem for me. I had to think hard to find a solution that seemed appropriate. The solution to the problem was not in any way to try to turn the smartphone into an instrument. That object in itself, isn’t that important – although obviously it is, I’m caricaturing a little – but what’s important is: what is the performer playing? Where is the piece really located?

When you’re playing a video game, you might find yourself in a room or on the street, and then at some point you take a turn, you go to another room or to another street, and then you’re attacked by some aliens, you’ve to react, and then you move on to the next stage. It’s a sort of virtual architecture in which you can move in many different ways. This was precisely the idea in Virtual Rhizome, to depart from the traditional instrumental model, which still exists in Toucher, but which is no longer appropriate here because there’s no space to explore with this object that is the smartphone. And from this came the idea of building a virtual space and using the smartphone as an interface, almost like a compass, enabling you find your way around this architecture. That’s how the two things, the rattle, and the video game, are linked together.

 

3.2 Virtual Rhizome, the Path to Virtuosity: Listening

Jean-Charles
And so, where can we find the path to virtuosity in this piece?

Jean
Listening. Being able not just to listen, but somehow to be the sound…
When I recorded with Vincent the percussion sounds used in Virtual Rhizome, I played almost everything with the fingers, the hands, and that allowed for much more color, dynamics, than if I’d played with sticks. When you’re playing with the hands, there is a particular relationship with the material, especially when you’ve spent your entire life playing with sticks, and in fact, when you’re playing with the hands and fingers your listening is even more “curious”.
Then, in this piece, you need to thoroughly understand the interface and play with it, especially with the possibility of superimposing states that can change with each interpretation. But once again, this is only possible with a clear vision of the overall form, if you don’t want to be overwhelmed by the interface.
Whoever the performer is, there is one common thing, which is this necessity to listen: you hear a sound if you go to the bottom of what it has to say. This means writing an electroacoustic piece in real time, with what you hear inside the sound.

It’s the idea of this interiority that helped develop the interpretation, because at the beginning I was moving a lot on stage, and the more I evolved with the piece, the more intimate, singular and secret this approach became. That’s why on stage there is a counter-light (red if possible) so that the public can only see a shadow, and ideally closes the eyes from time to time…

What’s interesting with the versions with dance is that, ultimately, even if the movements are richer and more diversified, there is really this inner listening that predominates, and forces a certain purity, a choice of intention before the choice of movement, that gives rise with the dancers to totally peculiar listening and embodiment movements.

Vincent-
Raphaël
This version with dance was very impressive, because the three dancers were perfectly in place. I said to myself: “But how could you be in place in something that’s never in place, that’s never the same?” You really had the impression that they were perfectly synchronized with the music. How did they do that? It was touching, yes. Very moving.

Jean
And it was brilliant because the accumulation of possibilities, that is roughly, the layers they had encountered, the sound they knew, or at least they heard. They made up a kind of narrative (it’s exactly the same thing in Toucher), they knew, there was a story in the making, with emphasis on certain things, they had to be in a certain place at a given moment. Their sensibility was extraordinary and above all their intelligence. Really, when you’ve worked in a setting like that, with pieces with such intensity in terms of interpretation, I think there is veritably a huge difference between before and after. Because the usual situation of the choreographs is to dance to music that has already been definitively fixed. Most of the time, during rehearsals, they roughly only repeat things that have already been more or less decided. On the contrary, you have here the idea of a flexible framework that enables you to know where you are situated among an infinity of possibilities. And the three dancers benefitted from it, because we performed it three times and each time it was great.

 

3.3 Virtual Rhizome, a Collaboration Composer/Performer/Computer Music Programmer

Jean-Charles
During the elaboration of the piece, you worked together on recording sessions of voice and percussion sounds. What was the nature of the collaboration between the two of you?

Jean
In any case, it’s Vincent who is the composer. It’s a collaboration, of course, but the distinctive feature of the composer in relation to the performer is to be “ahead of time”, which forces you to move toward what is proposed. The collaboration between composer and performer has always existed, even if it can take different forms depending on the encounters.
With Vincent, everything seemed coherent and flowing, even when we were recording many sounds over the course of a day. Everything was clear to me, and I quickly understood in what sound universe I was going to evolve in, even though I had no idea of the form of the piece, but just knowing the landscape is an essential thing for the performer.

Vincent-
Raphaël
Regarding collaboration, it’s true that I really enjoy writing solo pieces, because it implies a very strong bond with the person playing them. The piece arises from this kind of relationship. In Virtual Rhizome, there was something a little special about the fact that the instruments didn’t exist yet, everything had to be developed. Effectively we had the smartphone, but I spent a lot of time first imagining how to deal with the piece, before working on the sound processing modules, which I did with Christophe Lebreton, bearing in mind that I never work with computer music designers. I had worked with Christophe before, but on projects in which he played an artistic role. In Virtual Rhizome it was the first time he really had the role of computer music programmer. I would make the patches in Max and Christophe encoded them in Faust and then compiled them for iApp. As the tool wasn’t ready, it was difficult to be able to work directly on the piece. And at the same time, with such a piece, a relationship with Jean had to be established. I remember suggesting to Jean something like this: “I don’t know where we’re going, but we need to have some sounds. I would love that the work be a sort of portrait of yourself, and so to start with the instruments you like, the way you approach them, and also for you to play with the hands, without sticks.” Conceptually, in a piece like this, where precisely there is no contact with the instrument, it was interesting that the sounds possess in their deepest being this direct contact with the performer’s body. Lastly, the most personal sound imaginable is the voice. Thus, I asked Jean to come up with a text. In fact, there were two texts: Jean proposed extracts from Proust’s Recherche du temps perdu, and I proposed a text (read in French by Jean) by Jorge Luis Borges taken from « Jardin aux sentiers qui bifurquent » [in Fictions][12]. It’s another Borges-style labyrinthic story that fitted the project very well. And both texts say something of the sensual work of listening, the work on sound matter, the labyrinthic structure of the work. They are there as signatures from which we can sometimes hear a word, a barely audible fragment of Jean’s voice.

You raised the question of virtuosity earlier, Jean-Charles. Speaking then of virtuality or virtuosity, I liked the link you made between the two. The virtuosity here resides in the fact that there are two smartphones, behaving in complete isolation from each other. They don’t communicate with each other. You could play the piece with only one smartphone, in a way. You could switch from one situation to another, forwards and backwards, using a gestural control. With both of them, you can combine any situation with any other one. This means that you have to work extremely hard at listening, precisely because, on the one hand you don’t always know what automatized sequences will appear, the textures, the layers mentioned by Jean, and on the other hand, you have also controlled sounds, played, each of which can be very rich in itself. The use of two smartphones implies a great deal of complexity because of the multitude of possible combinations. This requires working intensely on an inner concentrated listening, to orient yourself in this virtual universe, which precisely has no physical consistency. There’s no score anymore, the score is in the head, it’s like the Palace of Memory in the Middle-Ages, a purely virtual architecture that you have to explore. That’s why I like the way you link these terms of virtuosity and of virtuality, because each depends on the other, in a way.

Jean-Charles
About this collaboration, Jean, do you like to add something?

Jean
I already knew Xavier Garcia’s pieces, so working with smartphones wasn’t a problem for me, on the other hand it was when I started subverting Xavier’s applications that I really realized their potential. It’s essential to know at a minimum how it functions, otherwise you cannot really play it without being overwhelmed by the tool… For there is the risk that the tool could ultimately take up all the space.

Nicolas
What I find interesting is that the question of the PaaLabRes fourth edition is centered on how to report on practices and especially the complex ones that have just been described here. In the case of Virtual Rhizome perhaps more than in Toucher, there are three poles that are fairly well defined in terms of the classical division of labor of the 19th century, when the computer didn’t exist. There is the person who composes, the person who performs, who transforms the composition into actual sounds, and Christophe who is the luthier, who would be a kind of computer technician, I don’t know how to call it. So, the composer provides a piece to be played, something to make music in terms of action verbs, Jean, as a performer learns it and creates something with it, and Christophe’s role is to deliver the computer software with the system included to make it work. And it’s this kind of combination, which is not at all as simple as what I’ve just described. It’s nevertheless a first representation, and if you go a bit to the floor below to see the relationships that are woven between each other, how the fact of having said something at a given moment, of having used this very word, for this precise use, that comes out at a given moment, because we have perhaps heard it pronounced as you got off a bus, might create the conditions of a real collaboration. How can you describe this form of complicity between these three positions which, in a bit simplistic and bestial vision, might seem as extremely separated. We tend to look at things too quickly, but in fact there is an enormous amount of subtleties. At what points does this sort of cooperation between at least the three of you come into play? It’s not IRCAM with the Max MSP and this kind of wider community. I don’t know how to make this clear. I’ve got a few ideas, but I submit this question to you to help us do that.

Jean
I think that it’s a modern version of what existed with Mozart and the basset-horn, Bartok with the pedal timpani, Wagner with the saxhorn… I think these relationships have always existed, and they’re extremely closely interwoven. The luthier, Christophe, takes part in the creation of the piece, he is a structuring factor in the creative process. It’s clear that today we’re no longer in the situation of previous times when the composer completely mastered the tool and was often performing his or her own works, keeping control over the three thirds of the creative process: intuition, writing, realization.
Nowadays, with the presence of set-ups, “agencies” [dispositifs], the notion of writing has completely changed its framework, you have to describe the music and at the same time to develop the electroacoustic set-up process of captation, in real time, that is, building an instrument.
The composer can only partly cover the second third, bearing in mind that lutherie also evolves in the writing process… The only obvious thing is that from beginning to end, there is a spoken word, that of the composer, in terms of: “This I want, that I don’t want”. And for me, this is the alpha and omega of creation, that is, its requirement. The composer provides us, performers, with a material, a discourse, a narrative, a vision, a relevance. It’s not a question of hierarchy, but this kind of spoken word is at the heart of the whole process of encounter and creation.

 

3.4 Virtual Rhizome, the « Score »

Nicolas
In the article (already quoted), there’s figure 3, which is a graphic representation with smartphone 1 and smartphone 2 going from 7 to 8 and coming back to 7, and so on. We wondered if this was a notation of one of the possibilities? Is it in fact something that perhaps Jean never did, that Jean never needed to look at to realize the piece? This figure seems to me a little incompatible with the idea that what is represented here is actually the score indicating what there is to do. So, what exactly does this figure 3 represent?

 

Extract from the score of Virtual Rhizome (example 3 de l'article)
Extract from the score of Virtual Rhizome (example 3 of the article)

 

Vincent-
Raphaël
In fact, this is an extract from the score. The score also provides a text of presentation that explains the precise meaning of this notation, which corresponds to a transcription of Jean’s first interpretation. Actually, it’s a possible pathway, but based on the fact that it had already been done. Jean’s interpretation was very good indeed! The recording respects the score absolutely, as it’s been done in other way round… A fair number of things come from his interpretation. At some point, Jean was going back and forth between the two situations… I transcribed this extract you mentioned, which I think corresponds to situations 7 and 8. It makes it explicit that it’s possible to linger in one area of this architecture to explore it, to look at what’s going on around it, and to play with the complexity resulting from combination of the two smartphones. But there are many more ways of exploring it than what’s indicated in the score.

At the top of Figure 3, there’s also a word: “ineluctable”. These terms have been added to produce intentionality. The performer doesn’t just generate sounds, she/he animates them, gives them a soul, literally, and to give them a soul requires an intention, a meaning. It might be a concept, I don’t know, a geometric figure, something that generates intentionality. This is important in the score, but what is notated is actually a possible pathway, and this is the result therefore of the performer’s work, it’s a pathway followed by the performer during the collaboration, and which becomes a possible model for the piece’s realization. It’s interesting to note that it is this pathway that was followed by other performers who played it, as if the form was definitively fixed.

Jean-Charles
Vincent mentioned above that there is no longer a score and that « the score is in your head ». How does this work from your point of view, Jean?

Jean
That’s related to what Vincent said, in a piece like this, the idea of having an infinite number of interpretations is an incredible richness, it’s a bit like analyzing a poem, there will be as many different approaches as there are people reading the poem, which is nevertheless the same for everybody, I love that.

Jean-Charles
This is what Vincent calls “images”? In the text of the article, you can read this: “images totally internalized by the musician”.[13] Are these the words you just mentioned?

Vincent-
Raphaël
Not just these words, but all the sounds and the pathway, everything. An image in the “imaginary” sense, you see, it’s something internalized…

Jean-Charles
It’s not just something visual?

Vincent-
Raphaël
No, it’s internal. But you always have to build an image, so that things can have some consistency and be externalized.

Nicolas
My hypothesis would be that people respect the score, which is given as impossible to respect. In fact, I shouldn’t ask both of you at the same time [laugh]. If someone contacts you, Vincent, who would like to play the piece, what do you begin to tell her or him, what do you send, and so on? Conversely, if a performer comes to see Jean and says: “Ah! I thought it’s great, what do I have to do to be able to play the piece?” What do you give, and what don’t you give, or don’t give right away?

Vincent-
Raphaël
Yes. But there’s included in the score an introductory text, which guides a great deal the work to be done. That’s written down. If someone comes to ask me how to practice the piece, the first thing to say is that you have to work on each situation separately, to understand how it works, because the score isn’t just the notation. The score is also the instrument, the sound processing modules, the choices of recorded sounds, Jean’s voice, it’s the way certain types of controllers were configurated to certain types of parameters, it’s all part of the score. You have to know all that in order to navigate inside it, and, once you know that, then I think you can work on the construction and on the musical aspects. Jean knew all about it because he participated to the creation of the instrument with Christophe, so for him, it was completely obvious. But for someone else, it’s not at all obvious. This was already the case with Toucher, but here perhaps even less so. It’s not easy, because of the conception you have of an instrument on which you act physically, and your gestures produce expected results, and of a score where the intentions are transcribed.

 

3.5 Conclusion: References to André Boucourechliev and John Cage

Jean-Charles
At the end of the article “On Notational spaces and interactive works”, in the conclusion, there are references to Boucourechliev and Cage. Now, listening to what you said, it occurs to me that it’s precisely here a little different because, notably with Cage, there is a fundamental separation between the composer and the performer. The composer defines processes and then passes the relay to the performer to realize the piece without the need for any contact between them. It’s a bit the same with Boucourechliev: the performer can elaborate his or her part of the creative process in with complete independence. Consequently, it seems to me very interesting to refer to this origin of graphic scores from the period 1950-60 (more or less) and compare them with what’s happening today. But at the same time, what you are talking about today seems to me completely different from what happened then.

Vincent-
Raphaël
That’s for sure. But before talking about that, I’d just like to respond to what Nicolas was saying about Christophe’s role in this matter. He’s the designer of the system. His idea of doing something with smartphones was already an important starting point. As is usual when you start something new, at first the ideas tend to be rather vague, you don’t quite know what you can do with them, so you tend to refer to known models. In this case, Christophe’s experience is based on the model of the instrument, among other things. I was a little hasty in talking about his artistic work. He is not only a computer music programmer, but also a creator of interactive systems. And for me, the conception of interactive systems is part of the writing process. I might be the only one to say this, but I think that, fundamentally interactive system design is an integral part of the writing process. There’s a keyword that I like a lot, as it translates quite well this type of experiences: it’s the term of “agencement”. For each new piece, we find ourselves agencing musical functions – performer, composer, luthier – with technical tools, creating each time original agencing. Thus, the difference between Toucher, Bach’s Chaconne and Virtual Rhizome, Rhizome is that each time, there are different agencing between what we consider to be a score, a notation, an instrument, the performer, the composer, the role of each one, the way in which the piece is elaborated, and each time there’s a work, and therefore there’s effectively a composer. The very idea of the work of art, its configuration, the relationships between the composer and the performer, all that, gives way to particular agencements. And for me, the composer who most experimented this during the 20th century was Cage. With Cage, the works – he fabricates works, so he’s effectively a composer, he has that function – are very often particular agencing involving situations, the performer is also a theatre actor, the instruments that have to be chosen, or technical tools, installations, and so on. Obviously, for me, there’s a direct link between Cage’s work and pieces like Virtual Rhizome, in that Cage’s scores often don’t represent a finished work, they are open forms. Above all, the score is a generator of works. If you consider Cage’s Variations, it’s an object designed to produce works, in short, it’s as if you were given a model, an instruction manual designed to fabricate your own, by determining the evolution of parameters and the relationships between them. In fact, Cage proposes technical tools and supports that enable the performer to construct her or his own work. In so doing, he emancipates the performer from the traditional role of interpreter, creating a particular agencing between the performer and the score. And regarding Boucourechliev, there is definitively a link between him and Virtual Rhizome: the score is a sort of navigation map. What I said earlier about virtual architecture applies here, smartphones are like helms that enable you to navigate inside the work. Boucourechliev ‘s Archipels de Boucourechliev is a little like that, appropriately named, it’s a navigation map.

Jean-Charles
We tend to use the word dispositif instead of agencement.

Vincent-
Raphaël
Dispositif”, I used it too, you find it written in the article. Dispositif suits me fine. To dispose, layout, arrange, compose, it speaks, it’s logical. But dispositif has a double meaning. Philosophically, it’s also one of those double-edged terms: Foucault speaks of dispositifs, of imprisonment, of surveillance. And it’s true, one feels it, there’s something about the technical dispositifs which imprisons us. The Deleuzian terms of “agencement” has for me a more open meaning. There is something about agencement compared to dispositif that makes it more open, less oriented. The dispositif has a purpose. The agencement, I don’t really know what it’s for, it remains open to exploration. These are nuances, two complementary points of view of the same process.[14]

Jean-Charles
Thank you to both of you for a very rich encounter. Thank you also to Nicolas.

 


1.Christophe Lebreton : « Musicien et scientifique de formation, il collabore avec Grame depuis 1989. » Musician and educated as a scientist, he collaborates with Grame since 1989.
See: Grame

2. Xavier Garcia, musician, Lyon : Xavier Garcia

3. Charles Juliet, Rencontres avec Bram Van Velde, P.O.L., 1998.

4. « Light Wall System was developed in LiSiLoG by Christophe Lebreton and Jean Geoffroy. See LiSiLoG, Light Wall System

5. SmartFaust is both the title of a participatory concert and the name of a set of applications for smartphones (Android and Iphone) developed by Grame using the Faust language. See Grame, Smart Faust.

6. Claudio Bettinelli, percussionist, Saint-Etienne. See Claudio Bettinelli.

7. Vincent-Raphaël Carinola, Typhon, the work is inspired by Joseph Conrad’s story Typhon. See Grame, Typhon.

8. “On Notational Spaces and Interactive Works”, 2.3, 2nd paragraph.

9. Thierry De Mey, Silence Must Be: “In this piece for solo conductor, Thierry De Mey continues his research into movement at the heart of the musical ‘fact’… The conductor turns towards the audience, takes the beat of his/her heart as pulsation and begins to perform increasingly complex polyrhythms, …3 on 5, 5 on 8, getting close to the golden ratio, she/he traces the contours of a silent, indescribable music…”. Grame

10. “On Notational Spaces and Interactive Works”, op. cit. 3.1.

11. Thierry de Mey, Light music: “musical piece for a ‘solo conductor’, projections and interactive device (first performance March 2004 – Biennale Musiques en Scène/Lyon), performed by Jean Geoffroy, was produced in the Grame studios in Lyon and at the Gmem in Marseille, where Thierry De Mey was in residence.” Grame

12. Jorge Luis Borges, Fictions, trad. P. Verdevoye et N. Ibarra, Paris : Gallimard, 1951, 2014.

13. “On Notational Spaces and Interactive Works”, op. cit. 3.2.

14. See Monique David-Ménard, « Agencements déleuziens, dispositifs foucaldiens », in Rue Descartes 2008/1 (N°59), pp. 43-55 : Rue Descartes

Espaces notationnels et œuvres interactives

Accès à la version originale en anglais: “On Notaional Spaces”
 
Accès à la version en français ; « Rencontre avec Vincent-Raphaël Carinola et Jean Geoffroy »:
 
Accès à la version en anglais : « Encounter with Vincent-Raphaël Carinola and Jean Geoffroy »
 


 

Espaces notationnels et œuvres interactives

Vincent-Raphaël Carinola et Jean Geoffroy

 

Résumé

Cet article présente une réflexion sur la nature des espaces notationnels dans les œuvres musicales interactives faisant appel à des dispositifs numériques. Il prend appui sur les expériences menées par les auteurs dans Toucher (2009) pour thérémine et ordinateur et Virtual Rhizome (2018) pour Smart Hand Computers[1].

Dans les musiques interactives les espaces notationnels sont corrélés à la structuration spatiale du dispositif, notion qu’il faut entendre dans le sens d’une extension de l’instrument traditionnel. C’est pourquoi composer une œuvre équivaut, du moins en partie, à composer l’instrument. Les espaces notationnels, autrement dit, les lieux rendant possible une écriture — et donc une interprétation — sont distribués parmi les différentes composantes du dispositif. La façon dont ses éléments constituant les dispositifs numériques sont interconnectés (le mapping), la logique algorithmique du «if-then-else» et la notion d’ouverture jouent un rôle fondamental pour le compositeur et pour l’interprète.

Or, dans le cas des dispositifs miniaturisés (ou embarqués, ou incorporés), cette structuration spatiale des composantes du dispositif semble absente et, par conséquent, questionne l’existence d’un espace pour la composition et pour l’interprétation. Une des solutions explorée ici consiste à concevoir l’œuvre comme une architecture virtuelle qui rappelle un « monde » dans le domaine des jeux vidéo. Cette architecture, ouverte à une pluralité de parcours, assume alors la fonction d’un espace notationnel en faisant appel, paradoxalement, à des techniques de la mémoire propres à l’oralité.

 

Le texte en version pdf  :

 


1.La notion de Smart Hand Computer est due a Christophe Lebreton. Elle décrit et généralise une des caractéristiques importantes d’outils du quotidien, tels les smartphones, qui regroupent une seul objet une inter- face de captation de geste et un ordinateur. .lisilog.com

Démocratisation de l’informatique musicale

Retour au texte original anglais : Democratisation of Computer Music

 


 

Comment le passé a le don de vous rattraper, ou
La démocratisation de l’informatique musicale,
10 ans après.

Warren Burt

Traduction de l’anglais: Jean-Charles François[1]

 

Warren Burt est compositeur, performeur, fabricant d’instruments, poète sonore, cinéaste, artiste multimédia, écrivain et créateur d’œuvres visuelles et sonores…

 

Sommaire :

1. Introduction – La Conférence internationale 2013 Computer Music
2. 1967-1975 : SUNY Albany et UCSD
3. 1975-1981 : Australie, Plastic Platypus
4. 1981-75 : Micro-ordinateur monocarte à petit budget
5. 1985-2000 : Accessibilité accrue
6. Période post-2000 : L’informalité des trains de banlieue et l’informatique en train sans lieu
7. Aujourd’hui : L’utopie des technologies musicales et les musiciens impertinents
8. Conclusion


 

1. Introduction – Computer Music, La Conférence internationale 2013

En 2013, l’International Computer Music Conference s’est tenue à Perth en Australie. Le comité d’organisation était présidé par Cat Hope[2], qui a eu la gentillesse de m’inviter à prononcer l’un des discours d’ouverture. Le sujet de mon exposé était la « démocratisation » de « l’informatique musicale ». Je mets ces termes entre guillemets, parce que les deux termes faisaient l’objet de controverses (ils le sont toujours), même si leur signification a peut-être changé, voire beaucoup changé, au cours des dix ans qui viennent de s’écouler. Mon exposé s’est situé dans des perspectives australiennes, parce que c’est là que j’ai vécu la plupart du temps pendant les 47 dernières années. Il s’agissait pour moi de faire comprendre au public de ce colloque international, dans quel contexte particulier celui-ci se déroulait. Le contexte culturel de l’Australie est à certains égards très différent et en même temps très proche de ce qui se passe en l’Europe, en Amérique du Nord, ou dans d’autres parties du monde. Je me souviens de Chris Mann, un poète et compositeur, qui, en 1975, en m’accueillant à l’aéroport lors de ma première visite en Australie, m’a dit, « OK, voici ce qu’il faut savoir : on parle la même langue, mais ce n’est pas la même langue ». Les expériences que j’ai vécues au cours des années suivantes m’ont permis de découvrir, dans les détails les plus exquis, les nombreuses nuances qui différencient l’anglais australien des autres versions de la langue anglaise dans le reste du monde. Et en fait, l’anglais parlé par les Australiens il y a cinquante ans n’est pas celui utilisé aujourd’hui. Je me suis probablement trop habitué à la langue au fil du temps, mais beaucoup des caractéristiques uniques de l’anglais-australien que j’avais remarquées à l’époque ont à présent disparues.

Ce que j’ai voulu montrer à l’époque avait un double objectif : premièrement, que les progrès des technologies rendaient les outils de « l’informatique musicale » plus accessibles à un grand nombre de personnes, et deuxièmement, que la définition de ce qu’on considérait alors comme « informatique musicale » était en train de changer. En 2013, Susan Frykberg[3] m’avait posé la question de savoir si je parlais de « démocratisation » ou bien de « commercialisation » ? Cette question m’avait paru pertinente à l’époque. Depuis lors, la prolifération des téléphones portables et autres objets des technologies numériques qu’on peut tenir dans sa main ont rendu son argument initial moins convaincant qu’hier, même s’il garde aujourd’hui son mordant. Avec « le monde » maintenant complètement unifié par des outils de communication miniaturisés, il semble que les technologies ne sont devenues ni démocratisées, ni commercialisées (ou à la fois démocratisées et complètement commercialisées) mais simplement omniprésentes dans notre environnement culturel continu. Richard Letts, le rédacteur en chef de Loudmouth, un magazine électronique consacré à la musique, vient de me demander d’écrire un article sur l’état actuel des technologies musicales. Pour montrer à quel point le secteur des technologies musicales de pointe était partout répandu, j’ai axé mon article sur les technologies musicales disponibles sur l’iPhone, en montrant que la plupart des applications technologiques musicales sophistiquées du passé étaient désormais disponibles, dans une certaine mesure, sur le plus répandu des appareils électroniques grand public.

Le terme « Informatique musicale » a suivi la même voie. En 2013 il faisait référence à la musique expérimentale utilisant des ordinateurs et aux musiques électroniques populaires [dance musics] fabriquée avec des technologies numériques. Il est clair que le nombre de musiques produites à l’aide des technologies musicales s’est encore élargi. Avec humour, j’ai souligné que le périodique mensuel britannique « Computer Music » publiait surtout des articles de type « mode d’emploi » (« tutoriels ») – pour des personnes produisant de la musique de danse « électro » numérique dans leur chambre à coucher plutôt que des articles traitant des aspects les plus subtiles de la synthèse de pointe. Il y a quelques années, Future Music, l’éditeur britannique de « Computer Music », a racheté le magazine américain « Keyboard » et « Electronic Musician », qui de temps en temps publiait des articles sur des sujets intéressant le monde de « l’avant-garde », et aujourd’hui, les deux publications appartenant à « Future Music » ont non seulement des sphères d’intérêt qui se chevauchent, mais certains articles publiés dans l’un apparaissent également dans l’autre. L’accent continue d’être mis sur la musique de pop/dance réalisée à l’aide des technologies commercialement disponibles, mais au fur et à mesure que le temps passe, certains sujets considérés comme marginaux, tels que la synthèse granulaire, sont désormais abordés dans leurs pages, sans que soit généralement mentionnée les personnes qui ont été les pionniers de ces techniques.

Pour montrer combien le terme « informatique musicale » a changé au cours des ans, j’avais inclus dans mon texte original un bref aperçu de ce que j’avais réalisé au cours du temps en expliquant en quoi ces activités s’inscrivaient ou non, aux différentes époques, dans le cadre de « l’informatique musicale ». Ma démarche se voulait humoristique et en grande partie ironique.

 

2. 1967-1975: SUNY Albany et UCSD

Il est temps évoquer un peu mon autobiographie. J’ai pu observer combien le terme d’informatique musicale a changé sans arrêt de sens depuis les années 1960. Pour commencer, selon quelle série télévisée on regardait dans notre enfance, on peut aller voir nos chères machines Waybac ou Tardis. En 1967, j’ai commencé mes études à l’Université d’État de New York à Albany [State University of New York at Albany]. Peu de temps après, le département de musique a installé un système Moog de très grande taille conçu par Joel Chadabe[4], sur lequel un dispositif numérique avait été construit par Bob Moog. Ce système permettait divers types de synchronisations et de déclenchements rythmiques. L’Université avait aussi un centre informatique, où l’on pouvait développer des projets impliquant des piles de cartes perforées traitées en temps différé. Je n’étais pas attiré par les cours d’informatique, mais j’ai été immédiatement attiré par le Moog. Au contraire, deux de mes amis étudiants, Randy Cohen et Rich Gold, ont commencé immédiatement à travailler au centre informatique, en déposant leurs piles de cartes perforées et en attendant très longtemps leurs résultats. Si je me souviens bien, Randy avait écrit un programme pour produire de la poésie expérimentale. J’ai été très enthousiasmé par les résultats de sa démarche qui manipulait le sens et le non-sens des mots d’une manière que je trouvais très habile. Randy, qui s’est lancé peu de temps après dans une carrière d’auteur de comédie, pensait au contraire que la quantité de travail nécessaire pour arriver à un résultat que seuls quelques cinglés comme moi pourraient apprécier, n’en valait pas la chandelle. Ainsi, dès le début de mes études, j’ai eu le pressentiment qu’une division existait entre les « musiciens électroniques » et les « artistes de l’informatique » et tout au moins pour le moment, je me plaçais du côté des « musiciens électroniques ».

En 1967, je suis allé faire des études à l’Université de Californie San Diego, et j’ai très vite été impliqué dans les activités du Center for Music Experiment (CME)[5]. Cette structure incluait en son sein des studios de musique analogique et numérique, ainsi que des projets de danse, de multimédia, de vidéo et de performance art. Il y avait un énorme ordinateur[6] tendrement entretenu par plusieurs de mes amis. Ed Kobrin[7] était alors présent avec son système hybride qui comportait un petit ordinateur qui produisait des contrôles de tension pour des modules analogiques. J’étais responsable d’un petit studio qui avait un synthétiseur Serge[8], un système appelé « Daisy », construit par John Roy et Joel Chadabe (un générateur d’information aléatoire très intéressant) et des modules analogiques construits par un autre de mes collègues, Bruce Rittenbach. On pouvait aussi utiliser des tensions de contrôle issus de la sortie de l’ordinateur principal. Mon propre travail consistait pour l’instant à utiliser des « appareils à commandes manuelles », le monde des « lignes de code » étant pour moi encore trop opaque, même si j’avais travaillé sur plusieurs projets où d’autres personnes généraient des signaux de contrôle avec des « lignes de code » pendant que je manipulais les boutons des « appareils à commandes ». J’ai pu aussi faire le constat de la présence d’une division sociale : alors que moi-même et mes amis chanteur et violoncelliste attendions avec impatience la fin de la journée pour nous rendre à la plage Black’s Beach[9], nos amis informaticiens continuaient à travailler sur leur code, généralement tard dans la nuit. À l’époque, le travail sur ordinateur impliquait nécessairement une certaine obsession qui distinguait les « vrais musiciens informaticiens » du reste « d’entre nous ».

En fait, cette distinction s’avère être un peu ridicule, elle rappelle les sempiternels débats sur les « vrais hommes » ou son alternative non sexiste, la « personne authentique ».

Déjà à l’époque, mon intérêt portait sur l’idée de rendre les technologies plus accessibles. Mes amis de SUNY Albany, Rich Gold et Randy Cohen, qui étaient inscrits dans des études postdoctorales au California Institute of the Arts, m’ont fait connaître les travaux de Serge Tcherepnin et son « People’s Synthesizer Project ». L’idée était de pouvoir disposer d’un kit de synthétiseur pour à peu près 700$ qu’un groupe de personnes pouvait assembler. Le faible coût, l’accessibilité et le fait de faire partie d’un collectif étaient des éléments très attractifs. Par ailleurs, le synthétiseur était conçu par et pour des musiciens évoluant dans le cadre de la musique expérimentale. Le projet comportait également une part importante de ce qui allait être connu sous le nom d’autonomisation [empowerment], c’est-à-dire la possibilité de faire les choses par soi-même en complète autonomie. Au même moment, pour mon projet de maîtrise, j’avais commencé à construire un module de circuits électroniques connu sous le nom d’Aardvarks IV. Constitué de circuits numériques, avec des Convertisseurs Numérique à Analogique [DACs, Digital to Analog Converters] que j’avais moi-même bricolés, je l’ai décrit comme « un modèle intégré d’un programme particulier de composition sur ordinateur ». Mon besoin d’avoir des boutons à tourner – c’est-à-dire, d’avoir un dispositif capable d’être contrôlé physiquement en temps réel – restait une préoccupation majeure. Mon approche de la précision numérique était légèrement idiosyncratique. La singularité et le funk faisaient partie de mon esthétique.

Une illustration de ce qu’est le funk dans la conception de circuits électroniques peut s’observer dans la construction des DACs de Aardvarks IV. En suivant les suggestions de Kenneth Gaburo[10] j’ai utilisé des résistances de très basse qualité dans la fabrication des Convertisseurs Numérique à Analogique.

  plus d’informations sur Aardvarks IV

Au moment où les Convertisseurs Numérique à Analogique étaient considérés comme des dispositifs utilitaires qui devaient être le plus précis possible, dans la conception de ce module, j’ai essayé de traiter un dispositif utilitaire comme une source de variations et d’imprévisibilité créative. Cet intérêt pour l’imprévisibilité créative probablement me différenciait du reste des copains qui travaillaient dans l’arrière-salle du CME. Et en plus, je préférais aller à la plage Black’s Beach plutôt que de me trouver dans l’arrière-salle.

Les ordinateurs de cette époque étaient des monstres très avides, dévorant toutes les ressources se trouvant à proximité. Maintenant qu’ils ont totalement pris le pouvoir sur nos vies, ils peuvent se permettre d’être plus tolérants, mais en ce temps-là, il s’agissait de la survie du plus fort. Quand j’étais à UCSD, CME ne se limitait pas à la recherche sur l’informatique musicale. Le Centre hébergeait en son sein des projets se situant dans beaucoup de domaines différents. Lorsque ma partenaire, Catherine Schieve[11] est arrivée à UCSD au début des années 1980, le CME multidisciplinaire était en passe de devenir exclusivement un centre des arts informatiques, et elle aussi se souvient d’un fossé social entre les personnes travaillant dans l’informatique et le reste des musiciens et musiciennes. Ce qui différenciait aussi les « types de l’informatique » des autres, c’était la quantité de leur production. C’était encore normal pour une personne travaillant sur ordinateur de travailler de longs mois pour produire une pièce courte. Pour ceux et celles parmi nous qui voulaient produire beaucoup, rapidement, travailler uniquement avec des ordinateurs n’était pas la solution. Éventuellement, l’institution du CME a évoluée pour devenir le CRCA, le « Centre for Research into Computers and the Arts ». En 2013, je suis allé visiter le site internet du CRCA, et je me suis aperçu qu’il avait maintenant de nouveau mis l’accent sur la recherche multidisciplinaire, avec des projets assez passionnants. Cependant, j’ai appris par des personnes travaillant à UCSD en 2013 que depuis, le CRCA avait malheureusement fermé ses portes. Encore une institution qui mord la poussière !

 

3. 1975-1981 : Australie, Plastic Platypus

Entre à peu près les années 1980 et aujourd’hui, « l’informatique musicale » est devenue un domaine qui regroupe un très large éventail de points de vue esthétiques. Aujourd’hui, pratiquement le seul facteur commun qui unit ce champ d’activité est l’utilisation de l’électricité et, généralement, d’une sorte d’ordinateur (ou circuit numérique). Mais concernant les styles de musique, nous sommes entrés dans une période où « tout est possible ».

À la fin des années 1970 et au début des années 1980 les choses ont changé. De nouveaux ordinateurs de petite taille ont commencé à apparaître et ont été appliqués aux tâches de production musicale. Plusieurs systèmes très prometteurs ont été construits[12] qui ont consisté à fondamentalement dissimuler l’ordinateur derrière une sorte d’interface musicale conviviale. Au même moment, toute une série de micro-ordinateurs ont fait leur apparition, habituellement sous la forme de kits à construire soi-même. Un fossé s’est rapidement creusé dans le monde de l’informatique musicale entre les « personnes de l’ordinateur central » qui préféraient travailler sur les ordinateurs très onéreux qui existaient dans des institutions et les « adeptes de la performance en temps réel » qui préféraient travailler avec leurs propres petits systèmes, microprocesseurs portables, à la portée de leurs moyens financiers. L’ouvrage de Georgina Born, Rationalizing Culture[13], une étude sur la sociologie de l’IRCAM dans les années 1980, a permis de voir comment George Lewis[14], avec son travail sur micro-ordinateur, a réussi à s’insérer dans le monde de l’IRCAM basé sur l’utilisation d’ordinateurs centraux et la présence de structures hiérarchiques.

En 1975, je suis arrivé en Australie. J’ai mis en place un studio de synthèse analogique et de synthèse vidéo à l’Université La Trobe à Melbourne. Dans cette université, Graham Hair[15] a commencé à travailler sur l’informatique musicale sur un ordinateur PDP-11. En poursuivant mes travaux sur « Aardvarks IV » réalisés à UCSD, je me suis remis à travailler avec des puces numériques. Inspiré par ce qu’avait réalisé Stanley Lunetta[16], j’ai conçu un module, « Aardvarks VII » en utilisant exclusivement des puces compteur/diviseur 4017 et gate puces 4016. Il s’agissait de la forme de conception numérique la plus rudimentaire. Les puces étaient simplement soudées sur des cartes de circuits imprimées. En d’autres termes, la façade en plastique du synthétiseur comportait les connexions de circuit imprimées à l’arrière, et les puces étaient directement soudées sur ces connecteurs imprimés. Pas de mise en mémoire tampon, rien d’autre. Juste des puces. Il était principalement conçu pour travailler avec des fréquences accordées en intonation juste et il m’a permis de jouer avec beaucoup plus de modules. Tout cela en temps réel. L’esthétique du patching restait pour moi le paradigme, basé sur la manipulation physique en temps réel et sur des modules combinatoires. À cette époque, en 1978-79, j’avais l’impression d’être devenu un musicien électronique qui travaillait avec des circuits numériques, mais je n’étais pas encore cette bête rarissime qu’est le « musicien informaticien ».

Simultanément, j’ai été amené à utiliser la technologie la plus rudimentaire – c’est-à-dire l’électronique grand public la moins chère, au bas de l’échelle économique – pour faire de la musique. Ron Nagorcka[17] (que j’avais rencontré pour la première fois à UCSD) et moi-même nous avons formé un groupe nommé Plastic Platypus qui faisait de la musique électronique vivante avec des magnétophones à cassette, des jouets et de la camelote électronique [electronic junk]. Certaines de nos installations étaient très sophistiquées, la nature low-tech et low-fi de nos outils dissimulant une pensée systémique très complexe, mais notre travail est né d’un questionnement idéologique sur la nature de la haute-fidélité. Alors qu’à l’occasion, il était pour nous très agréable de travailler dans des institutions qui pouvaient se payer des haut-parleurs de qualité (etc.), nous étions aussi conscients que les coûts des systèmes audiophiles étaient hors de la portée de beaucoup de gens. Étant donné que l’une des principales raisons pour lesquelles nous avons créé le groupe était de travailler sur les types d’équipement les plus courants afin de montrer que la musique électronique pouvait être accessible au plus grand nombre, nous avons adopté la qualité sonore du magnétophone à cassette, du minuscule haut-parleur suspendu à un fil se balançant, celle du piano jouet ou du xylophone jouet. Comme le disait Ron avec éloquence, « l’essence-même des médias électroniques c’est la distorsion ». La technologie, bien sûr, à la longue allait nous rattraper et l’accès des « masses » à une bonne qualité sonore est devenue une question sans objet vers la fin des années 1980, mais notre travail sérieux avec les problèmes et joies de la technologie de basse qualité entre temps nous a beaucoup amusé.

Ron et moi (et plusieurs autres personnes qui travaillaient alors avec la technologie des cassettes, comme par exemple Ernie Althoff[18] et Graeme Davis[19]) on était généralement d’accord sur la manière d’envisager l’utilisation de cette technologie. Un processus de feedback multigénérationnel, tel que celui illustré dans l’œuvre d’Alvin Luciers, « I Am Sitting in a Room »[20], était à la base d’une grande partie de nos productions. Dans ce processus, un son est produit sur une machine et enregistré simultanément sur une deuxième machine. La seconde machine est ensuite rembobinée et la lecture de cette machine est enregistrée sur la première machine. En répétant plusieurs fois ce processus, il en résulte d’épaisses textures sonores, entourées d’une rétroaction acoustique qui s’accumule progressivement. Dans la pièce de Ron « Atom Bomb », pour deux interprètes et quatre magnétophones à cassette, il a eu l’idée d’ajouter l’action d’avance et de retour rapides des cassettes en cours de lecture pour créer une distribution aléatoire dans le temps des sources sonores au fur et à mesure qu’on les enregistrait. A la fin de cette section, les quatre cassettes étaient rembobinées et rediffusée aux quatre coins de la salle, créant ainsi une « pièce pour bande électroacoustique » quadriphonique que le public avait vu assemblée devant lui. Dans ma pièce « Hebraic Variations », pour alto, deux magnétophones à cassette et haut-parleur portable attaché à une très longue corde, je jouais (ou essayait de jouer) la mélodie de « Summertime » de George Gershwin (je suis un altiste de niveau très insuffisant). Pendant que je jouais la mélodie en boucle sans fin, Ron enregistrait à peu près 30 secondes de mon jeu sur un magnétophone à cassette (« l’enregistreur »), puis il transférait cette bande sur une deuxième machine (le « lecteur »), recommençait à enregistrer sur la première machine, et puis faisait tourner en cercle au-dessus de sa tête le haut-parleur de la seconde machine pendant à peu près une minute. Cela créait des décalages Doppler et une texture plus épaisse par rapport à mon jeu sur l’alto. Après 5 ou 6 cycles de ce procédé, un paysage sonore d’une très grande densité était assemblé, constitué par des glissandi, des notes pas très justes et de nombreux types de clusters sonores. La médiocrité de la technologie liée à celle de ma production se multipliaient mutuellement, créant un monde sonore micro-tonal épais.

L’entente entre Ron et moi dans l’élaboration du répertoire de Plastic Platypus a été presque unanimement parfaite. La composition des pièces a été laissée à la responsabilité de chacun, et ensuite les désirs de chaque compositeur ont été pris en compte du mieux possible. Le niveau de confiance et d’accord entre nous était très élevé. Il y deux ans, Ron a retrouvé des cassettes des performances de Plastic Platypus, il les a copiées et me les a envoyées. Beaucoup de nos anciens moments favoris étaient présents et étaient instantanément reconnaissables. Mais de temps en temps, nous avons été désarçonnés tous les deux à l’écoute d’une pièce – on n’arrivait pas à déterminer qui avait composé la pièce ou à quelle occasion elle avait été enregistrée. Ces pièces étaient peut-être des improvisations qui, par les processus utilisés, obscurcissaient l’identité de qui en était l’auteur.

 
Nogorcka

Ron Nagorcka au Clifton Hill Community Music Centre, 1978

 

En plus de mes travaux sur les synthétiseurs analogues, de la fabrication de mes propres circuits numériques et de mes travaux avec la low-tech, j’ai alors commencé à m’impliquer sérieusement dans l’informatique[21]. Lors de mes séjours aux Etats-Unis, Joel Chadabe m’a permis de travailler gracieusement dans son studio et pour la première fois, j’ai effectivement utilisé un code pour déterminer des évènements musicaux. Les résultats étaient produits presque en temps réel, ce qui donnait satisfaction au « tourneur de boutons » que j’étais. Plus tard, de retour en Australie, en 1979, j’ai travaillé sur le Synclavier à l’Université d’Adélaïde à l’invitation de Tristam Cary[22] et en 1980, à Melbourne, j’ai demandé à avoir accès au Fairlight CMI au Victorian College of the Arts et j’ai appris tous les tenants et les aboutissants de cette machine. J’ai contracté le virus de posséder mon propre système informatique[23]. Mon choix s’est porté sur un micro-ordinateur Rockwell AIM-65. Je me suis donc plongé dans l’apprentissage de cette machine et j’ai construit pour cela ma propre interface de manière extrêmement idiosyncratique. Ensuite, ayant élargi la mémoire du AIM à 32k, j’étais super excité [I was hot]. Il était maintenant possible de réaliser de la synthèse des sons en temps réel (en utilisant des formes d’ondes dérivées du code dans la mémoire). En utilisant le AIM-65 de cette façon et en traitant sa sortie avec le Serge, je pense que j’étais finalement devenu un « musicien informaticien », mais je ne sais pas si j’en étais un « véritable ». Plus précisément, mon approche restait toujours idiosyncratique, et mon penchant pour rendre l’équipement plus accessible à tous en donnant en exemple ma propre démarche (un marxiste aurait un mouvement de répulsion à cette idée) semblait, au moins dans ma tête, me distinguer encore de mon homme de paille mythique, l’élitiste, obsédé par la perfection et la répétabilité, opérateur d’ordinateurs institutionnels qui ne veut toujours pas aller à la plage.

 

4. 1981-75 : Micro-ordinateur monocarte à petit budget

Mes aventures avec le micro-ordinateur mono-carte pas cher m’ont occupé par intermittence pendant les années 1981-85[24]. Les travaux réalisés avec ce système entre 1982 et 1984 ont été regroupés sous le titre d’Aardvarks IX. Un des mouvements a été nommé « Three Part Inventions (1984) ». Il s’agissait d’une pièce semi-improvisée dans laquelle j’utilisais le clavier de mon ordinateur comme un clavier musical. Programmé en FORTH, j’étais capable de réaccorder le clavier sur n’importe quelle gamme micro-tonale en appuyant sur une touche[25]. Dans cette pièce, je combinais mes capacités de « musicien informaticien » avec mon intérêt pour la technologie démocratisée grâce à des coûts abordables et mon intérêt pour les formes de diffusions musicales non publiques. Chaque matin (je pense que c’était en juin 1984) je m’asseyais et j’improvisais une version de la pièce, en enregistrant cette improvisation du matin sur une cassette de haute qualité. Je pense que j’ai réalisé 12 versions uniques de la pièce de cette manière. J’ai aussi réalisé encore une autre version de la pièce, que j’ai enregistrée sur un magnétophone à bobines et je l’ai gardée pour l’utiliser dans la version enregistrée de l’ensemble du cycle. Chacune des 12 versions uniques de la pièce a été envoyée en cadeau à une de mes connaissances. Bien sûr, je n’ai pas gardé trace de quelles versions j’avais amicalement envoyé aux 12 personnes. C’est ainsi que dans cette pièce, j’ai pu combiner mon intérêt pour les systèmes d’intonation micro-tonale, l’improvisation, les processus électroniques en temps réel, l’utilisation des technologies bon marché (ou moins chères) (l’ordinateur AIM et le magnétophone à cassettes), l’art par courrier postal personnel, et les réseaux non publics de distribution de la musique, tout ceci intégré dans une seule pièce. J’ai voulu tout avoir – une recherche sérieuse high-tech et des réseaux d’édition et de distribution prolétaires, réalisés avec des circuits électroniques fabriqués à la maison et une informatique de niveau amateur. Il n’a pas été surprenant de constater que certains de mes amis se situant dans la « sphère haute » de « l’informatique musicale » aient exprimé un certain nombre de points de divergence concernant mes choix dans cette pièce d’instrument, de performance et de diffusion.

Quelques questions à l’époque semblaient pertinentes et, dans une certaine mesure, elles le sont encore aujourd’hui. Une des questions est : « À quel point est-on prêt à construire la totalité des choses par soi-même de la cave au grenier ? » Je pense que la raison pour laquelle on voulait effectuer ce travail de construction était que les équipements étaient onéreux et surtout confinés dans les institutions. Aujourd’hui, on dispose d’un éventail de possibilités allant d’applications limitées ne faisant qu’une seule chose correctement (avec un peu de chance) à des projets dans lesquels on construit soi-même ses propres puces et leur mise en œuvre. Même si les exemples que j’ai donnés sont un peu extrêmes, il s’agit là de l’éventail des choix qui s’offraient à nous à l’époque : le bricolage artisanal ou bien le prêt-à-porter sur catalogue, et dans quelle proportion ?

Une autre question concernait la notion de propriété. Était-on dans la situation d’utiliser les outils de quelqu’un d’autre, que ce soit ceux d’une institution à laquelle on était associé ou l’équipement d’un ami lors d’une visite chez lui ? Ou bien était-ce la situation d’utiliser ses propres outils qu’on avait été capable de développer dans une relation de longue durée ? À ce stade de ma vie, je faisais les deux à la fois. Encouragé par l’exemple de Harry Partch[26],qui pendant mes années à UCSD (1971-75) était encore en vie et installé à San Diego et directement encouragé par mon professeur Kenneth Gaburo, j’ai pris la décision que, même s’il était possible de prendre avantage des facilités offertes par les institutions si elles étaient disponibles, je préférais posséder mon propre équipement. Ce qui voulait dire que j’étais disposé à ce que l’ensemble de mes activités soit déterminé par mon pouvoir d’achat. Ainsi, une exploration intense de la micro-tonalité était rendue possible par les outils disponibles à bas prix (ou que j’avais la capacité de construire), mais une exploration sérieuse du son multicanal n’était pas à l’ordre du jour, parce que je ne pouvais me payer ni l’espace ni les haut-parleurs qu’on pouvait trouver pour cet usage. Pourtant, j’ai pu réaliser des projets utilisant à la fois des haut-parleurs peu orthodoxes et de la spatialisation sonore. Voici deux photos du Grand Ni, une installation à l’Experimental Foundation, Adelaïde (Australie).

 
Grand Ni 1

Warren Burt : Le Grand Ni, Experimental Art Foundation, Adelaïde, 1978, Aardvarks IV (la boîte argentée verticale).
Aardvarks VII (le panneau plat placé devant Aardvarks IV), transducteurs attachés à des panneaux publicitaires en métal utilisés comme haut-parleurs.
Photo : Warren Burt.

 
Grand Ni 2

Le Grand Ni, 1978 – vue sur les panneaux en métal utilisés comme haut-parleurs.
Photo : Warren Burt.

 

Voici un extrait du 5ème mouvement du Grand Ni. Ce mouvement est diffusé par des haut-parleurs normaux, pas par les haut-parleurs en sculpture métallique :

 

Warren Burt, « Le Grand Ni », extrait du 5ème mouvement.

 

Plus récemment, j’ai eu peu d’opportunité de réaliser des travaux impliquant des systèmes de son multicanaux, car je n’ai pas été en situation d’avoir accès à des espaces et du temps pour le faire, mais il y a peu, j’ai reçu une commission du MESS, le Melbourne Electronic Sound Studio, pour composer une pièce pour leur système de son à 8 canaux. Cela a eu lieu en septembre-octobre 2022 et le 8 octobre 2022 à la SubStation, à Newport dans l’Etat de Victoria, j’ai présenté la nouvelle œuvre pour 8 canaux en concert. (Merci beaucoup à MESS pour m’avoir donné l’opportunité de réaliser ce projet et pour l’assistance fournie).

Une autre raison pour disposer de son propre équipement a été – au moins en ce qui me concerne – la nature fragile des relations que j’ai pu avoir avec les institutions. Comme beaucoup d’entre nous, nous avons été mis dans la situation de consacrer plusieurs années à développer des équipements institutionnels, pour ensuite perdre notre emploi dans cette institution. Cette situation en Australie est de plus en plus grave. La plupart des personnes que je connais qui travaillent dans les institutions universitaires ne sont plus que des vacataires avec des contrats renouvelables à l’année. Même le statut « d’employé permanent », déjà fort éloigné des positions avec garantie d’emploi à vie, mais qui est au moins quelque chose, semble être de moins en moins offert. Quant aux Teaching Assistants [étudiants de troisième cycle servant d’assistants à un membre de la faculté] ce n’est plus la peine de les mentionner – ils n’existent plus. En 2012, dans le cadre de mon emploi, j’ai dû faire de la recherche concernant l’état de l’enseignement des technologies musicales en Australie. J’ai découvert qu’à l’échelle nationale, dans la période 1999-2012, 19 institutions avaient soit supprimé leur programme de technologies musicales ou en avaient sévèrement réduit leur budget. Cela ne s’est pas seulement produit dans les petites institutions, mais les grands établissements ont été aussi partout impactés. Par exemple, quatre des principaux chercheurs en informatique musicale travaillant en Australie, David Worrall, Greg Schiemer, Peter McIlwain, et Garth Paine ont tous été licenciés des institutions qu’ils avaient contribué à développer pendant de nombreuses années. Notons qu’il ne s’agit pas de personnes ayant quitté volontairement leur poste universitaire avec un remplacement par une autre personne dans la foulée, mais ce sont les postes aux-mêmes qui ont été supprimés. Étant donné cette situation, ma décision prise il y a plusieurs dizaines d’années de « posséder mon propre studio » est aujourd’hui plus sage que jamais.

Voici une photo qui donne un exemple des résultats de mon « adresse au citoyen » au début des années 1980. Les sons produits lors de la performance incluaient : 1) Cliquetis de crevettes ; 2) Sons électroniques (à hauteurs déterminées) en réponse aux crevettes ; 3) Sizzzz de sons sous-marins de bateaux à moteurs ; 4) Vagues ; 5) Un gong trempé dans de l’eau ; 6) Tortillements d’oscillateurs retraçant l’amplitude de la production sonore d’un hydrophone ; 7) « La Mer » de Debussy jouée sous l’eau et traitée par les vagues ; 8) Les sons produits par le public ; 9) Mes paroles s’adressant au public ; 10) Mouettes. Cette performance qui a duré toute la journée a eu lieu au Festival de St Kilda[27], évènement orienté vers la large participation du public, sur la jetée de St Kilda en 1983.

 
StKilda

Adresse aux « citoyens » : Warren Burt: Natural Rhythm 1983. Hydrophone, water gongs,
Serge, Driscoll et modules bricolés à la maison, Gentle Electric Pitch to Voltage, haut-parleurs Auratone.
St. Kilda Festival, St. Kilda Pier, Melbourne.
Photo : Trevor Dunn.

Au milieu des années 1980, j’ai changé : j’ai commencé à utiliser des ordinateurs commerciaux. J’avais démissionné de l’université à la fin de 1981, et en tant que musicien indépendant, j’avais besoin d’un ordinateur moins onéreux. Le AIM-65 single-board micro-ordinateur que j’ai utilisé de 1981 à 1985, s’est éventuellement avéré ne pas être assez puissant, ni assez fiable, pour ce dont j’avais besoin. Une série de machines basées sur PC-Dos a alors suivi. Pendant tout ce temps-là, j’ai continué à m’intéresser à composer et à utiliser des systèmes de synthèse de manière non conventionnelle. Je me suis beaucoup amusé pendant un certain temps sur US, développé par les Universités d’Iowa et d’Illinois. Wigout de Arun Chandra[28] – une reconstitution de « Sawdust » d’Herbert Brün[29] – s’est avéré également une précieuse ressource. J’ai observé avec enthousiasme mes amies et amis en Angleterre, motivées par la même « éthique de la pauvreté et de l’enthousiasme-pour-l’accessibilité » à laquelle j’adhérais, développer le Composers’ Desktop Project, même si je n’ai pas réellement utilisé le CDP système avant un certain temps. J’ai étudié des programmes plus anciens quand ils étaient disponibles, tels que le PR1 de Gottfried-Michael Koenig [30] qui s’est avéré fertile pour quelques pièces de la fin des années 1990. Et je me suis trouvé dans la situation de m’impliquer avec des développeurs de logiciel et j’ai commencé à faire des tests bêta pour les aider. John Dunn (1943-2018) d’Algorithmic Arts a été l’un de mes plus constants collègues de travail pendant à peu près 23 ans, et j’ai créé un certain nombre d’outils disponibles sur ses programmes SoftStep, ArtWork et Music Wonk.

 

5. 1985-2000 : Technologies plus accessibles<

William Burroughs raconte une anecdote très amusante dans une de ses histoires au sujet d’un voyageur malheureux qui est invité par la Green Nun[31] à « voir le merveilleux travail effectué avec mes patients dans le service psychiatrique ». En entrant dans l’institution son comportement change. « À tout moment, vous devez obtenir la permission pour quitter la pièce ». Etc. Et donc les années ont passé. En ayant conscience du temps qui passe, on arrive maintenant au présent et ce qu’on voit c’est une corne d’abondance de dispositifs pour faire de la musique, de programmes (etc.), tous disponibles à bas coûts, etc.

À un certain moment dans les années 1980, les ordinateurs sont devenus plus petits et ils ont été dotés d’une foison de boutons et de capacités en temps réel, et ont cessé d’être le domaine exclusif de quelques personnes ayant accès à des studios bien dotés pour devenir accessible à pratiquement toutes les personnes intéressées. À condition évidemment d’avoir les connaissances adéquates, le statut social, etc. Et dans cette idée d’un ordinateur avec une pléthore de boutons de contrôle, j’aime bien la conception de l’interface du GRM [Groupe de Recherche Musicale] Tools en France. « Tools » en France. En suivant les idées de Pierre Schaeffer, ce qui a primé dans la conception de ce logiciel, c’est le fait de pouvoir contrôler tous les paramètres de l’extérieur, d’avoir beaucoup de possibilités de passer en douceur d’un réglage à un autre, et d’éviter d’avoir à manipuler une grande quantité de nombres dans le feu de l’action.

À un certain moment, vers (peut-être) la fin des années 1990, le nombre d’oscillateurs mis à disposition n’était plus un problème. La question de l’accessibilité s’est concentrée dès lors sur les moyens de contrôler un grand nombre d’oscillateurs. Je me souviens qu’Andy Hunt à l’Université de York travaillait sur Midigrid, un système mis à la disposition des personnes handicapées pour contrôler les systèmes de musique électronique par rapport à leur mobilité réduite. Le développement de ce système s’est arrêté en 2003. Il se trouve que cette année, une entreprise anglaise, ADSR Systems, a mis sur le marché un produit appelé Midgrid. Au vu de leur vidéo YouTube, je ne pense pas que les deux logiciels ont quoi que ce soit en commun. Et ces deux dernières années, l’équipe du AUMI – Adaptive Use Musical Instruments [Instruments de musique à utilisation adaptée][32] ont fait des avancées considérables pour développer des systèmes de contrôle de la musique pour les tablettes et ordinateurs portables qui rendent l’accès aux contrôles encore plus facile.

De plus, au cours des années 1990, l’accès à la qualité de la diffusion sonore (l’économie de la haute-fidélité) a cessé d’être un problème. C’est-à-dire, la question du désir et du confort est devenue plus importante que les aspects économiques. Les prix des équipements se sont écroulés, pour moins cher, on peut avoir de plus en plus de puissance. De nouveaux paradigmes d’interaction ont fait leur apparition, tels que l’écran tactile et d’autres nouveaux dispositifs de performance, et à peu près tout ce qu’on peut espérer avoir est maintenant disponible à un prix relativement bas. En face de cette abondance, on peut être déconcerté, accablé ou enchanté et se plonger dans l’utilisation de tous ces nouveaux outils, jouets et paradigmes mis à disposition.

Voici quelques photos qui illustrent certains des changements qui ont eu lieu pendant la brève histoire de « l’informatique musicale » :

 
Hrpsch

John Cage, Lejaren Hiller et Illiac 2, University od Illinois, 1968, en train de travailler sur HPSCHD.

 
Android

Les coulisses d’un salon professionnel, Melbourne 2013.
Chacune des tablettes Android travaillant à la sortie de l’ordinateur portable est plus puissante qu’Illiac 2
et coûte infiniment moins cher.
Photo : Catherine Schieve.

 
Mafra

Dispositif informatique par Warren Burt pour « Experience of Marfa » de Catherine Schieve.
Concerts Astra, Melbourne, 1-2 juin 2013.
Deux ordinateurs portables et deux netbooks contrôlés par des unités de contrôles Korg.
Photo: Warren Burt.

 
Marfa2 - Grande

Une autre vue du dispositif informatique de « Experience of Marfa ».
Notez le gong et l’orchestre artisanal de Surti Box derrières les ordinateurs.
Photo : Warren Burt.

 
RandCorp

Cette photo est pour rire.
Il s’agit d’une photo de 1954 de la RAND Corporation montrant comment on pouvait imaginer
à quoi ressemblerait l’ordinateur domestique standard en 2004.

 

6. Période post-2000 : L’informalité des trains de banlieue et l’informatique en train sans lieu

Il y a une ressource néanmoins qui déjà coûtait cher à l’époque, et qui l’est encore plus aujourd’hui. Cette ressource, c’est le temps. Le temps d’apprendre les nouveaux outils/jouets, le temps pour composer des pièces avec les jouets, le temps pour écouter les travaux des autres personnes et que les autres puissent écouter nos œuvres. En Australie, les conditions de travail se sont détériorées et les dépenses ont augmenté, de sorte qu’il faut maintenant travailler plus longtemps pour disposer de moins de ressources. L’époque semble révolue, du moins pour le moment, où l’on pouvait travailler trois jours de la semaine pour gagner assez d’argent pour exister et pouvoir disposer de quelques jours pour travailler sur sa production artistique. Dans notre société complètement dominée par l’économie, le temps consacré à des activités non économiques devient un véritable luxe. Ou bien, comme Kyle Gann l’a exprimé avec éloquence dans son blog Arts.Journal.com Post Classic, blog du 24 août 2013 :

En bref, nous sommes tous, chacun d’entre nous, en train d’essayer de discerner quel genre de musique il est possible de produire de manière satisfaisante, signifiante et/ou utile socialement dans le contexte d’une oligarchie contrôlée par le monde de l’entreprise. Il y a une myriade de réponses possibles, chacune ayant ses avantages et ses inconvénients sans qu’il y ait pour le moment de preuves d’un côté comme de l’autre. Nous conservons notre idéalisme et faisons le mieux que nous pouvons.

Un autre facteur de l’érosion de notre temps disponible est l’expansion des médias de communication. Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais sauf si j’éteins mon portable et mon courrier électronique, il est très rare qu’il y ait une période de plus d’une demi-heure où quelque chose ne réclame pas mon attention urgente, que ce soit sous la forme d’un texte, d’un coup de téléphone, ou d’un courriel. Cet état d’interruption constante du temps de travail, qui ne cesse de diminuer, est la situation dans laquelle beaucoup d’entre nous se trouvent.

Ma propre solution a été d’investir dans l’achat d’un casque supprimant les bruits et d’ordinateurs portables petits mais assez puissants, et après 2016, dans des tablettes, telles que l’iPad Pro, pour pouvoir travailler dans les excellents trains de banlieue de l’État de Victoria. Quand on est entouré de 400 personnes, que le modem est éteint, et que le casque nous empêche d’entendre le téléphone portable, alors on peut disposer d’au moins une heure, à l’aller comme au retour, pour se consacrer de manière ininterrompue à la composition. Cependant, je me demande bien quel est l’effet sur ma musique lorsqu’elle est composée dans un environnement aussi confiné, étroit et hermétique. Je continue à composer de cette manière et j’ai écrit beaucoup de pièces dans cet environnement. Dans cette pièce, « A Bureaucrat Tells the Truth » [Un bureaucrate dit la vérité] tirée des « Cellular Etudes » (2012-13) je combine des échantillons sophistiqués avec des sons bruts à 8 bits reconstruits avec amour dans le softsynth Plogue, Chipsounds :

 

Warren Burt, « A Bureaucrat Tells the Truth »

 

J’ai envoyé cette pièce à David Dunn et voici ses observations :

Une des questions formelles qui m’est venue à l’esprit a été l’idée que les échantillons sonores pour le contrôle midi sont des objets trouvés (de la même manière que tout instrument musical est un objet trouvé) qui portent en eux des constructions culturelles particulières (la tradition). La plupart des compositeurs veulent habituellement qu’une pièce se situe dans une ces traditions (bourges vs. Stanford vs. cage vs. orchestre occidental vs. musiques du monde vs. musiques bruitistes vs. jazz vs. musique spectrale vs. rinky-dink lo-fi diy etc.). C’est le cas généralement de compositeurs qui essaient de limiter leurs choix de timbres de manière à définir un contexte d’association particulier (genre). Dans ces pièces on laisse les cultures divergentes se frotter le nez jusqu’à ce qu’elles saignent. Et c’est vrai. Je veux jouer sur les deux tableaux, ou peut-être sur tous les tableaux. Je ne vois rien de mal à être à la fois hi-tech et lo-tech, à être à la fois complexe et élitiste, ET prolétaire.[33]

Peut-être que ma méthode de composition dans le confinement et l’isolement du train me fait accumuler côte à côte de plus en plus de cultures, tout comme ces personnes dans ce train, issues de tant de cultures, qui se serrent les unes à côté des autres.

La question du temps est donc plus que jamais un problème. L’une des raisons en est l’accélération sur le marché de la mise à disposition de matériels, qui dépasse de beaucoup ma capacité à les interroger sérieusement. L’une de mes stratégies pour composer consiste à étudier un appareil ou un logiciel et de me demander, « Quels en sont les potentiels pour la composition ? » Pas tellement « pour quel usage a-t-il été conçu », mais plutôt « comment peut-il être subverti ? » Ou bien si cela paraît trop romantique, peut-être de se demander, « Qu’est-ce que je peux faire avec cet outil que je n’ai pas déjà fait ? » Et « Quelle est la Structure Profonde contenue dans cet outil ? » En me souvenant des premières années de la musique électroacoustique, quand des gens comme Cage, Grainger et Schaeffer ont utilisé des équipements clairement conçus pour d’autres usages que celui de produire de la musique, je me trouve dans une situation similaire aujourd’hui. Le meilleur magasin de nouvel équipement musical que j’ai trouvé à Melbourne est StoreDJ, qui propose une bonne sélection, des prix modiques et un personnel connaisseur. Alors que Cage et ses amis se procuraient leur équipent dans le monde de la science et de l’armée, je trouve maintenant que je peux me procurer certaines de mes ressources dans l’industrie de la dance-music. Dans une période très récente (2020-22) je me suis impliqué dans la communauté VCV-Rack. Il s’agit d’un groupe de programmeurs, sous la direction d’Andrew Belt (voir aussi Rack 2) qui a construit des modules virtuels qui peuvent être assemblés ensemble, comme les modules analogues étaient utilisés (ils le sont encore aujourd’hui) pour créer des systèmes de composition complexes. J’ai contribué au projet NYSTHI d’Antonio Tuzzi qui fait partie du projet VCV, avec certaines de mes conceptions de circuits. On peut avoir accès à 2500 modules, certains d’entre eux étant des copies de logiciels de modules physiques existants, et d’autres sont des créations originales et uniques qui ouvrent la voie à l’exploration de nouveaux potentiels compositionnels. La distinction évoquée ci-dessus, entre l’industrie de la dance-music et les ressources mises à la disposition du monde de la « musique contemporaine » ou de la « musique expérimentale » a maintenant largement disparue. Il y a tant de nouvelles ressources disponibles, provenant de toutes sortes de concepteurs, avec toutes sortes d’orientations esthétiques, qu’on est submergé par la diversité des choix à faire.

Il y a deux ans j’ai dit en plaisantant qu’il y avait beaucoup trop de post-doctorants japonais dans les écoles d’ingénieurs du son avec beaucoup trop de temps libre pour créer de nombreux plug-ins gratuits intéressants, si bien qu’ils ne me laissaient que peu de possibilités d’être capable de tous les suivre. Maintenant, bien sûr, la situation s’est empirée considérablement, est-ce une bonne chose ? La quantité de ressources disponibles gratuitement, ou à très bas prix, dans le projet VCV Rack ou dans l’écosystème de l’iPad, est telle que je pourrais y passer plusieurs de mes prochaines vies. Et aussi longtemps que je serais capable d’avoir une ouverture d’esprit et une attitude expérimentale, ce sera probablement le cas.

Voici des liens pour regarder deux vidéos, montrant des travaux réalisés il y a une dizaine d’années. La première, « Launching Piece » utilise 5 tablettes numériques[34]. À l’époque, je venais juste de commencer à travailler avec cette installation, et c’était très agréable de sortir de la situation d’être « derrière l’écran de l’ordinateur », et de pouvoir d’avantage s’engager physiquement pendant la performance. Je suis très attaché à ce que Harry Partch appelait la « nature spirituelle et corporelle de l’être humain »[35] fasse intégralement partie de la pratique musicale. La seconde, « Morning at Princess Pier » utilise un iPad dont le son est traité par un vénérable Alesis AirFX pour produire une série d’accords microtonaux ayant une fluidité de timbre. Et en guise de choc du futur (parlons-en !), quand j’ai acheté le AirFX en 2000, je me souviens de m’être moqué de leurs slogans publicitaires – « Le premier instrument de musique du 21e siècle ! » et « parce que maintenant, tout le reste est tellement 20e siècle ! ». Dans les deux pièces, les nouvelles ressources m’ont enfin permis de retrouver une implication plus physique dans ma prestation musicale..

 

Vidéo
Warren Burt “Launching Piece”

 

Vidéo
Warren Burt,
“Morning at Princes Pier”

 

7. Aujourd’hui, qu’en est-il de l’utopie des technologies musicales et des musiciens impertinents ?

J’ai un ami qui est aussi audiophile. Il a un merveilleux système de diffusion sonore avec lequel il passe beaucoup de temps d’écoute. Je lui ai proposé l’idée qu’être audiophile était une activité élitiste, à la fois par rapport au coût des équipements et du fait qu’il pouvait se permettre de prendre le temps d’écouter attentivement les choses. Je lui ai demandé s’il était capable de concevoir un système sonore audiophile que la classe ouvrière pourrait se payer – autrement dit, s’il pouvait concevoir un système sonore audiophile prolétarien. Sa réponse a été grandiose : « Pour qui ? Pour les gens qui dépensent 2000$ pour une télévision à écran plat ? » J’ai dû admettre qu’il avait raison. Les « classes populaires » peuvent dépenser beaucoup d’argent pour se procurer les équipements nécessaires aux divertissements qu’elles souhaitent. Et j’ai décidé que tout comme André Malraux quand il disait qu’il pensait que le marxisme était une volonté de ressentir, de se sentir prolétarien, être un audiophile était aussi une volonté de ressentir, une volonté de ressentir que cela valait la peine d’avoir accès à une haute qualité sonore et à la possibilité de mettre du temps de côté pour l’utilisation de cet équipement.

 
Doonesbury Malraux


– Pardon, mec, est-ce que je peux te poser une question ?
– Ben oui.
– Pourquoi vous, les ouvriers du bâtiment, êtes si ignorants ? Êtes-vous au courant des doctrines marxistes ?
– Oh ! ouais, un peu. Mais je pense qu’elles sont très anachroniques. Je préfère l’affirmation d’André Malraux selon laquelle le marxisme n’est pas une doctrine, mais une volonté, la volonté de ressentir le prolétariat. Passe-moi une autre brique.

 

C’est ainsi que nous avons atteint une sorte d’utopie technologique en matière de musique, et nous sommes entourés quotidiennement d’idées, de matériels qui impliquent des idées, et de matériels qui peuvent réaliser des idées – tout cela à des prix accessibles aux pauvres – ou tout au moins à un enseignant de la classe moyenne inférieure, même si sa situation économique va à reculons. C’est formidable. Ce qui n’est pas formidable, c’est que nous n’avons pas réalisé que dans le futur, il y aurait si peu de place pour nous qui travaillons dans le secteur des musiques expérimentales. Car ce qui n’a pas changé pour nous, depuis les années 1960, c’est la place que nous occupons – notre position par rapport au monde musical dans son ensemble. Comme l’a dit si éloquemment Ben Boretz[36] nous sommes à la « fine pointe d’un acte en voie de disparition »[37]. Nous sommes l’activité marginale d’un mastodonte économique. Et le mastodonte utilise nos découvertes, la plupart du temps sans les reconnaître.

Les mots que nous-mêmes utilisons ont continuellement été repris par différents styles. J’ai vu les termes de « new music », « musique expérimentale », « musique électronique », « musique minimaliste », et la liste est sans fin, utilisés par un genre pop ou par un autre au cours des dernières décennies sans qu’aucune reconnaissance concernant l’origine de ces termes ne soit exprimée. En fait, de nos jours, lorsque mes étudiants parlent de « musique contemporaine », ils ne font pas référence à nous. Ils pensent à la musique pop à laquelle ils s’intéressent actuellement. Nous, et nos travaux, avons été constamment « non définis » par l’industrie, la culture populaire et les médias.

« Soundbytes Magazine »[38] a été une petite publication web à laquelle j’ai contribué de 2008 à 2021 environ, avec des critiques de logiciels ou de livres. Le rédacteur en chef, Dave Baer, était impliqué dans l’informatique depuis les années 1960. Il a été technicien sur l’Illiac IV, puis il a rejoint le centre informatique de l’Université de Californie à San Diego. Il se souvient d’avoir été présent au concert à l’Université d’Illinois de HPSCHD de Cage et Hiller. C’est aussi un très bon vocaliste, qui a chanté dans les chœurs de productions d’opéra amateur. Nos démarches ne lui sont donc pas étrangères. En 2013, pour un numéro de Soundbytes, je lui ai proposé de réaliser une interview avec moi, puisque j’utilisais les ordinateurs d’une manière que je pensais être assez intéressante. Sa réponse m’a sidéré – il serait content de le faire, mais il faudrait probablement y inclure une introduction substantielle pour situer mon œuvre dans son contexte, puisque, ce que je faisais était si éloigné des intérêts grand public des concepteurs de l’informatique musicale ! En disant cela, il ne voulait pas dire, par exemple, que mon travail sur la micro-tonalité était très éloigné, disons, des démarches spectromorphologiques acousmatiques. Non, il voulait dire que mon travail, et toutes les autres choses que nous faisons, étaient très éloignés des compositeurs de dance-music amateurs travaillant dans leur chambre à coucher. C’est ainsi que, selon sa conception de la conscience populaire en 2013, même le terme qu’on utilisait pour nous décrire – « musicien informaticien » – ne s’appliquait plus à nous-même. Une fois de plus, la conscience populaire nous avait volé notre identité. C’est sans doute le prix à payer pour se situer aux confins des lisières sanglantes.

Bien évidemment, si l’on rend un outil accessible à « tout le monde », il est plus que probable qu’il va être utilisé pour faire quelque chose que les gens veulent faire, et pas nécessairement ce pour quoi on a envisagé l’utilisation de l’outil. Cela fait longtemps que ce phénomène existe. Je peux raconter une drôle d’histoire qui m’est arrivée à ce sujet. Au début des années 1970, à San Diego, je faisais partie d’un groupe appelé « Fatty Acid » qui jouait mal les pièces populaires de la musique classique. (Le groupe était dirigé par le violoncelliste et musicologue Ronald Al Robboy ; l’autre membre régulier du groupe était le compositeur, écrivain et interprète David Dunn). Il s’agissait d’un acte de comédie d’art conceptuel musicologique, avec de sérieuses connotations stravinskiennes néo classiques – ou peut-être de sérieuses prétentions spectromorphologiques stravinskiennes. Il faut imaginer quel impact fondamental Fatty Acid a eu sur mes démarches de compositeur et de performer. Par la suite, en 1980, j’ai découvert le Fairlight CMI. C’était le paradis. À partir de ce moment, j’étais capable de produire ma « musique incompétente » tout seul, sans avoir à retourner à San Diego de Melbourne pour jouer avec mes potes. Mon enthousiasme était total. Quand j’ai rencontré Peter Vogel et Kim Ryrie, les développeurs de Fairlight, je n’ai pas pu m’empêcher de leur jouer ma musique « de mauvais ensemble de blues amateur ». Ils n’ont pas été, c’est assez naturel, très impressionnés. Ce que je pensais être une utilisation naturelle et excitante de leur machine, était pour eux, bizarre, c’est tout. Je n’étais pas Stevie Wonder. Je me souviens d’Alvin Curran il y a bien longtemps, me disant que je devais faire attention à qui je faisais écouter certaines de mes productions les plus extravagantes. Pour mon plus grand malheur, ils ne faisaient pas partie de mon public cible idéal.

Ainsi, la pression exercée sur nous les gens bizarres, pour qu’on se conforme est toujours là, avec la même intensité. Il convient de remonter le temps et d’écouter ce que disait Mao Zedong en 1942, au Forum sur la littérature et l’art de Yenan. La langue est ici celle du marxisme doctrinaire, mais en substituant les termes, elle pourra paraître extrêmement contemporaine, bien qu’elle soit née à une autre époque et dans un monde idéologique très différent :

[Le premier problème est le suivant] : qui la littérature et l’art doivent-ils servir ? À vrai dire, ce problème a été depuis longtemps résolu par les marxistes, et en particulier par Lénine. Dès 1905, Lénine soulignait que notre art et notre littérature doivent « servir… les millions et les dizaines de millions de travailleurs » (…) Le problème : qui servir ? étant résolu, nous abordons maintenant le problème : comment servir ? Ou, comme le posent nos camarades, devons-nous consacrer nos efforts à élever le niveau de la littérature et de l’art ou bien à les populariser ? (…) Dans le passé, des camarades ont sous-estimé ou négligé dans une certaine mesure, et parfois dans une mesure importante, la popularisation de la littérature et de l’art. (…) Nous devons populariser seulement ce dont ont besoin les ouvriers, paysans et soldats et qu’ils sont prêts à accueillir.[39]

Si l’on substitue « public cible » à « ouvriers, paysans et soldats » et « produire quelque chose qu’on peut vendre » à « popularisation », il devient assez clair, peu importe que le système soit capitaliste ou communiste, qu’ils veulent tous que nous dansions à leur guise.

En 1970, Cornelius Cardew dans des perspectives marxistes-léninistes, nous a exhortés à « mettre nos pas du côté du peuple, et à produire de la musique qui serve à ses luttes »[40].

Aujourd’hui, la scène de la dance-music nous exhorte (à Melbourne) à mettre nos pas du côté du peuple et à produire de la musique qui serve ses luttes pour le groove.

Today, the film-music industry exhorts us to shuffle our feet over to the side of the industry and provide music which serves their narratives.

Aujourd’hui l’industrie de la musique de film nous exhorte à mettre nos pas du côté de l’industrie, et à produire de la musique qui serve à leurs narrations.

Eh bien, peut-être que nous n’avons pas envie de mettre nos pas dans ces engrenages. Peut-être que nous voulons rester ce que Kenneth Gaburo a appelé des « musiciens impertinents » [Irrelevant Musicians][41]. Peut-être que nous voulons être assez arrogants pour faire une musique qui exige ses propres offres et offre ses propres demandes. Je ne suis pas sûr d’être d’accord avec Gaburo lorsqu’il dit : « Si le monde entier va un jour se réveiller, il aura besoin de trouver quelque chose pour s’éveiller ». Je pense qu’un jour le monde entier fournira probablement les choses dont il a besoin pour son propre éveil. Mais je comprends où Gaburo veut en venir. Car en opposition à toute pensée orientée vers le marché, certains parmi nous considèrent la musique comme un cadeau, et non pas comme un prix de vente. Pendant les dernières années, Bandcamp a semblé être un lieu où les gens pouvaient créer une communauté qui s’intéressait en premier lieu à la musique comme moyens d’échange esthétique ou informationnel, et seulement accessoirement comme un produit du marché.

 

8. Conclusion

Ainsi, depuis longtemps nous étions dans l’opposition et nous le sommes toujours aujourd’hui. J’ai lu quelque part il y a peu une assertion qui m’a consterné. C’était quelque chose comme : « Toute position esthétique profondément ancrée n’est devenue aujourd’hui qu’un élément prédéfini de plus dans l’arsenal de possibilités utilisé pour la composition ». Quand dans le passé j’avais énoncé une réflexion un peu ironique sur le fait que, par exemple, la FM et l’algorithme Karplus-Strong, des choses auxquelles des forcenés du travail avaient consacré une partie substantielle de leur vie, étaient maintenant devenues juste des options de timbre dans le cadre du softsynth, ou bien des options dans un module de logiciel de synthèse, je m’attendais en quelque sorte à ce que les nouvelles idées technologiques soient absorbées dans le contexte plus large des techniques contemporaines. Mais cette remarque impliquait que les idées compositionnelles n’étaient que des ressources recyclables parmi d’autres, du grain à moudre pour la grande fabrique de saucisses post-moderne (ou de l’alter-moderne pour citer les critiques britanniques). C’est peut-être un peu vrai, mais c’est tout de même dérangeant.

Est-on alors réellement arrivé à une situation de démocratisation de nos outils par le biais de leur omniprésence ? Ou bien est-on en présence d’une quantité limitée de ressources, celles offertes par « l’industrie » qui ne vont pas faire dérailler le système 4/4 ? Je pense que la réponse est les deux à la fois. Les ressources sont là pour que les gens les utilisent. C’est à nous de continuer à rappeler aux gens quelles autres utilisations potentielles il y a à explorer et comment la nouvelle utopie technologique peut leur procurer les moyens d’exploration et même de transformation de soi. Pour réaliser cela, il faut probablement se battre (toi et moi, mon frère!) contre les médias qui veulent désavouer nos existences qui les dérangent. Mais cette lutte en vaut la peine, si l’on est capable de constituer l’un des nombreux groupes de personnes qui vont maintenir en vie les modes de pensée alternatives et transformationnelles, accessibles à ceux et celles qui ont la curiosité et le désir d’explorer.

Que nous reste-t-il ? Ce qui nous reste, c’est le travail. Le travail qui élargit notre conscience ; le travail qui offre les opportunités de changement de perception ; le travail qui tente de provoquer des changements dans la société ou qui met à disposition un modèle du type de société dans laquelle on veut vivre ; le travail qui réaffirme notre identité comme faisant partie de notre société de manière unique et utile. Le travail qu’on a besoin de retrouver de manière ininterrompue. Comme l’ont dit les Teen Age Mutant Ninja Turtles, ou était-ce Maxwell Smart ou bien Arnold Schoenberg ? – « C’est un sale boulot, mais quelqu’un doit le faire ».

 
 

Warren Burt, Nightshade Etudes 2012-2013 #19 – [Steinway à sourdine tomate]

Gamme micro-tonale basée sur l’œuvre d’Ery Wilson, « Moment of Symmetry »
Timbre – piano en sourdine de la synthé Pianoteq Physical Modeling
Modèles de protéines d’ADN de la banque de données génétiques du NIH
Logiciel de composition ADN – ArtWork par Algorithmic Arts
Studio de composition : trains de banlieue régionaux de la ligne V/Line, Victoria
Les motifs de protéine de l’ADN de tomates sont appliqués aux hauteurs, intensités, rythmes
et sont joués comme canon polyrythmique sur un Steinway virtuel en sourdine.

 


1.Merci à Guillaume Dussably et Gilles Laval pour leur relecture de la traduction française.

2. Cat Hope, compositrice, flûtiste et bassiste, crée des musiques conceptuelles, sous formes de partitions graphiques animées pour des combinaisons acoustiques et électroniques et pour des improvisations. Voir Cat Hope

3. Susan Frykberg (1954-2023) est une compositrice (Nouvelle Zélande) qui a vécu au Canada de 1979 à 1998. Voir wikipedia, Susan Frykberg

4. Joel Chadabe (1938-2021), compositeur (Etats-Unis), auteur et pionnier du développement des systèmes interactifs électroacoustiques. Voir wikipedia, Joel Chadabe

5. Le Center for Music Experiment était de 1972 à 1983 le centre de recherche attaché au département de musique de l’Université de Californie San Diego.

6. Un PDP-11, voir wikipedia PDP-11.

7. Ed Kobrin, un pionnier de la musique électronique (Etats-Unis). Il avait créé un système hybride très sophistiqué : Hybrid I-V. openlibrary Ed Kobrin.

8. Les synthétiseurs Serge ont été créés par Serge Tcherepnine, un compositeur et fabricant d’instruments de musique électronique : wikipedia Serge Tcherepnine. Voir aussi : radiofrance: Archéologie du synthétiseur Serge Modular

9. Célèbre plage nudiste à proximité de UCSD. Voir wikipedia

10. Kenneth Gaburo (1926-1993), compositeur (Etats-Unis). A l’époque mentionnée dans cet article, il était professeur au département de musique à UCSD. Voir wikipedia Kenneth Gaburo

11. Catherine Schieve est une artiste intermédia, compositrice et autrice. Elle vit près d’Ararat, dans le centre de l’État de Victoria (Australie). Voir astramusic.org; et rainerlinz.net

12. Il s’agit du New England Digital Synthesizer – une première version de ce qui deviendra le Synclavier, et le Quasar M-8 – qui deviendra le Fairlight CMI

13. Georgina Born, Rationalizing Culture, IRCAM, Boulez and the Institutionalization of the Musical Avant-Garde, Berkley – Los Angeles – London : University of California Press, 1995.

14. George Lewis, compositeur, performer, et chercheur en musique expérimentale, professeur à l’Université Columbia, New York. wikipedia George Lewis

15. Graham Hair, compositeur et chercheur (Australie). Voir wikipedia Graham Hair

16. Stanley Lunetta (1937-2016), percussionniste, compositeur, et sculpteur (Californie).

17. Ron Nagorcka, compositeur, il joue du didgeridoo and des claviers (Australie). Voir wikipedia Ron Nagorcka

18. Ernie Althoff, musicien, compositeur, constructeur d’instruments et artiste plasticien (Australie). Voir wikipedia Ernie Althoff

19. Graeme Davis, musicien, et performance artiste. daao.org.au Graeme Davis

20. Alvin Lucier (1931-2021), compositeur (Etats-Unis). Voir wikipedia Alvin Lucier et pour I am sitting in a room: youtube

21. Joel Chadabe avait commencé à travailler avec le New England Digital Synthesizer, et avec Roger Meyers, il avait développé un logiciel appelé Play2D pour le contrôler.

22. Tristam Cary ‘1925-2008), compositeur, pionnier de la musique électronique et musique concrète en Angleterre, puis en Australie. Voir wikipedia Tristam Cary

23. George Lewis à New York m’avait montré ses travaux avec le AIM-65de Rockwell et il m’avait parlé du langage FORTH. Un peu plus tard Serge Tcherepnin m’a donné la puce qui faisait tourner FORTH. Cela m’a amené à me lancer sérieusement, peut-être la première fois, dans la programmation informatique .

24. Mon ordinateur était un Rockwell AIM-65 qui comportait trois horloges, toutes décomptées à partir d’une source commune. On pouvait entrer des nombres dans chaque horloge et cela produisait des sous-harmoniques (diviseurs) de l’horloge principale qui fonctionnait à approximativement 1 MHZ. Ce système pouvait être facilement mis en interface avec mon synthétiseur Serge./p>

25. Les trois horloges/oscillateurs du AIM étaient alors traités par les circuits analogiques du Serge.

26. Harry Partch (1901-1974), compositeur et constructeur d’instruments (Etats-Unis). Voir wikipedia Harry Partch

27. St Kilda est un quartier de Melbourne (Australie).

28. Arun Chandra, compositeur et chef d’orchestre. Voir evergreen.edu Arun Chandra

29. Herbert Brün: wikipedia Herbert Brün.

30. Gottfried Michael Koenig (1926-2021), compositeur germano-néerlandais. Voir wikipedia Gottfried Michael Koenig

31. William Burroughs, The Green Nun : youtube The Green Nun

32. Le système AUMI est conçu pour être utilisé par n’importe qui à n’importe quel niveau de compétence – en fonction de la manière de programmer ce système, l’utilisateur peut le jouer à n’importe quel niveau de sa capacité physique. Voir AUMI

33. David Dunn, courriel à Warren Burt, à la fin de 2014.

34. Deux tablettes basées sur Android, deux basées sur iOS, et une tablette Windows 8 en mode Bureau.

35. Harry Partch: “The Spiritual Corporeal nature of man” tiré de “Harry Partch in Prologue” sur le disque bonus de la “Delusion of the Fury”, Columbia Masterworks – M2 30576 · 3 x Vinyl, LP. Box Set · US · 1971.

36. Ben Boretz, compositeur et théoricien de la musique (Etats-Unis). Voir paalabres.org Ben Boretz

37. Ben Boretz, If I am a Musical Thinker, Station Hill Press, 2010.

38. Soundbytes Magazine et Dave Baer (rédacteur en chef) : Depuis que cet article a été écrit et révisé, toutes les références au magazine Soundbytes ont disparu du web. J’espère publier une compilation des critiques que j’ai écrites pour ce magazine sur mon site www.warrenburt.com à la fin de l’année 2024.

39. Mao Zedong : Interventions sur l’art et la littérature. Mai 1942. materialisme-dialectique

40. Cornelius Cardew, Stockhausen Serves Imperialism, Londres: Latimer New Dimension, 1974.

41. Kenneth Gaburo, The Beauty of Irrelevant Music, La Jolla: Lingua Press, 1974; Frog Peak Music, 1995.

 

Democratisation of Computer Music

Accès à la traduction en français : Démocratisation de l’informatique musicale

 


 

The Past Has a Way of Catching up with You, or
The Democratisation of Computer Music,
10 Years On.

Warren Burt

 

 

Summary :

1. Introduction – The 2013 International Computer Music Conference
2. 1967-1975: SUNY Albany and UCSD
3. 1975-1981: Moving to Australia, Plastic Platypus
4. 1981-75: Low cost Single-board Microcomputer
5. 1985-2000: Incresed Accessibility
6. Post-2000 Period: Commuter Train Work and Brain Work on Computer
7. Today: Technological Music Uptopia and Irrelevant Musicians
8. Conclusion


 

1. Introduction – The 2013 International Computer Music Conference

Back in 2013, the International Computer Music Conference was held in Perth Australia. It was organised by a team led by Cat Hope,[1] and they kindly invited me to give one of the keynote addresses. My topic was the “democratisation” of “computer music.” I put the words in inverted commas because both terms were, and are, points of contention, although perhaps the meanings of those terms have changed, maybe quite a lot, in the past decade. My talk was given from an Australian perspective because that’s where I’ve mostly lived for the past 47 years. With an international audience at the conference, I wanted to give them a quick introduction to the somewhat unique context the conference was occurring in. Australia has, in some ways, a very different cultural context than Europe, or North America, among other places, and in some ways a context that is very similar to those places. I remember Chris Mann, poet and composer, back in 1975, picking me up at the airport on my first arrival in Australia saying, “OK, ground rules: We speak the same language, but it’s not the same language.” My experiences over the next few years were to show me, in exquisite detail, the many nuances of difference that existed between Australian English and the Englishes from the rest of the world. And in the way of things, the Australian English of a half-century ago is not the Australian English of today. I’ve probably become too acclimatised to the language after all that time, but many of the unique characteristics of Australian English I noticed back then have disappeared with the passing of time.

My point back then was two-fold: first, that advances in technology were making the tools of what we called “computer music” more accessible to lots of people, and that second, the definition of what was considered “computer music” was itself changing. In 2013, I mentioned Susan Frykberg’s,[2] asking me if I was talking about “democratisation” or “commercialisation?” This seemed like a relevant point to bring up at the time. Since then, the proliferation of cell phones and other hand-held digital technology has made her original point, if not moot, at least less keen than it was. With “the world” now thoroughly united by miniature communications hardware, it seems that the technology has become neither democratised nor commercialised, (or both democratised and thoroughly commercialised) but simply ubiquitous, our continuous cultural environment. I was just asked by Richard Letts, the editor of Loudmouth, a music ezine, to write an article about the current state of music technology. To show how advanced music technology had spread everywhere, I focused my article on what music technology was available for the iPhone, showing that most of the sophisticated music technology applications of the past were now available, to some extent, on that most widespread of consumer electronic devices.

Similarly with the term “Computer Music.” In 2013 it denoted both experimental music using computers and popular and dance musics made with digital technology. If anything, the range of musics made using music technology has gotten even wider. I pointed out, humorously, that the British magazine called “Computer Music” was devoted to “how to” articles for those making digital dance music in their bedrooms, and not to articles dealing with the finer points of advanced synthesis. In the past few years, Future Music, the British publisher behind “Computer Music” acquired the American magazines “Keyboard,” and « Electronic Musician, » which occasionally covered topics of interest to the more “avant-garde” side of things, and these days, the magazines owned by “Future Music” not only have overlapping spheres of interest, but some articles that appear in one also appear in the other. The focus still remains on pop/dance music made with commercially available technology, but with the passing of time, some topics which were formerly considered obscure, such as granular synthesis, are now covered in their pages, albeit usually without acknowledging the people who pioneered those techniques.

As a means of showing how the term “computer music” had changed over the years, in my original essay I included a brief survey of things I had done over the years and how those activities fitted or did not fit, at the time, under the umbrella of “computer music.” My approach was humorous, and more than slightly ironic.

 

2. 1967-1975: SUNY Albany and UCSD

Here’s where we get into a bit of autobiography. I’ve watched the term change meanings ever since the 1960s. Let’s go into our Waybac machine, or Tardis, depending on which TV shows you watched as a kid. In 1967, I entered the State University of New York at Albany. They soon acquired a very large Moog system designed by Joel Chadabe,[3] which had a digital device in it, made by Bob Moog, which allowed various kinds of synchronizations and rhythmic triggerings of things. The university also had a computer centre, where people did projects involving piles of punchcards processed in batch mode. I wasn’t attracted to the computer courses but was immediately attracted to the Moog. On the other hand, two of my fellow students, Randy Cohen and Rich Gold, immediately began working at the computer centre, submitting their piles of punchcards, and waiting long periods for their results. I remember in particular, Randy wrote a program to produce experimental poetry. I was absolutely thrilled with his results, playing with sense and nonsense in a way that I thought was very clever. Randy, on the other hand, who was soon to embark on a career as a comedy writer, thought that the amount of labour required to get results that only a few weirdos like me would dig, was too great. So, for my earliest work, I felt there was a divide between “electronic musicians” and “computer artists,” and I was, for the moment at least, on the “electronic musician” side of things. In 1971, I went to the University of California, San Diego, and soon became involved with the Centre for Music Experiment (CME).[4] This was a facility which had both analogue and digital music labs, as well as projects involving dance, multimedia, video, and performance art. There was a huge computer[5] lovingly tended over by several of my friends. Ed Kobrin[6] was there at the time with his hybrid system, which had a small computer generating control voltages for analogue modules. I ran a small lab which had a Serge synthesizer,[7] a John Roy/Joel Chadabe designed system called Daisy (a very interesting random information generator), and some analogue modules designed by another of the fellows Bruce Rittenbach. As well, we could take control voltages from the output of the central computer. My own work still involved using “devices with knobs,” the world of “lines of code” was still opaque to me, although I did work on several projects where other people generated control signals with “lines of code” while I adjusted the “devices with knobs.” There was also a social divide I noticed. While I and my singer and cellist friends could hardly wait for the day to be over to head down to Black’s Beach,[8] our computer friends would be continuing to work, usually far into the night, on their code. There was a certain necessary obsessiveness involved with working with computers at that time which distinguished “real computer musicians” from the rest of “us.”

Of course, we acknowledge that the distinction is also faintly ridiculous, smacking as it does of those old silly arguments about “real men” or its non-sexist alternative, the “authentically self-realised person.”

My interests in making technology more accessible were already active at this time. From SUNY Albany friends Rich Gold and Randy Cohen, then doing post-graduate studies at California Institute of the Arts, I learned about Serge Tcherepnin and his “People’s Synthesizer Project.” The idea was to have a synthesizer kit for about $700 that people could assemble as a collective. Affordability, accessibility, and being part of a community were all very appealing things. And, the synthesizer was designed by experimental musicians for experimental musicians. There was a fair amount of what would become known as empowerment in the project as well. Simultaneous with that, for my Masters’ project, I began to design a box of electronics that became known as Aardvarks IV. Made of digital circuitry, with hand-made DACS, I described it as “a hard-wired model of a particular computer composing program.” My need for knobs – that is, for a device I could physically perform with- was still paramount. My approach to digital accuracy was a bit idiosyncratic. Uniqueness and funk were part of my aesthetic.

An illustration of what “funk” in electronic circuit design consisted of is seen in the design of the DACs on Aardvarks IV. Following Kenneth Gaburo’s[9] suggestion, I used very low quality resistors in the making of the Digital to Analog Converters.

  more information on Aardvarks IV (Click again to hide)

At a time when DACs were viewed as utilitarian devices to be made as precise as possible, in the design of this box, I was trying to treat a utilitarian device as a source of variation, of creative unpredictability. This interest in creative unpredictability probably distinguished me from the rest of the guys in the back room at CME. That and the fact that I would rather be at Black’s Beach than in the back room.

Computers at the time were very hungry beasts, devouring resources around them. Now that they’ve totally taken over, they can afford to be more benign, but in those early days, it was a survival of the fittest situation. For example, when I was at UCSD, CME had projects in many different fields. By the time my wife, Catherine Schieve,[10] arrived there in the early 1980s, the multidisciplinary CME was well on the way to becoming exclusively a computer arts centre, and she too, remembers a social divide between the computer people and the rest of the musicians. What also distinguished the “computer guys” from others was the amount of their output. It was still the norm for a computer person to work for months to produce one short piece. For those of us who wanted a lot of output, fast, working exclusively with computers still wasn’t the way to go. Eventually, the organization evolved into CRCA, the Centre for Research into Computers and the Arts. In 2013, I looked at the CRCA website, and I saw that it now had a focus on multidisciplinary research, with some quite fascinating projects. However, visitors from UCSD to the 2013 conference told me that the CRCA had since been shut down. Another one bites the dust!

 

3. 1975-1981: Moving to Australia, Plastic Platypus

Somewhere between the 80s and today, “computer music” became a field that embraced the widest range of aesthetic positions. Today, just about the only common factor across the field is the use of electricity, and usually, a computer (or digital circuit) of some kind. But stylistically, we’re in a period of “anything goes.”

In the late 70s and early 80s, things changed. New, tiny computers began appearing and were applied to music making tasks. Several systems that promised much were designed,[11] which basically hid the computer behind a sort of musician-friendly interface. Simultaneously with that, a whole series of microcomputers, usually in build your own kit form, began to appear. There soon developed a divide in the computer music world between the “mainframe guys” – those who preferred to work on large expensive institutionally-based computers – and the “perform it in real-time folks” – those who preferred to work on small, portable microprocessor-based systems that they could afford to own themselves. Georgina Born’s Rationalizing Culture,[12] her study on the sociology of IRCAM in the 1980s, featured a look at how George Lewis,[13] with his microcomputer-based work, fared in the mainframe-and-hierarchy-based world of IRCAM.

In 1975, I arrived in Australia. I set up an analogue synthesis and video synthesis studio at La Trobe University in Melbourne. Graham Hair,[14] installed a PDP-11 computer and began some computer work with that. Following on from my work on “Aardvarks IV” at UCSD, I began once again working with digital chips. Inspired by Stanley Lunetta’s[15] example, I made a box, “Aardvarks VII,” exclusively out of 4017 counter/divider chips and 4016 gate chips. This was the rawest kind of digital design. The chips were simply soldered into printed back-plane boards. That is, the plastic faceplate of the synthesizer had the circuit connections printed on the back, and the chips were directly soldered onto these printed connectors. No buffering, no nothing. Just the chips. It was mainly designed to work with just intonation frequencies, and it gave me many more modules to play with. All in real-time. The physical-performance, combinational-module based patching aesthetic was still the paradigm for me. So, by this time, 1978-79, I felt I was an electronic musician who was working with digital circuitry, but I still wasn’t that rarest of beasts, the “computer musician.”

Simultaneously with this, I became involved with using the lowest of low technology – that is, the cheapest kind of consumer electronics, at the bottom of the economic scale – to make music. Ron Nagorcka[16] (who I had first met at UCSD) and I formed a group called Plastic Platypus, which made live electronic music with cassette recorders, toys, and electronic junk. Some of our setups were very sophisticated, the low-tech and low-fi nature of our tools concealing some very complex systems thinking, but our work came out of an ideological questioning of the nature of high fidelity. While we were also happy to work in institutions which could afford good loudspeakers, etc. we were also aware that the cost of audiophile systems was prohibitive for many people. Since one of our chief reasons for the group was to make work on the most common types of equipment to show that electronic music could be accessible to many, we embraced the sonic quality of the cassette recorder, the tiny loudspeaker swung on a cord, the toy piano or xylophone. As Ron put it eloquently, “the very essence of electronic media is distortion.” Technology, of course, would overtake us in the long run, and availability of sound quality to “the masses” became a non-issue by the late 1980s, but our serious working with the problems and joys of low technology was fun while it lasted.

Ron and I (and various other people who were working with cassette technology at the time, such as Ernie Althoff[17] and Graeme Davis[18]) were in agreement as to the basic structure of our work with this technology. A many generational feedback process, such as shown in Alvin Lucier’s “I Am Sitting in a Room,”[19] formed the basis for much of our work. In this process, a sound is made on one machine, and simultaneously recorded on a second machine. The second machine is then rewound and the playback from that machine is recorded on the first machine. Over the course of several generations of this, thick textures of sound, surrounded by gradually accumulating acoustic feedback, result. In Ron’s “Atom Bomb,” for two performers and four cassette recorders, he added the idea of fast forwarding and rewinding cassettes in progress to create a random distribution in time of the source sounds as we recorded them. At the end of this section, the four cassettes were rewound and played from the four corners of the room, creating a four channel “tape piece” which the audience had seen assembled in front of them. In my piece “Hebraic Variations,” for viola, two cassette recorders and portable speaker on a very long cord, I played (or attempted to play) the melody of “Summertime” by George Gershwin (I’m a very inadequate viola player). While I was playing this melody as an endless loop, Ron was recording about 30 seconds of my playing on one cassette recorder (the “recorder”) and then moving that tape to a second machine (the “player”), starting another cassette recording in the first machine, and then swinging the loudspeaker of the second machine in a circle around his head for about a minute. This created doppler shifts and made a thicker texture out of my viola playing. After 5 or 6 generations of this, a very thick soundscape of glissandi, out of tune playing and many kinds of tone clusters was assembled. The inadequate technology, and my inadequate playing multiplied each other creating a thick microtonal sound world.

There was pretty much complete unanimity between Ron and myself in making Plastic Platypus repertoire. We mostly left the composing of pieces to each other, and then learned the other composer’s desires as best as we could. The level of trust, and agreement between us was very high. A couple of years ago, Ron found some cassettes of Plastic Platypus performances and dubbed them and sent them to me. A lot of our old favorites were there and were immediately recognizable. But occasionally there was a piece that bewildered both of us – we couldn’t figure out who had composed the piece, or in what circumstances it was recorded. Maybe these pieces were improvisations where our authorship was obscured by the processes we used.

 
Nogorcka

Ron Nagorcka at Clifton Hill Community Music Centre, 1978

 

In addition to my work with analogue synthesizers, with making my own digital circuits and with my work with low-tech, my own involvement with computers now began in earnest.[20] On trips back to the US, Joel Chadabe kindly lent me his studio, and for the first time, I actually used code to determine musical events. The results occurred in almost real time, so the “knob twiddler” in me was satisfied. Later, back in Australia, in 1979, I worked with the Synclavier at Adelaide University, with an invitation from Tristram Cary,[21] and in 1980 in Melbourne, I asked for access to the Fairlight CMI at the Victorian College of the Arts and learned the ins and outs of that machine. I’d contracted the virus of owning my own computer system.[22] A Rockwell AIM-65 microcomputer was my choice. So, I immersed myself in learning this machine and built my own interface for it in an extremely idiosyncratic way. Then, when I expanded the AIM’s memory to 32k, I was hot. Real time sound synthesis (using waveforms derived from the code in memory) was now possible. Using the AIM-65 like this, and processing its output with the Serge, I guess I was finally a “computer-musician,” but I don’t know if I was a “real” one. That is, my approach was still idiosyncratic, and my impulses towards making the equipment more accessible to all, using myself as an example (something a Marxist might cringe at), still seemed, in my own mind at least, to distinguish me from my mythical straw-dog of the elitist, obsessed with perfection and repeatability, mainframe computer operator who still didn’t want to go to the beach.

 

4. 1981-85: Low-cost Single-board Microcomputer

My adventures in the low-cost single-board microcomputer world occupied me, on and off from about 1981-85.[23] The overarching title for the work I did with this system between 1982 and 1984 was Aardvarks IX. One of the movements was called “Three Part Inventions (1984).” This was a semi-improvised piece in which I used the typewriter keyboard of the AIM-65 as a musical keyboard. Programmed in FORTH, I could retune the keyboard to any microtonal scale at the touch of a button.[24] In this piece, I combined my “computer-musician” chops with my interest in democratised cheap technology, and an interest in non-public distributed forms of music distribution. Each morning (in June 1984, I believe it was), I would sit down and improvise a version of the piece, recording that morning’s improvisation to a high-quality cassette. I believe I made 12 unique versions of the piece like this. I also made one more version of the piece, recorded to a reel-to-reel recorder and kept that to use in the recorded version of the whole cycle. Each of the 12 unique versions of the piece were each mailed to a different friend as a gift. Of course, I didn’t keep a record of which 12 friends I sent the cassettes to. So, in this piece, I combined my interest in microtonal tuning systems, improvisation, real-time electronic processes, the use of cheap(er) technology (the AIM computer, and the cassette recorder), mail art, and distributed music networks in one piece. I wanted to have it all – serious high-tech research and proletarian publishing and distribution networks, being done with homemade electronic circuitry and hobbyist level computing. Not surprisingly, some of my friends who lived in the “high end” of the “computer music” world found a number of points of contention with my choices of instrument and performance and distribution in this piece.

A couple of issues seemed relevant then, and to a degree, still are. One is the question: “How much building from the ground up do you want to do?” I mean, the reason we were doing this building was because the equipment was expensive, and mostly confined to institutions. Today, we have a spectrum which ranges from closed apps which do only one thing well (hopefully) to projects where you basically design your own chips and their implementation. Although these are slightly more extreme examples, that was the spectrum of choice that was available to us back then, as well: home-brew versus off-the shelf, and to what degree?

Another issue was that of ownership. Was one using someone else’s tools, whether that was an institution that you were associated with, or a friend’s gear that you used while visiting them; or were you using your own tools that you could develop an ongoing relationship with. At this point in my life, I was doing both. Although, encouraged by the example of Harry Partch,[25] who during my years at UCSD (1971-75) was still alive and living in San Diego, and directly encouraged by my teacher, Kenneth Gaburo, I made the decision that although I would work in institutional facilities if they were available, I would prefer to own my own equipment. Here are 2 pictures of Le Grand Ni, a 1978 installation at the Experimental Arts Foundation, Adelaide.

Grand Ni 1

Warren Burt: Le Grand Ni, Experimental Art Foundation Adelaide, 1978. Aardvarks IV (Silver Upright Box),
Aardvarks VII (flat panel in front of Aardvarks IV),
transducers on metal advertising signs used as loudspeakers.
Photo by Warren Burt.

 
Grand Ni 2

Le Grand Ni, 1978 – view of metal sign loudspeakers.
Photo by Warren Burt

 

Here’s a link to an excerpt from the 5th movement. This movement is played through regular loudspeakers, not the metal sculpture speakers:

 

Warren Burt, « Le Grand Ni », exerpt of 5th movement.

 

In more recent years, I’ve done very little work with multi-channel sound systems, because I haven’t been in a situation where either the space or the time to do so was available, although just recently, I received a commission from MESS, the Melbourne Electronic Sound Studio, to compose a piece for their 8-channel sound system. I did this in September-October 2022 and on October 8, 2022, at the SubStation, in Newport, Vic. I presented the new 8 channel work in concert. (Many thanks to MESS for this opportunity and for assistance in realising the piece.)

Another reason for owning one’s own was the – in my experience at least – tenuous nature of connections with institutions that I’ve experienced. For many of us, we’ve devoted several years of development to an institutional-based system, only to then lose our job at that institution. This situation in Australia is getting even worse. Most of the people I know in academia are now only on year-to-year contracts. Even the status of “ongoing staff,” a far cry from tenure, but at least something, seems to be less and less available. And as for Teaching Assistants, forget it – they don’t exist anymore. In 2012, as part of my employment, I had to do some research as to the state of music technology education in Australia. I found that nationwide, in the period from 1999-2012, 19 institutions had either terminated, or radically cut back, their music technology programs. This did not only occur in small institutions, but across the board in major institutions as well. For example, 4 of Australia’s leading computer music researchers, David Worrall, Greg Schiemer, Peter McIlwain, and Garth Paine all lost their positions at the institutions which they helped build over a series of many years. Note that we’re not talking about people leaving their jobs and another person replacing them, but the positions themselves being eliminated. Given a situation like that, my decades ago decision to “own my own” seems wiser than ever.

Here’s a picture which gives an example of the results of my “taking it to the people” in the early 1980s. Sounds made in the performance include: 1) Clicking of shrimp 2) Electronic pitches in reply to shrimp 3) Sizzzz of motorboats underwater sound 4) Waves 5) A water gong 6) Random pitch glissandi of oscillators responding to the changing amplitude of the hydrophone output 7) Debussy’s « La Mer » played under water and processed by waves 8) General public sounds 9) me talking to the public 10) seagulls. This all-day performance was given at the community-oriented St Kilda Festival,[26] on St Kilda Pier, in 1983.

 
StKilda

Taking it to “the people”: Warren Burt: Natural Rhythm 1983. Hydrophone, water gongs,
Serge, Driscoll and home-brew modules, Gentle Electric Pitch to Voltage, Auratone Loudspeakers.
St. Kilda Festival, St. Kilda Pier, Melbourne.
Photo by Trevor Dunn.

 

In the mid-80s, I switched over to using commercial computers. I had left academia at the end of 1981, so as a freelancer, I needed a cheaper computer. The AIM-65 single-board micro, which I used from 1981-85, eventually proved not powerful enough, or reliable enough, for my needs. A series of PC-Dos based machines then followed. Along the way, I continued my interest in unusual composing and synthesis systems. US, developed at the Universities of Iowa and Illinois provided a lot of fun for a while. Arun Chandra’s Wigout[27] – his reconstruction of Herbert Brün’s “Sawdust”[28] also proved a rich resource. I enthusiastically watched my friends in England, motivated by the same “poverty and enthusiasm-for-accessibility ethic” that I had, develop the Composers’ Desktop Project, although I didn’t actually start working with the CDP for quite a while. I looked up older programs when they were available, such as Gottfried-Michael Koenig’s PR1,[29] which proved fruitful for a few pieces in the late 90s. And I found that I soon became involved with software developers and began beta-testing things for them. John Dunn (1943-2018) of Algorithmic Arts was one of my most constant co-workers for about 23 years, and I created a number of the tools available in his SoftStep, ArtWonk and MusicWonk programs.

 

5. 1985-2000: Increased Accessibility

William Burroughs has a very funny anecdote in one of his stories which involves the unfortunate traveller being invited by the Green Nun[30] to “see the wonderful work being done with my patients in the mental ward.” On entering the institution, her demeanour changes. “You must have permission to leave the room at any time.” Etc. And so the years passed. With that knowledge of time passing, we now come to the present, and what we see is a cornucopia of music making devices, programs etc all available at modest cost etc.

At a certain point in the 1980s, computers got smaller, and sprouted knobs and real time abilities, and stopped being the domain of a few people with mainframes and became the domain of just about anyone interested. With the requisite education, social status, etc, of course. And on that idea of the computer sprouting knobs, I like the interface design of the GRM [Groupe de Recherche Musicale] Tools in France. Following Pierre Schaeffer’s ideas, they insist that all controls can be externally controlled, there are many possibilities to move smoothly between different settings, and you don’t need to deal with a lot of numbers to use them.

At a certain point in (maybe) the late 90s, the number of oscillators available also became not an issue. The issue of accessibility was now focused on ways of controlling lots of oscillators. I remember Andy Hunt at York University worked on Midigrid, a system for disabled people to control electronic music systems with the limited mobility they had. Development largely stopped by 2003. Just this year, an English company, ADSR systems, has released a product called MidiGrid. From the YouTube video, I don’t think the two programs have anything to do with each other. And in the past couple of years, the AUMI team – Adaptive Use Musical Instruments[31] – have made marvellous strides in developing music control systems for tablet and desktop computers that make access to control even easier.

Also, at a certain point in the 1990s, access to sound quality (the economics of hi-fi) ceased to be an issue. That is, desire and convenience became more of an issue than economics. Prices on equipment have plummeted, more and more power is available for less money. New paradigms of interaction have occurred, such as the touch-screen, and other new performance devices, and just about anything one could want is now available fairly inexpensively. Faced with this abundance, one can be bewildered, or overwhelmed, or delighted and plunge into working with all the new tools, toys and paradigms that are here.

Here are some pictures that illustrate some of the changes that have occurred in the brief history of “computer music.”

 
Hrpsch

John Cage, Lejaren Hiller and Illiac 2, University of Illinois, 1968 working on HPSCHD.

 
Android

Backstage at a Trade Fair, Melbourne 2013.
Each of the Android tablet machines working off the laptop is more powerful than the Illiac 2,
and costs many times less.
Photo : Catherine Schieve.

 
Mafra

Computer setup by Warren Burt for Catherine Schieve’s « Experience of Marfa. »
Astra Concerts, Melbourne June 1-2, 2013.
Two laptops and two netbooks controlled by Korg control boxes.
Photo: Warren Burt

 
Marfa2 - Grande

Another view of the computer setup for Experience of Marfa.
Note the gong and custom made Sruti Box orchestra beyond the computers. Photo: Warren Burt.

 
RandCorp

This one’s for laughs.
This is a picture from 1954 of what the RAND Corporation thought
that the average home computer would look like in 2004.

 
 

6. Post-2000 Period: Commuter Train Work and Computer Brain Work

There is one resource, however, which was expensive way back then, and has become even more expensive now. That resource is time. Time to learn the new tools/toys, time to make pieces with the toys, and time to hear other people’s work and for others to listen to our work. In Australia, working conditions have deteriorated, and expenses have risen, so that now one works longer hours to have less resources. The days of working 3 days a week to get just enough money to get by, and still have a couple of days to work on one’s art, seem to be gone, at least for now. In our totally economics-dominated society, time to do non-economically oriented activities becomes a real luxury. Or, as Kyle Gann expressed it eloquently in his ArtsJournal.com Post Classic blog for August 24, 2013:

In short, we are all, every one of us, trying to discern what kind of music it might be satisfying, meaningful, and/or socially useful to make in a corporate-controlled oligarchy. The answers are myriad, the pros and cons of each still unproven. We maintain our idealism and do the best we can.

Another factor in the erosion of our time is the expansion of communications media. I don’t know about you, but unless I turn off the mobile phone and the email, there is very seldom a period of more than a half-hour where something is not calling for my urgent attention, be it in text, telephone, or email form. This state of constant interruption of the ever-decreasing amount of time one has to work is the situation many of us find ourselves in.

My own solution was to invest in a pair of noise-cancelling headphones, and small, but kind of powerful netbook computers, and after 2016, increasingly powerful tablet computers, such as the iPad Pro, so that I could work on Victoria’s excellent commuter trains. When one is surrounded by 400 other people, and the modem is switched off, and the headphones prevented one from hearing the mobile, then one could get at least an hour, each way, of uninterrupted compositional concentration time. Yet still, I wonder what has been the effect on my music when made in such a contained, tight, hermetic environment. I continue to compose in this manner and have written many pieces in this environment. In this piece, “A Bureaucrat Tells the Truth” from “Cellular Etudes (2012-2013)” I combine sophisticated samples and 8-bit crude sounds lovingly reconstructed in the Plogue softsynth, Chipsounds:

 

Warren Burt, « A Bureaucrat Tells the Truth »

 

I sent the piece to David Dunn and his observation was:

One of the formal issues that came up for me was the idea of sound samples for midi control as found objects (in the same way that any musical instrument is a found object) that carry with them definite cultural constructs (tradition). Most composers usually want a piece to be located within one of these (bourges vs. Stanford vs. cage vs. western orchestra vs. world musics vs. noise music vs. jazz vs. spectral music vs. rinky-dink lo fi diy, etc.). This usually plays out with composers trying to constrain their timbral choices so as to define a singular associative context (genre). In these pieces you let the divergent cultures rub noses until they bleed.” And it’s true. I want to have it both ways, or perhaps all ways. I see nothing wrong with being both high-tech and low-tech, with being both complex and elitist, AND proletarian.[32]

Perhaps my isolation-booth composing environment on the train makes me cram more and more cultures side by side, just as all of us on that train, from so many cultures, are jammed in there side-by-side.

So, the time issue is more of a problem than ever. One of the reasons for that is the accelerating amount of gear that is being released, which far outstrips my ability to seriously interrogate it. One of my strategies for composing involves looking at a piece of gear or software and asking, “What are the compositional potentials of this?” Not so much “what was it designed for,” but more “how can it be subverted?” Or if that seems too Romantic, maybe asking “What can I do with this that I haven’t done before?” And “What does the Deep Structure of this tool imply?” Remembering the early days of electronic music where people like Cage, Grainger and Schaeffer would use equipment clearly designed for other purposes in order to make their music, I find myself in a similar position today. The best new music equipment store I’ve found in Melbourne is StoreDJ, which has a good selection, good prices and a knowledgeable staff. Where Cage and friends appropriated their gear from science and the military, I now find I’m appropriating some of my resources from the dance-music industry. Most recently (2020-22) I’ve been involved with the VCV-Rack community. This is a group of programmers, led by Andrew Belt (see also Rack 2), who have been designing virtual modules which can be patched together, like analog hardware modules used to be (and still are), to make complex composing systems. I’ve contributed some of my circuit designs to Antonio Tuzzi’s NYSTHI project, which is a part of the larger VCV project. There are over 2500 modules now available, some of which are duplicates in software of earlier types of modules, and some of which are unique and original designs which point the way to exploring new compositional potentials. The distinction, raised above, between the dance-music industry and resources for the “new music” or “experimental music” scenes, has now largely disappeared. There are so many new resources out there, from all sorts of designers, with all sorts of aesthetic orientations, that one has an almost overwhelming variety of choices to select among.

A couple of years ago I quipped that there were far too many Japanese post-graduate audio engineering students with far too much time on their hands making far too many interesting free plugins for me to keep up with them all. Now of course, the situation is far worse, or is that better? The amount of resources available for free, or very cheaply, in the VCV Rack project, or in the iPad eco-system, is enough to keep me occupied for the next several lifetimes. And as long as I maintain an open-minded and exploratory attitude, they probably will.

Here are links to two videos, showing work from about 10 years ago. The first, “Launching Piece” uses 5 tablet computers.[33] At the time, I had just started working with this setup, and it was very nice to get out of the “behind the laptop” mode, and into a greater physical engagement while performing. I’m very involved in having what Harry Partch called “the spiritual, corporeal nature of man”[34] being an integral part of my music making. The second “Morning at Princes Pier” uses an iPad processed through a venerable Alesis AirFX to make a series of timbrally-fluid microtonal chords. And speaking of future shock, when I first bought the AirFX in 2000, I remember laughing at its advertising slogans – “The first musical instrument of the 21st century!” and “because now, everything else is just so 20th century!” In both these pieces, the new resources allowed me to finally get more physical, once again, in my performing.

 

Video
Warren Burt, “Launching Piece”

 

Video
Warren Burt,
“Morning at Princes Pier”

 

7. Today: Technological Music Utopia and Irrelevant Musicians

I have a friend who is an audiophile. He has a wonderful sound system that he spends a lot of time listening to. I proposed to him the idea that being an audiophile was an elitist activity, both in terms of the money his equipment cost, and in terms of the fact that he actually could afford the time to listen to things in that careful manner. I asked him if he could design an audiophile sound system that the working class could afford – that is, could he design a proletarian audiophile sound system. His reply was great: “For who? The people who spend $2000 on flat screen TVs?” I had to admit that he was right. The “working class” will spend a lot of money on equipment that will provide entertainment they want. And I decided that just as Andre Malraux had said that he thought that Marxism was a will to feel, to feel proletarian, so too being an audiophile was also a will to feel, a will to feel that high sound quality and the ability to put time aside to use that equipment, was worth it.

 
Doonesbury Malraux
 

SO: We’ve reached a kind of technological music utopia, and we’re daily surrounded by ideas, gear that implies ideas, and gear that can realise ideas – all at prices that a poor person – or at least lower-middle class teacher even one who is going backwards economically – can afford. That’s lovely. What is not lovely is that we didn’t realise that when we reached the future, there would be so little place in it for us. For what hasn’t changed for us, since the 60s, is where we are – what our position is in relation to the larger world of music. As Ben Boretz[35] phrased it, so eloquently, we’re “the leading edge of a vanishing act.”[36] We’re a fringe activity to an economic juggernaut. And the juggernaut uses our findings, and usually doesn’t acknowledge them.

Continually, the words we use to describe ourselves have been taken up by different styles. I’ve seen “new music,” “experimental music,” “electronic music” “minimal music” and the list goes on and on, used by one pop genre or another over the past decades with no acknowledgement of where those terms came from. In fact, these days, when my students talk about “contemporary music” they don’t mean us. They mean the pop music they are currently interested in. We, and our work, have continually been “undefined” by industry, popular culture and the media.

“Soundbytes Magazine”[37] was a little web publication that I contributed to from about 2008 to 2021, with reviews of software or books. The editor, Dave Baer, was involved in computers since the 60s. He was a technician on the Illiac IV, then moved to the UCSD computer centre. He remembers attending the performance at Illinois of Cage and Hiller’s HPSCHD. He’s also a very good singer, appearing in the chorus of amateur opera productions. So, he’s not a stranger to our work. For a 2013 issue of Soundbytes, I suggested that he do an interview with me, since I was using computers in what I thought were some pretty interesting ways. His reply floored me – he’d be happy to do that, but we’d probably have to do a substantial introduction to place my work in context, since what I was doing was so far removed from the interests of the mainstream computer music maker! By this he didn’t mean, for example, that my note-oriented microtonal work was far removed from, let’s say, spectromorphological acousmatic work. No, he meant that my work, and all the other things we do, was far removed from the amateur dance music composer in their bedroom. So, in his view of popular consciousness in 2013, even the term we used to describe ourselves – “computer musician” – didn’t apply to us anymore. Once again, popular consciousness had robbed us of our identity. Maybe that’s the price you pay for being on the bleeding edge.

Of course, when you make a tool available to “everyone,” it’s more than likely that they’ll use it to make something they want to make, and not necessarily what you envisioned the tool would be used for. This has been around for a long time. I can tell a funny story on myself in this regard. In the early 70s in San Diego, I was a member of a group called “Fatty Acid” which played the popular classics badly. (The group was led by cellist and musicologist Ronald Al Robboy. The other regular member of the group was composer, writer, and performer David Dunn.) Sort of a conceptual art musicological comedy schtick, with serious Stravinskyan neo-classical overtones – or maybe serious Stravinskyan spectromorphological pretentions. I can’t even begin to describe the profound impact being in Fatty Acid had on my composing and performing outlook. Then, in 1980 I encountered the Fairlight CMI. This was heaven. Now I could make my “incompetence music” by myself, without having to return to San Diego from Melbourne to play with my buddies. I was completely thrilled by this. When I met Peter Vogel and Kim Ryrie, the developers of the Fairlight, I couldn’t wait to play them my “bad amateur blues ensemble” music. They were, quite naturally, less than impressed. What I thought was a natural, and exciting use of their machine, was for them, just plain weird. Stevie Wonder I was not. I remember Alvin Curran way back when, telling me that I had to be careful who I played some of my more off-the-wall stuff to. Alvin, you were right. They were not, to my chagrin, my ideal target audience.

So, the pressure on us weirdos to conform is still there, and still intense. Let’s go back in time and listen to Mao Zedong, in 1942, at the Yan’an Forum on Literature and Art. The language here is doctrinaire Marxism, but substituting terms will make it seem extremely contemporary, despite its origins in another time and in a vastly different ideological world:

The first problem is: literature and art for whom? This problem was solved long ago by Marxists, especially by Lenin. As far back as 1905 Lenin pointed out emphatically that our literature and art should “serve…..the millions and tens of millions of working people”….. Having settled the problem of whom to serve, we come to the next problem, how to serve. To put it in the words of some of our comrades: should we devote ourselves to raising standards, or should we devote ourselves to popularization? In the past, some comrades, to a certain or even serious extent, belittled and neglected popularization…We must popularize only what is needed and can be readily accepted by the workers, peasants and soldiers themselves.[38]

Substitute “target audience” for “the workers, peasants and soldiers” and “making a saleable product” for “popularization” and it becomes pretty clear that whether the system is capitalist or communist, they want us all to dance to their tune.

In the 1970s, Cornelius Cardew, from his Marxist-Leninist perspective, exhorted us to “shuffle our feet over to the side of the people, and provide music which serves their struggle.”[39]

Today, the dance-music scene exhorts us to (Melbourne) shuffle our feet over to the side of the people and provide music which serves their struggle to groove.

Today, the film-music industry exhorts us to shuffle our feet over to the side of the industry and provide music which serves their narratives.

Today, the game-music industry exhorts us to shuffle our feet over to the side of the industry and provide music and algorithms which serves as a target for their target audience.

Well, maybe we don’t want to shuffle. Maybe we want to remain what Kenneth Gaburo called “Irrelevant Musicians.”[40] Maybe we want to be arrogant enough to make a music which demands its own supply and supplies its own demands. I’m not sure I agree with Gaburo when he said, “If the world at large will one day awaken, it will need something to awaken to.” I think the world at large will probably one day provide the things it needs for its own awakening. But I understand where Gaburo is coming from. For in opposition to all the commodity-oriented thinking, some of us think of music as a gift, not a sales price-point. In recent years, Bandcamp has seemed to be a place where people can create a community which is interested first in music as a means of aesthetic or informational exchange, and only secondarily as a market item.

 

8. Conclusion

So, we were an opposition years ago, and we’re still an opposition now. Somewhere in the past few months I read a statement which appalled me. It was something like, “Every deeply held aesthetic position now becomes a just another preset in the composing arsenal.” While I had, in the past, reflected a bit ironically on the fact that, for example, FM and the Karplus-Strong algorithm, things which hard working people had devoted a substantial part of their lives to, were now just timbral options in a softsynth, or options in a software synthesis module, I had sort of expected that new technological ideas would be absorbed into the larger vocabulary of contemporary techniques. But this statement was implying that compositional ideas were now just so many recyclable resources, more grist for the great post-modern (or alter-modern to quote British critics) sausage machine. True enough maybe, but disturbing, nonetheless.

Have we really arrived at a situation where our ubiquitous tools are democratized then? Or have only a limited amount of resources, those which won’t rock the 4/4 boat, been offered by “the industry” to us. I think the answer is both. The resources are there for people to use. It’s up to us to keep reminding people of what other potentials there are to be explored, and how the new technological utopia can provide them with the means for exploration and even self-transformation. To do that, we (that’s you and me, brother) probably have to struggle against the media which wants to disavow our inconvenient existences, but that struggle is worth it, in that we will be one of several groups of people who will keep alternative and transformational modes of thought alive, and available to those with curiosity and the desire to explore.

What’s left to us? What’s left is work. Work which expands consciousness; work which provides the opportunity for changes in perception; work which attempts to bring about changes in society or provides a model for the kind of society we want to live in; work which re-affirms our identity as a unique and valuable part of our society. Work which we need to get back to, in an uninterrupted manner. As the Teen Age Mutant Ninja Turtles said, or was it Maxwell Smart, or Arnold Schoenberg? – “It’s a dirty job, but someone has to do it.”

 

Warren Burt, Nightshade Etudes 2012-2013 #19 – Tomato Muted Steinway

Microtonal scale based on Erv Wilson’s “Moment of Symmetry” work
Timbre – muted piano from Pianoteq Physical Modeling synth
DNA protein patterns from NIH gene data bank
DNA composing software – ArtWonk by Algorithmic Arts
Composing studio: V/Line regional commuter trains, Victoria
Protein patterns from tomato DNA are applied to pitch, dynamics, rhythm and played as a polyrhythmic canon on a virtual Steinway piano with mutes.)

 


1. Cat Hope, composer, flute and bass performer “who creates music that is conceptually driven, in animated formats for acoustic / electronic combinations as well as improvisations.” Cat Hope

2. Susan Frykberg (1954-2023) was a composer (New Zealand) who lived in Canada from 1979 to 1998. See wikipedia, Susan Frykberg

3. Joel Chadabe (1938-2021), composer (United States), “author, and internationally recognized pioneer in the development of interactive music systems.” wikipedia, Joel Chadabe

4. The Center for Music Experiment was between 1972 and 1983 a research center attached to the music department of the University of California San Diego.

5. A PDP-11 computer. See wikipedia PDP-11.

6. Ed Kobrin, a pioneer of electronic music (United States). He created a very sophisticated hybrid system: Hybrid 1-V. openlibrary Ed Kobrin.

7. The Serge synthesizers were created by Serge Tcherepnin, a composer and electronic music instruments builder: wikipedia Serge Tcherepnine. See also: radiofrance: Archéologie du synthétiseur Serge Modular

8. Famous nudist beach near UCSD. See wikipedia

9. Kenneth Gaburo (1926-1993), composer (United States). At the time mentioned in this article, he was professor at the Music Department at UCSD. See wikipedia Kenneth Gaburo

10. Catherine Schieve is an intermedia artist, composer, and writer – and lecturer in Performance Studies. She lives in Ararat, in central Victoria (Australia). See astramusic.org; and rainerlinz.net

11. For example, the New England Digital Synthesizer (not yet evolved into the Synclavier) wikipedia, and the Quasar M-8 (not yet evolved into the Fairlight CMI) artsandculture

12. Georgina Born, Rationalizing Culture, IRCAM, Boulez and the Institutionalization of the Musical Avant-Garde, Berkley – Los Angeles – London : University of California Press, 1995.

13. George Lewis, composer, performer, and scholar of experimental music, professor at Columbia University, New York. wikipedia George Lewis

14. Graham Hair, composer and scholar (Australia). See wikipedia Graham Hair

15. Stanley Lunetta (1937-2016), percussionist, composer, and sculptor (California).

16. Ron Nagorcka, composer, didgeridoo and keyboards player (Australia). See wikipedia Ron Nagorcka

17. Ernie Althoff, musician, composer, instrument builder and visual artist (Australia). See wikipedia Ernie Althoff

18. Graeme Davis, musician, and performance artist. daao.org.au Graeme Davis

19. Alvin Lucier (1931-2021), composer (United States). See wikipedia Alvin Lucier and for I am sitting in a room: youtube

20. Joel Chadabe had begun to work with the New England Digital Synthesizer, and with Roger Meyers had developed a program called Play2D to control it.

21. Tristam Cary ‘1925-2008), composer, pioneer of electronic and concrete music in England and then in Australia. See wikipedia Tristam Cary

22. George Lewis in New York showed me his work with the Rockwell AIM-65, and he mentioned to me the language FORTH. A little later, Serge Tcherepnin gave me a chip that made FORTH run on the AIM. This plunged me into serious computer programming for what might be the first time.

23. My Rockwell AIM-65 computer had three clocks on it, all of which counted down from a common source. You could feed numbers into each clock, and it would play subharmonics (divide-downs) of the master clock, which was working at about 1 MHZ. This system could easily be interfaced with my Serge synthesizer.

24. The three clock/oscillators of the AIM were then processed through the analogue circuitry of the Serge.

25. Harry Partch (1901-1974), composer and instrument builder (United States). See wikipedia Harry Partch

26. St Kilda is a Melbourne suburb (Australia).

27. Arun Chandra, composer et conductor. See evergreen.edu Arun Chandra

28. Herbert Brün: wikipedia Herbert Brün and « Sawdust »: evergreen.edu.au Sawdust

29. Gottfried Michael Koenig (1926-2021), German-Dutch composer. See wikipedia Gottfried Michael Koenig

30. William Burroughs, The Green Nun, from The Wild Boys: youtube The Green Nun

31. The AUMI system is designed to be used by anyone at any level of ability – depending on how its programmed, the user can perform it at any level of physical ability. See AUMI

32. David Dunn, email to Warren Burt, late 2014.

33. Two Android based tablets, two iOS based, and a Windows 8 tablet in Desktop mode.

34. Harry Partch: “The Spiritual Corporeal nature of man” from “Harry Partch in Prologue” on bonus record for “Delusion of the Fury”, Columbia Masterworks – M2 30576 · 3 x Vinyl, LP. Box Set · US · 1971.

35. Ben Boretz, composer and music theorist (United States). See wikipedia Ben Boretz

36. Ben Boretz, If I am a Musical Thinker, Station Hill Press, 2010.

37. Soundbytes Magazine and Dave Baer (editor): Since this article was written, and revised, all references to Soundbytes magazine have disappeared from the web. I hope to release a compilation of reviews I wrote for it on my www.warrenburt.com webside sometime in late 2024.

38. Mao Zedong : Interventions sur l’art et la littérature. Mai 1942. materialisme-dialectique

39. Cornelius Cardew, Stockhausen Serves Imperialism, London: Latimer New Dimension, 1974.

40. Kenneth Gaburo, The Beauty of Irrelevant Music, La Jolla: Lingua Press, 1974; Frog Peak Music, 1995.