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Création collective nomade

Access to the English translation: Collective Nomadic Creation

 
 

Création collective nomade

Dans le cadre de la Biennale Hors Norme, Lyon.
15-23 septembre 2023
Aux Grandes voisines,
Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon
et Université Lumière Lyon II

Bilan sur les observations des ateliers organisés par
l’Orchestre National Urbain/Cra.p

Comptes-rendus de Joris Cintéro, Jean-Charles François
et
de Giacomo Spica Capobianco et Sébastien Leborgne pour le Cra.p

 

Sommaire :

Partie I : Le projet de l’Orchestre National Urbain « Création collective nomade »
1.1 Le projet de l’Orchestre National Urbain
1.2 Période de préparation du projet
Partie II : Les Grandes Voisines
2.1 Ateliers aux Grandes Voisines
2.2 L’atelier collectif « Laboratoire sonore » aux Grandes Voisines
2.3 Atelier violoncelle peinture aux Grandes Voisines
2.4 Atelier trombone aux Grandes Voisines
Partie III : Le projet au CNSMD de Lyon
3.1 Les réunions dans le cadre du projet
3.2 L’atelier « laboratoire sonore » au CNSMD
3.3 L’atelier Human Beat-Box
3.4 Restitution du travail des ateliers dans la cour du Conservatoire.
3.5 Journée de bilan du projet le 10 octobre au CNSMD de Lyon
Partie IV : Le projet à l’Université « Lumière » Lyon II
4.1 Matinée du 21 septembre à L’Université Lyon II
4.2 Les ateliers à L’Université Lyon II
4.3 L’atelier Laboratoire sonore dans l’amphithéâtre à l’Université Lyon II
4.4 La restitution à l’Université Lumière Lyon II
Partie V : Le cadre esthétique de l’idée de création collective
Conclusion


 

Partie I : Le projet de l’Orchestre National Urbain,
« Création collective nomade »

Dans cet article, nous racontons sur un mode volontairement personnel la manière dont nous avons perçu le déroulement des ateliers organisés par l’Orchestre National Urbain/Cra.p dans le cadre du projet de Création Collective Nomade. Ce projet s’est déroulé du 15 au 21 septembre 2023 dans le cadre de la Biennale Hors Norme 2023, aux Grandes Voisines à Francheville, au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon (CNSMD) et à l’Université Lumière Lyon II.

Le compte-rendu de Joris Cintéro porte sur la période de préparation du projet et la journée du 15 septembre aux Grandes Voisines. Il décrit sa façon de procéder de la manière suivante :

N’ayant quasiment pas pris de notes ce jour-là (j’y allais explicitement dans l’esprit de participer), le CR suivant s’appuie essentiellement sur mes souvenirs. Ce mode d’écriture m’a justement permis de creuser ces souvenirs, à côté de photos et de vidéos que j’ai pris durant la journée – et qui m’ont également permis de « retrouver » la mémoire.

Celui de Jean-Charles François est basé sur une journée passée au CNSMD de Lyon, le 19 septembre et de deux journées à l’Université Lyon II, les 21 et 22 septembre. Il a été élaboré à partir d’observations (sans participation) et de prises de note.

Dans les deux cas, les comptes-rendus alternent descriptions, contextualisations et bribes d’analyse qui demandent à être approfondies.

Giacomo Spica Capobianco et Sébastien Leborgne, membres de l’Orchestre National Urbain/Cra.p, apportent quelques éléments d’information essentiels à la compréhension de leur démarche.

Les textes sont entrecoupés d’extrait d’une vidéo réalisée par l’équipe de l’Orchestre National Urbain/Cra.p qui contient des interviews de divers participants et des segments du déroulé des ateliers.

1.1    Le Projet de l’Orchestre National Urbain – Cra.p

Jean-Charles François :

Le projet de Création Collective Nomade a été élaboré par Giacomo Spica Capobianco dans le cadre de la Biennale Hors Norme 2023. Giacomo est directeur artistique de l’Orchestre National Urbain et de CRA.P qu’il a créé il y a plus de trente ans. Selon son site « L’équipe du Cra.p a pour objectif d’échanger des savoirs et savoirs-faire dans le domaine des musiques urbaines électro, croiser les esthétiques et les pratiques, susciter les rencontres, inventer des nouvelles formes, créer des chocs artistiques, donner les moyens de s’exprimer » (Cra.p). Le projet a été développé avec les membres de l’Orchestre National Urbain, l’équipe de la FEM [Formation à l’Enseignement de la Musique] du Conservatoire Supérieur de Musique et de Danse de Lyon (CNSMDL – FEM), autour de Karine Hahn, et avec l’artiste plasticien Guy Dallevet pour la Biennale Hors Norme (BHN).
 
La description du projet par ses organisateurs peut se résumer à plusieurs éléments dans un dispositif visant d’une manière générale à amener des publics très diversifiés à travailler ensemble pour produire collectivement de la musique, de la danse et de la peinture :

  • Trois axes de médiation se combinent ici : a) mettre en présence des groupes sociaux très différents ; b) mettre en présence des personnes qualifiées à se nommer « artistes » (étudiants, étudiantes du CNSMD) avec des personnes a priori sans compétences reconnues dans ce domaine ; c) mettre en présence des pratiques dans des domaines artistiques différents (musique, danse, théâtre, arts plastiques, poésie).
  • Les rencontres se basent sur des pratiques artistiques immédiates, faire de la musique, faire de la danse, faire de la peinture. Pour que cette mise en pratique commune n’avantage pas un groupe sur un autre elles sont organisées en sorte que toutes les personnes présentes soient mises devant des tâches qui sont nouvelles pour elles, comme par exemple jouer du trombone alors qu’on n’en a jamais fait l’expérience ou se mettre à danser si on est musicien.
  • Le dispositif est structuré dans une série d’ateliers animés par les membres de l’Orchestre National Urbain :

Sébastien Leborgne (Lucien 16’s), beat box and spoken voice.
David Marduel et Rudy Badstuber Rodriguez, MAO.
Selim Penaranda, violoncelle.
Odenson Laurent, trombone.
Sabrina Boukhenous, mouvements corporels.
Giacomo Spica Capobianco, Laboratoire sonore, un atelier regroupant après coup toutes les activités des autres ateliers, dans des perspectives de création collective.
Les ateliers peinture sont animés par Guy Dallevet pour la Biennale Hors Norme.

Le point commun à ces ateliers (sauf pour la peinture) très différents en termes de manipulation de matériaux, est constitué d’une série de codes couleurs définissant des modes de jeu :

a) orange = vent soutenu ;
b) blanc = ralenti graduel ;
c) rouge = rythme répété (trois noires et un soupir) ;
d) marron = 8 pulsations régulières ;
e) noir = arrêt au sol, silence ;
f) bleu = peur, tremblement, énergie ;
g) vert = improvisation libre.

Les diverses mises en pratique des différents ateliers sont toutes basées sur l’exploration de ces codes couleurs.

  • Une autre activité importante initiée par les membres de l’Orchestre National Urbain, c’est l’élaboration personnelle de textes appelés à être parlés (en rythmes précis ou librement) lors de la rencontre sur la scène de tous les éléments des ateliers.
  • Les personnes présentes suivent chaque atelier l’un après l’autre dans des groupes d’une dizaine de personnes. À la suite de cela tout le monde se retrouve dans un ensemble général – Le Laboratoire Sonore – composé de diverses stations : trombone, violoncelle, voix (microphone), batterie, des objets divers suspendus à un portique, 2 stations « electro » (loops, jeu avec les doigts sur un pad), un spicaphone (genre de guitare électrique à une corde construite par Giacomo Spica), un instrument à cordes tendues sur un cadre en métal (dénommé miroir sonore), une guitare électrique posée horizontalement pour être jouée comme un instrument de percussion, un espace pour la danse. Un chef ou une cheffe est désignée parmi les participants pour organiser la performance en montrant au fur et à mesure les cartons de codes couleur. Dans l’esprit de Giacomo, il ne s’agit pas là de « sound painting », celui ou celle qui dirige doit seulement montrer des couleurs et indiquer un niveau sonore général, sans imposer une énergie particulière. L’expérience du dispositif à montré que dans la pratique les personnes qui participent au dispositif (dans et en dehors des membres de l’Orchestre National Urbain) mettent souvent une « énergie particulière » dans la direction – se baisser pour incarner une nuance, jouer à échanger rapidement les cartons, faire en sorte qu’une partie seulement de l’ensemble soit concernée par un carton, etc…).
  • A un moment donné, dans l’institution où se passe les ateliers, une restitution générale du travail réalisé est présentée en présence d’un public extérieur (c’est ce qui s’est passé au CNSMDL à l’issu de deux jours de travail, et à l’Université Lyon II à l’issue de deux journées de travail). A l’université, cette restitution a été suivie d’un concert par l’Orchestre National Urbain.

Le projet lié à la Biennale Hors Norme s’est déroulé dans trois lieux différents :

  1. Les 15 et 16 septembre au Grandes Voisines, à Francheville près de Lyon, qui se décrivent dans leur site comme « un tiers-lieu social et solidaire où il est possible de dormir, manger, travailler, peindre, découvrir une exposition, participer à une chorale… et vivre des rencontres » (Les Grandes Voisines). Ce lieu d’hébergement accueille des réfugiés en attente de régulation. C’est ce public particulier qui a été visé pendant les deux journées de pratique.
  2. Les 18 et 19 septembre au CNSMD de Lyon, dans le cadre du programme de la Formation à l’Enseignement en Musique (FEM). Deux journées d’atelier, occasion d’une rencontre autour de pratiques entre les étudiants de la FEM et les réfugiés hébergés aux Grandes Voisines, avec une présentation publique du travail à la fin de la deuxième journée.
  3. Les 20 et 21 septembre, à l’Université Lumière, Lyon II, ateliers avec les réfugiés et les étudiants de l’université et du conservatoire (sur la base du volontariat) avec une restitution du travail en fin de journée du 21 septembre, suivie le soir d’un concert de l’Orchestre National Urbain.

 

1.2     Période de préparation du projet

Joris Cintéro :

Au moment où j’écris ces lignes, je ne me souviens pas tout à fait clairement des circonstances dans lesquelles on m’a présenté le dispositif pour la première fois. Je me souviens seulement de plusieurs bribes de discussion avec Karine me décrivant un « projet auquel on participe avec le Cra.p » dont la première étape se déroule « à Francheville, dans un centre d’accueil pour réfugiés », et que « les étudiants et les étudiantes ont été tenu·e·s au courant » de longue date. J’ai des souvenirs quant aux objectifs que l’on fixait pour les étudiantes et étudiants à travers un dispositif comme celui-ci, particulièrement aux Grandes-Voisines : rencontre avec une altérité dont nous supposons qu’elle n’est pas fréquente dans l’ordinaire de leur travail de pédagogues, création de moments musicaux pensés pour inviter un public non rompu aux traditions de ladite musique savante occidentale, adaptation dans des circonstances peu propices à l’enseignement artistique et bien entendu, prise de recul sur les enjeux sociaux et politiques de l’enseignement artistique.
 
Quelques jours avant la première séance aux Grandes Voisines [GV], Karine rappelle aux étudiants et aux étudiantes de la formation CA la teneur du projet. Après les avoir interrogés pendant un moment collectif sur la possibilité de se rendre aux Grandes Voisines le vendredi et/ou le samedi, nous nous rendons compte que très peu d’entre elles et eux se trouvent être disponibles pour venir avec nous ces jours-là. C’est le cas d’un seul étudiant en première année (Grégoire), que nous connaissons à ce moment-là, assez mal – la formation n’ayant démarré que depuis une semaine. Le groupe dans sa quasi-totalité nous a fait savoir de leur souhait de pouvoir venir, mais de leur impossibilité à participer à cause d’un manque de temps ou n’ayant pas reçu l’information à temps.
 
Nous soulignons également la nécessité, pour celles et ceux souhaitant venir, d’apporter des instruments qui soient susceptibles d’être manipulés par des enfants – je me souviens d’ailleurs avoir maladroitement insisté là-dessus, laissant penser qu’il ne s’agissait de travailler qu’avec des enfants et que ces derniers seraient particulièrement peu soigneux. Les réponses des étudiant et des étudiantes nous amènent à découvrir que très peu disposent de plusieurs instruments de musique.

 
 

Partie II. La Création collective nomade aux Grandes Voisines

2.1     Ateliers aux Grandes Voisines

Joris Cintéro :

Le samedi 16 septembre 2023, après avoir récupéré une vieille guitare classique chez moi et la harpe électrique de Karine à Villeurbanne, nous nous rendons tous deux aux Grandes Voisines en voiture et arrivons en milieu d’après-midi, aux alentours de 15h30. Karine se gare sur le parking de l’entrée, à deux pas d’une sorte de guérite défraichie (vide ?) permettant de surveiller les allées et venues au centre d’accueil. C’est un peu loin du lieu où se déroulent les ateliers (il faut dire que la signalétique n’était pas très claire et que rien de l’extérieur n’annonce la Biennale Hors-Normes). Après un court appel téléphonique, Giacomo nous fait signe au loin de nous approcher et nous accueille.
 
Je rencontre pour la première fois les membres de l’Orchestre National Urbain, qui sortent alors d’une salle dans laquelle sont entreposés différents instruments. S’ensuit une visite « critique » rapide des lieux en compagnie de Giacomo. Nous découvrons un dédale de pièces, de portes, de couloirs et sommes informés rapidement de l’organisation du lieu. En effet, Giacomo connaît déjà bien l’endroit (l’Orchestre National Urbain est déjà intervenu dans les lieux) et a connu des tensions avec certains des acteurs et actrices qui y travaillent. Au cours de la visite, je comprends assez rapidement qu’il y a des difficultés de communication entre les acteurs (et leurs institutions respectives) quant à la gestion du lieu et qu’une partie des artistes présentes et présents dans le cadre de la Biennale Hors-Normes [BHN] ne sont pas « sur la même longueur d’ondes » que Giacomo.
 
J’ai l’impression d’un lieu labyrinthique qui peine à cacher les stigmates de son ancien usage (hôpital pour personnes âgées). Bien que certains couloirs soient bardés de peintures et d’œuvres en tous genres, que certains points extérieurs laissent percevoir une activité artistique (sculptures etc…), le lieu dégage une certaine froideur (néons, faux-plafond, peintures grisâtres, dalles fendues, etc…) typique des bâtiments administratifs, des maisons de retraite ou encore des hôpitaux. Certaines pièces paraissent un peu glauques et sentent l’humidité – c’est le cas de la salle de concert au rez-de-chaussée du bâtiment, qui se tient en lieu et place de l’ancienne chapelle du bâtiment. Pour ajouter à cette impression, Giacomo ajoutera durant la visite que les tables d’autopsie sont toujours présentes dans les sous-sols du bâtiment. On aperçoit au loin un stade de foot dont on peine à comprendre l’usage dans un hôpital gériatrique et des affiches présentant une installation qui doit s’y tenir. Je suis frappé à ce moment-là par la « valse » des clés qui accompagne cette visite, sensation probablement due à l’agacement dont fait part Giacomo vis-à-vis du fait qu’il soit nécessaire de fermer derrière soi « au cas où », « parce que certains réfugiés n’hésitent pas à se servir » ou parce que le matériel ne peut être surveillé en notre absence (et celle des membres de l’Orchestre National Urbain qui animent les ateliers).
 
Après un tour d’une bonne quinzaine de minutes où nous repérons où se déroulent les différents ateliers nous revenons au point de départ sous la sorte de barnum où l’équipe de l’Orchestre National Urbain nous avait accueilli un peu plus tôt. Il fait assez chaud, et Grégoire, le seul étudiant du CNSMDL ce jour-là, vient d’arriver.
 
Une fois la visite terminée, Giacomo souligne au détour d’une phrase la difficulté majeure de l’après-midi, difficulté que nous ne tardons pas à observer : personne ne s’est inscrit pour participer aux ateliers. Cette situation s’explique d’après lui du fait que les travailleuse et travailleurs sociaux intervenant sur le lieu n’ont pas relayé l’information aux usagers du lieu (en effet on n’a pas vu d’affiches pendant la visite et nous croisons des personnes travaillant sur le lieu qui ne sont pas au courant de la tenue d’ateliers musicaux), manque de communication s’expliquant lui-même par une brouille entre les porteurs de projet de la BHN et l’organisation du lieu – dont on apprendra un peu plus précisément, par la suite, la teneur. C’est donc sans aucun enfant/adulte, en dehors d’Omet – un usager du lieu qui n’est d’ailleurs pas initialement présenté/catégorisé comme un bénéficiaire du dispositif mais plutôt comme un membre à part entière de l’activité – que commence la journée.
 
En l’absence de public, les membres de l’Orchestre National Urbain ne se démontent pas et nous invitent à commencer à jouer, Karine, Grégoire, Omet et moi-même, en leur compagnie dans l’atelier sonore collectif (le laboratoire sonore de Giacomo).

 

2.2    L’atelier collectif « Laboratoire sonore » aux Grandes Voisines

Joris Cintéro :

Giacomo nous présente un atelier musical collectif similaire aux ateliers de groupe qui seront proposés par la suite au CNSMDL et à l’Université Lumière Lyon 2. Il s’agit d’une improvisation collective dirigée par un chef, officiant seulement par le biais d’un jeu de cartons colorés indiquant des intentions musicales particulières devant orienter le groupe improvisateur.
 
L’instrumentarium est le suivant :

– Instruments de « lutherie urbaine » : Spicaphone / Harpe-miroir [amplifiés]
– Instruments électroniques : (Korg monotribe/Kaosspad/Roland SP 404SX/MicroKorg)
– Pédales d’effet (Whammy avec Spicaphone)
– Microphone [amplifié]
– Instruments acoustiques (Caisse claire, guitare électrique, « baguettes chinoises » en guise de baguettes de batterie)

La console et les différents câbles qui permettent l’amplification des instruments ne sont pas utilisés comme moyens de jeu dans le dispositif.
 
Le jeu de cartons comprend 7 couleurs associées aux conventions décrites ci-dessus. À ce jeu de « code-couleur » s’ajoute la possibilité de faire varier le volume sonore du groupe improvisateur en signalant avec la main plus ou moins haute.
 
L’instrumentarium est ce jour-là disposé tout autour du chef ou de la cheffe. L’atelier se déroule dans une grande salle au lino vert, dotée de plusieurs baies vitrées (certaines occultées par des rideaux), donnant directement sur l’extérieur – permettant ainsi aux personnes qui passent de voir (et accessoirement d’entendre) ce qu’il s’y passe. Si elle n’est pas pour ainsi dire centrale dans l’architecture du centre d’accueil, cette salle se trouve néanmoins dans le passage des piétons et des voitures et donne sur plusieurs autres bâtiments – ce qui aura son importance pour la suite de la journée.
 
L’atelier démarre donc par le biais d’une explication de Giacomo qui en présente les différents aspects, mettant notamment l’accent sur le code couleur et les objectifs visés (travailler sur la matière sonore, libérer les éventuelles inhibitions de chacun, créer un espace d’égalité entre musicien·ne·s et non musicien·ne·s, etc…). Étant moi-même impliqué tout au long du dispositif, je ne sais pas tout à fait combien de temps chaque improvisation a duré. La seule chose que je sais c’est que les tours d’improvisation ont cessé une fois que tout le monde avait « cheffé » au moins une fois – certain·e·s répétant l’exercice plusieurs fois.
 
L’atelier débute. Tout le monde semble prendre beaucoup de plaisir à jouer de la sorte. Les remarques des personnes présentes tiennent essentiellement à la difficulté de se remémorer dans l’instant des conventions associées aux cartons colorés (j’ai dû attendre le 4ème ou 5ème tour pour m’aligner « correctement » sur les cartons), aux nuances proposées par le/la cheffe ainsi qu’au plaisir de jouer sur des instruments « exotiques » (la harpe-miroir et le spicaphone particulièrement). Presque chaque « tour » d’atelier se clôt par une discussion sur ce qui vient de se passer, discussion portant essentiellement sur des questions musicales (l’intention des chefs, les nuances etc…). Les premiers ateliers se passent « très bien » dans la mesure où il me semble que la majorité des personnes présentes sont rompues à l’exercice.
 
Durant les improvisations on voit parfois passer des groupes d’adultes, d’enfants, de parents qui pour certains s’approchent discrètement de la salle – feignant pour la plupart ne pas être vus. C’est au gré de ce flux qu’un homme d’une petite quarantaine d’années, accompagné de sa fille d’environ 5 ans se joignent à nous. Assez réservé, il déclare dès le début venir « pour sa fille », qui semble particulièrement heureuse et enjouée au moment où les membres de l’Orchestre National Urbain l’invitent à se joindre à l’improvisation collective. L’enfant participe à plusieurs « tours » d’atelier accompagnée par différentes personnes (qui la mettront sur un fauteuil pour qu’elle puisse jouer sur le Microkorg par exemple ou recadreront son jeu vis-à-vis des cartons colorés) et le père endossera le rôle du chef une fois – en plus de participer à quelques tours d’atelier lui-aussi. D’abord réticent au fait-même de participer (il comptait seulement regarder sa fille), il se joint à nous à la demande de Giacomo et se « détend » peu à peu, sans qu’il témoigne pour autant d’une forme de lâcher prise (que j’interprète par le fait que les participants se prêtent totalement au jeu et qu’ils se trouvent par moments dépassés par celui-ci). Le père et sa fille quittent la pièce après plusieurs tours d’ateliers, visiblement heureux d’y être passés.
 
Une fois la salle fermée nous passons dans la pièce adjacente dans laquelle se tient un atelier d’improvisation au violoncelle et de peinture.

 

2.3    Atelier violoncelle peinture aux Grandes Voisines

Joris Cintéro :

L’atelier violoncelle-peinture est dirigé par Selim Penaranda (pour le violoncelle) et une personne (pour la peinture) dont j’ai oublié le nom (dont j’apprendrais par la suite qu’elle remplaçait Guy Dallevet, absent ce jour-là). Il se déroule dans une salle, grande mais assez encombrée de cartons, de peintures, de sculptures et d’objets divers.
 
L’organisation de l’atelier est assez simple. On a d’un côté Selim avec 3 violoncelles (un acoustique et deux électriques amplifiés) et de l’autre l’intervenante peinture avec un ensemble de feuilles, de peinture acrylique, de cartons pour l’étaler et de tenues de protection qui sont visiblement usées – la pièce semble utilisée très souvent pour réaliser des activités de ce genre, en témoignent les nombreuses peintures affichées aux murs et les tâches de peinture dans l’évier. Dans le même esprit que les productions qui suivront le reste de la semaine, ce dispositif consiste dans une interaction entre les groupes qui peignent et les groupes qui font du violoncelle. L’atelier se termine par des improvisations individuelles au violoncelle au départ d’un support peint par l’interprète.
 
L’activité violoncelle dirigée par Selim s’organise toujours de la même manière.

1. Présentation de l’instrument et du dispositif.
2. « Tâtonnement » à l’instrument.
3. Improvisation dirigée avec code couleur. Cette activité nécessite au moins deux personnes
    qui jouent, (dont Selim parfois) et une personne qui dirige.

Selim présente dans un premier temps le violoncelle en jouant quelques notes et soulignant de façon récurrente qu’il n’y a pas de bonne position pour en jouer, que l’essentiel c’est d’être à l’aise en jouant. Dans ce sens, il n’hésite pas à montrer des positions que l’on pourrait qualifier d’hétérodoxes vis-à-vis de la représentation commune du jeu au violoncelle qui est associée à une position dite « classique » (l’instrument se tient entre les jambes, les pieds à terre, le manche de l’instrument reposant sur l’épaule). Il met, à dessein, les pieds sur les bords du violoncelle, montrant qu’il est possible de procéder ainsi pour en jouer. Même chose du côté de l’archet qu’il propose de tenir de plusieurs manières différentes soulignant, comme il le fera plus tard au CNSMDL, que « ça peut se tenir comme une poignée de porte ». Il n’empêche pas, toutefois, les personnes présentes de tenir l’instrument et l’archet de façon « conventionnelle ». Une fois ce « rituel » de présentation accompli, il laisse les participants explorer sur le violoncelle tout en présentant la suite de l’atelier qui consiste en une improvisation avec une autre personne.
 
La personne qui « cheffe » durant l’atelier alterne au fur et à mesure de l’avancement de ce dernier. Le code utilisé est le même que dans l’atelier précédent.
 
De l’autre côté de l’atelier, on trouve la peinture, qui s’organise de façon tout aussi récurrente. L’encadrante présente la tâche à réaliser, c’est-à-dire peindre une toile en s’imprégnant de l’ambiance sonore créée du côté des violoncellistes et ceci à l’aide d’un bout de carton, permettant de réaliser, comme le montre l’encadrante, des formes circulaires pluri-colores. En somme il s’agit de verser quelques gouttes de peinture (une ou plusieurs couleurs) sur la toile, et d’étaler avec le support cartonné la peinture sur une feuille en réalisant des sortes de spirales.
 
Le lien entre les deux parties de l’atelier ne semble pas évident pour tout le monde, en témoignent, lors d’une pause dans le violoncelle où je jette un œil à l’autre partie de l’atelier, certain·e·s peintres ne prêtant aucun cas à la musique (ce qui n’est pas tout le temps vrai puisque les silences trop longs amènent les peintres à parfois gentiment râler de l’absence de musique pour peindre). Je prends quelques photos de l’atelier.
 
L’atelier se termine par une série d’improvisations individuelles sur le violoncelle, réalisées à partir d’un support visuel, c’est-à-dire la peinture réalisée plus tôt dans l’atelier. Personne parmi ceux et celles habitant le lieu ne viendra nous rejoindre durant le dispositif. Nous décidons de faire une pause après une petite heure de travail collectif.

 

2.4    Atelier trombone aux Grandes Voisines

Joris Cintéro :

La pause est l’occasion de s’allumer une cigarette, de boire un peu d’eau et de discuter plus généralement des dispositifs proposés et de l’absence de public. Si l’ambiance est très amicale, je sens tout de même une forme de déception chez les membres de l’Orchestre National Urbain. Je me dis aussi à ce moment-là qu’en effet, mobiliser autant de monde sur deux jours pour si peu de public constitue une perte de temps et d’argent considérable. On disserte un peu sur le lieu, ses défauts (on y serait logé par « ethnie ») et sur le fait qu’en dehors de son esthétique hospitalière, on n’y semble pas si mal accueilli que ça. On mentionne l’existence d’un bâtiment dédié aux femmes seules, public difficile à convier aux activités selon Giacomo, ces dernières ayant vécu des parcours migratoires traumatiques. Tout le monde y va de sa petite anecdote, surtout celles et ceux qui connaissent déjà le lieu.
 
L’après-midi avançant, Odenson Laurent, jeune membre de l’Orchestre National Urbain joue quelques notes au trombone. Ces notes ont l’effet d’un appel. Plusieurs enfants se rapprochent, timidement d’abord puis de façon plus directe ensuite. Ils et elles veulent jouer et nous le font savoir. Giacomo et Sébastien se précipitent pour récupérer les trombones qui avaient été entreposés dans une pièce du bâtiment. La scène donne l’impression qu’on est pris de court, le « public » afflue enfin, il s’agirait de ne pas louper le coche.
 
Les étuis des trombones arrivent et sont posés à la va-vite à terre. Le moment est assez intéressant dans la mesure où nous nous mettons toutes et tous (qui ont participé des ateliers précédents) progressivement à « cadrer » cet atelier qui prend forme. Ici on désinfecte les embouchures à l’alcool, là on montre à un enfant comment s’attrape et se tient le trombone, à côté on fait patienter celles et ceux qui attendent leur tour.
 
Odenson prend la main de l’atelier, parle fort (il faut dire que les enfants sont nombreux et pressés de jouer) et donne à voir comment on souffle dans l’embouchure du trombone. La majorité des enfants y arrivent. Il propose une série d’exercices/jeux où il s’agit d’abord de souffler fort une fois. Les enfants s’exécutent avec succès, rient et réessaient sans attendre l’invitation d’Odenson. Le volume sonore augmente rapidement, les enfants semblent emballés par l’activité. Odenson propose ensuite de jouer avec la coulisse. Certains enfants font tomber la coulisse (il faut dire que dans certains cas, les trombones sont aussi grands que celles et ceux qui les jouent), ce qui entraîne les rires des autres et l’impatience de ceux qui attendent leur tour – certains viennent alors en aide à leurs camarades en tenant la coulisse. Les enfants semblent visiblement très heureux de l’expérience qu’ils viennent de vivre. De nouvelles têtes qui font leur apparition : plusieurs femmes commencent à arriver et certaines se penchent aux balcons pour voir ce qu’il se passe.
 
Rebelote, on nettoie les embouchures, on donne quelques informations aux enfants sur la façon de tenir le trombone (chacun y va un peu de son conseil), on fait patienter celles et ceux qui passeront après, on invite les femmes qui viennent d’arriver à tenter l’expérience. On se partage les rôles pour y arriver : Karine est par exemple invitée à convaincre une habitante des lieux de se joindre à l’exercice, ce qu’elle parvient à faire.
 
Il est intéressant de noter que si en dehors d’Odenson, personne ne « joue » du trombone (du moins personne ne se catégorise comme étant « tromboniste ») tout le monde s’autorise le fait de montrer aux enfants comment on souffle dans l’embouchure, comment réaliser le mouvement des lèvres permettant d’y arriver ou de montrer comment se tient l’instrument – par exemple dans l’entre deux à celles et ceux qui attendent ou directement à celles et ceux qui sont en train de participer à l’atelier.
 
Après plusieurs passages, l’atelier s’arrête et les membres de l’Orchestre National Urbain échangent avec les femmes et les enfants présents pour les prévenir de la journée du lendemain et de la poursuite des ateliers.

 
 

Partie III : le projet de Création Collective Nomade au CNSMD de Lyon

3.1    Les réunions dans le cadre du projet

Jean-Charles François :

Avant de commencer les ateliers de chaque journée, l’équipe de L’Orcherstre National Urbain a l’habitude de se réunir afin de (re-)définir le contenu de la journée à venir, à partir d’un bilan des actions qui ont directement précédées.

Giacomo Spica Capobianco et Sébastien Leborgne :

Premier temps, « Réunion d’équipe » :

Le directeur artistique (Giacomo Spica Capobianco) fait un point avec tous les artistes intervenants de l’Orchestre National Urbain. Ces réunions permettent d’évaluer les ateliers collégialement afin de faire évoluer le projet. Ces moments de discussion permettent d’échanger sur les évolutions, les contraintes, les difficultés rencontrées.

Afin de proposer le programme de la journée, un point préalable est prévu et permet de s’adapter aux situations vécues au jour le jour.

Deuxième temps, « Réunion d’équipe avec les stagiaires » :

Chaque matin un moment de discussion est programmé avec tous les stagiaires.

Ce moment et évidemment important étant donné qu’aucun niveau de sélection n’est requis au préalable, autant sur un plan technique que sur un plan social, les stagiaires vont être sujet à travailler collectivement.
Il est important que les uns aillent vers les autres pour une rencontre plus constructive vers une réflexion de création improbable.

L’intérêt est de faire comprendre au stagiaire qu’il est au service du projet au sein d’une création collective.

Tous les ateliers sont filmés.
Il est important d’avoir un support vidéo de chaque atelier afin que tous les membres de l’équipe de l’Orchestre National Urbain découvrent le travail de l’autre. Cela permet de faire évoluer le projet.

Jean-Charles François :

Par exemple, voici la description d’une telle réunion qui s’est déroulée lors de la deuxième journée d’ateliers au CNSMDL, le matin du 19 septembre 2023. Cette réunion regroupe l’équipe de l’Orchestre National Urbain et celle de la Formation à l’Enseignement de la Musique du CNSMDL.
 
Giacomo fait part des problèmes rencontrés au Centre d’accueil des Grandes Voisines. Il semble que les personnels encadrants du centre n’ont pas très bien organisé la venue du l’Orchestre National Urbain. Apparemment peu d’information a été donnée aux réfugiés, en conséquence il a fallu que les membres de l’orchestre se mettent à jouer dans la cour pour accueillir les personnes qui passaient et les inviter à participer. Ce sont surtout des enfants et les mères de ces enfants qui ont participé. En conséquence seulement un réfugié a pu venir participer aux journées de rencontre au CNSMDL. Giacomo résume les objectifs de la journée qui consiste à la possibilité de se prendre en main à partir d’éléments à travailler qui sont nouveaux pour les étudiants. C’est la raison pour laquelle ils n’ont pas le droit d’utiliser leur propre instrument. Pour Giacomo, on n’est pas là pour dicter des comportements mais pour se mettre en situation d’une recherche collégiale en vue de se projeter dans des pratiques à faire avec tout public.

 

3.2 L’atelier « laboratoire sonore » au CNSMDL

Jean-Charles François :

La séance du matin du 19 septembre 2023 se déroule dans la salle de musique d’ensemble qui comporte une estrade. Un large espace sur la scène est organisé avec une série de stations instrumentales (instruments traditionnels, simples instruments construits, instruments électroniques, voix amplifiée) comme décrit ci-dessus. Un espace en dehors de cette estrade est réservé à la danse. Les étudiants sont partagés en trois groupes. Ceux ou celles qui ne participent pas à la performance d’un groupe sont assis par terre ou sur des chaises en dehors de ces deux espaces.
 
La séance commence par un échauffement du corps de 10 minutes animé par Sabrina Boukhenous. Elle est membre de l’Orchestre National Urbain, comédienne, directrice d’acteur et technicienne son-lumière. Son rôle dans l’Orchestre est de prendre en charge le corps en mouvement et le spoken word. L’échauffement se déroule dans la bonne humeur et le plaisir de faire : frottements de mains, exercices de respiration, mettre en action les différentes parties du corps, sauter, etc.
 
La première partie du matin (9h20-10h45) se déroule dans la salle d’ensemble, dans la configuration décrite ci-dessus. Les activités expérimentées lors des différents ateliers qui se sont tenus la veille (le 18 septembre) et qui ont été suivis par toutes et tous, sont maintenant regroupées dans un seul ensemble : jeu sur divers instruments, voix amplifiée et corps en mouvement. Il y a trois groupes d’une quinzaine de personnes qui se succèdent sur l’espace de l’estrade et utilisant aussi l’espace de la danse, pour expérimenter des situations avec une personne dirigeant à l’aide des cartons de couleur. Les temps de séquences de performance varient de 2 minutes à 4 minutes. Elles sont suivies à chaque fois d’une courte période (entre 4 et 10 minutes) pour exprimer des réactions, des sentiments ou proposer des actions, parfois soulever des questions importantes. À chaque fois la direction de l’ensemble et les différents rôles changent librement, les danseurs devenant instrumentistes, la voix parlée est assumée par quelqu’un d’autre, etc.
 
Un des aspects spécifiques du dispositif est la présence des textes écrits lors des ateliers, lus à haute voix à travers le microphone placé sur scène à cet usage. Selon les consignes données par Giacomo, la voix n’a pas à suivre les codes couleur, mais déroule son débit en solo, selon le choix de celle ou celui qui le lit. La difficulté principale est de pouvoir entendre clairement la voix parlée, soit que les protagonistes n’ont pas l’habitude du micro, soit qu’ils manquent d’assurance ou d’énergie, soit encore que le niveau sonore des instruments reste trop fort, le regard porté sur les cartons de couleurs ne permettant peut-être pas une écoute immédiate de ce que font les autres. Giacomo assez tôt dans la séance montre au micro comment la voix doit s’engager plus franchement. Lors de la période de jeu du groupe 3, à un moment donné, il est décidé de ne pas utiliser les codes couleur, mais de se baser uniquement sur la voix avec la nécessité de pouvoir comprendre le texte, la voix devenant le chef d’orchestre. Après avoir essayé cette idée, un court débat a lieu sur des notions d’improvisation : la nécessité de l’écoute, la question des réactions par rapport aux énergies en présence, par rapport aux propositions, l’idée de laisser la place aux autres, notamment au texte. À la fin de cette première partie de matinée, une situation est expérimentée avec 3 personnes à la voix lisant leur texte.
 
La présence des textes, donne à plusieurs reprises l’occasion de soulever la question de l’engagement physique (notamment par Giacomo) et vis-à-vis du sens qu’on met dans le texte. Il est bien sûr très difficile de s’engager de manière immédiate dans une activité qu’on fait pour la première fois, lorsqu’on ne sait pas où cela va mener. Mais la difficulté de l’engagement chez les étudiants provient aussi du fait qu’on n’adhère pas (encore) à quelque chose trop éloigné des valeurs esthétiques qu’on défend au quotidien dans le conservatoire. Les comportements induits par la musique savante européenne écrite sur partition impliquent à la fois un engagement profond des compositeurs dans leurs projets esthétiques, et au contraire un détachement assumé des interprètes appelés à jouer une diversité d’esthétiques. On pourrait dire que dans ce contexte, l’engagement de l’interprète ne se fait qu’au moment de prestation en public, dans une posture où, comme chez les acteurs de théâtre, l’engagement approprié est « joué ». Dans ce contexte, on n’a pas l’habitude de se lancer corps et âme dans n’importe quelle activité sans auparavant avoir pu mener une réflexion à son sujet, l’esthétique n’est donc pas un engagement mais un jeu. L’engagement des interprètes du secteur qu’on appelle « classique » se manifeste surtout vis-à-vis de la manière d’envisager la production sonore et par là, leur identité principale est tournée vers leur instrument ou leur voix. Le corps de l’être humain occidental tend à être déconnecté de la signification, le corps doit construire la signification par le biais de contextes particuliers, avec le risque de ne pas accéder à un état plus fondamental dans lequel le corps assume et croit en sa propre production de signification. Or il existe beaucoup de pratiques musicales (et de danse) où l’engagement des performers n’est pas séparé des conditions de production et où la signification est fondamentale dès le départ, c’est-à-dire à tous les niveaux de compétence. C’est le cas notamment des pratiques musicales de l’Orchestre National Urbain et au sein des actions qu’il mène dans les quartiers défavorisés.
 
Certains étudiants ont décidé d’être présents aux séances, mais de ne pas participer aux pratiques proposées et d’être là en observateurs. C’est une infime minorité, 2 ou 3 parmi la cinquantaine de présents. Giacomo avait bien spécifié qu’il était permis d’avoir cette attitude, qu’il n’y avait pas d’obligation à participer à l’action. Pourtant l’un d’entre eux a rejoint le groupe actif au moment où ont été essayées des improvisations non basées sur les codes couleur et sans la présence d’un chef, en suivant les évolutions d’un texte ou en se laissant influencer par la danse. Il a pris la guitare électrique posée à l’horizontal, l’a accordée selon la norme et s’est mis à la jouer dans la position habituelle du jeu à la guitare.
 
Pour la danse, les termes de « mouvements du corps » sont souvent utilisés pour bien marquer qu’il s’agit d’une part de déplacements libres dans l’espace et d’autre part qu’il n’y a pas une ambition artistique à caractère technique qui empêcherait la participation immédiate de toute personne présente. La danse n’est pas utilisée pendant la première partie du groupe 1, puis petit à petit prend plus d’importance. Très vite on voit la nécessité pour le chef ou cheffe de voir la danse (autant que d’écouter les instruments) pour influencer les décisions de changement de couleur. Avec le groupe 3 (après l’expérimentation de suivre le texte) il est décidé que la musique soit influencée par la danse plutôt que de suivre les codes couleur. Comme dans le cas du texte, cet essai suscite un débat sur les rapports danse-musique : sont abordées les questions de l’imitation en miroir, des conditions de suivi collectif des musiciens, du risque de l’empire d’un domaine artistique sur un autre et de la nécessité d’une communication qui circule. Une idée est proposée : une improvisation où tous ces axes de travail se mélangent.
 
Concernant la présence d’une personne qui dirige avec les cartons de couleur, la pratique effective soulève au fur et à mesure plusieurs questions. Un des aspects importants est qu’à chaque séquence de jeu, il y a une nouvelle personne qui dirige, il n’y a donc pas l’écueil du développement de « spécialistes » de cette activité, et il y a une distribution démocratique des différents rôles. Mais ce dispositif précisément tend à renforcer la représentation générale qu’ont les personnes présentes du pouvoir dominateur du chef d’orchestre. Aussi, ceux et celles qui en assument le rôle, ont tendance à surinvestir le pouvoir qui leur est donné : il ne s’agit pas seulement de montrer des codes couleur et d’indiquer des niveaux d’intensité sonore, il s’agit par des attitudes corporelles exagérées de faire passer des informations aux instrumentistes pour qu’elles soient respectées, on est rapidement dans une situation similaire au « sound painting ». Ce surinvestissement de et sur la personne du chef, résulte dans la domination de l’œil sur l’oreille, avoir à regarder constamment le chef empêche de se concentrer à la fois sur sa propre production et sur l’écoute de la production des autres.
 
La dualité oralité-écriture est un élément très important qui se joue dans le contexte du CNSMD et des formes musicales qui en définissent les contours. Mais l’enjeu paraît tout à fait différent s’agissant de contextes dans lesquels toute personne (quel que soit son niveau de compétences et son origine sociale) peut accéder de manière quasiment immédiate à des pratiques musicales artistiques. Dans ce cas, il convient pour y parvenir de manière convaincante d’inventer des mécanismes très précis. Vers la fin de cette première partie de matinée, Giacomo rappelle le contexte pédagogique du travail en cours : la difficulté est de faire des choses dans des contextes de culture défavorisés, ou dans le cas de la rencontre entre différentes cultures. Comment construire des activités qui dès le début offrent la possibilité de se confronter à des enjeux fondamentaux mais de manière accessible, comment faire construire par celles et ceux qui participent leurs propres situations significatives. L’accès à des comportements actifs priment au début sur toute considération de qualité artistique ou de comportements normalisés. Les codes couleur et la présence d’une personne qui les manipule pour donner une forme à la performance assurent dans tous les contextes un accès rapide à une pratique effective, dans laquelle les enjeux artistiques ne sont pas du tout réglés, mais qui pourtant sont déjà inscrits dans le contenu de l’action.

 

3.3 L’atelier Human Beat-Box

Joris Cintéro :

La journée du 16 septembre (aux grandes Voisines) se clôt par le biais de l’atelier de Sébastien Leborgne (Lucien16), centré sur le Human beat-box. Sébastien est membre de l’Orchestre National Urbain et artiste rap, spoken word.
 
L’atelier se déroule dans une salle à l’intérieur du bâtiment. La salle est particulièrement petite et se trouve dans le passage d’un couloir, en face de plusieurs ascenseurs : il y a un peu de passage.
 
L’atelier mobilise assez peu de matériel : quelques feuilles de papier, une console, un looper, un micro ainsi qu’une enceinte permettant d’amplifier le tout.
 
Sébastien décrit le déroulement de son atelier. Il commence par expliquer le principe du Human beat-box. Pour ce faire, il dessine sur une feuille plusieurs instruments. On voit une grosse caisse, une caisse claire ainsi qu’une cymbale charleston. Il montre directement le son qui peut être associé à chacun des éléments dessinés sur la feuille en les pointant du doigt. Il met ensuite en pratique ce qu’il dit en enregistrant une boucle de beat-box.
 
Par la suite il demande aux participants de l’atelier (qui sont essentiellement des membres de l’Orchestre National Urbain et du CNSMDL) de réaliser une boucle eux-mêmes. Durant les ateliers un groupe de 3 enfants s’arrête pour écouter ce qu’il se passe. Sébastien les invite à essayer à leur tour de produire une boucle avec le looper. Les enfants rient semblent gênés mais s’exécutent néanmoins. Il en profite pour leur demander s’ils sont disponibles le lendemain pour participer à l’atelier. Cet atelier se déroule dans un temps particulièrement limité au regard des précédents, donnant à voir la plasticité du dispositif mis en œuvre par les membres de l’Orchestre National Urbain – ainsi que les difficultés, visiblement, régulières auxquelles se heurte le collectif.

 

Jean-Charles François :

Pendant la deuxième partie de la matinée du 19 septembre (au CNSMDL), j’ai assisté à un atelier de « Human beat-box » animé par Sébastien Leborgne (Lucien 16’s).
 
L’agencement technique du studio au CNSMDL consiste en un micro pour amplifier la voix du soliste, avec une machine qui permet l’échantillonnage des sons produits et la mise en boucle, pour créer des rythmes répétitifs, avec possibilité de superposer les échantillonnages de productions vocales. Plusieurs micros sont à disposition pour pouvoir enregistrer plusieurs voix en même temps.
 
L’introduction par Sébastien définit le contexte de production de rythmes par l’imitation vocale de sons de batterie (beat box) sur lesquels on va pouvoir parler un texte.
 
La première expérimentation concerne l’imitation à la voix de sons de grosse caisse, de charley, de caisse claire, et de les enregistrer pour les mettre en boucle. On crée une boucle sur laquelle les participants peuvent ajouter une autre production vocale pour former une nouvelle boucle.
 
La situation suivante décrite par Sébastien concerne a) l’élaboration d’une boucle rythmique avec 4 vocalistes ; b) puis le placement du texte sur cette structure rythmique. Sébastien dit que les étudiants doivent réaliser cette tâche en complète autonomie, il n’est là que pour répondre à des questions éventuelles. La réalisation de la boucle se fait assez facilement sans qu’il y ait beaucoup de temps pour essayer plusieurs exemples. L’ajout du texte sur la boucle inventée pose plus de problème, car les participants lisent leur texte sans inflexions rythmiques, indépendamment du contenu de la boucle. Sébastien suggère que la boucle beat box corresponde au caractère du texte et non l’inverse : « vu que ce texte est un rêve », la beat box doit refléter cette atmosphère.
 
Nouvel essai d’élaboration d’une boucle beat box à cinq voix superposées. Une étudiante dit son texte sur la boucle. Elle tente de faire corresponde son texte au caractère rythmique de la beat box. Sébastien fait remarquer que l’enjeux principal n’est pas de correspondre au rythme de la boucle, mais de « s’imposer sur le rythme ». Le spoken word consiste à ne pas se soumettre au rythme de base, mais d’être guidé par l’émotion juste et vraie. L’étudiante refait la lecture de son texte sur la boucle, mais s’arrête assez vite.
 
Quelqu’un demande s’il est possible de chanter le texte. Réponse de Sébastien : « tu peux faire ce que tu veux ». Une étudiante essaie alors de parler son texte et de le chanter en partie.
 
En observant cet atelier, il apparaît clairement que le problème principal des étudiants du CNSMDL dans ce projet se trouve dans cette activité très nouvelle pour eux et elles d’avoir à écrire un texte et surtout de le parler avec un accompagnement rythmique.

 

3.4 Restitution du travail des ateliers dans la cour du Conservatoire.

Jean-Charles François :

Dans l’après-midi du 19 septembre, une restitution du travail réalisé dans les ateliers a été proposée à l’ensemble de la communauté du CNSMDL, dans la cour intérieure juxtaposant la salle de concert. Un dispositif de diffusion des sons amplifiés avait été installé et l’espace était organisé de manière similaire à ce qu’on avait eu dans la salle de musique d’ensemble, une combinaison regroupée d’instruments autour d’une voix, un espace pour les mouvements de danse et les productions de peinture exposées à même le sol. Le public (peu nombreux en dehors des participants eux-mêmes) était assis sur les marches devant le bâtiment de la salle de concert.
 
Les trois groupes proposent des performances dans lesquelles il y a des musiciens, des danseurs et des « déclameurs » de texte avec souvent un changement de rôle au milieu. Dans l’attitude des performers, il y a un effet de compensation du fait que la production encore trop expérimentale ne correspond pas aux critères d’excellence artistiques en usage au CNSMD. Il s’agit semble-t-il de montrer a) le plaisir de faire une activité non conventionnelle, b) d’accentuer le côté énergique de l’expérience, c) de montrer qu’on est dans une situation de divertissement dans laquelle on peut se contenter de n’être engagé qu’à moitié et d) parfois de faire ressortir le caractère ironique par rapport à cette situation d’inconfort. Il n’y a pourtant aucune agressivité dans ces attitudes vis-à-vis de ce qui a été proposé, mais plutôt un problème de positionnement vis-à-vis de la communauté dans laquelle la restitution est proposée.
 
Dans le groupe 2, un chef très « compositeur » développe une forme qui met en scène des éléments dans une sorte de narration qui permet au texte d’émerger. Grâce à ce savoir-faire « maison », on se rapproche plus de ce qui pourrait éventuellement être accepté par l’institution comme artistiquement valable.
 
Lors de cette restitution, à un moment donné, une professeure du CNSMD est venue dans la cour pour manifester avec véhémence son désaccord avec ce qui était proposé et notamment le niveau sonore de l’amplification qui l’empêchait de faire cours.
 
En dehors de l’équipe de la FEM, partenaire du projet, aucune représentation de la direction du CNSMD n’était présente lors de cette restitution. Le directeur est pourtant très favorable au développement de ce type de projet.

 

3.5 Journée de bilan du projet le 10 octobre au CNSMD de Lyon

Jean-Charles François :

Une journée de bilan du projet a été organisée au CNSMD de Lyon avec les personnes qui ont participé en tant qu’encadrants du projet et les étudiants de la FEM.

 

A) Réunion de bilan des encadrants de l’Orchestre National Urbain/Cra.p
et du CNSMD de Lyon

La matinée a commencé avec une réunion de l’équipe d’encadrants, pendant que les étudiants et étudiantes se sont réunies séparément dans des petits groupes 4 ou 5 pour préparer ce qu’ils allaient dire lors de la séance générale de retour d’expérience. Étaient présents à la réunion de l’équipe : pour le Cra.p, Giacomo Spica Capobianco et Sébastien Leborgne ; pour le CNSMD Karine Hahn, Joris Cintéro, Guillaume Le Dréau ; et moi-même, Jean-Charles François en tant qu’observateur extérieur pour PaaLabRes.

Voici en vrac les questions posées lors de la réunion :

  1. Quels sont les aspects formatifs du projet pour les étudiants et à travers quelles problématiques ?
  2. Quels sont les enjeux du projet ?
  3. Penser l’après projet : d’autres partenariats avec l’Orchestre National Urbain ou d’autres cadres ?

Les étudiantes et étudiants ont eu à se confronter de manière pratique à des enjeux musicaux pensés dans une continuité avec des contextes sociaux et politiques. Ils et elles ont dû manipuler, fabriquer des sons dans des situations de transversalité et de transdisciplinarité, c’est-à-dire en se confrontant à des matériaux musicaux inconnus, à envisager des pratiques impliquant plusieurs domaines artistiques simultanément, et à rencontrer des cultures différentes de leur environnement social et artistique. Leurs représentations esthétiques ont été remises en question par ces diverses approches. Les aspects pédagogiques du projet étaient centrés sur l’expérimentation de pratiques musicales ouvertes à tous et toutes quelles que soient les capacités, sur l’invention de dispositifs en vue de la rencontre avec l’altérité. Les deux questions essentielles ont été : comment faire faire de la musique ensemble avec tout public ? Et qu’est-ce que c’est exactement de monter un projet dans des lieux et des circonstances déterminés ?
 
Deux réflexions critiques apparaissent dans le cours de cette réunion :

  1. Le problème de la valse des étiquettes prévalentes dans chaque milieu culturel qui classifient une fois pour toute les pratiques, soit pour les porter aux nues, soit plus souvent pour les considérer comme non digne d’intérêt, soit encore pour les rationnaliser pour mieux les contrôler dans l’ordre dominant des choses. Comment dans les rencontres transversales, trans-esthétiques, envisager des situations où une certaine indétermination des matériaux va pourvoir faire émerger des terrains esthétiques nouveaux et communs aux diversités en présence ?
  2. Le problème du tourisme intellectuel et artistique est prévalent aujourd’hui dans beaucoup de programmes d’enseignement supérieur au nom de l’accès à la diversité du monde. Les expériences de cette diversité se multiplient dans le cours d’une formation sans qu’il y ait assez de temps pour approfondir les contours d’une seule situation. L’enrichissement culturel va souvent de pair avec une incompréhension des enjeux majeurs des diverses pratiques. Comment dans des situations de temps limités sortir de cette difficulté ?

L’Orchestre National Urbain a comme cahier des charges le « tutorat », il est ouvert en permanence à des demandes de formation et de développement de projets ou de lieux.

 

B) Bilan avec les étudiantes et étudiants du CNSMD

Chaque groupe d’étudiants présente tour à tour les conclusions de leur réflexion. Le groupe d’étudiantes et étudiants ayant été présent aussi à l’Université Lyon II prendra la parole en dernier. Dans l’ensemble la tonalité des retours est en très grande majorité très positive, les objectifs artistiques, sociaux et politiques d’une telle action sont bien compris et les mises en pratiques ont été vécues de manière significative. Voici les différents éléments qui ont été exprimés :

  1. L’idée de désacraliser l’instrument de musique. L’instrument n’est plus considéré comme une entité spécialisée, mais plutôt comme un objet comme un autre susceptible de produire des sons. L’accès immédiat de tous à la production sonore permet une mise en situation de tous les enjeux présents dans la pratique musicale, que ce soit du côté des techniques de production que des questions artistiques. La nécessité de produire une musique à partir de matériaux qu’on ne maîtrise pas au premier abord permet de sortir des logiques d’expertise et met tous les participants à un niveau égal de compétences. Pour un des étudiants, on est proche des démarches de l’art brut et de Fluxus. Cela devrait permettre les rencontres effectives entre participants d’origine différente. Les instruments bricolés (ou le bricolage des instruments) permettent d’envisager une façon différente de considérer la matière sonore, le timbre, l’utilisation de sons généralement considérés comme étrangers au monde de la musique.
  2. Déclamer un texte avec les instruments. Cet aspect est sans doute l’élément le plus difficile à réaliser pour des spécialistes de musique instrumentale. Le « Human beat-box » est vécu comme l’activité qui suscite le plus l’invention de matières sonores par le biais de simples rythmes.
  3. L’improvisation à partir de consignes simples à réaliser. C’est ce qui rend possible d’être maître de sa propre production. C’est un moyen de s’approprier l’improvisation de manière décomplexée. Cela crée une dynamique de la production immédiate découplée des préoccupations de ne jouer que ce qui est complètement maîtrisé.
  4. Les logiques de l’amplification sont ce qui est le plus mal connu des étudiants du CNSMDL, cette première approche a été très appréciée.
  5. Le rôle de la direction d’orchestre : il faut oser assumer ce rôle pour contrôler la forme générale d’une improvisation, dans les perspectives de construire une composition instantanée. Pour une partie des étudiants/étudiantes, la présence du chef est un obstacle à l’improvisation qui implique une responsabilité individuelle et demande à être abordée de manière moins urgente pour permettre l’établissement de dialogues sans passer par l’autorité du chef ou de la cheffe.
  6. L’idée de faire des choses immédiatement avant toute réflexion est un élément important des pratiques qui ont été proposées. Il y a l’urgence de se mettre à faire des choses sans se poser de questions, de faire ce qu’on ne maîtrise pas encore avant d’envisager les moyens à employer pour y arriver.
  7. Un aspect important du projet est d’encourager la participation du public, comme ce qui s’est passé à la fin du concert de l’Orchestre National Urbain (à l’Université Lyon II) où tout le monde s’est mis à danser dans l’amphithéâtre de l’Université.

Parmi les problèmes soulevés par le projet, certains ont noté une organisation du temps qui a paru parfois trop lente et parfois trop courte. L’ennui ou la frustration est à l’origine d’une certaine fatigue. Il y a une inquiétude au sujet de la notion de « travail », induit par cette situation d’immédiateté du faire qui peut instiller l’idée d’une dévaluation très forte de la notion d’art. Une étudiante fait part de sa frustration devant les niveaux d’amplification trop forts et l’absence de sons consonants, qui résultent en une grande fatigue chez elle. Plusieurs personnes ont noté l’absence de relations entre l’atelier de peinture et la musique.

Le problème de la restitution dans la cour du Conservatoire a fait l’objet d’un vif débat. La situation allait complètement à l’encontre de la culture dominante de l’institution vis-à-vis d’une grande exigence d’excellence dans toute prestation. En plus la restitution utilisait des moyens de production musicale très peu en usage au sein de l’institution, dans un style indéfini par rapport aux contextes en vigueur. Les niveaux d’amplification rendaient impossible d’ignorer cet évènement dans les moindres contours du Conservatoire. Les étudiants étaient donc placés devant l’obligation de faire quelque chose qui allait entrer directement en conflit avec la communauté alentour et qui risquait de les disqualifier. Beaucoup des participants se demandent si cette idée de restitution était vraiment nécessaire à la conduite générale du projet. Les étudiants ont dû faire face aux nombreux commentaires ironiques de leurs collègues présents à la restitution. Une phrase a été retenue à ce sujet : « Les ploucs de la cour ! ». D’autre termes avaient été prononcés comme celui de « dégénérés » aux connotations historiques plus inquiétantes. Une médiation était peut-être nécessaire auprès du public avant la restitution en vue d’expliquer la situation et son contexte pédagogique.

Dans les réponses apportées par les membres de l’encadrement du projet la nécessité de rendre public une activité peu commune dans les pratiques du Conservatoire reste d’une importance capitale, ce n’est pas une question générale qu’il conviendrait de balayer sous les tapis de l’anonymat, mais quelque chose qui a besoin d’être mise « sur la table » des réflexions actuelles sur l’art et de sa transmission à tous les publics.

Pour Giacomo la restitution au CNSMD n’était pas prévue au départ, mais l’impossibilité d’avoir tous les étudiants présents à Lyon II pour la restitution générale du projet a changé la donne. Il comprend la frustration des personnes présentes au niveau « art », mais il convient de déplacer le problème du côté de la légitimité des activités proposées. Pour lui, la question est de savoir comment les institutions d’enseignement de la musique vont mettre en place des dispositifs en vue d’ouvrir leurs activités à des personnes n’ayant aucun accès aux pratiques. Il fait remarquer que le problème le plus évident dans son travail au sein des diverses institutions dans lesquelles il développe ses projets, c’est l’attitude souvent négative des personnels de l’encadrement, professeurs, animateurs, travailleurs sociaux, etc. Ceux-ci défendent leur pré carré et ont souvent une attitude qui consiste à penser que les personnes placées sous leur autorité doivent se plier à leur propre mode de pensée. S’ils ne sont pas impliqués directement dans le projet, le déroulement du projet est fortement menacé. La connaissance effective d’un projet par l’institution d’accueil dans sa totalité est un élément essentiel pour commencer à faire vivre une idée.

Karine Hahn rappelle qu’il y eu d’une part une visite de Giacomo l’année d’avant la réalisation du projet a été l’occasion de présenter en détail les contours et enjeux du projet, d’autre part une page de présentation du projet et de ses objectifs a été distribuée peu de temps avant sa réalisation. Dans un contexte où souvent les personnes impliquées ne comprennent pas de la même manière les termes d’un projet, ou même il peut arriver qu’elles comprennent exactement le contraire de ce qui est proposé, toute médiation semble peu utile pour éviter l’expression conflictuelle. Ce qui compte par contre, c’est l’affirmation par l’action d’une légitimité.
 
Joris Cintéro souligne la difficulté qu’ont les institutions à questionner par des enquêtes leurs propres manières de fonctionner, notamment en matière de recrutement des personnes présentes. La dernière enquête sur la composition sociale des étudiants du CNSMD de Lyon date de 1983[1], elle a montré qu’il y avait la présence de 1% d’enfants d’agriculteurs et 2,8% d’ouvriers, etc.

La question de la restitution s’inscrit dans les divers contextes de difficultés par rapport à l’administration générale des institutions et aux personnes qui y travaillent.
Une étudiante présente à l’Université Lyon II note qu’au début du premier jour, personne n’était présent disposé à travailler avec l’Orchestre National Urbain, il n’y avait pas eu de publicité de la part de l’institution d’accueil, pas de soutien. Il a fallu faire des efforts immenses pour rameuter 5 personnes disposées à s’impliquer.
Pour Giacomo, la résistance de l’Université dans ce projet est évidente, il n’y a pas de professeurs impliqués, rien n’avait été fait pour faciliter les choses. On a l’impression que parce que ça ne coûte pas d’argent, il faut que ça se casse la gueule. Le soir du premier jour se pose la question de savoir s’il convient de continuer le lendemain. La réponse est définitivement qu’il faut absolument continuer, il faut persister et jouer avec la situation.
Pour Joris, 5 ou 6 participants sur 29500 étudiants on est loin du compte dans le domaine de la culture.
 
Sébastien Leborgne décrit en détail le fonctionnement des Grandes Voisines, avec la présence de 415 réfugiés hébergés, beaucoup de femmes et d’enfants.
Karine décrit le démarrage aux Grandes Voisines : tout est prêt à 10 heures du matin, le setup technique est en place, l’équipe prête à travailler, mais personne n’est là pour participer. Mais cette préparation garantit d’être pris au sérieux, l’équipe est là, devant personne, avec le même sérieux que s’il y avait des gens présents. Petit à petit les gens passent par là, ça se met en branle, ça existe, ça marche de toute façon.
 
Dans le courant de l’après-midi, une vidéo de 11 minutes montre de manière fragmentée ce qui s’est passé aux Grandes voisines. Un des segments qui frappe particulièrement est un quatuor de trombones composé de trois enfants et une mère jouant et en même temps évoluant dans des mouvements corporels d’une grande cohérence collective.
 
Dans les diverses réponses aux préoccupations des étudiants par les personnes de l’encadrement du projet, on notera les choses suivantes :

  1. Concernant la question de la nécessité d’un faire immédiat rapidement mis en place, au prix d’un contrôle de qualité, Giacomo souligne que la plupart du temps, les projets qu’il mène dans les différents contextes se déroulent dans des temporalités très limitées, le passage du groupe est souvent éphémère. Ici le faire doit absolument précéder la théorie.
  2. La question du long terme est abordée en mettant l’accent sur l’existence du Cra.p comme centre de pratiques, comme lieu de formation permanente, avec aussi l’objectif de permettre à des personnes issues des quartiers défavorisés d’accéder à des programmes diplômants d’enseignement supérieur.
  3. Le choix des instruments utilisés fonctionne sur deux plans : d’une part, il faut permettre une première approche pratique de jeu sur des instruments réputés pour demander des années de travail ; jouer de manière immédiate du trombone et du violoncelle peut susciter l’envie d’apprendre à jouer ces instruments sérieusement. Et d’autre part donner aussi accès à des matériaux qu’on peut manipuler facilement au premier abord. Giacomo donne l’exemple de la guitare électrique à six cordes qui nécessite de montrer comment on en joue, alors que le « spicaphone », instrument qu’il a construit avec une seule corde donne un accès plus immédiat à une pratique effective.

Au sujet de l’accès de tout public aux pratiques musicales, Giacomo rapporte l’histoire d’une mère, lors d’une performance donnée par son fils, qui pleure en disant « je ne savais pas que mon fils pouvait avoir le droit de faire de la musique ». Dans des pans entiers de population, les gens pensent que l’accès à des pratiques artistiques leur est complètement interdit. La question des droits culturels est essentielle. Karine remarque le manque de lieux ouverts aux pratiques : où sont les espaces existant hors « formations structurées » ou écoles spécialisées dont l’accès est limité ? En dehors du Cra.p, il y a un manque crucial.

 
 

Partie IV : Le projet de Création Collective Nomade
à l’Université Lumière Lyon II

4.1 Matinée du 21 septembre à L’Université Lyon II

Jean-Charles François :

La session du matin du 21 septembre 2023, se déroule au sein de l’Université Lumière Lyon II (sur les quais du Rhône) dans l’espace où sont exposées des œuvres d’art dans le cadre de la Biennale Hors Norme et dans le grand amphithéâtre.
 
Étant donné les difficultés rencontrées aux Grandes voisines, au dernier moment 20 réfugiés adolescents (tous masculins) du Centre d’hébergement du 1er arrondissement de Lyon ont pu venir participer à cette matinée et à la restitution du lendemain en fin d’après-midi. Ils ne pouvaient être là que pendant une heure et demie (10h.-11h.30) étant donné les règles strictes du Centre concernant les repas. Trois étudiantes et un étudiant du CNSMD étaient présents de manière volontaire. Des étudiants de Lyon II et des visiteurs de l’exposition de la BHN pouvaient participer aux ateliers, mais cela a été un phénomène très marginal. Giacomo m’a fait part de ce qui s’était passé la veille (le 20 septembre), où un certain nombre d’étudiants de l’Université Lyon II avaient participé aux ateliers, au gré de leur passage dans la salle d’exposition. Ceci malgré le fait qu’aucune publicité n’avait été faite auprès des étudiants. Leur participation dépendant de leur passage dans l’espace des activités et de leur intérêt éventuel pour ce qui était proposé.
 
C’est un aspect qui arrive souvent aux actions menées par Giacomo et l’Orchestre National Urbain : s’ils sont souvent invités officiellement à développer leurs projets dans une institution, des obstacles ne manquent pas de se manifester de la part des personnels internes à l’institution. Les raisons de ce manque de coopération s’expliquent soit parce que ce qui est proposé vient empiéter sur des prérogatives installées, soit qu’on ne voit pas d’un bon œil la présence de personnes étrangères à l’institution (ou à son public habituel). Dans tous les cas, l’attitude de l’Orchestre National Urbain est de s’installer dans un espace donné et de susciter l’intérêt des personnes qui s’y trouvent ou qui passent par là.

 

4.2 Les ateliers

Jean-Charles François :

Étant donné le temps limité par la présence des jeunes réfugiés, l’organisation des ateliers a été limitée à 15 minutes. Cela permettait à 5 groupes de participer à 5 ateliers l’un après l’autre, puis un regroupement général des participants dans l’amphithéâtre de 15 minutes. Cette organisation n’a pas été complètement réalisée dans le temps imparti, chaque groupe n’a participer en fait qu’à 4 ateliers (parmi les 6 proposés) avant la séance dans l’amphithéâtre.
 
6 ateliers proposés étaient (comme au CNSMD):

a. Danse.
b. Violoncelle.
c. Trombone.
d. Beat box.
e. MAO.
f. Laboratoire sonore.
g. Peinture.

Les ateliers se déroulaient dans le grand espace de l’exposition BHN et dans deux espaces adjacents. Le principe était exactement le même que celui décrit plus haut, avec pratique immédiate des matériaux et utilisation des codes couleur. Il s’agit des mêmes mises en situation déjà décrites auparavant, inutile donc de les décrire en détail.
 
Du fait du temps limité et du nombre déséquilibré entre le groupe du Centre d’hébergement et les autres participants, peu d’interactions entre les différents publics ne pouvaient avoir lieu lors de cette matinée. Certains groupes n’étaient composés que de membres du groupe de réfugiés. Dans le cas de l’atelier peinture, j’ai pu observer une situation de deux grandes feuilles de papiers juxtaposées sur lesquelles dessinaient deux groupes complètement séparés : le premier groupe n’était composé que de réfugiés masculins noirs Africains, le deuxième seulement d’étudiantes blanches Françaises.
 
La situation de disponibilité limitée du groupe du Centre d’hébergement demandait absolument que la matinée soit centrée principalement sur l’accueil approprié et l’organisation des activités des réfugiés, les autres participants ayant eu d’autres opportunités de participer dans des temps plus longs à tous les ateliers et situations de performance en grand groupe. De ce point de vue, le dispositif proposé a remporté un très grand succès auprès du public visé. Les réfugiés se sont engagés dans les diverses mises en pratique proposées dans les ateliers avec un grand intérêt et une énergie considérable. Une des forces de l’équipe de l’Orchestre National Urbain/Cra.p est la capacité à s’adapter de manière immédiate à toutes les situations possibles, à faire face aux aléas des réalités techniques, institutionnelles, humaines, à contourner tous les obstacles sans pour autant mettre les personnes dans la situation de ne pas respecter les règles clairement établies et sans compromettre la façon d’envisager leurs propres pratiques.

 

4.3 L’atelier « Laboratoire sonore » dans l’amphithéâtre à l’Université Lyon II

Jean-Charles François :

Le regroupement de tout le monde dans l’atelier « Laboratoire sonore » animé par Giacomo Spica Capobianco dans le grand Amphithéâtre, dans une situation tout à fait similaire à celle décrite dans la journée du CNSMDL, a été l’occasion d’observer plusieurs nouveaux phénomènes. Si le système des codes couleur a très bien fonctionné pendant cette matinée comme élément commun à tous les ateliers, son utilisation dans le regroupement des diverses activités dans l’amphithéâtre a été moins évidente. On avait là affaire à des représentations culturelles différentes : on peut spéculer que contrairement aux étudiants du CNSMDL, les jeunes Africains avaient rarement fait l’expérience d’un travail avec un chef d’orchestre. La plupart d’entre eux jouaient sans prendre en compte les indications données par les codes couleur, le plaisir d’une activité très nouvelle les centrait sur leur propre production. Par contre, certains d’entre eux ont éprouvé un grand plaisir à se trouver dans le rôle du chef, dans l’idée de pouvoir en quelque sorte sculpter la pâte sonore. Dans le cas d’un très jeune réfugié qui a dirigé à deux occasions (sur les deux jours), on a pu observer un progrès certain dans sa manière de déterminer la forme de la prestation. Les pratiques visuelles de respect d’une organisation écrite ne sont pas forcément présentes dans les représentations qu’on peut avoir des pratiques musicales. Comment résoudre la rencontre de la diversité des conceptions de la communication orale (aurale) et de sa structuration éventuelle par des représentations visuelles ?
 
A l’issue de cette matinée, Giacomo invite les réfugiés à revenir le lendemain pour la restitution à 17 heures (ils ne pourront rester au concert de l’Orchestre National Urbain car ils doivent impérativement être rentrés dans le Centre à 20 heures). Giacomo au vu des aspects très positifs de la matinée exprime en privé, l’idée qu’il faut absolument proposer au Centre d’hébergement de continuer à faire un travail régulier avec les jeunes résidents, même si le temps de résidence de toutes personnes dans ces centres reste très limité.

 

4.4 La restitution à l’Université Lumière Lyon II

Jean-Charles François :

La restitution du travail des divers ateliers a eu lieu le 22 septembre à 17 heures, dans le grand amphithéâtre de l’Université « Lumière », Lyon II.
 
La grande majorité des jeunes du Centre d’hébergement sont revenus, mais ils doivent impérativement être de retour avant 20 heures. Les mêmes 3 étudiantes et 1 étudiant du CNSMD sont activement présents. Un nombre indéterminé d’autres participants, étudiants de Lyon II ou visiteurs, observateurs sont aussi là, pas forcément en tant que participants aux performances. L’équipe de l’Orchestre National Urbain est là : Giacomo Spica Capobianco, Lucien 16s, Sabrina Boukhenous, Selim Penaranda, Odenson Laurent et David Marduel. Karine Hahn, Joris Cintero, Noémi Lefebvre et Guillaume Le Dréau sont présents représentant l’équipe de la FEM du CNSMD. Certaines de ces personnes faisant partie de l’encadrement du projet participent aussi de temps en temps aux performances. Guy Dallevet est présent en tant qu’animateur des ateliers de peinture et représentant la Biennale Hors Norme en tant que président de l’association organisatrice La Sauce Singulière.
 
8 groupes différents présentes 8 performances selon la même organisation de stations instrumentales des ateliers regroupés, la présence de chefs et cheffes qui tournent constamment, et le principe des codes couleur.
 
En observant le déroulement de cette restitution, plusieurs questions viennent à l’esprit. On peut se demander si une telle mise en situation devant un public a sa raison d’être ? Et ceci à la suite aussi de la restitution des ateliers dans la cour du CNSMD et de la question de présenter des choses imparfaites en gestation, de se mettre en porte-à-faux par rapport aux exigences du spectacle vivant professionnel. Il y a pourtant des raisons importantes à publier, à rendre compte ce qu’on fait : non seulement l’objectif principal des ateliers est directement lié à une pratique qui n’a de sens que dans une présentation publique, mais l’acte de rendre public une activité donnée détermine qu’elle n’est pas laissée dans le secret des salles d’atelier, qu’elle est offerte au regard critique de tous, il s’agit de mettre cartes sur table. C’est ce qui différencie l’éthique de l’enseignement du service public des possibles dérives sectaires du privé.
 
La restitution n’est pas la simple répétition du travail d’atelier. D’autres enjeux se font jour à cette occasion :

  1. L’idée même de présenter quelque chose en public recentre l’attention des participants sur la nécessité d’un engagement et d’une présence particulière sur scène.
  2. La répétition du même mais dans un contexte différent avec des enjeux plus étoffés change les conditions de la prestation et l’enrichit considérablement.
  3. La situation favorise aussi de manière subtile les rencontres et échanges entre les divers groupes en présence, parce que l’attention des performers est partiellement libérée des contingences purement matérielles.

Restent deux questions liées au dispositif des codes couleur :

  1. Est-ce que la situation d’un ensemble (orchestre ?) dépendant des instructions d’un chef est favorable à l’engagement personnel, ou bien est-elle l’occasion au contraire de se cacher dans la masse ?
  2. Les codes couleur peuvent empêcher la recherche d’autres solutions temporelles et organisationnelles, notamment dans la recherche de continuités de textures et de micro-variations.

Ces questions sont générales et ne s’appliquent peut-être pas de manière immédiate à un projet aussi limité dans le temps et impliquant des groupes aussi radicalement différents.
 
Après la restitution et avant le concert de l’Orchestre National Urbain, un pot a été offert dans la salle d’exposition de la BHN, malheureusement sans la présence des jeunes réfugiés.

 
 

Partie V : Le cadre esthétique de l’idée de création collective

Jean-Charles François :

L’idée de création collective est au centre du projet de l’Orchestre National Urbain : pour que la création collective puisse devenir une réalité dans les groupes hétérogènes en termes d’origines géographiques, sociales et culturelles, il faut absolument éviter qu’un groupe particulier dicte aux autres ses propres règles et conceptions esthétiques. Il convient plutôt de trouver des contextes dans lesquels les différentes personnes présentes ne puissent pas se baser exclusivement sur leurs pratiques usuelles. Par exemple, les musiciens ou musiciennes accomplies (comme dans le cas des étudiants du CNSMDL) ne doivent pas utiliser leurs propres instruments, afin de se mettre dans une situation d’égalité vis-à-vis de celles et ceux qui n’ont jamais fait de musique. Et pour donner un autre exemple, les personnes issues d’autres sphères géographiques extra-européennes ne doivent pas utiliser des chants ou des modes de jeu provenant de leur propre tradition.

Joris Cintéro :

Plusieurs remarques peuvent être formulées à ce sujet. Tout d’abord, une première liée aux nombreuses « prises »[2] qu’offre le dispositif[3] aux participants et participantes particulièrement lorsqu’ils et elles n’ont pas l’habitude de jouer de la musique. Dans le cadre d’une intervention comme celle de l’Orchestre National Urbain et dans ces circonstances, on peut considérer que ce qui est prévu initialement, et notamment les ateliers, est constamment mis à l’épreuve[4] de ce qui arrive (des lieux peu adaptés, des personnes déjà présentes réticentes et bien entendu des personnes souhaitant participer quand ça leur chante). À ce titre, ce court moment montre à quel point ce dispositif parvient à surmonter l’« épreuve » de son public. En effet, la nature de l’instrumentarium (qui renvoie difficilement à un « connu » antérieur et aux effets symboliques qu’il peut véhiculer), l’absence de codes esthétiques préalables (qui suppose leur connaissance et/ou leur maîtrise), de manières de faire prescrites (tenir son instrument de telle ou telle manière) et la simplicité d’un code couleur accessible aux personnes voyantes permet à celles et ceux qui participent d’élargir, autant que possible, leur nombre, en cours de route et moyennant seulement la présentation du code couleur. Dans les circonstances d’un lieu où le passage des personnes semble être la norme (en dehors des enfants, peu de personnes semblent stationner à l’extérieur), la plasticité du dispositif constitue sa force principale.
 
Autre remarque, celle du « cadrage » du dispositif par les membres de l’Orchestre National Urbain. Je fais ici l’hypothèse qu’une des conditions de félicité de l’action des membres de cet ensemble repose sur un enjeu majeur de distinction vis-à-vis des autres acteurs en présence. Cet enjeu semble important dans la mesure où, s’il existe véritablement des tensions entre les résidents d’un lieu tel que les Grandes Voisines et les travailleuses et travailleurs sociaux y officiant (comme on l’apprendra à plusieurs reprises pendant la journée), l’Orchestre National Urbain a tout intérêt à marquer sa distance vis-à-vis des dernier.es, et ceci de plusieurs manières. Il m’a semblé, au moins dans les discours et dans les manières d’agir une volonté de se singulariser via le type de « culture » dont il est fait la promotion (qui s’oppose à la chanson française promue par le personnel des Grandes Voisines), dans les manières d’investir les lieux (sans grand succès), dans les manières de s’adresser à autrui (en manifestant une forme de convivialité, qui sans être surjouée, constitue une manière de faire de la totalité des membres de l’Orchestre National Urbain que j’ai pu observer).

Jean-Charles François :

Pourtant, dans l’espace d’exposition de la BHN à l’Université Lyon II, à un moment donné informel du matin s’est déroulé un évènement intéressant :

Était exposée dans cet espace une sculpture sonore fait d’instruments de percussion et d’objets métalliques divers actionnés par un système mécanique automatisé. La sculpture était capable de développer une musique très rythmée d’une durée de 45 minutes sans répétitions de séquences. Un groupe de 5 ou 6 réfugiés s’est placé devant cette sculpture et en même temps que la musique qu’elle déroulait ils se sont mis à chanter et danser des musiques qu’ils connaissaient de leur tradition, pendant une séquence d’une dizaine de minutes.

Cette situation suscite trois commentaires par rapport à l’idée d’éviter ses propres habitudes culturelles dans des perspectives de pouvoir travailler avec n’importe qui d’autres dans l’élaboration collective d’un acte artistique :

  1. Il s’agit d’une situation spontanée qu’il ne faut surtout pas empêcher.
  2. La situation implique la confrontation à égalité de deux pratiques esthétiques différentes (la musique produite par une machine, la musique traditionnelle des réfugiés Africains) pour produire un nouvel objet esthétique qui procède des deux et qui les combinent.
  3. Le principe de situations évitant les pratiques instituées dans différents groupes pour créer un contexte d’égalité devant l’inconfort de l’inconnu s’applique aux rencontres initiales entre groupes hétérogènes, mais n’exclut pas forcément d’autres situations pratiques qui peuvent se développer par la suite.

 

Conclusion

Jean-Charles François :

Dans une société de plus en plus fragmentée en microgroupes qui affirment leur identité de manière forte, souvent à travers la disqualification des autres, toute tentative de trouver des médiations entre des univers apparaissant comme incompatibles doit faire face à des difficultés assez considérables. Pourtant la clé de la paix sociale se trouve dans les actions qui mettent en présence dans un même lieu, dans une même temporalité, et dans la même tâche à réaliser, des groupes dont les différences sont radicalement opposées. Dans ce genre de situation, il ne s’agit pas de nier les identités, mais de les ouvrir à la possibilité d’accueillir des personnes extérieures en reconnaissant les termes de leur mode d’existence, de trouver les situations de travail qui réunissent les différences. Il ne s’agit pas non plus de créer des formes artistiques passe-partout, clé en main, qui contenteraient les exigences de tout public, dans un bonheur olympique universel. Il s’agit au contraire de confronter dans des rituels les conflits fondamentaux pour les rendre manifestes et les traiter dans des pratiques communes qui ne prétendent pas les résoudre, mais qui les mettent en jeu (en entrejeu) pacifiquement.
 
Les actions menées durant l’automne 2023 conjointement par le Cra.p et l’Orchestre National Urbain, le département de la FEM au sein du CNSMD de Lyon, et l’Université Lyon II dans le cadre de la Biennale Hors Norme, correspondent tout à fait à cet idéal de faire se rencontrer des mondes différents. Le dispositif imaginé pour y parvenir se base sur trois conditions qui se combinent : premièrement une manière de structurer les pratiques permettant un fonctionnement immédiat commun à toute personne présente : instruments, matériaux, domaines d’action, codes-couleurs ; deuxièmement, cette structuration permet l’ouverture sur une liberté individuelle : improvisation, textes ; et troisièmement les mises en pratique sont conçues en vue de mettre tout le monde sur un plan d’égalité : situations pensées hors des rôles spécialisés, avec l’impossibilité d’utiliser les savoir-faire techniques acquis.
 
Ceux et celles qui se lancent effrontément dans l’aventure d’établir des points de rencontre entre des groupes humains qui soigneusement évitent de se côtoyer sont bien téméraires. Ils doivent inventer des moyens de mettre en œuvre des pratiques impliquant la prise en considération d’autrui en évitant toute violence, mais sans édulcorer la réalité des tensions qui sont en jeu. Ils doivent si souvent faire face à l’inertie des professionnels installés et parfois à des refus intolérables. Leur présence admirable dans le paysage culturel et artistique, trop rarement reconnue, est d’une très grande importance.

 


1.Antoine Hennion, Les Conservatoires et leurs élèves (avec F. Martinat & J.-P. Vignolle), Paris, Ministère de la Culture/La Documentation française, 1983.

2. Cette notion, empruntée aux sociologues Christian Bessy et Francis Chateauraynaud décrit « la rencontre entre un jeu de catégories et des propriétés matérielles, identifiables par les sens (supposés) communs ou par des instruments d’objectivation » (1992, p.105). Elle est initialement utilisée pour étudier le travail d’estimation des commissaires-priseurs dont la tâche peut être réduite au fait de rechercher des indices permettant d’articuler la perception des propriétés matérielles des objets et l’évaluation de leurs qualités par référence à un espace de circulation – en l’occurrence le marché de l’occasion. Ramenée à la situation dont il est ici question elle permet de comprendre en quoi certaines propriétés matérielles du dispositif (instrumentarium, code couleur, disposition de la salle, qualité des matériaux etc…) favorisent l’engagement des participant·e·s dans le sens où elles ne font pas obstacle à leurs dispositions physiques et perceptives – et qui permet d’expliquer, au moins dans un premier temps, les difficultés que rencontrent les « musicien·ne·s » vis-à-vis de ces mêmes propriétés matérielles.

3. Considérant le dispositif comme un « objet-composé » (Dodier et Stavrianakis, 2018), le terme ne décrit pas seulement ici l’agencement matériel du dispositif mais également le réseau d’individus, de normes et de rôles sociaux qui y sont attachés (les participant·e·s font ainsi partie intégrante du dispositif).

4. Si l’usage du terme « épreuve » peut tout à fait renvoyer à l’usage commun que l’on en fait, je l’utilise ici dans le sens qu’y investit la sociologie dite pragmatique (Lemieux, 2018), qui la définit comme « un moment au cours duquel les personnes font preuve de leurs compétences soit pour agir, soit pour désigner, qualifier, juger ou justifier quelque chose ou quelqu’un » (Nachi, 2015, p.57). Ici, je considère que ce qui est engagé par le dispositif (la crédibilité de l’Orchestre National Urbain, les enjeux artistiques et sociaux portés par les ateliers etc…) est mis à l’épreuve de sa réalisation, même si l’on peut tout autant considérer le dispositif comme une épreuve permettant de (re-) qualifier les individus qui y participent.

 

Références citées :

Bessy, C., & Chateauraynaud, F. (1992). Le savoir-prendre. Enquête sur l’estimation des objets. Techniques & Culture, 20, 105 134. https://doi.org/10.4000/tc.5029

Dodier, N., & Stavrianakis, A. (Éds.). (2018). Les objets composés : Agencements, dispositifs, assemblages. Éditions de l’EHESS.

Antoine Hennion, Les Conservatoires et leurs élèves (avec F. Martinat & J.-P. Vignolle), Paris, Ministère de la Culture/La Documentation française, 1983.

Nachi, M (2015). Introduction à la sociologie pragmatique. Dunod.

Emmanuelle Pépin – Lionel Garcin

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LE SON – l’écoute – LE GESTE
dans l’Improvisation

Emmanuelle Pépin, danse et textes,
Lionel Garcin, musique

Cefedem AuRA, Lyon, le 24 janvier 2023

 
 

Le 24 janvier 2023, Emmanuelle Pépin et Lionel Garcin ont présenté une conférence/performance au Cefedem AuRA à Lyon. Cet évènement a donné lieu à cinq documents que nous publions dans la quatrième édition de PaaLabRes:

  1. La vidéo de la conférence/performance: Vidéo
  2. Le texte qui a été prononcé lors de la conférence/performance : Texte « dit »
  3. Le texte complet d’Emmanuelle Pépin qui a servi de base à celui prononcé durant la conférence/performance : LE SON – l’écoute – LE GESTE
  4. La vidéo de l’introduction à la conférence/performance par Philippe Genet (Directeur du Cefedem AuRA) et Jean-Charles François (PaaLabRes) : Vidéo Introduction
  5. La transcription des dialogues avec les étudiants après la conférence/performance : Dialogues

 

Emmanuelle Pépin est une improvisatrice-performeuse, chercheuse et pédagogue dans les arts du mouvements et de la musique.
Un long chemin en tant qu’interprète et un parcours de chorégraphe et de pédagogue, l’a guidé jusqu’à la composition instantanée et l’art de la performance.
Artiste associée de l’espace de développement artistique et pédagogique 7Pépinière avec Pierre Vion. Voir 7Pépinière
Elle reste nomade dans l’âme et le monde est son territoire de jeu. Elle place l’humain au centre de sa démarche artistique et pédagogique. Elle croit profondément en la beauté que peut porter chaque personne, et comment le langage du corps peut dévoiler l’être.

Lionel Garcin est un musicien improvisateur : « La matière sonore, c’est un peu sa matière première, sa glaise, son bloc de marbre… Son instrument, c’est le saxophone. Un instrument à vent, soi­ disant. Mais dont il sait exploiter toutes les facettes sonores. Certaines, parfois même assez inattendues… Le saxophone l’emmène le plus souvent sur le versant jazz de la musique; les sons qu’il tire de ses instruments et ses rythmiques si particulières le situeraient plutôt du côté des recherches acoustiques chères à la musique contemporaine. »
(J­M Lecarpentier). Voir Le Grand Chahut.

Texte « dit » de la conférence/performance d’Emanuelle Pépin

Acess to the Enlish translation « Spoken » text
Retour à la page d’accueil : Emmanuelle Pépin et Lionel Garcin

 
 

Texte « dit » de la conférence/performance
par Emmanuelle Pépin

 

LE SON – l’écoute – LE GESTE
Dans l’Improvisation
 
Emmanuelle Pépin, danse et textes, Lionel Garcin, musique
 
Cefedem AuRA, Lyon, le 24 janvier 2023
 

Transcription à partir de la vidéo de la conférence/performance :
Jean-Charles François.

 
 

Vidéo à 8’59”

Le son
Le geste
Danse et musique sont reliés indéniablement.
Plus précisément mouvement et son, ou plutôt musicien et danseur.
Chacun d’eux tire leur origine du corps, d’un corps conscient, d’un corps vivant.
Sons et mouvements jaillissent à partir d’un acte de présence, d’un acte d’écoute.
Tout est là, au creux de soi. À portée.
 
La danse crée du son, naît du son même – un lointain au-dedans de soi, souffle, un battement, un élan vital.
Le son vient d’un instrument qu’une personne joue, il provient du corps, d’un mouvement, le son est mouvement. Mouvement « résonnement » visible.
 
Dans une pièce improvisée, danse et musique jouent ensemble dans le même espace, l’espace invite, l’espace écoute.
 
Il est évident que des composantes comme le rythme, la durée, la texture, les hauteurs, volumes, notes, silence, mélodies, point d’attaque, contre-temps, impact, résonance, arrêt, saccade, pré-mouvement, énergie, pulsation, tempo, sources sonores, propagation, direction du don dans l’espace, partitions, scores, entrées-sorties, superpositions, entrelacements sont des éléments avec le danseur joue. Le musicien aussi.
Le musicien peut aussi accompagner le danseur, le danseur peut accompagner le musicien, musiciens et danseurs peuvent s’accompagner ensemble, ou pas.
 
Attention portée, avec ce regard d’enfant, sur les phénomènes.
 
Contemplation.
 
Qu’est-ce que le son change ?
Qu’est-ce que le geste change ?
Comment l’espace change ?
 
État des lieux.
Le lieu. L’architecture.
Dans le lieu.
 
Imaginaire.
Le temps des mouvements avec lesquels on joue…

 

Vidéo à 15’03”

La danse, c’est l’art du mouvement en silence
La musique, c’est l’art du silence en vibrations audibles
La danse est l’art sonore inaudible
La musique est l’art du mouvement sonore, de la modulation visible et audible en même temps
La danse est l’art du geste de l’écoute
La musique est l’art de l’écriture de l’écoute
La danse est la musique de l’élan intérieur
La musique est la voix de l’élan intérieur
La danse est la calligraphie de l’espace, dessinant et sculptant des paysages invisibles.
La musique est cette respiration large calligraphiant l’air, dansant avec lui, dessinant des paysages sonores et invisibles
La musique s’écrit dans l’espace elle le sculpte
 
La danse, en composition instantanée, c’est comme se laisser vivre par l’espace du vide
 
Danse et musique se situent là
           ensemble, ou plutôt en même temps
sans pour autant « jouer harmonieusement ensemble ».
 
Danse et musique, sons et mouvements, jouent ici de l’évidence
non rationnelle, intuitive, sensible,
imaginaire, poétique,
absurde
 

Vidéo à 19’06”

Le son touche l’espace
La peau est touchée par l’espace
Double mouvement
Toucher
Être touché en même temps
 
La vibration du son voyage dans l’air
La peau, membrane flexible, poreuse qui sépare le monde intérieur, qui le relie au monde extérieur
La peau écoute
reçoit
la température, la lumière, l’humeur
 
Le mouvement déplace l’air,
le frictionne, le traverse, s’appuie sur l’air
 
Le geste transforme l’espace
Le son transforme l’espace
Le son touche l’espace
La peau touche le son
Le son touche la voix
 
C’est physiologique
élasticité, intensité
 
Milliards de petits trous constituent ma peau
 
Dès lors que mon corps est touché
tout le reste est touché
Écouter par la peau est subtile, global, inhérent
Le danseur sait cela
le corps du danseur, le corps aussi du musicien
 

Vidéo à 23’12”

Couches superposées en termes d’espace,
L’écoute est changeante, les pensées bougent
la perception du son est bougée
 
C‘est évident
on n’écoute pas de la même manière
 
 
 
Ma peau écoute, mon oreille écoute
Entonnoir, en forme de spirale qui laisse passer les vibrations
Petits récipients …
En équilibre
ou en déséquilibre…
 
Souffles, battements, pulsations
Le corps à nu, le corps est son, vivant
 
Impact
 
Ligne de son
 
 

Vidéo à 26’10”

Le silence entre les sons
La durée des sons
La durée d’un geste
 
Cette temporalité
 
Sentir, saisir, construire,
déconstruire
imaginer, réinventer
 
Une poétique de l’instant
 
Être là
 
Sous nos yeux
 
Écoutons cet espace, écoutons cet espace sans bouger
assis, debout, dans l’immobilité
Écoutons le phénomène
 
Écoutons notre respiration
Nos battements
Écoutons nos rythmes au milieu des sons de l’espace tout autour
Écoutons l’espace en train d’écouter
Écoutons le tout comme une large partition de sons qui cohabitent ensemble
qui participent ensemble
Notre présence au cœur
 
L’improvisation est l’expérience de la découverte.
Nous découvrons la découverte en même temps que nous nous découvrons. L’improvisation est l’expérience du dévoilement.
 
Une embarquée
Un voyage, une écriture
 
Des migrations de mémoires-vivantielles qui nous deviennent, nous animent, nous ramènent l’ailleurs dans les tissus de nos corps, nous déshabillent et nous rhabillent.
Car n’est-il pas une mise à nue si nue que de se dépouiller de ce qui nous fait, pour nous laisser « porositer » d’un mystère innommable, nous laisser bouger par ce qui échappe, nous saisit ? Nous laisser devenir un autre-soi sans se perdre non plus,
Sans perdre pied, mais toujours en laissant frôler-frolattrer en nous cette folie, cette fantaisie irrationnelle permise ici dans le maintenant de l’écoute large, dans ce jeu d’enfant grand.
 
L’écoute est un acte
 
L’écoute est au milieu
Tout réside dans l’attention portée
 
Le moindre mouvement
Le moindre son proche ou lointain
Au-delà de l’espace-même
 
 

Vidéo à 37’09”

La gravité, squelette, matières spongieuses
Travail sur l’état des vibrations
Le squelette résonne
Les vibrations du son traversent la peau, traversent l’épiderme, glissent sur les fascias, glissent sur les muscles, suivent les stries, les ligaments et les tendons.
Les vibrations descendent ou plutôt voyagent, traversent, se faufilent dans les liquides, la lymphe.
 
Les filaments, les réseaux de communication
Les sons traversent les couches, percutent, sont bousculés, massés.
C’est physiologique
Les articulations laissent passer les informations
Circulation du son, de l’énergie, du mouvement dans les moindres recoins.
 
 

Vidéo à 39’36”

Le corps est touché par le son
 
L’énergie du corps échauffe le corps
La température enfle
La peau transmet à l’air l’énergie du mouvement, le mouvement invisible au-delà du corps
 
Particules
De la matière se dégage de l’air, c’est physique, physiologique
L’air est brassé par le mouvement, par les sons
Sons et mouvements sont reliés indéniablement
 
 

Vidéo à 42’48”

Lignes de son
Danse comme une manifestation dynamique du vide
L’essence du son, l’essence du geste
Le vide immense, chaos phénoménal qui a donné la vie
Colonne vertébrale, oreille, ramifications, articulations
Liberté
L’espace à l’écoute, un lieu d’écoute
Les sons sont entraînés dans un flux, ils jouent dans l’attente joyeuse du mouvement suivant, ils jouent dans les articulations juste le temps de trouver une nouvelle voie
Les liquides, un océan en soi
Des méandres incandescentes, phosphorescentes, lumineuses
L’écoute par les liquides est une écoute mouvante
 
(…)
 
… déséquilibre…
              …écoute…         …maintenant…
           …battements…
                   …pulsations…
 
Le corps…
 
(…)
 
L’espace du rien
   Le sourd retentissement

 
 
 

Retour à la page d’accueil : Emmanuelle Pépin et Lionel Garcin

Dialogues après la conférence-performance

Access to English translation: After the Lecture/Performance
Retour à la page d’accueil : Emmanuelle Pépin et Lionel Garcin

 
 

Après la conférence-performance
d’Emmanuelle Pépin et de Lionel Garcin

LE SON – l’écoute – LE GESTE
Dans l’Improvisation
 
Cefedem AuRA, le 24 janvier 2023
 
Dialogues avec les étudiants
et
Pour le Cefedem : Philippe Genet, Gwénaël Dubois, Nicolas Sidoroff
Pour PaaLabRes : Jean-Charles François

 

Transcription à partir de l’enregistrement audio :
Samuel Chagnard

 
 

Summary :

1. L’improvisation dans l’instant et par rapport à autrui
2. L’expérience comme préparation à l’improvisation
3. L’improvisation comme écriture
4. Le corps support de l’improvisation
5. Le texte et l’improvisation
6. La technique par/pour l’improvisation
7. Improviser pour apprendre

 

1. L’improvisation dans l’instant et par rapport à autrui

Emanuelle Pépin :

Comme le dit Barre Phillips après un temps d’improvisation : « ben ça y est, c’est fait ! » Ça n’existe qu’une seule fois : c’est le fruit de ce qui s’est passé maintenant, avec vous. Rien n’était prévu, sauf un texte, quelque part, issu du corps… et de notre rencontre ! Merci beaucoup, parce que dans un travail d’improvisation, le public, et son écoute, participent complètement à ce qui se trame, là. Vous êtes vraiment des partenaires. Et même si, parfois, cela peut échapper aux spectateurs, vous êtes des « participateurs », des « particip’acteurs » de ce qui est en train de se passer. Merci beaucoup de m’avoir offert cet espace. Merci à toi, Jean-Charles, et aussi à toute l’équipe du Cefedem.

Nicolas Sidoroff (Cefedem et PaaLabRes) :

Merci. La tradition veut qu’on enchaine avec des questions, à poser à Lionel et Emmanuelle.

Étudiant·e :

La vitesse de réaction de l’une et l’autre aux propositions étant assez impressionnante, est-ce que vous avez des automatismes, comme un jazzman peut avoir des phrases dans son vocabulaire, dans son improvisation ? Par exemple, quand tu fais un appel, est-ce que tu sais que tel son va finir à tel moment ? Est-ce que tu le conscientises ou pas du tout ?

Lionel Garcin :

Il y a du vocabulaire, c’est sûr, et des textures, etc., mais au niveau de la forme, il n’y a pas d’appel : on ne sait pas combien de temps cela va durer, c’est vraiment dans l’instant que ça se joue. Et c’est parce qu’on est dans l’écoute au niveau global et énergétique qu’on est au même endroit. En fait, ce n’est pas qu’on réagit. Peut-être qu’on réagit vite, mais ce n’est pas vraiment ça : c’est plutôt parce qu’on est au même endroit que cela se passe, parce qu’on se comprend.

Emanuelle Pépin :

Sans se comprendre ! On ne comprend rien du tout !

Lionel Garcin:

Sans se comprendre, oui ! On peut être complètement surpris, mais on respire ensemble, il y a une évidence qui nait de l’écoute.

 

2. L’expérience comme préparation à l’improvisation

Jean-Charles François (PaaLabRes) :

Est-ce que cela veut dire qu’il n’y a aucune préparation entre vous ?

Lionel Garcin:

Si, il y a une préparation : on a mangé ensemble, on a discuté, etc. ! [rires] En fait, il n’y a pas de préparation autre que d’être en connexion.

Emanuelle Pépin :

Après, c’est plus un état de disponibilité pour accueillir ce qui est en train de se manifester dans l’air, dans l’atmosphère. Ça va très vite en fait. C’est justement parce qu’il n’y a pas de préméditation, pas d’attente particulière, qu’il y a une fulgurance. C’est presque à la vitesse de la lumière, ce n’est pas de la réaction. C’est tellement plus vaste : par exemple là, c’est un duo son et mouvement, mais il y a tout l’espace qui va complètement modifier cette relation, qui va faire que le son résonne différemment ici et que le corps va bouger différemment ici. Ce n’est pas une réaction : à un moment donné, c’est être en effet au même endroit d’écoute comme tu le disais. À l’origine c’est cela, un état d’écoute. Après, oui c’est du travail, c’est énormément de travail !

Étudiant·e :

Mais ce n’est pas du temps de répétition ?

Emanuelle Pépin :

Pas du tout de préparation, pas de répétition. On ne répète pas, mais on consacre du temps. On consacre plutôt notre vie à tenter mettre à jour nos techniques, nos outils et les transformations dans le corps selon nos humeurs et notre état. On travaille vraiment sur l’instant : la « composition instantanée », c’est là, et après le « là », c’est trop tard ! Ce laps de temps, si fugace en fait, contient toutes nos expériences. Pour cela, oui, il y a des outils : j’ai travaillé des heures dans des studios de danse, le placement par exemple. J’ai travaillé jusqu’à 8 heures par jour. Maintenant, ce sont encore des heures de travail, mais différentes, comme apprécier la texture et se demander ce que je peux faire avec, déconstruire presque la technique, ce qui m’a formatée, pour tenter de trouver et re-trouver, c’est-à-dire trouver à chaque fois, nouvellement, dans cette fraîcheur-là, comment tout cela arrive, sans surtout vouloir reproduire une forme. Pour répondre à ta question plus précisément, c’est « non ». J’ai une manière de faire, Lionel a une manière de faire, je reconnais sa sonorité, sa patte, son geste artistique, ce que tout cela contient. C’est une signature, on est tous uniques. Il s’agit de la rencontre d’une singularité avec d’autres singularités qui crée quelque chose d’autre, justement, que ce que l’on sait faire. C’est un mélange de connu et d’inconnu, de familier et de complètement étranger. Si tu commences à te dire « je vais faire une arabesque », c’est fichu parce que cela veut dire que tu es dans la pensée : tu prémédites et cela ne fonctionne plus.

Lionel Garcin :

Oui, ce n’est pas du travail de formes préétablies, c’est du travail d’être, au lieu de l’écoute : c’est du lieu de l’écoute que naissent les formes. La pensée est là, pas en tant que productrice, mais en tant que lectrice. On lit les formes qui sont en train d’advenir. Tout le travail qu’il peut y avoir dans la composition de forme est là, mais pas préalablement, il arrive après l’écoute.

Étudiant·e :

De quand date la formation de ce duo ?

Emanuelle Pépin :

C’était lors des Rencontres du CEPI (Centre Européen Pour l’Improvisation) en septembre 2020 à Valcivières dont Jean-Charles a parlé tout à l’heure. À cette occasion, la personne qui accueillait la rencontre m’avait demandé, sachant que j’écrivais, si je n’avais pas quelque chose à proposer. Lionel était là et j’ai proposé une performance avec lui, comme ça, parce qu’on se connaît bien. On peut appeler ça une conférence-performance. Je ne sais pas du tout ce que cela a donné, mais c’est né là-bas, et voilà ! Depuis on n’a jamais retravaillé dessus. Pour aujourd’hui, on s’est seulement vus, on en a parlé et c’est toujours là, c’est dans le corps et dans la communication : hier on a consacré un temps, il faisait d’ailleurs super froid et ce n’était pas dans le corps, mais c’était déjà un acte en soi. C’est aussi ce qui est arrivé aujourd’hui : je ne sais pas du tout ce que ça a donné. Je ne voulais surtout pas savoir ce que cela allait donner. Nous ne voulions pas savoir, parce que, sinon, c’est cuit !

Lionel Garcin :

Mais cela fait 20 ans qu’on se connaît, 15 ou 18 ans qu’on pratique ensemble, pas forcément en duo. Parfois on est 12, ou 20, enfin je ne sais pas. En duo, on a peut-être dû jouer 3 fois, en comptant aujourd’hui.

Emanuelle Pépin :

Tous les deux, 3 ou 4 fois, oui.

 

3. L’improvisation comme écriture

Étudiant·e :

Tout à l’heure, quand cela s’est terminé, vous n’avez eu aucun doute sur le fait que c’était la fin ?

Emanuelle Pépin :

Non! [rires] [à Lionel] Tu as eu des doutes ?

Lionel Garcin :

Non ! Mais la fin, c’est important. Le début, la fin, tout cela, c’est fractal : il y a la grande forme à chaque fois, à chaque souffle, à chaque phrase, chaque période, il y a la naissance et la mort, et l’acceptation de cela qui tisse l’ensemble. Il y a comme une évidence. On peut avoir des doutes parfois, mais aujourd’hui ce n’était pas le cas.

Emanuelle Pépin :

C’est une écriture en fait : c’est une autre forme de composition, mais c’est de la composition, ce n’est pas du n’importe quoi. On ne se lance pas comme ça, en gesticulant, « je peux, il peut, nous pouvons, poutt, poutt ! » — je caricature un peu. Il s’agit d’autre chose. À ce moment-là, c’est une conscience en mouvement. Ce n’est pas une analyse de ce qui est en train de se faire, on n’est pas en train de se dire « ah oui ! là, c’est le début, là, etc. » En étant totalement « avec », on a la conscience du présent, de ce qui s’est passé : les mémoires, au fur et à mesure de la pièce, s’agencent, s’accumulent, créent en soi une organicité de la durée.

Lionel Garcin :

C’est organique, oui.

Emanuelle Pépin :

Il y a une conscience, que j’appelle la contemplation : à un moment donné, notre habilité c’est de pouvoir contempler ce qui est en train de se passer. Créer de l’espace suffisant permet de sentir, écouter, mesurer ce qui est en train de se passer pour avoir cette conscience de l’écriture, mais ce n’est pas intellectuel.

Lionel Garcin :

Non, c’est l’habilité du corps, c’est vivant. En fait, c’est juste simple, juste organique. Comme c’est le vivant, c’est déjà donné.

Étudiant·e :

Même dans l’introduction ! Il y a eu un grand moment de silence, et en fait ça avait déjà commencé. Je ne sais pas comment les autres l’ont perçu, mais chaque petit bruit, chaque petit son… J’ai vu que vous réagissiez à tout : à un moment j’ai bougé mon pied et il y a eu un regard comme s’il y a eu un son. Le plancher a grincé, dans la salle du dessus des tables bougeaient, etc. chaque son prend une importance différente. En tant que spectateur, on se disait « ah, il s’est passé ci, il s’est passé ça, ça a réagi ». C’est vrai que c’est spontané : là on est dans une pièce à un temps T, et c’est déjà passé ! Demain si vous faites dans le même lieu avec le même public, ça sera encore autre chose. J’ai beaucoup aimé le moment de silence au début parce que je trouve que parfois on ne prend pas assez le temps : il y a un public, on doit performer, et point ! Là, le silence, c’était comme pour inviter des enfants « chut, écoutez ! »

Emanuelle Pépin :

C’est prendre en compte, prendre en considération l’espace dans lequel la pièce va avoir lieu. C’est l’espace qui nous « invite à ». L’espace est constitué d’éléments, comme des végétaux en extérieur, ou vous ici en intérieur, qui créent le « décor » entre guillemets. Comme tout se joue à partir de cet acte d’écoute, ce n’est pas une volonté de vouloir à tout prix vous mettre dans une situation d’écoute, mais le silence offre ça — même si le silence, en quelque sorte, n’existe pas parce qu’il y a tout le temps des bruissements, même notre corps est résonnant. Et ça, ça se sent dans l’air. C’est une activité, une « tension vers » et c’est avec ça qu’on crée aussi, ce qui vaut aussi pour l’écriture.

Étudiant·e :

Et dans le choix du costume ? Il me semble que vous n’êtes pas arrivée habillée par hasard. Est-ce que cela fait partie d’une improvisation ? C’est un choix ?

Emanuelle Pépin :

Oui, c’est un choix pratique. Je n’ai pas beaucoup de pantalons avec lesquels je peux, par exemple, faire un mouvement brusque sans le déchirer de devant jusque derrière ! Ça m’est déjà arrivé, donc j’essaie de trouver des matières assez solides. Mais cela dépend : aujourd’hui j’ai deux autres pantalons, mais j’ai vu que le sol aurait pu m’accrocher. Ce n’est pas que j’ai peur pour mon pantalon, mais cela aurait parasité le mouvement, ou alors j’aurais pu en jouer, mais bon…

Lionel Garcin :

J’avais l’impression que le sens de ta question était que ce n’était pas complètement improvisé parce qu’on avait déjà choisi le costume ?

Étudiant·e :

C’est ça. Est-ce que c’était au-delà d’un choix de confort ?

Lionel Garcin :

Moi je ne me suis pas posé la question, je prends un truc que j’ai d’habitude. En même temps, l’improvisation, ce n’est que des choix. Il y a quand même une écriture qui est donnée, l’instrument est une écriture, il a des contraintes, il a des limites. Le corps et l’espace aussi. On écrit avec ce qui est là, on n’est pas dans l’indéfini total, donc ça fait partie de ce qui nous est donné.

Emanuelle Pépin :

Et puis tout dépend de la situation. Là, c’est un travail spécifique avec le son. C’est ce que je disais tout à l’heure, je peux avoir une perception du son au travers de la peau et au travers des tissus du corps. Mais, il y a quand même des matières par-dessus la peau, et si ces matières ne sont pas respirantes, poreuses, ça coupe l’écoute. Une autre fois, j’ai travaillé avec un plasticien qui calligraphiait sur de grands pans de soie sauvage. Je ne le connaissais pas, mais j’avais regardé son travail à l’avance. J’ai donc choisi spécialement un costume qui était dans une fluidité, avec des coloris qui ne venaient pas trop trancher avec sa matière. Oui, il y a des scénographies parfois pour lesquelles j’amène des matériaux, des objets.

Étudiant·e :

Tout à l’heure vous avez parlé de simplicité. Je ne sais pas trop pour la danse, mais musicalement j’ai trouvé qu’il y avait beaucoup de complexité : des souffles continus, des recherches sur les timbres, des sons avec ou sans anche, etc. Est-ce que c’étaient des capacités que tu avais avant ou est-ce que c’est le fait d’être dans la recherche qui t’a amené à aller dans ces cas de figure ?

Lionel Garcin :

C’est peut-être par goût que d’être attiré par cela, mais c’est surtout venu de la pratique. Ce ne sont pas des trucs que j’avais appris avant. Tout ce vocabulaire est né de la pratique de l’improvisation, notamment l’improvisation en orchestre, avec plusieurs musiciens qui jouent d’autres instruments. Il y a l’envie d’aller vers eux, de composer avec eux : tu trouves des thèmes qui s’agencent et toute la mise en jeu du corps fait aussi trouver des choses. C’est donc plutôt l’improvisation qui a nourri ce vocabulaire.

Étudiant·e :

Pour moi, certaines choses me paraissent compliquées, mais ça devient simple en fait, c’est comme ça que vous le voyez ?

Lionel Garcin :

Oui, quand je parle de simplicité, ce n’est pas une complexité de la musique… La simplicité c’est la base, c’est ce sur quoi on est basé dans le corps, comme la simplicité de l’écoute. Après, ce qui se construit dessus, c’est autre chose, oui.

 

4. Le corps support de l’improvisation

Étudiant·e :

J’ai une question pour vous, saxophoniste. En musique, on est un peu éduqué dans une logique de statisme corporel : on ne sait parfois pas trop quoi faire de notre corps sur scène, voire on voudrait même le cacher. Mais vous, vous avez bougé partout, vous étiez en mouvement, vous avez dansé aussi ?

Lionel Garcin :

Non. Je pratique beaucoup avec de la danse donc ça arrive qu’au bout d’un moment on en ait marre de l’instrument, qu’on le lâche pendant trois jours et qu’on ne passe que par le corps. Parce que parfois l’instrument est tellement encombrant ! Quand on veut retrouver cette simplicité de se relier à des choses simples et organiques, l’instrument gène parfois. Il faut tellement de technicité pour retrouver l’organique, qu’on peut développer d’autres techniques qui sont tout de suite organiques : repasser par le corps aide à retrouver cette organicité qu’on essaie de prolonger avec l’instrument. Mais quand je fais des concerts, je ne bouge pas, j’adore être uniquement dans le son, avec le ressenti dans le corps, mais dans le corps immobile, enfin immobile… il faut bien bouger, mais ça ne fait pas la même chose. Aujourd’hui, j’ai pris plus en compte l’espace, mais des fois je vais préférer être plus simple et me focaliser sur la musique.

Étudiant·e

Comme un lâcher-prise ?

Lionel Garcin :

Oui, un lâcher-prise dans le sens qu’une fois qu’on a donné toute sa place à l’espace et au son, on disparaît en tant que personne séparée et on se libère de soi-même en donnant la place au reste. Ça ne dure pas forcément longtemps, mais…

Étudiant·e

Tout ce que vous évoquez là, parler d’espace, de vie, de composer à partir de ce qui est déjà là, du moment présent, j’ai l’impression que c’est lié à des préceptes comme le bouddhisme, le développement personnel, une sorte de sagesse ancestrale. Je voulais savoir si vous aviez infusé un peu dans ces sciences-là parce que le champ lexical du ressenti et des émotions revient souvent. Est-ce que vous vous en nourrissez, ou est-ce que vous avez développé ces sensibilités-là avec le temps ?

Lionel Garcin :

Oui, je pense que c’est relié. Pour moi, les traditions dont tu parles sont aussi dans notre culture dans la poésie, par l’art, même si parfois on l’a peut-être perdu par ailleurs. Je suis venu à la musique parce que, sans le savoir, j’avais un manque de cette dimension-là. J’étais parti pour faire de la recherche académique en sciences quand j’ai rencontré Barre Phillips avec qui j’ai ressenti qu’il y avait une autre dimension qui me manquait. Et puis par le corps aussi, parce que tout cela fonctionne par rapport à des sensations. Dans la danse, ils ont une connaissance phénoménale du corps conscient, donc c’est relié forcément.

Emanuelle Pépin :

Et puis toutes les approches de techniques somatiques. Pour ma part, je ne suis pas allée chercher à l’extérieur de l’institution. Je viens du Conservatoire et du Centre National Chorégraphique, avec une réelle discipline de différentes techniques de danse. À un moment donné, je me sentais limitée dans l’expression du vivant, du geste, de la relation. Quand j’ai rencontré des chorégraphes de la ligne américaine en France qui développaient cette approche-là, je me suis dit « c’est là ! ». C’est par le travail que les choses se sont éclairées. Je lis beaucoup et j’écoute aussi comment les gens fonctionnent. Dans ces pratiques, c’est ce qui est développé, affiné, pour tenter d’aller à la source de l’écoute et de créer l’espace de relation entre notre monde intérieur et le monde extérieur.

Même étudiant·e

Ce qui revient c’est qu’à chaque fois, artistiquement, on a un background et une éducation, et on doit se déformater. Pour aller plus loin, on se dirige toujours vers ces grandes expressions, parce qu’elles sont plus libres et qu’elles permettent de ressentir plus en profondeur, comme une certaine forme de liberté. Beaucoup de musiciens et de danseurs se dirigent vers l’improvisation, parce qu’apparemment ça libère et ça relie à la fois. Est-ce que c’est le chemin de tout le monde ?

Lionel Garcin :

Pour moi, l’improvisation est comme une pratique philosophique et poétique de découverte du réel, par la pratique, reliée à notre histoire et celle des autres civilisations, qui se situe en dehors de la production consumériste de l’industrie artistique. C’est une autre chose.

 

5. Le texte et l’improvisation

Jean-Charles François :

Pourriez-vous dire quelques mots sur le rapport entre le texte et l’improvisation ? Parce que c’est aussi ce qui est intéressant dans cette histoire, la tension entre l’improvisation et un texte prédéterminé : il y a l’intégration de la fixité du texte dans l’improvisation, le texte écrit qu’on lit à un moment donné et le texte en dehors de l’écrit qui est peut-être improvisé. Ce rapport au texte me paraît très intéressant.

Emanuelle Pépin :

Je crois qu’il me faudrait du temps pour répondre. Comme c’est arrivé il y a trois ans, c’est encore tout nouveau et je n’ai pas de distance. Ce que je peux juste dire, c’est que le texte est issu de la pratique et de l’expérience. C’est devenu une forme de partition. Mais en venant ici en voiture, je me disais : « Comment je vais m’y prendre ? Je vais suivre, lire ? » sachant que j’ai du mal à sortir la voix comme ça, dans la performance. Et en fait, j’ai considéré les textes comme une pièce improvisée dans laquelle on pouvait peut-être — cela me rassurait de dire « peut-être » — laisser arriver le mot. C’est comme si, en tout cas dans le mouvement, le texte et les mots étaient tout le temps là.

Lionel Garcin :

Hier, quand tu me lisais le texte, il était clair que cela ne pouvait pas marcher comme ça, juste en le lisant. Même s’il est issu de la pratique, il faudrait l’actualiser au temps présent et qu’il soit réincarné. C’est le fait que tu le réimprovises sur le moment en ayant la base des notes, c’est cela qui se passe.

Emanuelle Pépin :

Oui. En fait, cela n’aurait pas été juste, d’aller le lire.

Lionel Garcin :

Cela serait de l’illustration.

Emanuelle Pépin :

Même si par moment, le geste appelait le mot ou le mot appelait le geste — le geste au sens large : le geste dansé ou sonore.

Lionel Garcin :

Quand j’entends ces phrases, c’est comme si cela me plaçait à un endroit d’écoute, que cela me donnait un éclairage. Peut-être que je n’étais pas en train d’écouter de cette façon-là, mais cela me fait lire ce qui est en train de se passer d’un autre point de vue. Il ne s’agit pas forcément de changer ce qui se passe, mais de le lire d’un autre point de vue. Je ne sais pas si cela va changer le cours des choses, mais cela change la lecture.

Emanuelle Pépin :

Oui, cela change l’écoute, et cela change le son.

 

La technique par/pour l’improvisation

Philippe Genet (Directeur du Cefedem AuRA) :

Je voulais revenir sur le formatage et puis sur la libération. La plupart des étudiants ici, qui enseigneront ou enseignent déjà, se posent la question de la transmission de ces formes de pratique. Parfois, aujourd’hui, pour pouvoir se libérer d’un enseignement académique, on parle beaucoup d’improvisation dans les cours pour pouvoir justement apporter à la fois une forme de liberté et un langage nouveau. Je voulais savoir si vous étiez confrontés parfois à la transmission, à des stages, ou à des cours si vous en avez déjà donné et comment vous pouvez appréhender ce type de démarche. Est-ce qu’il faudrait attendre d’avoir une technique poussée ou est-ce que tout de suite, de façon très intuitive, on peut avoir une approche qui permet peut-être aussi de prendre conscience de son corps, du geste, de l’instrument ? Est-ce que cela ne pourrait pas être une entrée en pratique musicale ou dansée pour de jeunes enfants qui débutent ?

Lionel Garcin :

Oui, cela peut être direct, tout de suite, c’est sûr. Mais on peut aussi se libérer sans faire d’improvisation. Un interprète au sommet de son art n’a pas besoin d’improviser. Je ne sais pas, c’est une large question en fait. Oui, on anime des stages de temps en temps, mais je suis toujours un peu gêné quand cela s’enseigne, comme si c’était une forme qu’on puisse enseigner alors que c’est assez anarchique comme pratique en réalité.

Emanuelle Pépin :

Oui, mais en même temps, il y a énormément d’outils, des portes d’entrée très concrètes. Que ce soit pour les danseurs ou les musiciens, le rapport au corps est déjà quelque chose d’énorme. Et cela représente des heures et des heures de pratique, de travail : on peut rentrer par la conscience du squelette, le rapport à la gravité, les déplacements, l’architecture, se placer à la situation du corps dans l’espace, le geste sonore, le geste du musicien avec son instrument, le corps de l’instrument dans l’espace, le corps de l’instrument avec le musicien, les textures du son, les hauteurs, et effectivement comment le vivre aussi. L’approche du travail d’improvisation consiste à repasser par le corps, mais cela ne veut pas dire qu’on se met à danser.

Lionel Garcin :

Et passer par le non-savoir aussi.

Emanuelle Pépin :

Et ne pas du tout rejeter la technique, au contraire, c’est fabuleux ! Cela dit, quand on a un public de personnes qui n’ont jamais pratiqué la danse, on observe un étonnement, comme un état d’enfant, avec une générosité, sans a priori, un « oser y aller ». Avec même, souvent, beaucoup de maladresse, mais une certaine sensibilité aussi. Parfois, avec des personnes qui arrivent avec un background vraiment très solide, il s’agit de trouver une manière d’aborder différemment son rapport à l’instrument, son rapport à l’espace, son rapport à l’autre, son rapport à l’écriture, comme simplement le prendre d’un autre point de vue. L’improvisation n’est pas forcément une porte pour se libérer.

Lionel Garcin :

On peut s’y enfermer aussi.

Emanuelle Pépin :

Oui, complètement. C’est juste « être là » et cela représente un sacré travail qui passe par les sensations, la perception, la conscience de l’espace, la conscience de comment un son voyage, comment on compose, etc. C’est immense les outils avec lesquels on peut jouer.

Lionel Garcin :

Par rapport à l’enseignement, on retrouve dans le milieu musical de l’improvisation quelque chose qui est très proche dans la structure sociale des sociétés traditionnelles, dans le sens qu’on est tous mélangés, de celui qui débute à celui qui a passé sa vie à en faire, ce qui ne pose pas de problème. Il existe de nombreuses sessions de pratiques collectives où tout le monde est ensemble, comme dans un village où il y a des percussionnistes, les vieux et les jeunes, tous mis ensemble pour trouver un agencement. On apprend aussi comme ça, par la pratique. Il n’y a donc pas forcément besoin d’avoir une technique au départ, elle va se créer aussi. Cette dialectique avec la technique et le savoir constitué est hyper importante. On peut avancer comme ça.

Philippe Genet :

Dans l’enseignement académique, ce n’est pas le cas : on doit d’abord asseoir une technique pour pouvoir ensuite aller plus loin. On voit très bien que l’improvisation arrive à un moment donné, comme une porte qui s’ouvre et qui vous ramène d’un coup à un autre univers, à d’autres espaces. Ma question portait sur le fait de savoir comment on articule cela. Je le dis spécifiquement ici au Cefedem où les questions de pédagogie se posent : comment articule-t-on cette entrée sachant que cela modifie le rapport à l’écrit ? Vous n’aviez aucune partition, seulement du texte par terre. Comment fait-on lorsque l’écrit est déjà très présent dans les pratiques ?

Lionel Garcin :

Cela pose la question du rapport au désir. Pourquoi est-ce qu’il faudrait acquérir d’abord telle ou telle technique ? Par l’improvisation, on se rend compte qu’on est déjà dans une pratique vivante, ou qu’on est dans le réel comme dans un combat en art martial. On est dedans, ce n’est pas une théorie qui mènera à une pratique dans 10 ans. On est confronté au réel. Et quand on sent par exemple qu’on ne peut pas y aller et qu’on n’a pas la technique, c’est à ce moment-là qu’on se tourne vers l’académisme (ou pas). Il faut développer cette technique parce qu’on sent dans le corps qu’on a besoin d’en passer par là parce qu’on est coincé. Donc là, ça peut être quelque chose qui réveille le désir en fait, ou plutôt la nécessité de le faire.

Emanuelle Pépin :

Je travaille beaucoup dans un centre de formation professionnelle des arts du cirque. J’ai été engagé pour donner des cours techniques à la condition que, dans le même temps, je propose des ateliers d’improvisation. Cela se fait ensemble. On le voit très bien, par exemple faire un triple saut périlleux avec les agrès de cirque présente une grande prise de risque en raison du volume, de la masse. Cela nécessite de l’habilité et génère beaucoup de peur en fait : certains ne dépassent pas le fait de se jeter comme ça, en arrière, même si on a un harnais, et du coup vont plutôt faire de la jonglerie. Pourtant, si on fait un travail sur l’état de déséquilibre, aller un petit peu loin dans la chute, sentir le sol, travailler sur la gravité, le rebond et la confiance avec les autres, alors tout d’un coup il sera possible de monter à 4 mètres de haut, sur une petite plateforme et de se jeter en arrière. Alors qu’en passant uniquement par la technique, en visant une figure — on s’appelle ça une figure à exécuter — il y en a beaucoup qui se perdent en cours de route. C’est dommage, parce qu’en fait par d’autres biais, que ce soit dans les sensations, la perception, l’imaginaire ou la créativité, la technique peut être nourrie de toutes ces expériences et permettre de dépasser nos propres capacités de manière insoupçonnée, c’est très net ! Je trouve que dans l’enseignement, dans les formations, c’est assez bien de le mettre tout de suite au même niveau, même si c’est pour approfondir une technique, quelle qu’elle soit, pour la raffiner, la maîtriser, mais aussi avoir une approche plus « ouverte », si on peut l’appeler ainsi.

Nicolas Sidoroff :

J’aurais une intervention à faire sur deux plans :

a. Lors d’une vidéo Ted-talk de 6 minutes, une trapéziste, Adie Delaney, explique comment elle a changé sa méthode d’enseignement du trapèze. Elle explique qu’en général, on dit « tu vas mettre ton pied là, et après il faut que ta main elle grimpe le long de la corde » etc. Or il y a des gens qui ont extrêmement peur, même quand le trapèze est relativement bas : il y a un moment où il faut que tu t’assoies sur la barre, tenir tout seul ce n’est pas du tout si évident que ça. Elle dit qu’elle essaye maintenant d’accompagner le corps progressivement pour inclure les gens dans cet apprentissage-là. Si tu mets trois mois pour oser enlever une main d’une corde, et bien tu prends trois mois, ce n’est pas grave, parce que cela t’apprend à lire les signaux du corps, à avoir un rapport au corps vraiment spécifique et savoir l’écouter. Je le mets en regard avec tout un background de l’école, notamment artistique qui reste hyper excluante : « si tu n’arrives pas à faire ce qu’on te demande, tu te casses ! De toute façon, on n’a pas besoin de beaucoup de musiciens d’orchestre, encore moins de solistes ! » Et si tu ne le comprends pas, on te le fait sentir avec deux ou trois petites évaluations bien cassantes, etc., et alors tu as du mal à recommencer, ou alors tu recommences ailleurs que dans une école artistique. (Je le dis comme ça, mais ce n’est pas ce qu’elle explique !). Je pense que là il y a un rapport à l’école assez intéressant, à creuser, en tout cas d’inclusion des gens dans ce processus-là d’apprentissage.

b. Et le deuxième point c’est au sujet de l’espèce d’idéal que Lionel a présenté avec les rencontres entre des gens très expérimentés, et des gens qui ne le sont pas. J’ai vécu plein de discussions après les sessions d’improvisation dans lesquelles certains participants n’avaient plus envie de bosser ensemble, où les gens s’agaçaient. En réalité, cet espace accueillant que vous avez décrit vis-à-vis du corps, vis-à-vis de l’espace, vis-à-vis de nous, vis-à-vis de vous, est un rapport qui se construit. Ce n’est pas inné et il y a des gens qui sont passés par des écoles qui les ont empêchés de développer ce genre de choses. Comment faire en sorte que dans l’espace qu’on crée, dans la pratique qu’on arrive à créer, les gens pas très outillés puissent trouver des outils, et que les gens un peu plus outillés puissent inclure ces gens ? C’est ce que j’appelle la « participation légitime périphérique », qu’on peut retrouver dans certaines pratiques traditionnelles. Une chercheuse, Jean Lave, l’a mise en évidence dans des tribus africaines sur la fabrication des sacs ou des paniers : on retrouve les experts au centre, qui les font hyper vite, et à côté ceux qui savent un peu moins, qui regardent un peu et qui mettent plus de temps, et après ceux qui savent encore moins, qui regardent… et qui galèrent ! Ce qui n’est pas grave parce qu’en fait les sacs et les paniers sont déjà faits. Et autour tous les gamins circulent, regardent, touchent, etc. et développent un apprentissage périphérique qui devient de plus en plus central. Ce type d’apprentissage n’est pas du tout si évident que ça à mettre en place dans nos sociétés.

Lionel Garcin :

Non, mais ça existe par petites touches.

Nicolas Sidoroff :

Je ne dis pas que ça n’existe pas, mais qu’il faut y prêter un peu attention pour que cela puisse exister.

 

7. Improviser pour apprendre

Gwénaël Dubois, Enseignant au Cefedem AuRA :

Je voudrais revenir sur le rapport entre interprétation et improvisation, sur la question de la technique aussi, qui est alimentée par l’improvisation, et tout le rapport académique qu’on a au patrimoine. Je pense par exemple au répertoire classique du 19ème, où des compositeurs comme Chopin ou Liszt ont fondé toute la technique pianistique jouée aujourd’hui. Il n’y a pas un endroit dans l’enseignement supérieur où on ne demande pas aux pianistes de jouer une étude de Chopin en concours d’entrée alors qu’en fait ces pièces ont été composées en improvisant. C’est assez intéressant à soulever : les deux volumes d’Études publiées par Chopin avant l’âge de 25 ans ont été construits par l’improvisation. Ces pièces sont effectivement très difficiles à jouer dans une approche où on veut jouer du répertoire. On doit travailler comme si on pouvait arriver à ça, ce qui est extrêmement difficile parce qu’on ne passe pas par les procédés créatifs qu’il a utilisés, dans lesquels sans doute il s’est senti super bien. Il y a le fameux exemple qui a été relevé dans un mémoire d’étudiant au Cefedem : Chopin disait à ses élèves de jouer ses Études « avec facilité » ! alors que ce sont des trucs qui sont horriblement durs. Chaque Étude, comme leur nom l’indique, va se concentrer sur un point particulier. Mais dans l’enseignement aujourd’hui, il me semble qu’on peut peut-être réfléchir à comment est-ce qu’on réaborde le patrimoine d’une façon d’improviser. Comment est-ce qu’on travaille du Mozart, sans jouer du Mozart, mais en l’improvisant, et en essayant d’utiliser la même procédure d’improvisation. L’idée du désir que tu as soulevée est aussi très importante : est-ce qu’il faut partir d’une impro plus ou moins libre, pour voir où cela nous mène, puis quel compositeur on aborde à partir de là ? Il n’y a pas de recette magique, mais il faut vraiment reréfléchir à ces éléments-là. Parce que ces compositeurs qui ont composé des pièces incroyablement dures à jouer qui aujourd’hui enferment dans un académisme un peu minable, en fait, ils improvisaient.

Tout à l’heure tu disais : « si je pense à faire une arabesque, c’est foutu ». On retrouve ça aussi dans l’interprétation : quand on est en train de jouer un truc qui nous pose un peu problème, si on se dit « y a un mi bémol », c’est foutu, on se casse la figure, si on se dit « c’est chaud, ce passage », c’est foutu aussi. En fait, ce n’est pas parce qu’on pense qu’on se plante, mais il y a un peu de cette espèce de fil où il faut lâcher prise, mais pas complètement parce que sinon on n’y arrive plus, on n’a plus conscience de notre corps. Je trouve qu’il y a une dualité qui est assez complexe. Est-ce que c’est un peu ce qui nous réunit, quelle que soit la pratique ? Que ce soit de l’improvisation complètement libre ou de l’académisme complètement académique, j’ai l’impression que finalement, ce qui rassemble les pratiques, c’est cette espèce de fil qu’il faut arriver à lâcher pendant qu’on est en train de jouer. Il y aurait certainement à travailler de ce point de vue-là.

Lionel Garcin :

Ce sont des questionnements super intéressants. Je n’ai pas de réponse, mais ce sont des questionnements que je mets en pratique dans ma pratique même. Concernant ce dont tu parles, ce fil-là, j’ai l’impression que la pensée nous sort du truc en fait. Si elle est là en commentaire, on sort du truc. Ce n’est pas avec le lâcher-prise qu’on sera plus dans son corps, c’est le contraire : c’est quand on est dans son corps qu’on va lâcher prise, lâcher cette façon de commenter. Il faut que la pensée soit là, mais transparente, en tant que lectrice de ce qui se passe, comme une lectrice silencieuse.

Gwénaël Dubois :

D’un point de vue de l’enseignement, je me dis que cela peut s’enseigner, en tout cas se partager. On est en train d’en parler donc c’est bien que cela représente quand même quelque chose de tangible. Peut-être qu’il ne faut pas viser systématiquement des pièces toujours plus dures, mais que cela aiderait à le travailler avec des pièces plus faciles.

Lionel Garcin :

Je ne suis pas interprète, mais à un moment donné j’ai voulu savoir ce que c’était de se sentir interprète. Je n’ai pas fait du saxophone, mais j’ai travaillé des pièces de piano pour rentrer dedans, et j’ai l’impression effectivement que c’est important de ne pas aller vers des choses plus complexes que ce qu’on peut faire, mais au contraire choisir ce qu’on peut appréhender dans son ensemble et creuser les états d’être à partir de cela, avoir un point d’accroche, une pièce, et puis par exemple l’aborder de plein de manières différentes. À partir d’un support qu’on connaît, on peut se concentrer sur l’origine du rythme dans le corps. C’est-à-dire avoir différents niveaux de lecture qu’on peut nommer et se donner la possibilité de creuser la sensation, mais avec une forme définie qu’on connaît de mieux en mieux, plutôt que « ça y est, on l’a mise en place au niveau extérieur, et on passe à une plus difficile ».

Les compositeurs comme Chopin ont créé leur propre technique, par l’improvisation. C’est intéressant d’ouvrir la possibilité d’avoir sa propre individualité, au sein d’un collectif, d’une culture. Par exemple, si je devais jouer les études des trucs que je fais en improvisant, non seulement je n’en serais pas capable, mais surtout je m’emmerderais vraiment !

Gwénaël Dubois :

Dans la même logique, des recherches montrent que les pièces de Czerny, qui sont données à tous les mômes dans les conservatoires, sont initialement des supports pour improviser. Depuis c’est devenu des pièces assez horribles ! Czerny les utilisait comme base d’improvisation en reprenant des motifs et les développant dans plein de combinaisons. C’est un peu comme si tu transformais les techniques de jeu que tu utilises en études pour des étudiants.

Lionel Garcin :

On m’a déjà demandé ! Ça me fait penser à la flûte classique indienne que je suis allé un peu étudier là-bas. C’est hyper codifié, mais c’est étonnant comment ça fonctionne. Il y a justement une forme, là, avec différents niveaux de travail de cette forme : le niveau technique, le niveau émotionnel, le niveau spirituel, etc. Quand on apprend un raga, c’est comme un mode lydien on va dire, mais si on joue un mode lydien, ça ne va pas forcément faire un raga parce qu’il y a des intonations, des augmentations qui font qu’on a la sensation émotionnelle de ce raga. Tout ça est nommé et travaillé et tous les jours c’est refondu. Le jour 1, on va apprendre l’échelle et un ou deux petits motifs, et on a l’impression que le jour 2 on va recommencer ça, et que ça va être la même chose, mais non, le jour 2 est complètement différent, improvisé en fait : le professeur rentre dans une improvisation avec l’élève, à un certain niveau, et lui transmet des petits bouts de phrases. Chaque jour c’est nouveau, ce n’est jamais deux fois le même. Et au bout d’un moment il y a comme un champ qui se crée, un champ mélodique, un champ comme en physique là, qui est clair, mais qui n’est jamais fixé complètement.

Étudiant·e :

Ce que vous faites est quelque chose de difficile à écouter sûrement pour la plupart des gens. Est-ce que vous arrivez à en vivre et que ce genre de performances soit plutôt pérenne ?

Lionel Garcin :

On a essayé de faire la manche avec et ça n’a pas trop marché ! Tu vois, aujourd’hui c’est la deuxième fois qu’on l’a fait en 3 ans, donc…

Même étudiant·e :

Mais vous parliez aussi d’autres groupes…

Lionel Garcin :

Oui, moi je vis plus ou moins de l’improvisation, après je fais parfois aussi d’autres trucs en plus. L’improvisation a très peu de visibilité dans les endroits institutionnels, et donc c’est très souvent de l’underground et des économies pauvres.

Emanuelle Pépin :

Moi je ne dis plus que j’improvise ! Par exemple, je suis programmée dans un musée d’art contemporain, ils savent que je travaille en improvisation, mais… ce n’est pas dit. Évidemment, je suis allée plusieurs fois visiter le musée, j’ai fait plein de recherches, il y aura une trame, mais quoi qu’il en soit, j’improviserai à ce moment-là. Il faut aussi réfléchir à comment ça peut franchir des lieux qui au départ ne programment pas ce qu’on fait. Par exemple je vis de ça depuis plus de 30 ans. Je donne pas mal de workshops et pour moi ça va ensemble, la pédagogie est très nourricière du travail de la création. Quand j’interviens dans des centres de formation professionnelle, c’est par le biais de l’improvisation. Quand je joue avec des groupes, j’improvise. Quand je joue seule, quand je fais des performances, que ce soit dans des musées, des théâtres nationaux, ils ne savent pas forcément que je vais improviser, et quand je le dis, ils ne me croient pas de toute manière ! Après la performance, un grand nombre de fois, on me dit : « mais ça c’était écrit ! » Oui, c’est écrit sur l’instant, mais ça prend des formes à chaque fois différentes.

Lionel Garcin :

Et après, il y a des dispositifs — tu aimes bien ce mot-là — qui font que ça peut passer dans d’autres endroits. Par exemple, je propose un travail autour du chant des oiseaux dans lequel il y a beaucoup d’improvisation, c’est quasiment tout improvisé même. Mais le dispositif fait que c’est comme une écriture, et qu’il y a quelque chose qui attire : on est cinq saxophonistes soprano qui jouons à 20 mètres chacun dans son arbre. En fait, c’est le même travail qu’aujourd’hui avec en plus un travail sur le langage des oiseaux. Donc on peut élargir et développer les pratiques d’improvisation avec plein de dispositifs.

 
 
 

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LE SON – l’écoute – LE GESTE

Acess to the English translation: SOUND – Listening – GESTURE
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LE SON – l’écoute – LE GESTE
dans l’improvisation

Emmanuelle Pépin

Février 2018

 

Sommaire :

Partie 1 : LE SON – l’écoute – LE GESTE dans l’improvisation
Partie 2 : LE SON – l’écoute – LE GESTE dans la composition instantanée
Le moment de la composition
L’écoute
Les muscles, écoutants de l’espace
Les fascias, écoutants de l’indicible
Les os, le squelette, écoutants de l’espace
La colonne vertébrale
Les articulations, écoutantes l’espace
Les organes
Les liquides
Les veines, artères, capillaires
Les nerfs
Nos sens, écoutants de l’espace
L’espace autour, l’écoute externe
Le son, le temps
Les lignes du son
Textures et matières du son
Conclusion

 

Partie 1 : LE SON – l’écoute – LE GESTE dans l’improvisation

Danse et musique sont reliées indéniablement.
Plus précisément mouvement et son.
Chacun d’eux tirent leur origine du corps, d’un corps conscient.
Ils jaillissent à partir d’un acte de présence.
Leur source est là, au creux de soi. A portée.

L’apparaitre et la propagation des phénomènes sonores ou dansés prennent des formes différentes, l’une plus visible, l’autre plus audible. Quoique !
La danse crée du son, nait du son même – un lointain au dedans de soi, un souffle, un
battement, un élan vital.
Le son vient d’un instrument qu’une personne joue, il provient du corps, d’un
mouvement, il est mouvement. Mouvement « résonnement » visible.

Dans une pièce improvisée, danse et musique existent ensemble dans le même espace, danseurs et musiciens sont relies entre eux par l’acte d’écoute et par la contemplation, pour se jouer de l’instant qui passe.

Fulgurance.

Se laisser inviter par l’espace même.

Ce ne sont donc pas des outils, ou des « scores » d’improvisation que je proposerai ici. Ils sont déjà̀ intégrés par chacun de nous, danseurs et musiciens. Cela fait partie de notre discipline et pratique, qui là aussi, se tiennent la main pour improviser.
Et je situerai davantage mon point de vue sur l’improvisation « libre » sans code pré́-établi.

C’est plutôt une expérience partagée de l’écoute, et une plongée dans le corps.
Corps du danseur, corps du musicien, corps de l’instrument – corps d’écouté –

Il est évident que des composantes comme le rythme, la durée, la texture, les hauteurs, volumes, notes, silence, mélodies, point d’attaque, contre-temps, impact, résonance, résonance de la résonance, arrêt, saccades, pré́-mouvement, énergie, pulsation, tempo, sources sonores, propagation, direction du son dans l’espace, partitions, scores, entrées-sorties, superpositions, entrelacements, sont des éléments avec lesquels le danseur joue. Le musicien aussi.
Le musicien peut aussi accompagner le danseur, le danseur peut accompagner le musicien, musiciens et danseurs peuvent s’accompagner ensemble, ou pas.

Peut-être d’avantage « s’accom-poser » ensemble.
Ils partagent ces étendues mémorielles, ces territoires d’impressions et d’expériences
accumulées et sans cesse rénovées par la fraîcheur de l’Instant.

Chacun d’eux, par son habilité, à la fois, s’amuse mais en même temps, se laisse traverser, et écoute intuitivement à la fois le chemin du son dans l’espace, dans l’instrument, dans le corps.
Plus habilement, l’artiste peut sentir les lieux du corps touchés précisément par le son via son impact, ses rebonds, ses pauses, sa texture, sa vitesse, ses élans, ses surgissements, son intensité́, sa qualité́, sa disparition, sa résonance, sa circulation, son enjeu sur nos cellules, nos mémoires, nos émotions, nos réservoirs enfouis.
Il peut juste se laisser toucher.
Le musicien ou danseur peut parfois même sentir les particules d’énergie(s) modifier l’espace et notre présence.
Il compose avec l’invisible.

Le corps et toutes ses couches et composantes – peau, tissu musculaire, liquides, organes, systèmes lymphatiques endocriniens…, rythmes internes, état, température, accueillent le son.
Le corps (bien entendu celui du danseur, mais également celui du musicien) est un résonateur, un canal au travers duquel le son circule, active et transforme notre présence.
Le danseur écoute comment le geste qui en découle, se place, s’invite dans l’espace au même titre que la note, que le son.
Comme un son gestuel, un son silencieux.
 
 

Contemplation et écoute de l’espace sont au cœur de l’improvisation.

Contemplation et écoute de l’espace sont au cœur de l’improvisation.
 
 

Attention portée, avec ce regard d’enfant, sur les phénomènes
 

La force de la confiance
 

Un corps paysage, un corps espace, un corps résonateur et résonant, un corps d’écoute.
Un état organique, sensible, poétique et un espace de création
 

Comment l’espace, nous offre la possibilité́ de créer, de transformer, d’être transformé.

Comment nos présences (musiciens, danseurs, publics) modifient l’espace, l’architecture, le son, l’atmosphère.

Et enfin, comment le dialogue entre le(s) corps et l’espace même s’établit.
Comment l’écoute, activée en chacun, transforme l’espace et par là même la composition.

L’écoute est à l’origine de la composition.
 

Comment, par cet accord organique, intuitif, sensible, musiciens, danseurs, poétes de l’instant, saisissons des phénomènes qui sont en train de se manifester, en même temps que surgit le sens, le sens de l’inattendu, de la composition, de la découverte et de l’écriture.

En tant que « performeuse » et artiste de la danse en composition instantanée, il m’intéresse ici de juste partager ce qui m’est apparu au sujet de la relation entre musique et danse, son et mouvement. Le mouvement dansé comme étant un mouvement sonore silencieux, une énergie dont la trace est invisible, mais saisissable par l’écoute portée. Et que le mouvement sonore est une trace audible, mais aussi un geste porté, issu du corps.

L’écoute est commune.
Elle est au milieu
 
 

Il y aurait tout un inventaire de correspondances évidentes, et sophistiquées relatant les particularités du son avec les particularités du geste : les complémentarités, les similitudes, en prenant en compte aussi les caractéristiques de l’instrument (sa forme, son matériau, sa résonance, son poids, sa maniabilité́ ou pas, sa texture, son origine, son utilisation, son son, et le son que chaque musicien crée et laisse s’exprimer).
 

Il y aurait aussi tout un inventaire possible de « scores » de sortes de codes qui nous permettraient de jouer ensemble. Mais cela fait partie plutôt du travail, de l’apprentissage, de la discipline que chacun raffine au quotidien dans son art.
 

Avant tout chose, c’est la question du phénomène qui se manifeste qui m’intéresse et comment l’écoute et la contemplation sont au cœur de ces manifestations avec lesquelles nous jouons ensemble pour composer dans l’instant.

C’est donc sur le comment nous pouvons porter notre attention sur ce qui nous est commun, notre terreau d’entente : notre présence, notre écoute, notre corps et l’espace

Et c’est juste un moment où nous allons ouvrir nos champs d’écoute. Et accueillir ce qui est en train de se vivre, en tentant de mettre de côté́ nos représentations, nos attentes, nos aprioris.

Mon corps laisse émerger la pensée, une connaissance, une re-connaissance.
Mon corps présent, mon corps dansant. C’est un jeu de mots et de corps qui s’expriment ensemble ici.
Mon corps conscient ou plutôt la conscience ou les consciences en mouvement dans mon corps accueillant.

Ce n’est pas une conférence à proprement parler, ni un atelier, c’est une autre forme que je ne saurai nommer. Vous devenez auditeurs, spectateurs, acteurs tout à la fois.

C’est donc une expérience de l’écoute, de l’attention portée. Du regard aussi.

Une tension vers

Un fil tenu, tendu et souple à la fois, vers ce qui se manifeste en soi et autour de soi, et de repérer, de noter peut-être ce qui est en train de se passer, tout en laissant émerger pour chacun cette question de la relation : danse et musique dans sa propre expérience.
 
 
 

L’espace entre soi et le monde.
Cet espace vivant, vibrant de l’entre, du milieu, de l’ouvert.
 

L’espace que nous partageons simultanément, danseurs musiciens, improvisateurs – poètes de l’Instant, de l’Instant fulgurant, du pas-sage du temps.
Temps- traversées
Espace de liberté́, de conquête de chaque instant – rafraîchies
Espace de dignité́ et de responsabilité́.

L’espace de l’écoute et de la contemplation offrant et partageant ensemble l’apparaître d’une manifestation qui survient en même temps.
Pré – ce qui précède – naissance, apparition, surgissement, déploiement, disparition d’un évènement (sonore, gestuel, ou autre) résonance – résonance de la résonance, saisis par notre perception et notre conscience.

L’écoute est commune.

Elle est au milieu
 

Être au milieu
Être au cœur
Être en relation

Nous sommes des êtres de relation et nous ne pouvons faire autrement que d’être en lien. En lien avec notre environnement, dont nous faisons partis intégrants.
Nous sommes un lieu, un espace dans un espace élargi : le monde
Un point au milieu d’une étendue
Un détail dans une globalité́
Un petit « tout » dans un corps sensible,
Un lieu de passage
de traversées
Un territoire unique s’osant à accueillir
et partager, par le jeu du sensible
Un espace commun où le geste, quelque que soit sa forme (dansée, sonore, picturale) est projetée de l’instant et s’inscrit dans une écriture radicale et éphémère.
Une écriture de l’ensemble – de l’unité́.

Notre corps est une étendue d’écoute, de vies, de palpitations, de pulsations, de battements, de flux incessant. Nos cellules se renouvellent sans cesse en même temps que d’autres meurent. Apparition et disparition tenues ensemble.
Nous sommes composés de rythmes, de larges oscillations, qui résonnent d’avec le monde. Un paysage intérieur sonore et, impulsé par ce battement vital, un souffle irradiant dans tout notre corps, qui à son tour résonne de notre être, de notre histoire, de notre identité́, de notre culture, de ce qui nous constitue.
Flux et reflux.

Transformation(s)
Trans-mutations
 

L’espace en nous écoute le battement du monde, et l’espace nous écoute
Porosité́.
C’est déjà̀ un dialogue silencieux, comme en sourdine –
une « respiration » universelle, connue et reconnue par chacun d’entre nous.
Un mystère aussi.
Une friction irrémédiable de l’inconnu et du connu.
Et c’est avec ça, que nous évoluons, que nous composons, que nous improvisons. L’insoupçonné́.

Nous découvrons et raffinons notre Sentiment de l’espace
à chaque fois !
Nous actualisons dans l’espace-temps du présent, avec pourtant tout ce que nous détenons, ce que nous savons de nous-mêmes, ce que nous ignorons. Nous jouons entre à la fois reconnaître, oublier, mettre de côté, faire abstraction, inhiber, renouveler, innover, construire et « dé-construire ».

Nous naissons dans l’environnement, nous survivons et vivons de cet environnement, de cet air. Nous respirons le monde dès notre arrivée, nous nous adaptons, et nous faisons preuve d’une grande inventivité, pour entretenir cet espace de rencontre, créer au mieux possible un juste équilibre d’une unité d’avec le monde et d’une distinction.
Un dialogue de l’altérité

Notre corps respire, inspire, expire, fait des pauses naturelles. Nous nous laissons inspirer, nous nous laissons expirer, nous nous laissons nous déposer dans notre silence.
Notre pulsation interne bat au creux de notre monde, bat vers le monde, bat du monde, bat simultanément et en résonance d’avec le monde…
 
 
 

L’espace nous offre l’écoute
L’espace est écoute
L’écoute est espace
L’espace invite
L’espace dévoile
 

Nous co-habitons ensemble avec l’espace, des inséparables – indéniablement. Nous, danseurs-musiciens, improvisons à partir de cette co-habitation.
Nous prenons en considération les composantes du milieu : l’humeur, les couleurs, les formes, la lumière, les trouées et remous de l’air, l’énergie, les odeurs, les matières, les sons, les êtres vivants, les souffles, les frottements, les déplacements, les plantes, les animaux, les humains, les minéraux, les objets, l’invisibilité, les présences-absentes, les mémoires, l’architecture sont de riches supports, plutôt de véritables partenaires à notre composition. A nos improvisations. Impropositions, impromptusition, position- com
Perception large et subtile.
Nous nous tenons au courant.
Nous nous laissons porter par le flux. Et nous nous tenons prêts à jouer des apparitions-disparitions.

Origine du surgissement d’un geste premier, source sonore ou/et dansée, propagation, rencontre, conditions du milieu, l’écriture instantanée se révèle dans cette complexité simultanée.
Ce n’est pas une relation binaire (parfois oui) – musique et danse, son et mouvement, mais ternaire voir à quatre temps, même expansive-dilatée-contractée : espace artistes publics ensemble tendus dans (vers-avec-pour) l’écoute.

C’est aussi une relation du lointain, et du proche, de l’Ici et de l’Ailleurs, en lien avec la pulsation souterraine au travers de la gravité, et de l’air.
Un ici et maintenant d’avec le jadis et l’ad-venir.
Un air du temps !
À contre-temps
 

Et notre présence (ce corps présent), résonnante de cette diversité́, à son tour transforme ce qui nous entoure.
Récepteur émetteur à la fois
transmetteur – transm-être
Aller retour – dedans dehors –
Mouvement concentrique et excentrique
Dilatation rétraction expansion
Fabuleuse et naturelle vie de la cellule.
Battement physiologique
Expression du vivant.
Organicité de l’écoute.

Dévoilement du sens par l’écoute.
 

L’écoute est une activité, une capacité qui nous est donnée, un mouvement en soi, un éveil, un acte, une saisie de ce qui est.
Un état         de non vouloir.
Être prêt à.… être tendu vers !
À l’affût, un aguet

Un état d’être soi, hors soi, simplement, disponible à ce qui émerge, arrive là et s’enfuit presque aussitôt. Il y a déjà dans l’apparition sa disparition. C’est notre attention qui la rend vivante, réel à nous-même, existante dans l’espace, élément de composition. Le surgissement et son voyage dans l’espace devient entité, matériau de l’écriture fugace laissant en même temps révéler la matière du temps.
 
L’écoute nous permet à nous, entre autres, artistes, de créer, et de pouvoir saisir ce qui se manifeste, au plus profond de nous, en dialogue avec l’environnement, en lien avec le monde (ou/et une idée, un paysage, une personne, une émotion, une situation, un événement, une nécessité, une absence, un questionnement, une impulsion, une vague intuition, des réminiscences un quelque chose qui nous touche ou pas,
 
a mystery, an “it”, a question without answer).

Un plaisir pur.
 

Nous composons avec, dans, autour, à l’invitation du milieu dans lequel l’improvisation se dévoile.
Tout est là, à portée d’oreille, à fleur de peau, à juste prêt à, juste l’être-là
Agilité intuitive et cognitive, vivacité d’une conscience activée par l’écoute pour capter ce qui est, ce qui se pressent avant même la manifestation, dans l’air. Silencieusement, au travers d’une pulsation souterraine et aérienne déjà là, musiciens danseurs – poètes de l’instant, nous nous pré-disposons à procéder intuitivement à un état des lieux immédiat. A laisser venir à notre conscience et notre perception l’état d’esprit

de cette écoute du silence, ouvrant l’espace

Que nos corps disparaissent (ou du moins la sensation de notre corps) pour ne laisser apparaître que le phénomène de l’essence du son, de l’essence du geste au travers de nos actes créatifs et donner existence à ces jaillissements joyeux : les pièces improvisées.
Les uniques écritures poétiques de l’Instant et de l’Espace, qui s’offrent au vide et disparaissent aussitôt, ne laissant dans l’air, qu’une Unité évidente, un accord irrationnel et mystérieux ou peut-être grâc(e)ieux.

Ces enchantements insaisissables, saisissables et disparaissables, rejoignant dans le même moment, en un sourd cheminement en nous, un lieu de notre corps. Tels les songes se glissant vers d’autres zones du cerveau.
Transmutation physiologique d’un ailleurs, d’un « ça » mystérieux et délicieux qui nous crée nouvellement, à chaque expérience prégnante.

Des migrations de mémoires-vivantielles qui nous deviennent, nous animent, nous ramènent l’ailleurs dans les tissus de nos corps, nous déshabillent et nous rhabillent. Car n’est-il pas une mise à nue si nue que de se dépouiller de ce qui nous fait, pour nous laisser « porositer » d’un mystère innommable, nous laisser bouger par ce qui échappe et nous saisit ? Nous laisser devenir un autre-soi sans se perdre non plus.

Sans perdre pied, mais toujours en laissant frôler-frolattrer en nous cette folie, cette fantaisie irrationnelle permise ici dans le maintenant de l’écoute large, dans ce jeu d’enfant grand.

Métamorphose
 
 

 

Partie 2 :
le son – l’écoute – le geste
dans la composition instantanée
une phénoménologie du corps sensible

Comme le monde est large
Et comme notre écoute peut être infiniment grande et raffinée
C’est une disponibilité
Un état
L’écoute est un acte
Un acte de présence

Ici, l’architecture spatiale, sonore.
Le paysage, le milieu avec ses particularités, ses composantes.
Un espace précis, situé, dans un espace-contexte, plus large

Considérons le tout
Le lieu même, ici et maintenant :

  • La salle ou l’espace de jeu (avec les présences sonores, olfactives, tactiles, visibles, invisibles, humaines)
  • Et l’espace élargi, l’étendue : plus loin que la salle (le village, les montagnes, les rivières, reliées au paysage d’ici qui s’étend jusqu’à la mer, jusqu’aux autres continents, le proche relié au lointain par la terre, par l’air)

Et revenons ici et maintenant
Dans le présent
Pour apprécier littéralement ce qui est
Ce qui se vit
Écoutons cet espace
Écoutons cet espace nous bouger Dans l’immobilité́
Écoutons le phénomène

Laissons nos sens s’éveiller. Nos cellules adorent ça
Elles sont joyeuses lorsqu’il est laissé la place au corps d’écouter
Attention douce portée sur l’instant
Laissons les sons nous parvenir
L’espace entre les sons
L’espace entre les silences
L’espace du silence composé de sons
Les sons entourés de silence
Les sons proches, lointains
Écoutons le sens (insensé) se révéler du silence
Se soulever de lui-même

Écoutons notre respiration, nos battements
Écoutons nos rythmes au milieu des sons architecturaux, de l’espace
Écoutons les mouvements de notre Vivant

Écoutons l’autre, les autres, dans l’espace, en train d’écouter
Écoutons l’écoute

Écoutons le tout comme une large partition de sons qui cohabitent ensemble
Qui participent ensemble
Et,
Notre présence au cœur
Notre attention tournée, activée

Qu’est-ce que ça change
en nous
Dans l’air
Dans l’atmosphère
 
 
 

Le corps est présent
Par là même notre conscience
Présence _ Participation
Nous actons, plus que nous sommes acteurs
Nous participons d’avec ce que nous sommes
Et nous sommes différents
De ce fait, nous participons différemment d’avec notre écoute
Et notre regard sur le monde est différent
Notre écoute est variable
Selon chacun, selon notre humeur, notre état, nos émotions, les conditions etc.
Notre propre écoute est sans cesse en train d’évoluer
Et notre regard sur le monde évolue en nous
Malgré nous, en dehors de nous-mêmes
Nos gestes se modifient
et comme nos écoutes sont si différentes, danseurs, musiciens, improvisateurs, nous nous enrichissons de cette diversité. Le partage est une des saveurs de l’improvisation. Nous goûtons à ça.

Pourtant nous avons des résistances, des habitudes
Et c’est en tentant de nous éloigner de nos résistances, de nos attentes, que nous pouvons accueillir, innover, oser, nous étonner

 

L’improvisation est l’expérience de la découverte.
Nous découvrons la découverte en même temps que nous nous découvrons.
L’improvisation est l’expérience du dévoilement.

C’est très dynamique
nous devons être vifs, agiles, et tranquilles pour « survivre » à cette fulgurance, à cet éphémère.
 

Nous osons cette vulnérabilité́, cette force fragile
cet intime délivré́ à l’espace
ce retentissement lointain jusqu’ici
cet état présentiel
phénoménal
 
 

le moment de la composition

Une embarquée
C’est déjà̀ un mouvement en soi
Qui dit mouvement dit changement
Changement
Présences     absences
Mobilité́     immobilité́
Sons     silences
Le vivant
La manifestation du vivant

La danse est l’art du silence en mouvement
La danse est l’art sonore inaudible
La danse est l’art du geste de l’écoute
La danse est la musique de l’élan intérieur
La danse est la calligraphie de l’espace, dessinant et sculptant des paysages invisibles
La danse est la capacité de laisser vivre l’espace entre
Entre soi et l’espace autour

La danse, en composition instantanée, c’est comme laisser vivre l’espace du vide
L’espace du rien

Le sourd retentissement

La musique est l’art du silence en vibrations audibles
La musique est l’art du mouvement sonore
de la modulation visible et audible en même temps
La musique est l’art de l’écriture de l’écoute
La musique est la voix de l’élan intérieur
La musique est cette respiration large calligraphiant l’air, dansant avec lui
dessinant des paysages sonores et invisibles
elle s’écrit dans l’espace
elle le sculpte

Danse et musique se situent là

ensemble, ou plutôt en même temps

sans pour autant « jouer harmonieusement ensemble »

Danse et musique jouent ensemble ici de l’évidence
 

Et
laisser apparaître
L’émergence d’un inconnu
D’un étonnement
Se laisser traverser
Capter

Saisir

Imaginer

Construire déconstruire
 

Composer

Ré inventer un espace nouveau
 

Une poétique de l’instant
 
 

Pour cela, c’est une expérience sans cesse renouvelée
elle se partage, se nourrit en multipliant les possibles

des désirs, des rencontres, des rêves, des intuitions, des aspirations, des affinités, des élans du cœur, des conditions fortuites ou aléatoires, des contextes, des âges.

aucune fixité
rien n’est dans le figé

Composer dans l’Instant suscite une capacité à stimuler nos sens, notre perception, notre imaginaire, notre fantaisie, nos sentiments, nos pensées, nos émotions, nos concepts, notre intuition, nos rêves, nos désirs, notre savoir, nos idées pour créer.
 

Écrire dans l’instant suscite une adaptabilité à ce qui se présente, se pré-dispose.
 
 

Une disponibilité à être
Sans attente du résultat
Mais simplement se laisser entrainer par le voyage du mouvement qui est en train de se manifester (mouvement sonore, pictural, musical, corporel, vocal, visuel, etc..) et le saisir en même temps, avec pour visée peut-être celle d’élaborer une composition.

Être dans le processus même et écouter ce processus en train d’exister
Contempler
La danse est une contemplation
Une méditation dynamique de l’esprit et du corps présents

La musique peut être une écoute de cette nature-là,
une écoute « réversible », écoute miroir presque
Danse et musique se regardent, s’observent, s’apprivoisent, se distancent, se rapprochent, co-habitent, s’accordent, ou pas
elles vivent ensemble dans une écoute contemplative, au cœur et avec un espace.
 
Nous ouvrons un espace en nous-mêmes, et autour de nous ; nous invitons l’espace même à rencontrer notre espace interne, et à laisser notre espace interne résonner dans le monde.
Et
écouter la résonance de la résonance
L’écoute de l’écoute
C’est peut-être ça « créer dans l’instant »
C’est une expérience de ce qui échappe
Une traversée, se laisser traverser,
Subtile expansion de l’ouvert
 
Accueil de l’inconnu
Reconnu
Se sentir acter
Responsabilité de participer à l’œuvre qui est en train d’exister
 
Nous sommes là, juste un élément parmi d’autres éléments, un paramètre vivant parmi le tout, nous sommes des êtres conscients de ce qui se crée.
 
Humilité
Humanité
En dehors de toute hiérarchie,

Danseurs et musiciens nous nous tenons ensemble sur une ligne ou un point, qui se dilate et se soutient d’avec la gravité, d’avec l’air, d’avec l’univers.

Lignes et ondes expansives vers un infini
Constellations mouvementées.
 
 
Pour cela, danseurs et musiciens laissons ouverts les possibles du moment

–    nous partons de notre corps
 
–    nous faisons l’état des lieux en repérant ce qui est autour de nous, en nous rencontrant
 
 
C’est un bonjour
Une sorte de salutation
 
une reconnaissance du Vivant
gratitude de l’instant
 
le corps : véritable cartographie

une architecture à lui tout seul
un paysage sonore audible et non audible un corps rythmique
un langage infini
un territoire immense
en renouvellement
un monde à part entière
un phénomène<:p>

l’espace sonore : véritable cartographie

une architecture à elle seule
un territoire immense, sans cesse en changement
en renouvellement
un monde à part entière
un paysage
un phénomène

la rencontre : l’interaction est immense

le champ des possibles infini
les variantes aléatoires
les compositions multiples
les accords probables et improbables
les gestes insoupçonnés- inimaginables
les correspondances (ou pas) spatiales, temporelles, énergétiques, émotionnelles, culturelles démultipliées.
Les accompagnements variés
Le champ acoustique élargi
 
 

Comment, peut-être, mieux se saisir de ce qui est à portée
 

L’écoute
l’espace de rencontre entre le monde interne – notre corps – et le monde externe, ici, le paysage sonore- gestuel
 
–   l’écoute interne
en relation avec le son
 
–   le corps
 

Je tente ici, par des « paramètres » qui m’apparaissent fondamentaux mais non exclusifs, de proposer une sorte de décryptage de comment le corps/esprit se mettent en jeu pour créer dans l’instant en lien avec cet espace (sonore)
 
Je cite ici d’une manière très succincte ce que chaque paramètre peut entrainer et stimule comme capacité à être en lien avec cet environnement :
Je pars de la constitution du corps physiologique et anatomique d’abord, des capacités pour s’étendre vers notre esprit, nos sentiments, notre affectivité, notre créativité
 
–   l’oreille, la peau, les muscles, les os, les articulations, les sens, la perception, les sentiments, l’imaginaire, la fantaisie, la contemplation et la poétique
 

L’oreille : sens de l’audition architecturé en forme d’entonnoir spiralé, laissant passer les sons, sous forme de percussions et vibrations dans le conduit auditif, vers le cortex, par des impulsions électriques ; toute une terminaison nerveuse communique, traduit et reconnaît les informations venant du monde externe
 
l’oreille : centre de l’équilibrage – oreille interne
 
Nous nous tenons en équilibre par l’écoute
Entre équilibre et déséquilibre constant
 
Vacillement de l’écoute
Une danse musicale infime qui chuchote en nous les secrets de la gravité et de l’alliance de l’air d’avec la terre
 
L’oreille : petit récipient, creux, dans lequel se loge un liquide. Ce liquide accueille les sons. Il est transvasé et sans cesse en quête de retrouver l’horizontalité. Pourtant, dès que le corps bouge, le liquide est ballotté, presque un renversement en soi. L’écoute est sans cesse renouvelée.
Inconstance permanente
Dès que nous bougeons, nous offrons à notre oreille une multitude de nouveaux possibles. Oreille et niveaux de l’espace jouent ensemble. On n’entend plus de la même manière allongé, debout, assis, à quatre pattes, en sautant, en pivotant, en écoutant.
 

la peau : membrane poreuse, laissant traverser les particules de l’air, les filtrant, les écoutant.
La température, l’oxygène, l’humidité, l’atmosphère, les matières, les vibrations, l’humeur dans l’air sont captées par elle
La peau relie et sépare du monde externe
La peau frontière – lisière offerte
La peau matière vivante et sensible
En éveil permanent
Frissonnante
 
À l’écoute vibrante
Activité de la peau
La peau écoute le monde dans lequel notre corps se meut, se ressent
Où notre présence a lieu
 
L’écoute par la peau, dans le corps, dans mon corps dansant, stimule une écoute en douceur, ronde, vaste. La peau qui écoute s’élargit de partout, tout autour. Elle enveloppe. Elle caresse, elle effleure, elle glisse, elle traverse, elle s’étend à son tour, se rétracte aussi, elle adoucit les tissus du dessous, elle enrobe le monde, elle s’arrondit du monde ;
Elle s’accorde
Elle s’ouvre et accueille même ce qui est « désagréable »
La notion d’agréable et désagréable est mise de côté pour laisser la place à l’acceptation de ce qui est
La peau laisse le voyage de la vibration du son pénétrer jusqu’à elle
Elle l’accueille sans a priori
La peau reçoit
Simplement
Elle invite le monde du dehors à se glisser, à entrer dedans, à être filtré aussi
 
L’écoute par la peau est celle de l’écoute de l’enfant. Dans un étonnement doux, naïf
 
Elle est subtile
Elle décèle les recoins
Elle reçoit le moindre son, même inaudible
Elle touche l’invisible et est elle-même touchée par cet invisible
 
 
Le corps immobile et le corps en mouvement
L’un en statique apparente
L’autre dans une mouvance qui change l’appréhension du monde autour
Le corps entrainé dans l’espace déstabilise l’écoute, la modifie, la dynamise.
Tout va très vite. L’écoute est dynamique et s’amuse de ça.
   L’oreille interne s’adapte sans cesse, la peau prend le relais au retard de l’équilibre
La peau nous soutient, communique sans cesse et crée le passage entre dehors et dedans
Les sons la percutent, la font vibrer, la caresse
La peau peut se rendre disponible (bien-entendu selon la capacité de l’esprit à accueillir et être prêt à…)
L’oreille parfois non
Les oreilles ne portent pas de paupières comme les yeux
Elles ne se ferment pas mais toutefois, même constamment ouvertes-offertes, si l’attention de notre esprit n’est pas participative de l’écoute, alors nous pouvons faire abstraction de certains sons.
Et même parfois, avoir le sentiment de ne plus rien entendre.
 
L’écoute par la peau se faufile entre son et silence
Elle fait office de liant
C’est un continuum d’écoute
Elle est large cette enveloppe et la largesse du monde la reconnaît
Ils explorent ensemble l’immensité
Une sorte de totalité
L’écoute de la peau est globale
Même si parfois un son touche une zone précise, un détail du corps global, très vite tout le reste est touché
Il y a une immédiateté
Elle est comme l’onde, elle irradie
L’écoute par la peau est comme une eau, un flux
L’écoute par la peau propose d’emblée le double mouvement : ma peau touche le monde, et le monde est touché.
(Je suis touchée du monde qui est touché !)
 

La peau, organe, écoutante, renvoie à son tour à l’espace-autour : une énergie ; la chaleur du corps se modifie, et les particules d’énergie du corps se propage à l’air. L’air écoute la peau, il reçoit les informations et se re constitue d’elles.
L’air est le liant avec les objets, avec les instruments, avec les musiciens, avec le son
L’air est l’espace même
L’espace écoute notre présence, les présences
Les sons voyagent dans l’air sous forme de particules en vibrations
Les vibrations viennent jusqu’à la peau,
Les vibrations énergétiques du corps voyagent dans l’air et rencontrent les vibrations du son
Les vibrations entre-elles se rencontrent
Le son écoute notre présence
Notre présence transforme le son
Comme le son transforme notre présence
Aller retour
Dialogue permanent qui parfois nous échappe
Le corps, lui, reconnaît
Connaissance innée
reconnaissance tactile, vibratoire
dialogue invisible
dans l’air
du temps
à fleur de peau
à fleur de matière sonore
à fleur d’air
l’écoute affleure
affleurer : apparaître à la surface
 

Les muscles, écoutants de l’espace

Masse profonde du dessous
Les muscles s’étirent, se contractent, répondent aux informations des ligaments, des terminaisons nerveuses, en soutient d’avec le squelette, via les tendons, ligaments, fascias.
L’écoute est plus profonde, plus pénétrante
Elle est dense
Épaisse, extensible, maniable, élastique
L’écoute là encore est dynamique, mais peut offrir une autre temporalité que l’écoute par la peau.
Là, les sons parvenant jusqu’à eux, ont déjà eu le filtre de la peau, et sont comme impactés. Les sons rebondissent, percutent, pénètrent, se diffusent en suivant les stries profondes, les ridules ouvertes. Les sons sont pétris, malaxés, comme atomisés. Ils sont comme entourés des milliers de fibres musculaires, parfois ils sont comme retenus prisonniers en un lieu.
L’écoute par la masse musculaire est comme une absorption vers les tréfonds indicibles.
Elle offre à la danse une empreinte sonore et tissulaire silencieuse, dense.
Elle donne à goûter au détail, à la masse, au plein d’une zone, par l’impact du son, habitée de l’étrange, de l’inattendu.
L’écoute par la masse musculaire échauffe, elle est charnelle.
Peut-on parler d’une écoute charnelle ?
La peau : écoute subtile de l’invisible
Les muscles : écoute charnelle
Le squelette : écoute structurelle et résonance

Les fascias, écoutant de l’indicible

Ramifications multiples et aquatiques, les fascias sont un circuit subtil et incroyablement riche d’une multitude de chemins, alternant filaments et capillaires si fins, avec des « gouttes en creux », où l’écoute se faufile, s’attarde, fuse, à une vitesse insoupçonnée, une vitesse proche de la lumière, une écoute lumineuse et radiante.
Elle échappe à la rationalité et à la maîtrise.
L’écoute par les fascias est une dentelle de lumière.

Les os, le squelette, écoutants de l’espace

Architecture sophistiquée, charpente solide et souple à la fois, elle nous tient debout
ou pas
Elle est complexe et propose des lignes, des segments, des courbes.
L’écoute par les os offre la résonance au plus profond de nous.
Les os accueillent les percussions, les vibrations et les font voyager dans les creux, les interstices du spongieux de la constitution des os, pour les dissoudre, les absorber, les « réverbérer » ailleurs dans le corps.
 
L’écoute par les os vise le noyau de la cellule
 
Le squelette est comme une chambre d’écho du silence résonant
Un lieu dense, d’une intensité atomique, nucléaire
Les sons extérieurs rencontrent là, en profondeur nos sons internes
Ils communiquent entre eux et se reconnaissent, se découvrent
Ils parlent un langage commun, atemporel
L’écoute osseuse est atemporelle
elle est implosive aussi.
 
 
Elle peut s’attarder là
L’écoute peut s’étendre dans l’immobilité
éternité éphémère de l’écoute immédiate
 
Elle pourrait durer
 
L’écoute osseuse est relayée par le jeu des articulations et des ligaments, des nerfs ainsi que les liquides et les organes.
Sans eux, elle ne parviendrait pas à conquérir les os, ni à voyager ailleurs, dans le corps et même au-delà du corps
Là encore, tout un réseau de communication d’un raffinement sophistiqué.
un rhizome, des racines, des tubercules
des ramifications de la peau à l’os partagent l’écoute, la diffuse, la clarifie.
L’écoute par les os est limpide, sans concession
presque brutale, archaïque.

La colonne vertébrale

Structure interne profonde, tige flexible tel un bambou humain flottant au dedans
Ligne souple, serpentant à l’intérieur de nous-mêmes
Ses courbes douces nous offrent des possibles – multiples
Flexibilité
Directions, extensions, flexions, rotations
C’est formidable
C’est là, à portée
Elle ne demande qu’à
Même si elle peut être tordue pour certains, figée, cassée, ou encore fragilisée, elle sait se mouvoir par l’attention qu’on lui accorde
Elle est déjà une danse interne, profonde, infime qui se déploie au travers du corps, dans l’espace
 
Et puis, elle est elle-même constituée d’espace,
Espace entre les vertèbres,
Disque huilé avec en son cœur le noyau
Telle la cellule
Une petite bille précieuse qui roule, s’ajuste aux moindres de nos mouvements, même touts petits
C’est pour ça qu’il est toujours possible de bouger, de danser, même si ce n’est pas visible
C’est un doux roulement, jeu de glissement perpétuel

                        Une colonne vertébrale elle aussi composée de plusieurs éléments, intelligemment organisés, de forme différente, de taille différente,
Ici, on découvre toujours d’autres possibles
L’écoute permet de suivre le mouvement de la colonne
Cette flèche aux deux extrémités
Le coccyx pointant vers le sol, tel un fil à plomb, jouant avec la gravité
tel un pendule repérant l’advenir à partir de notre longue ancestrale historicité, cette vertèbre qui fut un jour jadis une queue
Et la première vertèbre érigée à l’arrière du crâne
Élégance de la ligne courbe et verticale
Posture digne de nos ancêtres qui se sont dépliés, déroulés, avec force et fragilité, tel les jeunes branches des fougères, vert tendre, ballottées par les intempéries au milieu d’une forêt dense
La colonne – trait d’union entre la partie supérieure et la partie inférieure du corps Communication entre le haut et le bas
 
Elle visite l’espace du dedans en laissant se dessiner une forme du corps reliée à l’espace
Tracés des lignes
Calligraphie vivante – trait pur, unique et universel
Architecture humaine dans l’architecture de l’espace
 
La conscience de la colonne propose la clarté de là où on se situe
Elle nous met en lien, du plus profond vers la surface, l’environnement, l’autre L’écoute par la colonne est cet élan dressé vers le ciel et ancré dans la terre
l’écoute est élancée
en inconstante stabilité dynamique
double mouvement du haut et bas qui jouent ensemble
dans une flexibilité multi-directionnelle
l’écoute est là de tous côtés
une écoute aux aguets
oreille et colonne reliées ensemble dans cet instinct primaire et primate ramifications nerveuses et colonne raccordées ensemble de la périphérie à la profondeur humaine

Les articulations, écoutantes de l’espace

Les articulations et l’autour, sont le lieu de passage
C’est l’espace vide (mais toujours plein)
L’espace de liberté
 
Mécanisme, rouage, glissements, liquidité, là encore nous assistons à un véritable jeu d’emboîtement, de ramifications, de connexion, de rythmes. Un réseau parfait de communication.
Les espaces-mêmes écoutent
Ils écoutent, relayent, permettent la circulation du mouvement, le voyage de la vibration.
Un espace ouvert en soi
Un lieu d’écoute fine, et complexe offrant une multitude de possibles, de nouveaux chemins à emprunter
Les sons sont entraînés comme un flux, ils jouent dans l’attente joyeuse du mouvement suivant, ils séjournent juste le temps de trouver une nouvelle voie à emprunter.
 
L’espace articulaire est le lieu sensible d’une écoute empreinte de liberté
L’écoute de l’ouvert, des possibles
Il y a là des écoutes et l’écoute de ces écoutes
Une écoute très subtile et joyeuse
une écoute troublante et saisissante
car, le moindre tout petit mouvement provoque un grand bouleversement et c’est beaucoup d’émotions à ce moment-là de l’écoute
il y a tant de possibles, tant de mystères, d’inattendu
l’écoute au travers des articulations est déroutante et pourtant si savante.

Les organes

Cœur battant, valve pulsation, lenteur du foie, acheminement des intestins, filtre des reins, reproductions de l’appareil génital, rate, aération des voies respiratoires, ouvertures fermetures, tri, l’écoute est ici rythmique, involontaire, primaire, ancestrale et actuelle.
  L’écoute des organes vient rencontrer le lointain passé, le Jadis d’avec le présent.
L’écoute rejoint celle des cellules.
L’écoute est mémoire présente.
 
Mémoire cellulaire et mémoire à venir semblent dialoguer là, au creux de cette écoute très basse et humide, presque basique, primale. Primordiale.
 

Les liquides

Un océan en soi
un océan d’écoute constitué de flux et de marées
de cycles et de changements
de rythmes et de couleurs
bleues, rouges, transparentes
des méandres incandescentes, phosphorescentes, lumineuses
des lacs et des rivières, des veines et des artères, du plasma et du liquide intercellulaire, matrice extra cellulaire, liquides des interstices, des creux et des pleins, des infiltrations et des recoins, un paysage foisonnant et organisé ensemble,
des liquides qui s’oxygènent, se purifient, se filtrent, se transforment, s’expulsent, se régénèrent, se salissent, s’éclairent, se diluent, s’épanchent, stagnent, s’infiltrent, se logent, se répandent.
   L’écoute par les liquides et leurs véhicules est une écoute mouvante.
Les sons y sont étouffés, dilapidés, absorbés, transmutés, incorporés, ballottés, épanchés déménagés, « résonnés », réverbérés, impactés.
   L’écoute est fluctuante. Elle se joue de notre adaptabilité. Elle est un mouvement instable avec lequel nous savons faire un continuum de flux incessants
un mouvement si ancien,
un mouvement du corps humain, un mouvement du corps vivant, un mouvement des océans et des premiers vivants et survivants
l’écoute est ici primordiale
matricielle
elle provoque des marées d’errance et de sauvetage
des résonances désarçonnées
des gestes d’un jadis actualisé de ce que nous sommes aujourd’hui
un océan d’écoute que la peau retient, inhibe et qui pourtant se laisse entrainer par le flot des humeurs de l’extérieur.
L’air est alors un bon compagnon pour atténuer ces marées de mouvances et de résonances
le son venant de l’extérieur s’y aventurerait-il sous l’apparence d’une peau presque tranquille ?
Le danseur se tient là, au bord de ce tsunami, avec lequel il navigue, son écoute pour gouvernail.

Les veines, artères, capillaires : réseaux de circulation, communication

  Toute une complexité de ramifications qui irriguent nos muscles, fascias, organes, peau, de liquides colorés. L’écoute en est raffinée et flottante ; presque une écoute en
flou !
Une sorte d’écoute vague, tout en remous, en flux et reflux. Une écoute marine, une lave épaisse et fine selon les passages.
 
L’écoute est comme multiple, elle est de partout, « désorientée », en errance presque
Et pourtant si organisée.
Écoute mouvante.
 
Remous de l’écoute

Les nerfs :

une arborescence de filaments lumineux, du tronc vertébral à la surface de la peau, parcours électrique, à une vitesse vertigineuse.
 
L’écoute est indomptable, presque réflexe. Le mouvement est animé sans que la pensée n’ait le temps de le voir ni arriver, ni passer. C’est déjà fini.
L’écoute est presque atomique, si rapide.
L’écoute de l’instant instantané !
T

Nos sens, écoutants de l’espace

Éveillés par ces écoutes, nos sens sont stimulés à recevoir plus encore
Ils sont gourmands !
Synesthésie, nos sens se parlent entre eux, tantôt plus en éveil, tantôt s’épousant l’un avec l’autre, tantôt se distinguant, tantôt encore laissant apparaître des formes, des flux d’énergie.
 
L’ouïe n’est pas l’unique concernée (je porterai l’accent aussi sur le regard vers le geste)
A partir du moment où nous nous laissons toucher, le sens du toucher est touché !
Dès que nous bougeons, le monde bouge autour de nous et le regard est changé. Dès que nous écoutons, nous goûtons à notre pleine présence ici et maintenant. Nous savourons d’exister au cœur du monde.
   Nous créons un paysage nouveau, et notre sentir nous guide, intuitivement.
Tout est source de création, de repères, de composition(s)
 
 
 
Nous laissons jouer l’imaginaire, les sentiments, les émotions, les espoirs, les images, les souvenirs, les visions, la folie, les rêves, les trésors enfouis, les mémoires anciennes, les connaissances, l’histoire, les références, le quotidien, les absences, les désirs, les oublis, les paysages d’ici et d’ailleurs, les êtres croisés, aimés, les rencontres, les couleurs, les saveurs, les odeurs, les sons.
 
L’usuel devient inusuel,
L’ordinaire devient extra-ordinaire. L’extra-ordinaire devient notre ordinaire.
 
Tous ces « ingrédients » abondent en nous
Ils se stimulent d’avec le monde
Le son vient directement toucher notre monde interne.
   Nos sons, nos rythmes, notre énergie, nos sentiments, notre être.
C’est l’alliance des résonances
 
Le geste s’en saisit.
L’énergie du mouvement se propage, les vibrations circulent et s’entrecroisent.
 
L’énergie de la matière en mouvement (s).
 
 

L’espace autour, l’écoute externe
. Perception, écoutante de l’espace

L’écoute ouvre les interstices de notre monde interne
En ouvrant ces interstices, elle crée un sentiment d’être en accord
Alors dans cet accord tangible il y a une correspondance de fait, immédiate avec l’environnement.
Le paysage, dont nous faisons partis, devient infini
 
Le paysage-espace « désire » ou plutôt devient réel juste d’être écouté, d’être regardé, contemplé, intégré dans son ensemble
Tout est là, et l’acte d’écoute est ce véhicule nous permettant de voyager dans cet espace-temps, qui nous permet l’intégration de l’unité de l’espace, dont nous ne sommes qu’un élément.
 
Espace en soi et espace en dehors de soi établissent indéniablement une relation.
L’écoute de l’écoute ouvre encore plus large l’espace de rencontre. Elle le précise, le ciselle, l’entend. ça se passe comme en dehors de soi.
L’espace de l’écoute devient autonome.
   L’espace de création ouvert.
L’espace de liberté conscient.
 
 

Le son, le temps

L’écoute de la durée
L’écoute de la durée d’un son ou d’un geste offre le déroulé du temps et de ce fait, les probabilités et les micros évènements du son : fréquence, intensité, masse, amplitudes, effets, oscillations, vagues, hauteur, timbre, volume etc…
Elle propose la traversée du temps. Elle donne à sentir un ce qui précède, un début, un déroulement, une fin, une résonance et la résonance de la résonance
Passé      présent      futur      et tous les glissements du passé dans le présent, du présent vers le futur du présent dans le passé du temps qui n’est plus du temps n’existant pas du temps perdu du temps retrouvé du temps comme un espace où nous sommes existants.
Le temps du vivant.
L’écoute du vivant.
 
L’écoute du Temps est une prédisposition immédiate de la composition.
La composition comme une écriture de ce mouvement de l’écoute.
Une pulsation sourde au dedans de l’espace, dans la terre, dans l’air, en soi.
Une écoute de la relation des pulsations qui battent ensemble et qui, à la fois, se distinguent et créent une Unité.
L’écoute du UN
 
Une partition large de l’Unité dans laquelle les événements cohabitent, ponctuent, soulèvent, attaquent, rassemblent, s’éloignent, se distordent, s’assemblent, se font et se défont, se jouent ensemble seul(s) ou seul(s)-ensemble…
Des événements sonores, gestuels, qui dialoguent ensemble avec leur spécificité, leur différence, leur « assemblance ».
Des événements qui, trouvant leur origine et leur vie à la source de l’écoute peuvent alors facilement s’éloigner, être côte à côte, ou pas. Mais ils viennent de ce même lieu.
La racine de l’écoute.
Autrement dit la radicalité de l’écoute.
 
 
Tous les chevauchements, les croisements, les étirements, les phrasés d’un son ou de sons donnent à « imaginer » les trajectoires du son. Il en va de même pour la durée d’un mouvement, ses trajectoires. Nous pouvons écouter cela, cette musicalité du mouvement et nous pouvons aussi utiliser notre regard. « Voir » le temps.
L’entre-voir
Regarder les durées, observer dans le geste du danseur la temporalité. Cela se joue dans l’énergie du geste, sa forme aussi, ses accents, ses nuances à l’intérieur même d’un mouvement, le phrasé du mouvement, les qualités, les suspensions, les arrêts, les élans, les ralentissements, crescendo- décrescendo, musicalité, etc…
 
Écouter, regarder, sentir, toucher, goûter, percevoir sont des gestes-actes de l’écoute.
 
 
Temps et espace sont indéniablement reliés
 
Les oscillations du temps sont une multiplicité d’évènements, pouvant être distincts
ou pas. C’est une histoire de choix.
Le corps peut suivre cette temporalité. Il la contient.
Écoute par la peau, les os, les articulations, les sens et bien sûr les sentiments et l’imaginaire.
Tout réside dans l’attention portée vers
Le sentiment de l’espace.
Le sentiment de soi
le sentiment de l’entre-soi et l’entre-monde
le sentiment d’être au monde
 
Les bras, jambes, colonne vertébrale, ramifications nerveuses, lignes anatomiques, tels des antennes, captent et transmettent à l’espace dehors
   Organes, liquides, fascias, rythmes veineux artériels cardiaques endocriniens, énergie vitale, accueillent, émettent à leur tour.
Corps de l’instrument, corps du musicien, geste du musicien avec l’instrument, geste du danseur, sont les éléments compositionnels animés reliés à l’espace.
 
L’énergie du geste est lancée.
Trace invisible, audible ou pas.
Le corps se manifeste par l’écoute.
 
 
L’énergie du geste est lancée.
Trace invisible, audible ou pas. Le corps se manifeste par l’écoute.
 
 
 
Le son est un soulèvement,
Le son déplace le corps tout entier, le bouscule, le renverse
 
Le corps vivant est vibrant du temps
Les cellules reconnaissent ça très vite : les rythmes, la pulsation, les battements, les cycles, le phrasé, la musicalité, les intervalles, les nuances, les attaques
C’est inné     physiologique
 
 
 
Nous savons composer avec le temps
 
Le temps nous est donné, l’acte du temps plutôt
Pour combien de temps encore ?
 
 
 
L’écoute des rythmes internes est un battement,
Manifestation de la vie
   Notre présence devient un élément de la partition du monde

le petit dans le grand
le point dans l’immensité
l’immensité en un point
 
 
 

Les lignes du son

Les trajectoires
Les volumes
les perspectives
l’architecture
 
Source – passage – déplacement – traversée – fin d’un cycle – résonance
Ligne de fuite

D’éloignement
   De rapprochement

Les sons dessinent des lignes, verticales, horizontales, obliques, en spirale, en masse, en ondes longitudinales, en flux et reflux
Directions      multi-directions      a-direction
Les gestes aussi.
Danseurs et musiciens peuvent écouter ensemble ces lignes, ces traversées, ces géographies spatiales et temporelles. Ils peuvent aussi regarder ces lignes, les formes du mouvement, les chorégraphies (au sens littéral : écriture du corps dans l’espace), les cartographies des déplacements. Les carto-chorégraphies.
Écouter -voir – en même temps ou pas
Laisser le regard prendre du relief par rapport à l’ouïe, ou l’inverse.
Sentir peut-être que le musicien regarde le geste tandis que le danseur écoute le son, ou l’inverse, ou les deux.
Imaginer aussi, ces lignes sonores et gestuelles prendre corps dans l’espace. Les suivre ou pas.
Jouer alors de l’élasticité de l’espace et du temps.

Élasticité du son

élasticité du geste

Les sons s’amplifient de volume, de masse mouvante, créent des paysages de courbes, de volutes
Des flux d’énergies, des vagues que mon corps peut saisir, et jouer avec
Les gestes ont ces capacités là aussi, et le corps du musicien peut en jouer.
Le son crée des déplacements, se déplace et est déplacé par la présence des corps, des matières, de la lumière, de l’air, du volume de l’espace même, de parois, de l’atmosphère, de vide
 
Trouées d’air          brassage
 
Les sons jouent du vide
Ils s’y faufilent et le remplissent
Les sons ou plus précisément les vibrations du son s’émoussent des vibrations de l’air
 
 
La danse est une manifestation dynamique du vide
 
Les deux s’amusent follement ensemble
De l’espace entre
De l’invisible et de l’éphémère
 
Energie du geste dans l’espace
Traits d’énergie, pas de trace à l’œil nu, visible
Le geste n’apparaît que dans le vide et nait de l’immobilité
Le son n’apparaît que dans le vide et nait du silence
 
Ensemble ils trouvent l’accordage
Ils ne font qu’un
 
Les directions sonores visent le corps, le percutent, le traversent
Corps cible
Enveloppe poreuse de la peau
Le corps est touché
 
Il y a la zone d’impact du son
Puis la dilation, propagation du son en soi
Le son voyage
La vibration du son rencontre la vibration du corps
 
Le son est transporté, transformé dans le corps et par le mouvement du corps, son énergie
 
Le corps dansant modifie les trajectoires
Le corps dansant fait danser les sons, les lignes du son
L’énergie du son rencontre l’énergie du corps
C’est physique
Charnel
 
L’énergie du son, du geste, des mouvements au sens large, modifient l’espace,
touchent les parois, les hauteurs, les volumes de l’espace, transforment l’humeur et
bien sûr en même temps l’espace même touche.
méta-archimorphose
 
 
 :

Textures et matières du son

Textures et matières du corps
 
La chose même
Entrer dans la chose même
le grain
L’énergie moléculaire
 
L’essence du son, l’essence du geste,
L’essence de l’espace entre
 
Être et voyager au travers de la chose même
 
Le processus
Le trajet
le chemin
 
 
Une des responsabilités en tant que créateur de l’instant est de pouvoir contempler ce qui est en train d’être changé, ce qui est en train d’apparaître (et disparaitre), pour participer et composer avec
 
Commence le jeu de l’écoute de l’écoute
 
Composer avec l’ensemble
Et sentir l’acte de créer être presque autonome
Libre de pensées
 `
Détaché
 
 
 
Les sons et les énergies du son, des corps, du geste bousculent l’espace, le transforment comme en même temps, ou parfois alternativement ou encore par effets de résonance, l’espace nous transforme. C’est un aller-retour aussi mais c’est encore un ensemble, une complexité extra-ordinaire de toutes sortes de paramètres.

Conclusion

Nous ne pouvons tout saisir tant les multiplicités sont immenses : architecture, luminosité, zones d’ombre, état du public, disposition des artistes et des auditeurs–spect-acteurs, contexte, température, nombre d’artistes et de spect-acteurs, acoustique, matériaux, sol, hauteur plafond, éclairage, etc…
 
Il y a des choix que nous opérons ; ceux-ci sont aléatoires dans le sens où ils répondent aussi au moment présent et à notre degré d’écoute.
Il y a tout ce qui nous échappe, et qui pourtant font partie de la composition.
Et c’est parce que ça échappe, que nous composons.
Nous ne cherchons pas à trouver ce qui échappe. Surtout pas
et c’est sans doute là toute la rigueur à entretenir pour préserver cette fraîcheur de l’instant, de l’inattendu, de l’irrationnel.
C’est avec ce qui échappe, et ce « ça » qui nous traverse que nous ne voulons rien savoir, rien comprendre.
 
Mais juste, comme un miracle, s’émerveiller à chaque fois.
Ce sont tous ces moments de grâce, d’enchantements, que nous pouvons briller, non pour se faire remarquer
surtout pas
nous tenons à une certaine discrétion
à ces chemins de traverse que nous empruntons, empreintons, sans vouloir non plus laisser de traces mais plutôt à se donner à chaque fois, le plus généreusement possible, à faire confiance à cette force vitale qui nous anime, anime le monde.
À cette beauté précieuse qui réside dans cette merveilleuse aventure
où chaque être vivant est singulier, unique
où chaque singularité devient diversité et richesse de partage
où chaque espace, chaque son , chaque geste constitue un ensemble
né d’un vague désordre
d’un vide immense
d’un chao phénoménal qui a donné vie
à ce que nous sommes.
Et à ce que nous choisissons d’être et de devenir.

5 octobre 2022

 
 
 

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The Body Weather Farm

Accéder à la traduction française: La ferme du Body Weather

 
 

The Body Weather Farm (1985-90 period)
Encounter with
Christine Quoiraud, Katerina Bakatsaki, Oguri

 
With the participation of Jean-Charles François
and Nicolas Sidoroff for PaaLabRes

2022-23

 

Summary :

1. Introduction.
2. Before the Body Weather Farm, the encounter with Min Tanaka.
3. Maï-Juku V and the beginning of the farm. Tokyo-Hachioji-Hakushu.
4. Body Weather, the farm, and the dance.
5. The commons within Body Weather.
6. Choreography, improvisation, images.
7. Relationships to music.
8. Conclusion. After the Body Weather farm.


 

1. Introduction: Presentation of the Encounters.

The origin of this text stems from a first encounter in Valcivières (a village in the Forez, France) in 2020, as part of CEPI (Centre Européen Pour l’Improvisation) between Christine Quoiraud and Jean-Charles François. On this occasion, Christine Quoiraud presented an illustrated lecture on Body Weather, her own activities of Body/Landscape (called “Corps/Paysage”), and her improvised long marching journeys (called “Marche et Danse”). In the perspectives of the fourth edition of the PaaLabRes collective, the precise documentation of the diverse practices that had taken place during Christine’s presence at the Body Weather farm in Japan (1985-90) appeared to be of great importance. Many critical points remained to be clarified after this presentation, notably concerning:

  1. The relationships between the activities of everyday life at the farm, the practices of cultivating the land, of raising animals, with the artistic practices.
  2. The relationships between the various participants committed to the farm project.
  3. The relationships with nearby farmers.
  4. The relationships between dance and the environment.
  5. The relationships between dance and music.

Christine suggested to PaaLabRes to organize an encounter by videoconference with Katerina Bakatsaki, living in Amsterdam, Oguri, living in Los Angeles, herself, living in south-west of France, and for PaaLabRes in Lyon, Jean-Charles François and Nicolas Sidoroff.

Two encounters with all these people took place by videoconference on May 31, 2022, and February 15, 2023. In between these two interviews, Jean-Charles François and Nicolas Sidoroff formulated in writing a series of questions. We decided that the questions asked by PaaLabRes would not appear in the present text, except as short introductions to the various sections of the document.

The recording of the oral exchanges in English during the two interviews have been transcribed (with the precious help of Christine Quoiraud) by Jean-Charles François and translated into French. The original English verbatim has been edited to make it clearer for readers, but wherever possible, we tried to preserve the oral nature of the exchanges.

The different sections do not automatically follow the chronological order of the two interviews but are based on the principal themes discussed in a specific logical progression.

 

2. Before the Body Weather farm, meeting Min Tanaka.

Presentation

Katerina Bakatsaki, Oguri, and Christine Quoiraud are three dance artists who, from 1985 to 1990, had in common their participation in the Body Weather farm created by Min Tanaka and Kazue Kobata a hundred kilometers from Tokyo.
In order to situate their approach and provide insight into their initial careers, this introductory part is devoted to the circumstances that led them to meet Min Tanaka prior to their participation in the farm.


Katerina Bakatsaki:

You can all see me laughing, of course, because it happened so long ago. It’s been quite a journey. Now that we’re all in different phases of our lives, I have mixed feelings about my memory of those circumstances, so it’s best to laugh about it. But to answer straight away to your question, I can tell you that when I first went to Japan, I was twenty-one years old, and I had no clue of what was ahead of me. I met Min Tanaka around 1985, he was dancing at La MaMa Theater Club near New York, and Œdipus Rex was presented with Min being the choreographer. A performance of Œdipus Rex also took place in Athens, and for that production they needed local artists to paticipate, so I had the chance and pleasure to be selected. That’s how I got involved in the production and this is how I got to meet Min and his way of working. 1985, twenty-one years old! You can imagine a young horse knowing that there are several possible paths, but without knowing exactly what it needs and wants, because simply of a lack of information. And in 1985, we didn’t know exactly in Greece what « contact improvisation » was, we’d only vaguely heard about it, so information about what was going on in the world was very, very rare, if at all existent. So, I was curious, I’d just started to dance in Greece at the time, but I was looking for something else and without knowing exactly what it was, I was travelling in Europe, meeting different choreographers, having auditions. I met Pina Bausch, I could have joined her company, but I didn’t because intuitively I thought no, it wasn’t for me. So, I was curious, I’d just started to dance in Greece at the time, but I was looking for something else and without knowing exactly what it was, I was travelling in Europe, meeting different choreographers, having auditions. I met Pina Bausch, I could have joined her company, but I didn’t because intuitively I thought no, it wasn’t for me. Anyway, I met Min in that production, and, I think, before and above anything else, there was something that I strongly believed in intuitively, that I trusted, or that I could connect with, but I still didn’t know what it was. Whatever it was, I thought, “Well, I want to know what this person is doing”. And at that time, he mentioned to me that he was conducting two-month workshops in Japan, so, I thought “I am going!” Just a funny anecdote: I took my pointe shoes with me – I was a student at the time and part of my studies was classical ballet – just to give you an idea how clueless I was. So, I landed in the studio in Hachioji, the farm was not founded yet. So, going to the farm was a consequence of being part of the practice in the community at that time, before the farm came into existence. By the way, I went there in 1985 for two months and then I stayed for eight years.

Oguri:

So… maybe it’s my turn… Let’s start. So – I am laughing! – it was thirty years ago! Thirty years ago, I left also everything behind, I was there five years, same years as Katerina and Christine. Like Katerina said, there was a two-month workshop: “Maï-Juku V, an intensive workshop”. Min Tanaka started this series in 1980. OK, I’m going back a bit: I lived in Tokyo. I wasn’t born there, I studied visual arts – a kind of conceptual art – with Genpei Akasegawa. He passed away in 2014. He was a very important name at that time in the art’s scene in Japan. When, in the 1960s, so before Japan had a big world expo in the 1970s in Osaka, and before that he was a non-established artist, he met the movement of the Neo-Dada organizers at the Hi-Red Center and collaborated a lot with Nam June Paik and John Cage. Anyway, I was interested in studying with that kind of visual arts. And during the 1960s, Akasegawa collaborated extensively with Hijikata Tatsumi[1] as part of the Japanese Ankoku Butōh movement. Studying with Akasegawa, I was introduced to all avant-garde work of the sixties. And Butōh, Ankoku Butōh was very attractive. But I wasn’t really ready to become a dancer. And in the 1980s, when I was still studying, I also saw Min Tanaka’s work. He was still dancing then with a shaved head and naked body, painted, with very gradual slow movements and longtime performances. And he worked with Milford Graves and Derek Bayley, this was a big event in Tokyo. Very strong impression for me, being something “in between”, was it dance? And actually, at that time, the term “performance” was introduced in Japan. Not “performance art”, just “performance”. What is a “performance”, what is a Butōh, and what is dance? That boundary, it’s impossible for me to define: small theater? The idea of theater became popular from the 1960s on. But it’s not a new type of a theater either, it’s all like a melting pot. At that time, I took Hijikata Tatsumi’s Butōh Workshop. It was very short, may be three days intensive. That was what I got as a dance training before participating in Min Tanaka’s Body Weather work. I never had a formal dance training background. Yes, seeing Butōh and Min Tanaka’s work. And I took part in a performance. But I wasn’t a dancer yet. This was during the first Butōh festival in Japan, in Tokyo. Min brought together forty male dancers, male bodies. This performance was my first participation. Then a year after, yes, I got some flyer advertising the intensive workshop Maï-Juku. That’s where my work with this practice really began. So, yes, actually in 1985, during Maï-Juku V, I was also involved in the preparation of the Body Weather farm in Hakushu. So, it’s kind of a parallel project: it was the start of preparing the place, the farm, and taking part in Maï-Juku V. And once Maï-Juku V started, I think, after one month, we moved, we had a separate training in the farm. I remember what we did in a waterfall… Before the Maï-Juku V, Min Tanaka didn’t have a performance group. Maï-Juku’s concept was collecting the body – no, not the body – the “capture” of the people participating in the training: when Min Tanaka was touring, that’s how Katerina was caught. In Europe and the U.S., La MaMa and always touring, he had performances and teaching workshops… so it’s like two wheels, and the people were interested and participated every year. So Maï-Juku I to V. In the fifth year, they started Maï-Juku Dance Troup for doing performance work. In that time, they didn’t call what they were doing Butōh or dance performance, but it was called “Maï-Juku performance”. And regarding this Maï-Juku V year, when we participated, it was a big, big turning point. Many of the former Maï-Juku members had left. It was a very strange moment: at the beginning, I believe we had about forty people who participated the first two months. After the two months of intensive training, I think we were left with only ten people or something. But ten people stayed, ten people may be including about two or three from Japan. So, a number of European people stayed, like Katerina, Christine, Tess de Quincey and Frank van de Ven from Australia, and Andres Corchero and Montse Garcia from Spain, few people.[2] It was a big transition, yes. I think that when Min Tanaka started the farm, this transition was a big issue. He never named his dance as Butōh, but in 1984, Min danced on Hijikata’s choreography, he performed his solo dance. That was also a big turning point, changing the… Yes, ok. I stop talking now.

Christine Quoiraud:

I met Min Tanaka in France, actually in Bordeaux, by chance. I was at that time dancing in a company whose style was based on the Cunningham technique, and I was preparing a spectacle when someone came up with a small flyer with a photo of Tanaka Min advertising a workshop. It was the second year he came to France in 1980 or 81 in Paris, after a big presence in the Festival d’Automne in 1978. And that’s when he met Michel Foucault and Roger Caillois. Min Tanaka was giving a workshop in Bordeaux, so I left everything and went to his workshop. And as soon as I opened the door, I was captivated.

I remember it very well a sound-listening exercise was proposed: people were blindfolded and walked along a string laid on the floor. Min Tanaka produced sounds, clapping his hands or playing with paper. He moved around the room, changing heights and distances. We were supposed to point with the index finger in the direction of where the sound was coming from, and meanwhile you had to keep your balance, one foot against the other on the thread laid on the floor. It was a revelation, I was immediately totally convinced. Before that, I’d experienced several types of techniques in contemporary dance. At that time in France, a lot of foreigners were coming, many Americans, but also Asian people: I had met Yano and Lari Leong who already gave me a sense of what the state of mind of these parts of Asia was. But when I met Tanaka, that was it! So, I immediately went to the next workshop he gave a month later in Bourg-en-Bresse. There were forty people. He was giving us the basics of Body Weather, the manipulation/stretching work, and a bit of work on sensations, and he offered us the opportunity to take part in a performance. So, he designed a kind of development for the performance, which was mostly improvised, but with some elements given, with few instructions. It took place in a huge gymnasium. When the audience came in, we were seated in the audience and gradually we bent over against the public and moving down slowly towards the floor. And that impressed me immensely, actually. So, from that moment on, I quit my job, stopped everything I was doing. I bought a car to live in it. I started the Body Weather nomad laboratory and travelled all over Europe. So, I was visiting all the Body Weather groups, which were being set up in Geneva, in Groningen, somewhere in Belgium, maybe it was Ghent, and in France, in Pau, in Paris. I’d travel from one group to the next, always sharing training and performances, mainly outdoors, in the streets, or anywhere in the city. Tanaka came every year from then on to give workshops mainly in Paris, or in Holland, or Belgium, and I joined all of them. Every year he would say to me: “Christine, why don’t you come to the intensive workshop in Tokyo?” I finally decided to go in 1985. Also, I came there with a visa valid only for that workshop, but I didn’t go back. I could not leave after what I’d been through. I stayed for over four years, almost five years. As far as I remember…

 

3. Maï-Juku V and the creation of the farm. Tokyo-Hachioji-Hakushu.

Presentation

In the minds of the PaaLabRes inquirers (Jean-Charles François and Nicolas Sidoroff) the Body Weather farm project implied that a group of people had decided to live on a farm. Hence the idea that there was a beginning, which could be described in detail to grasp the origin of the approach. But the answers from the three artists demonstrate that this was not the case: the process of building the farm was very gradual and was inscribed in a constant back and forth travel between Tokyo and Hachioji (a suburb of Tokyo), then between Hachioji, Hakushu (the place of the farm) and Tokyo. This is one of the important aspects of the Body Weather idea: the body like the weather is constantly changing and not fixed anywhere. This concept means less the idea of migration or displacement, of travel, but rather of fluctuations produced by friction in a given environment.
We’re dealing here with three environments, one completely urban (Tokyo), one completely rural (Hakushu) and one somewhere in between (Hachioji, a suburb of Tokyo). The activities at the farm developed gradually in interaction with the local farmers.


Christine Quoiraud:

Before the beginning of the farm, the workshops took place in Tokyo, but a lot of times, they took place in a suburb far from Tokyo, Hachioji with a dance studio. There were rice fields near the studio and a river, and we often went to work near the river. Or at one point we went to the mountains 30 minutes away. At the end of the intensive workshop, we moved to the farm for the final workshop of the two months period. And when we went into the water of the high waterfall and all that followed, it was the key turning point. And Min was very proud to show us the farm. We all went there together. There was this workshop in the river and there was a fire after that, it was late October, it was freezing cold. We finished the intensive workshop there, on the farm. Then came the beginnings of the farm.
Andres Corchero didn’t arrive until February 1986 for the next intensive workshop, which only lasted a month that year.

Katerina Bakatsaki:

I don’t think that there was an “A-day”. I think it was really a long process of different events and different ways of working that led to finding a place and do on. So, I don’t know if there was a first day, but before I say that, I just want to point out perhaps, maybe just to say, that when I met Min in Athens, the part of his work that intrigued me the most was certainly the work that he invited us to do outside the studio, outside the theatre space or the studio space. And as Christine and Oguri have already said, Min was engaged in work that already involved weird places, situations and contexts, away from dance or any kind of formal art manifestation. It was a question of working outside so-called art spaces… Let me rephrase the question: what dance can be when experienced in many different contexts, when engaged with many different bodies, not only human bodies of course, not only one’s own body, but also the bodies of the non-humans? This question was Min’s major preoccupation in his work from that time onwards. That’s what I just want to point out, and actually for me, that element and that quest within the work that Min was doing inevitably led to creating a basis, a sort of place and network embedded outside the city, and outside formal artistic contexts.

Christine Quoiraud:

Like Katerina said, we didn’t start working on the farm straight away, it was part of a process. And, in my memory, we had to build and organize the farm before it became operational. We started by building several chicken houses. Oguri can talk about that much better than me. It’s only gradually, little by little that we got chickens and then started growing rice. In autumn and springtime, I remember you guys building the chicken houses. That’s when we had this wasp attack. Those wasps were in springtime, no? And planting the rice was more like June or something, May/June maybe?

Oguri:

Shall I talk a little bit about the cycle? So hi, Oguri here again. Yes, farm was being prepared right before Maï-Juku V started… some friends were already working there at the time of Maï-Juku. I went at the farm with my motorcycle. And my first impression was that this land was so beautiful. Yes. It’s changed a lot now, but in the 1980s… Hakushu is about 100 km west of Tokyo. So, about 2 hours away with my motorcycle, experiencing a change of scenery, an evolving landscape, changing, changing, changing, so beautiful, beautiful river and gigantic rocks in various shapes, really almost like chaos. The last time I was there in 2017, it changed completely. Now, it’s not the same at all. But at that time… yes…
I know, the farm is not like a real nature, the farm is a work done by humans in nature, the farm is a human product in the ecosystem of nature. But there are still a lot of nature forms, mountains, and big rocks, and sometimes a typhoon produces a disaster that changes all human order, bringing back the nature. And it’s a quite high elevation area, around 800 meters high, it’s a cool air, water is constantly running by the house and rice field because of the slow open flat land. Yes. Hakushu lies at the foot of Mount Kaikomagatake in the 3000-meter-high mountains of the Southern Japanese Alps.

And as Christine said, in Hachioji, which is a suburb from Tokyo, that’s where already a big transition is happening, from the harbor of Tokyo to that city, Hachioji, where the Tokyo metropolis becomes Yamanashi prefecture and it’s a kind of transition before we go to Hakushu. And that transition is very interesting.

Min Tanaka and Kazue Kobata[3] are at that time running a small alternative performance space in Tokyo: Plan-B. This is like a first artist self-running alternative art space. It’s a tiny underground theater. So, every month, or every other month, at Plan B, Maï-Juku as a group presented a dance performance there. Myself I presented there a solo performance every month.

Yes, I will talk about that too: this has to do with something like transportation, transport: Tokyo, Hachioji, and Hakushu. A very interesting experience, transportation, moving, and activities in the three places: the farm, the workshops, and the performances.

Anyway, the farm is the place to return to after work at Hachioji, Plan-B in Tokyo, and national and international tours.

Living in Hakushu, the farm life, the traditional organic farming, experiencing the rhythms and cycles of this most human lifestyle. This connection of the human body to nature is necessary for Body Weather practice. We developed many things: the annual production of an arts festival, also with outdoor sculpture, traditional and contemporary performing arts, music, conferences, a symposium…
Life on the farm necessitated a transition that was far from brutal. Our life is not shockingly changed. But, for me, it had a big impact on the life cycle: Tokyo, you have the night, you keep working in the night, you are in a theater, you have to start at 8 o’clock or whatever. But in that farmland, all farmers got to the bed at 7 o’clock. So, our cycle completely changed, working with a chicken, or irrigating the rice field. If you are late, you lose a day. Or feeding animals, they cannot wait. So, our cycle is completely changed. The night is completely dark, which is beautiful with the stars… So, that’s big impact, change.
When I mention “life cycle”, it’s completely linked to most human lifestyle and the question of the human body. When we started working in Maï-Juku and Body Weather farm, we’re almost never alone, twenty-four hours a day. Always somebody is working with you, and every day you’re eating three meals together.

And I’m now jumping to the farm time: it’s, a community group working together. But at the same time, you know, a very serious individual commitment is required at all times. Of course, just being there is a commitment, but every work both in the farm and the dance – I don’t say “the dance” but the workshop – self commitment was very strong. On the other hand, we’re not professional farmers. And I never think that I am a professional dancer either, this practice I’ve taken up, is it dance or performance? And as we are not like professional farmers, we learned from the farmers themselves on the job site, in the field. The idea that we’re not there to learn a technique is very important to us. It’s the same for Min or for the Maï-Juku Body Weather dance too. We don’t proceed from technique, but we’re very much like in a job site. I mean, it is not like a studio as a place preparing a performance elsewhere. So, farming was like this, and dance practice as well. It was a big transition: Hachioji had a dance studio floor, but in Hakushu at first, we didn’t have this kind of floor. Later, we built something like a stage, and we used a Kendo martial arts floor, to do floor work mainly in the land. So, farm and dance, neither had priority for the life in there.

Christine Quoiraud:

At the time of the 1985 workshop, Maï-Juku V, there was a lot of back and forth, going back to Tokyo, going to the farm and back to Tokyo, and in my memory, you were really one of the Japanese who often went with Min and Hisako, over there to the farm, to organize the venue of the group, and you are one of the witness of this beginning point, more than probably we, the foreigners, the non-Japanese. I’m sure you have memories about the discussions you had with the farmers, the neighbors… What do you remember of these talks when preparing the farm? From an administrative point of view, but also from the farm point of view, and also the necessity of organizing a program of what was going on in Tokyo and to Plan B, the performing space.

Oguri:

Yes. These all three things happened simultaneously. Actually, I didn’t have much connection with the place in Hachioji because I lived more often on the farm side. May be, yes, Christine and Katerina, Frank and a few other people lived in Hachioji. They had rented a house there, so, your base was more in Hachioji…That’s a transition time. So, while living there, you were keeping a training in Hachioji. I remember that, during the Rite of Spring (or maybe not that one, another performance), we had rehearsal in the Hachioji studio. And then we went to the Ginza Season theater, a big theater, for a performance in homage to Hijikata. Yes, we built a set and rehearsed there too.

Christine Quoiraud:

That was much later. Hijikata passed away in January 1986. But at that time, there were lots of moves between Hachioji, Tokyo, Hakushu… It’s more a question of whether you have any memories of who decided, for example, to build the chicken houses?

Oguri:

Ah! OK! All the organizational side…. Min Tanaka had a big vision, I think. Why did we have these chicken, to what purpose? We didn’t need the chicken for the eggs, but for the shit, for the fertilizer. It was thanks to this fertilizer that we were able to successfully grow vegetables. Organic farming wasn’t so popular back then. We didn’t know about popular organic either. Yes, we didn’t use chemical fertilizers, we started like this. Use less chemicals, you know, weed killers or insecticides. That’s all we knew about organic farming. We didn’t even know about recycling, but recycling was already a tradition in Japanese life. It was nothing knew at that time, but organic was … how can you use it as in the case of traditional fabric. And besides, not much income.

It’s very interesting seeing that in the farm, Body Weather farm and Min Tanaka, we never owned the land. Instead, we just borrowed the land and the house. About agriculture in Japan in a village, of course all farmer families own their land. But most of the farmers are like Sunday farmers, they all have a job. They have a full-time job on the side. Farming is their second job, they have to keep the rice fields going, because as I said, rice is very essential to Japanese, rice is more than money, rice is like life, rice is like God. A bit like each of us, it grows, it develops. Many hours of intense work and a great deal of pressure during the harvest under the autumn sky. Rice grows and changes like a human being. Farmers must therefore continue to keep up rice fields. That’s an essential thing for each farmer. When the farmer gets old, children don’t want to take over being farmers. As a result, there are many fields, beside rice fields, as vegetable fields or mountains that are no longer tended due to lack of human power, so a lot of places are let to somebody to use. So, we got many places and fields that are like abandoned, and not in very good condition. So, we cut down the trees, get rid of the rocks, clean up the field and put it in good use. In many places, lots of farmers ask us to take care of this, as well as the house that goes with it. But farmers are always close to their money: after a few years, the field is getting in good conditions, “OK, give it back to us”. And you have to give it back. We were very kind to the farmers because we were learning a lot from them, and they let us use a lot of their land. So that was a very unique relationship between us and the village farmers.

Katerina Bakatsaki:

In that respect, I also remember very strongly that there were times when we very often went to help other farmers – whether there was an agreement about it or not – and in fact, it was also a way of learning and knowing how to do things. I don’t know if Min pre-thought about it, but that’s how I have experienced it, while we were out there trying to survive with the minimal means, we had to at the same time try to figure out how to literally make things. What I mean by things, is of course the house, the objects, the lands, the animals also… How to live and work with these entities. Well, we lived there, we were also there helping the other farmers. Then, in fact, it’s not just the case in Japan, I know the same thing in Greece, the countryside and the farms are deserted, and young people are leaving. And on top of that, you have big corporations buying up farming land. That means that small farmers are losing their land and therefore the connection to their place, the connection to their land, the connection to the knowledge, and to their ways of living they’ve known. So, we were learning, but in this way our presence was also contributing in a very modest way to reviving also the life of the village, and thereby, in a way, literally restoring vitality to the farmers. And then, later on, came the festival that brought more activities in, and so on. I think that this was part of Min and Kazue’s vision, as a sort of conscious activism: OK, we went there to learn, but also to play a supporting role.

Christine Quoiraud:

And I think, how shall I put it, it was pretty natural, because before going to Japan, I also lived in the countryside in France, it was very natural, when there was hay to cut, which was the case when I was a child, everybody came to help, and I think it’s really part of the life of rural community. Less so now because of machines, but at that time, up to the early 1980s it was still fairly universal…

In the early day of the Body Weather farm, there were not so many people living there, not that many… Like Oguri said, at the earliest, there has been the two-month intensive Maï-Juku V workshop. Then from the group of 40 people many returned to their own countries or personal lives. We remained to meet with just over ten people, half of them Japanese, the other half non-Japanese. I remember that there were about 16 people or something like that. And then, a small group of Spanish people came, and we remained a kind of settled group for quite a while, with other Japanese coming in from time to time, I don’t remember their names. And yes, we remained with the same number for quite some time, even a few years. But, a lot of foreigners, of non-Japanese, left… went to give classes and workshops in their respective countries like Frank in Holland, Tess in Denmark. They often left to teach in other parts of the world. I remember that. Katerina and I were there. Later, we left too… I mean, most of us remained there for a long time. I ended up leaving at one point, but it was mainly for personal reasons, like family in France, problems…

Katerina Bakatsaki:

I have to say that I only started teaching and even thinking about teaching after I came back to Europe after 1993. It wasn’t part of my vision at that time. Then in terms of knowing when we moved to the farm, I think Oguri you were there much earlier than Christine and I, for example. Is that so?

Oguri:

Yes. I lived may be two months or a month in Hachioji when Maï-Juku V started. And halfway through the Maï-Juku V intnsive training, I started living on the farm. From then on I lived there for five years. Living there, it is very hard. Nothing there is really prepared for the living.

We used some rental house, a farmhouse, a deserted house. Nobody had lived in that house for many years. I remember that before the intensive training started, I went there, as I said, with motorcycle, with my tools, hammer, and a saw, like carpentry tools, to help, and build with two people from the village, Encho and Akaba San. They become later big supporters and mentors. The house is like a paper door, you know shoji. Shoji door is made of paper. There’s no central heating. I mean, later on, like after two years, everything was changed. But in the beginning, it was a very interesting experience [laughing], like the way people lived a hundred years ago, that kind of aura experience for one year. So, it’s not a suffering life. At the beginning nothing prepared, later we prepared everything, we are not punished then. Yeah, basically that’s it. Yes.

Just one thing, gomme ne [Japanese for “sorry”]: what Christine said about watching things. Yes. This is very much like Japanese mentorship, you know, a mentor never talks, even in the case of safe Japanese cooking, traditional cooking, they never teach you. Yes, you have to steal, steal that technique… Then, there is always some gap too. So, you develop your own ability to do things. Yes. That’s what I wanted to add. And of course, watching is amazing, we were always watching. Watching is very important. After that, you can see the difference. That’s one thing I learned during my first year.

The first year, we know nothing how to grow things, except radishes. Radishes, you can get them after hundred days. We really started from scratch at first. So living is also from scratch, but we lived from that land, and we got lot of support. All farmers giving us something, even agriculture equipment tools. That is, secondhand tools. And “You know, you guys, use this”. And at the same time, as Katerina said, we bought some vitality to the village. After a few months: “Oh, these guys are serious… OK, we better help them.” But it took at least a year to prove ourselves.

At the beginning, we all grew very, very long hair, it was for performance purpose. Min had some vision, all males and females would have very, very long hair, like wild horses on stage. So, everybody let their hair grow. For the Rite of Spring, we looked like hippies. All village people didn’t trust us or didn’t believe we were going to continue running the farm. That’s what changed after a period of two years, three years, year by year, our relationship with the community changed a lot. “All these guys working so hard, honest people, and who do these crazy dances.” Something touched their hearts. We organized that festival in the farmland, so we brought many entertainments from other regions of Japan, or foreign countries, Japanese performers, singers, sculptors, and all these people bring in more audience and activities there. We also helped them. “Actually these guys are not bad.” In fact, we were always invited in their homes. We had different languages: Greek, French, and Spanish. And with different skin colors. Of course, nowadays, the presence of non-Japanese, of foreigners has become a common occurrence in the Japanese countryside, but back then European, Americans, were rare, it’s unusual in that time. Yeah, it was very unique experience for each of us. For the village people, I think it was a shocking impact at first. That’s what life was like there.

Katerina Bakatsaki:

In terms of who went to the farm and who stayed there, it changed constantly. Although you have to imagine, for example, that in the first year, I don’t remember for how long all the foreigners for different reasons, good or bad, were still keeping houses in Tokyo, in the suburb of Tokyo, in Hachioji. While some people, like Oguri, had already moved to the farm. So, we’d go to the farm, us foreigners – correct me if I am wrong, Oguri and Christine – while still keeping our accommodations in Tokyo, because we all also had to work to earn a living, because there were costs involved for us for transport tickets, for business, and so on. For different reasons, we felt it was necessary to keep somehow a foothold in Hachioji, and work to earn money in Tokyo. That’s what we did. However, there was no money involved in our commitment to the farm or to the dance practice, to the practices we did there. That’s why we kept our lodgings and our jobs, and the studio in Hachioji, and we would go to the farm either when hands were needed, or when we would have to rehearse, to prepare for a group performance at Plan B.

So, the constellation of people at the farm changed a lot, absolutely all the time. There was a core group that would be at the farm on a more regular basis, and then we’d come to do farm work, for rehearsals and dance practice, and then we’d go back to Hachioji. Now, you have to imagine that – and this brings me to your question –when we were there, then the work had to be done, because things needed to be built, the chicken house, the fence needed to be corrected, or some chicken needed to be slaughtered, just to name a few things… We did the farm work and the maintenance work for the place, which were also considered part of the training. I mean, engaging with material, engaging with the timing of another thing, another material, another form of life, was considered as part of the training as well. For example, more concretely: how to weed the wild grass, you have to bend down to the ground, you have to work on the ground, it’s small, it’s small, and we were not using electrical tools, we only use all types of tools that were almost extension of one’s body. So, a massive part of the training consisted of finding the best ways to use the body to be efficient in the work. The understanding of how to exert force, in which direction you are going to gear the movement, so, how to use your wrist to grab the grass in a way that you can pull it out with its root, so that it doesn’t break. And so on, and so on. So, that was part of the training.

Now, indeed, because we had to rehearse as well, there were hours set aside for artistic training. So, we had to wake up early in the morning, feed the animals, do the urgent farm work, which was already a form of training, and then have a very quick breakfast. And then the rest of the morning was devoted to rehearsals, then lunch again, and then farm work again. It was happening in a way that I wouldn’t call “organic”, but all the different needs, all the different concerns needed to be taken care of, to be attended to. This is how the day was being packed. The cooking was done, as I recall, on a rotating basis. I remember, me not being able to boil an egg, having then to prepare dinner for 15 people. The panic!!

Christine Quoiraud:

And sometimes we fasted to prepare for performances.

Katerina Bakatsaki:

Oh sure, oh yeah! But [laugh]…
But attending to things, attending to needs, whether it was a performance, whether it was a personal need, was as much a matter for the people who were present at that time. Attending to food, attending to the maintenance of the house and of the place, attending to the life, to the social life in the village, because that was also a big part of the activities. I can still remember spending a full day doing different kinds of work, and then ending partying, I mean, eating and drinking at Akaba’s house, or at Encho’s house… until early in the morning (Akaba San and Encho were two of the farmers who supported us). And then…

Christine Quoiraud:

We were young!!!
When I first arrived in the summer of 1985, there was that studio space in Hachioji in a suburb of Tokyo. And there were already animals around the building like chickens and a pig. And always a dog or two, or a cat or two, yes, and we lived with that presence. They were really small shacks near the building for the animals. It was in the suburbs, but it was still the city. There were no fields as such. There was no farm, just a dance studio. Nearby, there were rice fields, but not so many, and a river. So, the main activity was in the studio. Already Plan B existed in Tokyo. To go to Plan B took like – I forgot – but maybe two hours by train. I’m not sure but it was something like that. So, we often travelled from the studio to the city center.

And before that, Min Tanaka, when he came to Europe, often took us to work outside in parks, anywhere. And when we were still in Hachioji, during the intensive workshop (1985), he took us to the mountains for a week. That means that we were also dealing with wildlife in the mountains. And then, at the end of 1985, beginning of 1986, we started the farm. There were a lot of travelling by truck or by car, from Hachioji to the farm. And then, gradually, a team of dancers lived at the farm. Others continued to live in Hachioji. They kept jobs in Tokyo to survive. And then sometimes we would all gather at the farm to work, to carry out a major work, or to rehearse for performances. And then, sometimes we would go on tour in Japan. So, at the beginning, the core place of the activity was in Hachioji, and very soon after its opening (at the end of 1985), the farm became the main place.

I would like to add something about what you both said. About language, when I met Tanaka Min in France, he practically spoke no English at all. He used a translator, so he was at that time surrounded by a bunch of young Japanese, who were studying with Gilles Deleuze in Paris, and were translating for him. At that time Kazue Kobata was always travelling with him, and she was also translating in English, and she managed to introduce Tanaka to Michel Foucault, and, if I remember correctly, to Roger Caillois. And Min really talked a lot with both of them and was very impressed thanks to Kazue’s English. And then, around this time, I think in 1981, Min went to New York, thanks to Kazue. There he met Susan Sontag and musicians like Derek Bayley, Milford Graves, and so on. And, from then on, Min started to study English. Gradually, when he returned to Europe, he could use anatomic terms to explain manipulations, but he still always had a translator. And when we get to Maï-Juku V, I remember it very well, Min spoke much more in English, he asked the Japanese to learn a bit of English, and also encouraged the foreigners, non-Japanese, to study a bit of Japanese. In reality, and still today, there’s this kind of broken English between us.

Mel Graves and Min Tanaka at the Body Weather Farm. Video by Eric Sandrin.

 

4. Body Weather, Farming and Dancing

Presentation

Body Weather was based on the idea of perpetual change in the body and the weather. This raises questions about different ways of looking at farm work and artistic production work, the relationship between everyday life, the environment and dance work in its training and performance dimensions. Participation in the Body Weather farm involved a very intense commitment to all aspects of farm work and dance. But this commitment remained based on individual confidence in the philosophy of the project, and not on blind adherence to a closed community.


Oguri:

I want to explain a little of the history on a larger time scale. The Body Weather laboratory I think started around the 1980s and lasted until maybe a few years ago, that means about forty years history. And I was there five years, so it’s what I am talking about, my experience over five years. I left in 1990. During that period there were many changes, and before I was there it was another time too. And about Shintaï Kissho, “身体気象”, “Body Weather”, that’s kind of a method of this movement: the body is not a fixed in itself. It’s not a stable, fixed territory. It’s in perpetual change like the weather. It’s not like a season. Weather is constantly changing at any moment.

Christine Quoiraud:

I have a question for Oguri again: do you think that Tanaka had heard then of Masanobu Fukuoka?[4] Because I think it was in the 1970s that he left his job as an engineer and started to do organic farming, creating a commune. I think he was pretty well known then for the way he gathered volunteers to work on his farm and he had a commune that changed all the time, young people coming to him to learn and help. They lived there in a very sober way. And that reminds me a lot of what we went through in the beginning of the farm. For example, there was a group, forming the main group, mostly Japanese, living on the farm, and foreigners who came from time to time to do some special type of work with the neighbors or without the neighbors, and then also throughout the year there were volunteers coming to help from different parts of Japan. So, I was wondering if Min had heard of Fukuoka? I don’t remember hearing him talk about this guy but… may be…

Oguri:

I’ve never heard Fukuoka’s name from Min Tanaka’s voice. He never did. I’m sure he knew but he didn’t mention it, but I think that’s very much Min.

Just one thing, I was about to forget about that. Going back to that first time when I was working in the farm, I was very impressed by the land. At the same time, on the farm, labor is not done for someone, labor is for yourself. Because people in urban environments depend on their customers, or their boss… But here, on the farm, as I said, there was a form of commitment and responsibility, but the whole work is for yourself. That was a very strong kind of our commitment and, you know, and that was the purpose for being there. Including the dance too. That’s what the dance method was all about. It is a very simple word and nothing special. Of course, you have to make your own decisions and, as I said, we are not professional at that time. We don’t know that. We have to find out things out on our own, like, some answers, because all neighbors farmers are like mentors too. I remember that. And let me talk about land also… I know I had very different perspectives from Fukuoka. Like: what’s special about a region, regionality. What’s particular in that area or regionality, in that place… How to say? There is a traditional-like ritual or celebration in a dance. Celebration or some ritual, or kagura,[5] or dance there. We learned a lot about how to cultivate the land and how we think about what is the origin of the dance. Because this type of method, Body Weather, is not a dance technique as such. Min Tanaka, he never teaches us how to dance, no. In other words, our practice is not a study of how to dance or a practice confined to the studio. Our training is very much oriented towards sensitivity work. And… the class is very open. I mean, dance is very open for any kind of skill.

Katerina Bakatsaki:

As far as I know, the term Body Weather was borrowed – not borrowed but taken – from Seigow Matsuoka.[6] But am I right to think so? I am not sure. I mention this because when Min was working, traveling, exploring, with Kazue Kobata, he was also a lot involved in artistic and thought movements taking place at the time. The stimuli that gave rise to the work that emerged, to everything that he did, were of a theoretical as well as philosophical nature, and had also a very strong connection to movements of thought already existing in Japan, the United States and Europe. So, I just want to bring that in… Of course, I don’t know. I am not sure if Min has explicitly spoken about all this. I do know that Kazue Kobata did, and I’ve had conversations with her about it, about all the different movements of thoughts that were enlarging our approaches and encouraging Min to continue with the work he was doing. Not only Min, but also all the artists that he was working with. Because he wasn’t a solitary genius. I think we all had that kind of experience! There was always the presence of an extended community.

 

5. Commons and Body Weather

Presentation

Commons, what we call in French « communs« , can be defined as an articulation between resources that exist within a community, and rules concerning the way in which that community operates with regard to these resources. In the Body Weather experience, we can see that there are a lot of resources linked to the farm and to the dance practice, to Plan B and to all the spaces around the farm. How these aspects of common life were organized, how did the community function in relation to different interactive practices taking place in different spaces, environments, and with living creatures and objects? It’s about the conjunction of experiences, the existence of a community with little in common between its members but a commitment, autonomy and responsibility, taking initiatives in a non-formal structure, perpetual movement and evolution.


Christine Quoiraud:

Well, there’s not ONE answer to the questions about the commons. If there is an answer, it has to do with the passage of time. When I first arrive in 1985, things were different. The farm didn’t exist yet. And then the farm started. Then the farm continued. We started by building the chicken house and growing rice, and it was a gradual change. So, there are several answers, many answers.

Katerina Bakatsaki:

Allow me to use the word “community” not in the sense of a closed church, but as a network of forces, of people, of contexts, that always been central to Min Tanaka’s engagement. A bigger community of people, of artists, who had the same questions and the same concerns as he did. That’s one thing. And another thing I’d like to say, concerning that question of community: you are there because you’ve chosen to be, and you better have the guts and the commitment, for yourself, to fully engage. We’re not there to do it for you. And at the same time there was no pre-agreed reason for why we were there, there was no common belief. We are all here because each one of us had totally different motivations, and different interests, and different types of investment. Personally, I found that precious, I would not have stayed otherwise.

And also, I speak for myself, it was always important to feel things out and also to register with myself. That’s what was interesting because, you know, I was young. Intuitively I could understand things and give them a place, also listen to my experience – not the dance experience but the life experience – I’d acquired from the place I came from. And also the ways of being in community, the ways of doing things together, the ways of understanding and sharing work, where we lived together with others.

But, for me, it was also important to feel that I could actually betray that sense of commitment, even if only with myself. Why do I say that, because it gave me the security of knowing that I wasn’t in a sect. That said, I also want to say that it was fascinating at the same time how all of us, each one of us, were there out of our own different motivation, and still we had all made the commitment to be there together. And also doing things together, without there being any agreement on what that should be. Of course, there was the training, there was the necessity to grow as artists and eventually as people. There was a trust in witnessing the work and its potential outcome. It was not about developing a method, but in the way questions were posed: about dance, about movements, about land and nature, and about non-nature. So, these questions were present in all forms of production, in any kind of work activities, that had to be carried out, whether it was cutting the grass, whether it was learning from other farmers who have been there for generations. When they tried to figure out who we were, they wondered if that was “making mistakes”. But the commitment was to actually do that together. So, in terms of commitment, I mean, that has been always for me very interesting, very fascinating, very exciting. I always had to commit myself to something other than just myself. It’s something that exist among farmers, they know that you have to feed the animals, you are not on a vacation, you have to be there.

There’s no division between leisure time and work time, you have to be there, available, and your rhythm and your needs, your body are available for the service of something else, of the animals, of the plants, of the seasons, of the water that follows its course or stops flowing, etc., etc., etc. So, that sense of: “OK, I’m an individual, I’m here for myself, and I’m responsible for my actions, I’m autonomous”, and yet there’s always this call to actually relate and commit to something else that isn’t myself. And it’s not necessarily linked to that community as such, it’s always bigger than that. It’s the other humans, as being together, but it’s also the animals, the plants, the cultivation, and so on. The tools that we use. Yes, there are a lot of nuances to this notion of commitment.

Christine Quoiraud:

I think we learned a lot by watching… by observing, which is also a way of understanding farm work, like, I remember, when we went to help Encho (one of the farmers, a neighbor) in the rice field. He showed us how to cut the rice and hang it on a pole. It was a situation of having to observe the action, in order to be able to do it ourselves. Or when he showed us how to use a tool to turn over the wooden logs on which shitake mushrooms grow, we watched his gestures so we could imitate them – not imitate them exactly – it was a question of grasping, of embodying the gesture of the one who knows how to do it.

And I remember myself trying to follow the M.B. training (« Mind and Body training », a very dynamic training as part of Body Weather),[7] I had to watch the bodies of the guys in front, of Min when he was correcting a little or showing different rhythms or other things. And when he was directing the preparation of the performances, it was the same. I’d listen, I’d watch his body rather than listen to what he was saying, his explanations which remained a bit surrealist for me. But for me, his body was not at all surrealist, I could grasp a lot of things. And by the way, Oguri, in my memory, before Maï-Juku V, there were a few solo performances at Plan B. But from Maï-Juku V onwards, Min started choreographing to encourage us – I think I was kind of the first one of the foreigners of that time to present a performance. So, my composition was first. Everyone laughed… So, I asked Min to choreograph my next solo. It was early January 1986, shortly before Hijikata’s death. Afterwards, Min encouraged everybody to do a performance once a month, which the three of us did as much as we could. This was in parallel with the collective work of the group, or the work directed by Min Tanaka. Each of us had the opportunity to develop our own research and test it in front of an audience at Plan B, which was an amazing privilege, an amazing way of learning… and also an extraordinary proof of trust. Voilà.

Katerina Bakatsaki:

In terms of the possibility of proposing initiatives, I don’t recall having the need to do so. However, I also don’t have the impression that I’m someone who passively follows the course of things, because I could have my own ways of engaging with things, like for example I could have my own motorbike and, at given times, I could move away from the farm and come back whenever I thought it was necessary. So, I, personally did not feel the need to initiate concrete things. And I guess, I am not also the type of person to do that, but at the same time I never felt I didn’t have the space for myself and act on my own, to make decisions independently and autonomously.

I think if Min had not given the trigger, suggesting: “Why don’t you do…” I’m not sure I would have done anything. Actually, Min somehow encouraged me, and yet, in this context, there was plenty of space to do our work, to do whatever it felt necessary to do. Given that there was a space also, Plan B was there, available to us.

Christine Quoiraud:

I think we initiated small things. Oguri, maybe you remember when we started working together, we were in charge of the communication, how to say, designing the Plan B calendar, and at one point, I was translating into English – I had to work with Oguri, because I had no idea of Japanese. These are small things, but they added a stone to the edifice, to the main project. And as far as I am concerned, I managed to take a lot of initiative on my own, in the same way that Katerina could take a motorbike to escape. So, I was also able to take small initiatives to resource myself, so that I could then come back to taking part in the group. And it was because I was not Japanese, sometimes I really needed to do that, and it was by returning to my own language, to the French language, that I was able to realize this.

Katerina Bakatsaki:

I think there were different places. It’s good to look at them from different angles. At the beginning there was a location in Hachioji, which was the dance studio. Then there was the farm, something completely different, a place with its intrinsic structure, with all its complexity and its improvisational character. We have also a seminal place, Plan B, a performance space. And all sorts of other places where performance would take place that were either theaters or outdoor places, within Japan or elsewhere. Then there were also all the places we had to go to sell and deal with the products of the farm, and I think that was part of our lives, of our practices as well.

If I try to define the commons in terms of locations, there were a) seminal places, b) important locations and c) places where a particular activity took place. Of course, there were other places as well, and, later on, came another house more to the south, close to the sea.Because the Body Weather farm was in the mountains. But, I mean, the life of the group changed in relation to these different places. I hope that this makes sense. So, again I repeat, it was Hachioji, the studio, and of course the houses around it, this particular space, a kind of small village situation on the outskirts of Tokyo. And then, you have the farm, you have Plan B in Tokyo, the theater space, and you have these other spaces where performances took place. Then, in my perception, there were all the big activities initiated by Min, so most of the important performances, the tours, and we were invited to participate. We were never obliged, but we were invited to take part.

There were also the moves – Oguri and Christine correct me if I am wrong – the big moves to the farm. I mean, these big migratory moves were initiated by Min, and maybe also in collaboration with Kazue Kobata and with other people who belonged to the artistic scene of Tokyo at that time. But these big moves were initiated by Min, and we were invited to participate. Plan B as a space was already in existence, I think, at least when I arrived. So, we have these places that exist, and we have some sort of structure that moves around that it is initiated and triggered by Min, Kobata, and the people who work closely with him. And then, within these bigger main locations and structures, we’re invited to participate by taking our own initiatives and to create our own work. That’s how I see it, that’s how I can make sense out of it, because a lot of it was left to our own initiative, I mean it was growing as we went along and according to needs.

That’s how I experienced the development of the different activities. The animals arrived. The rice fields had to be taken care of. Because that’s what was happening on the farm, we had to take care of it. In a way, there was an aspect of organicity, but at the same time there were many things that were already there, or that existed on Min’s initiative. I mean, the big performances, big theaters, were initiated by Min, or by other artists who had invited Min to participate or to choreograph, and then he would also invite Maï-Juku group to participate. So, some of these commons were determined as and when necessary, by the need to do something at a given moment. But each one of us, in different ways, initiated, supported, followed or redirected what was happening. But there was also a bigger structure above all that – I call it structure, but it was a very fragile structure, a non-formal structure: Min had his vision of things, and he was going on, he was moving on. Who wanted to join, fine, who did not, bye-bye, something like that. And yet, within that, there was a lot of space for us and a lot of invitations from Min’s side for us to take our own initiatives, to develop our own creativity, to have our own connections to the different places, to be there and understand and feel what needed to be done.

Oguri:

So, as I said before, the movement of Body Weather history is also constantly changing, as Christine explained. Katerina said it too. “If there’s something that we need, [chanting] we———– are going to do it.” Commons, the commons are not permanently fixed: the farm, the dance company, and Plan B. I was completely involved in all three activities, for me it’s the same, there’s no separation. There was the nojo’s [farmers] community. The community of who worked the land. People who weren’t involved in the performances, other people included in performances, but not in those of Plan B.[8] There were different ways of looking at these “commons”, a little more flexible, or expending and moving to. On the subject of Maï-Juku, moving from Hachioji to the farm was a big transition. Since the beginning of Body Weather, not as a parameter but as, let’s say, the essence of Body Weather, there was no question of staying solely at Hachioji, in this dance studio. It was necessary to move the activities to the farmland, to the rural world – I don’t say “nature”, just “farmland”, or environmental place. It’s just as Min Tanaka had done when he started dancing, first on the street, then in a theater. And now again, it was question of dancing in a specific site or outdoors. He never fixed the stage, but integrated into new places, moving to one another. So, I hope you understand, Maï-Juku is not a dance company – yes, in a sense it is – but it’s not a dance company fixed once and for all, with a choreographer and contracted dancers, who get paid for their performances. Not at all like that, yes… And at the same time, it’s another context that depends on individuals – I think I said something about a strong commitment on the part of individuals – it is very much organized, but it’s also very much an individual thing. In fact, now, Christine, Katerina, and me, we’ve been working completely separately and developed very different dances. So, we weren’t there to assimilate Min Tanaka’s choreography or to acquire a technique, Min Tanaka’s dance technique. This community is not like this. The commons are determined by the individuals within the commons. To come back to individualities – is it really linked to the commons? (I’m wondering myself) – obviously, financially, it hasn’t been easy for anyone. Because I was there for five years, from the moment we started working on the farm. We started by learning from the farmers how to do it. Yeah, none of us were experts at it at first, so, we were learning that. So, farm work didn’t pay as such. No, maybe at that time, dancing, big projects, brought a bit of money or commercial work, movies.[9] So, yes, many things were happening at the same time.

The farm started I think in 1986. All village people didn’t trust us or didn’t believe we were going to continue running the farm. That’s what changed after a period of two years, three years, year by year, our relationship with the community have changed a lot. All these guys working so hard, honest people, and who do these crazy dances. Something touched their hearts: that first year, Min, Kobata San, and other people organized a festival, the Art Festival, a pioneer project in Japan, outdoor. Something that never happened in Tokyo metropolis. But in this more marginal place, in the farmland, outdoor, a performing art event: sculpture, and music and performance. We brought many entertainments from other regions of Japan, or foreign countries, Japanese performers, singers, sculptors, and all these people bring in more audience and activities there. That was very much like a pioneer project in the 1980’s, now it’s getting more common place. It was another activity form of Body Weather activity and beyond, and we were all involved for this at the farm: farming, studying, driving the dance, and organizing, producing events. We were getting more accepted by the community. In fact, we were always invited in their homes. Of course, nowadays, the presence of non-Japanese, of foreigners has become a common occurrence in the Japanese countryside, but back then European, Americans, were rare, it’s unusual in that time, yeah, it was very unique experience for each of us.

Oh yeah, another thing, this is a bit symbolic about rice: rice is a very essential matter we plant, especially for the Japanese. There are so many names given to one grain of rice, from the rice growing to the rice coming to my mouth, the name changes. It’s like these different names given to water: ice, water, snow, all transformations giving rise to different names. So many names are transformed each time in relation to other ways of being. That’s how the commons can be seen in the context of Body Weather. But I’ve learned from that tradition in the field – OK, all right, maybe I’m probably creating chaos – OK, ask me some specific questions! [laugh]

Christine Quoiraud:

I can add something which maybe extend somewhat or is connected to what Oguri just said: I remember that when we started the farm, there were no animals. The main focus was really on rice, getting the rice crop going, and then, gradually, we built the chicken house, and suddenly there were thousands of chickens. It wasn’t just Min who decided on the development of the farm, I think Hisako played a big part in these kinds of impulses. Suddenly we had goats and donkeys. And I remember that, when I left Japan, Tanaka Min offered to entrust me with cows. He wanted, me to take charge of the cows. I said: “No, thank you!”. But it was a way to establishing a relationship. We spoke about the place. This was how the original group had to adapt. These animals had to be taken care of, they were part of the environment. At first, they weren’t present, and then a little bit present, and more and more present. And so, the rice was like a must, because in Japan it’s everywhere, as far as I know… But the animals, it seems to me, were very important for Min and Hisako. The animals were present also for their shit as a fertilizer, but also to earn money, because we were selling the eggs. I’m thinking clearly about the animals and their sounds and their smells and their pee.

Katerina Bakatsaki:

I just like to try and clarify this notion of commons and of community. Because from many of you, you hear it said – and it’s also for me, wonderful to hear it – again and again, again, that there is a community in existence. But in the context of Body Weather, there was nothing in common between its members, and this is what gave the project its particular strength. Of course, there’s dancing, there is a need to dance and to explore dance, to explore how to understand dancing in life, how to relate, how to exist with each other, how to exist with things, with objects, with plants, with tools, with money, with no money, how to exist within other communities that also exist with us, while we are also not exactly sure whether or not we form a community. We just didn’t know. At least I didn’t know. I don’t think that we ever felt that there was anything we could designate as part of a common order.

There was a shared desire to be there, but each one of us had our own particular needs, expectations, and projections, and so forth. And also, their own ways of engaging with all this complexity, or chaos in other words, not chaos in terms of whatever, but chaos in terms of unpredictability. Everything relate, we are related. There are principles that are laid and guide us and stay with us, like the rice, like putting ourselves in relation, like questioning ourselves, how not just be in relation, but questioning how to do it, that is to do what we don’t know. Also questioning the morals, the ethics, and the politics of all that. Nobody decided: “OK, this is how we are going to do it”. We thought about it, we were figuring it out. And yet, and yet, and yet, there were bigger schemes that were constantly in motion, by which I mean that all notions were constantly situated in particular contexts. There was always the presence of all kinds of dancers, of bodies, as micro-communities. The community without something in common, that was very radical, it still is, at least in my mind, and that’s why this whole bunch of people wasn’t a sect, there’s no promise land, no obligations. We were there because we’d realize that “OK, I can do this, I can relate, I can respond to what needs to be done, I can…”

Christine Quoiraud:

Just one more thing. As far as I remember, the shape of the group and the activity developed on their own, but when we were on tour, when we travelled to France for performances, I remember that there were a lot of differences with what was Japanese. Min often talked about the tradition, tradition in Japan… And when he was in Paris at the time, he was somewhat critical of the style of democracy in use in France. I just remember one of Min Tanaka’s “remarks” when we presented the Rite of Spring. Nario Goda,[10] a dance critic, was with us and he fell ill. He was in hospital for a while, and Goda San, Mister Goda was very excited: “Oh, I am sick, I’m going to stay in Paris, I want to stay in Paris, I love Paris, I love France, there’s lots of good food, good wine …” And Min Tanaka said to him: “No! You shouldn’t stay in France, it’s too soft, the mind is too soft, the mind is too mild”. It spoke to me a lot, then, it was like: “In Japan, we can have this strong energy, this strong capacity to work. We don’t stop, we don’t give up,” like the Cossacks – an image that comes from me indeed – but that’s how I felt a bit at the time. You’d never get tired. You could continue even if you were tired, yes, absolutely… So I suppose Min was also wondering what it’s about to be a group, how a group could behave, how life with others could be envisaged. How is it to live with several people, and with an ever-fluctuating number of participants. During the first year, there were a lot of people on the farm, and then in the middle of the winter, it shrunk. The size of the group varied constantly. There was, I think, something akin to a non-adhesion to capitalism, in the way we were confronted with the economy. But on the other hand, to my feeling, there was a strong tendency to turn to tradition. And as a result, there was this tension between tradition and a certain willingness to invent something new. And probably, other influences, I don’t know, but I think I can feel or imagine something more open, somehow, – I would not dare to use the word – a certain anarchy, but…

Oguri:

Just I want to say this: as we are related to the land, it is also the case with dance. Dance is mobility, it can take place anywhere. With just the body you can present dance and it’s a one-time thing. And we don’t own our dance either. So, I think, it’s a very effective method. What I mean is that if we consider this notion of communs or of the commons, it’s kind of the essence of Body Weather: of not owning the land, of not owning the dance. It’s not about ownership.

So, that’s make sense now, that the dance and the land are always rented. We borrow the land and the dance as well. But during the pandemic, it is the first thing that becomes impossible, it limits the dance so much, that we can’t do anything. Yes, I am sorry to remind you of that. I’ve always thought that dance was the strongest media, you don’t need to carry instruments, you can go any place, just with your body. But during the pandemic, it was so difficult. I’ll stop here. OK, thanks.

Katerina Bakatsaki:

And yet, we as dancers we’re always moving. I mean, it was always another fascinating for me the way while working the life of the group was growing, that there’s a sense of mobility, of sudden shifts, changes of direction, mutations, movement. And yet there’s the question of not owning land, and yet there’s the question of working the land, of relating to the land. Getting your working hands dirty…

Oguri:

… Yeah, rooting, finding you roots…

Katerina Bakatsaki:

… finding your roots, working the land, I mean, creating a relationship with the land, as you say, with the rice field. Understanding also with the body, what it needs, its timing and being able to accommodate and support it, to be at its service, the same thing with the animals, the same thing between each other, the same thing with the music, the same thing with performances, wherever we are sharing the space with others, whether they are human bodies, or objects, etc. I think that was this notion of working the land: finding your roots, without owning. And this, for me, now I am recalling it, also with hearing your words, and “Ooooooooh!” [laughs], it’s really inspiring, time and again. And I think that was in terms of this notion of the commons: you know, things are moving, shifting, places are changing, we are embracing what needs to be done, etc. And so, there’s a constant move, and yet we need to get the actual relationships working with the village, with the villagers, with the rice, with animals, with the land, with each other, and so on. So, we are not owning land and yet we are working the land, again and again.

Oguri:

That was our Body Weather community. But you know, sometimes I feel that’s the big reason why I left the Body Weather farm, was because it was at the same time a very old-style community. These farmers, very conservative too! Yes. But that was a kind of challenge for Min working there. I am not putting, how to say, that he is not a great man and a fair person either, but I think at that time… OK I shut up now.

 

6. Choreography, Improvisation, Images

Presentation

Was Min Tanaka a choreographer? It seems that he wasn’t in the strict sense of the term, but he was nevertheless an initiator of performances and stage director of dance. This meant that there were hierarchies in the artistic value of different forms of choreographies. Given these circumstances, what happened in reality during the preparatory sessions to performances? How much improvisation went into the performances? What was the place of technique, if it made sense?
The presence of images was an important element that enabled different pieces to formally emerge.


Oguri:

First of all, at least in my memory, in the 1980s, Min Tanaka never put his name on programs as a choreographer, such as “composed by Min Tanaka”[11] in a group performance, I remember it well. Composition implied a very strong framework. And choreography what task is it? It changed over time – I am just talking about this1985/86 period – it is a task, a movement or choreography proposed as a task. The task of jumping in the air, a task like jumping up one hundred times, and body straight. That’s an example. But composition is like a very clear road map, whereas usually we never repeat the same performance again. Even in the same series of performances. Second day, in the same series, a lot of changes take place, even this composition is slightly subject to changes. The next season, the performance resembles the original model, but still with some little differences. So, performances never stayed the same, at that time.

Later on, especially when we were living on the farm, then many productions, rehearsals took place on the farm. Indoor, in a studio – it’s not really a dance studio, it was in the house, we had a bigger room there, upstairs. So, rehearsal took place there or in the field, where we built a stage to rehearse. Again, for the performances it would create different situations. Sometimes we are doing the performance in the small studio, or at other time we’d present in a big theater the study pieces we’d created in the small studio. Processes were different. Usually, we worked out composition. And since we were living together, composition could be explained in a more abstract language… But very much related to each individual body. Body including spirit too, yeah, not like considering if someone had flexibility or if someone moved well, it wasn’t that important. And there was a lot of improvisation involved. Min demanded so much responsibility from each performer. Min Tanaka didn’t say how to move, he didn’t determine the form of the movement to choreograph. Later on, when we had gained a lot of experiences of dance in the farm, in outdoor, I remember a composition very, very simple: just being there, assuming a presence. But each time, after rehearsals, he’d tell us clearly what he has noted for each dancer individually. Everything he observes gives rise to very clear comments pointing to change things, to make the performance better, yes, without ever giving a goal to achieve. That’s what I remember about working in those days. Thank you.[12]

Christine Quoiraud:

We worked a lot with images, and these images came from Tanaka Min’s experience with Hijikata who choreographed a solo for Min. He used the images maybe from that moment on, the years when he was working under Hijikata’s direction, I think it was 1984. We got there in 1985. That was when he used the images. As I recall, he was really proposing us a methodology for working with images. So, it was a list of images. And as Oguri said, he would never show us movements. He just gave us the words and let us work with those words. And then, he would see us in rehearsals. And then he would adjust. And, again, to my memory, it was as if he were sculpting or creating the space of the body in space. And in space, that means here with the light, with the set, with the unfolding of time, with others, and I think he was always conscious of the audience’s presence. Whether inside or outside, the question of the audience’s presence was always a big deal. And what I learned most at that time, I think, was the consideration for the audience. And this image work consisted of always searching for ways to give vitality and energy to the pathway of the images, something impossible to stabilize or fix. Impossible to fix it in a form. Even now, if we showed you an image, maybe I suppose Katerina, Oguri and me would probably start looking for bringing this image to life.

When I use the term “image”, it was a list of words. Actually, in 2017, I organized a workshop at the CND (Centre National de la Danse), and I invited Oguri to lead it, focusing on “image”, and there is a recording of that workshop at the CND. And, in fact, in the feedback work I did on this experience, which is online (médiathèque du CND), I transcribed Oguri’s work. I transcribed, translated, and commented on his work. In that text, I even dealt with the fundamentals of Oguri’s teaching. By “dealt”, I mean décrypté, to decipher: “Oguri says this, and he shows that”. And I describe: “his hands are on his head, and his shoulder is moving towards the back, …”. I describe what I see on the video, what I see of his movements, of his body, in space, as he teaches.

Oguri:

Just one thing about the choreography of Min Tanaka, and this image work that Christine just mentioned. Hijikata Tatsumi, Tatsumi Hijikata was a big, big, big inspiration for Min Tanaka. And Min Tanaka was choreographed by Hijikata Tatsumi, I think in 1984. Then, at that time, Min Tanaka was very close to the Ankoku butō[13] movement. What Tanaka shared with Hijikata Tatsumi that experience working with those images. So, Hijikata Tatsumi used many images from the environment or paintings. And Min kind of introduced us about this work with Hijikata, and we also included this work on images in many of our performances. And later on, the approach to this “image work” changed somewhat.[14] The things that I introduced at the CND was really old work. They’re just all different tools that no longer correspond to actual choreography. They belong to that particular time. To what we did at that time. I think later on, he changed his method. This work on images has been internalized in our body. The outside world is in our body. As a result, from that moment on, landscapes are inscribed in our bodies: we have like a “big lake in the body” or a “tropical forest in the head”. And there is “a house burning inside the body”, and “smoke comes up”. It’s not an external image. It’s Internal. We have moon, or sky in our body too. That was a big change for the performances. Before it was so precise. With this body part, you render this image. You have to have a very quick mind to recognize and adopt any body position. This idea of inside-out changed everything, and Min Tanaka’s experience became mine. I don’t know how he now works with people. So, as his style of dance or choreography method is like Body Weather, it never stays at the same stage. So, yeah, again, I am a kind of a witness to the 1980s. It’s only been five years… but it made a lot of changes in me.

Katerina Bakatsaki:

As Oguri said, there were different periods, and there was an evolution in the different images used at given times. So, I would be hesitant, I mean, some images are strongly remembered. But what I do want to say is that the work with the images was also part of the practice and was one of the many different ways of sensitizing the body to the words that exists within each image. And to sensitize the body to also non-human entities, whether it is an object, whether it is the water, whether it is the river, the rice, and so on. So, the images evoked again something other than human, coming, inviting non-humans in the body. So, one of the images that comes to my mind now, is that of a young monkey boxing with the sky, boxing the sky, correct me if I’m wrong. Boxing with the sky or boxing the sky.

Christine Quoiraud:

With red gloves, and this monkey was sitting on a barber’s chair [laughs]. But at one point, we were three women dancing and we were like the asses of cows [le cul des vaches], and our pelvis were swinging “ting… ting… ting… ting…” (like the cow’s tails chasing flies, we swayed the hips from one side to the other). Or you had a vertical electric pole inside your body.

Katerina Bakatsaki:

So, the images were used in many different practices to sensitize and to alert the body, but what was specific, as I said before, was that the images were inviting the other non-human and they were extraordinary, I mean, in their scale, in their richness.

Christine Quoiraud:

But it was also an opportunity to fragment the body. We had at the same time to focus on several images addressed to the body, and each part of the body would be in charge of a particular image: head, and arms, and torso, and belly, and back, and legs, and feet, all at the same time. And then we would switch to another set of images, which was also a source of stress for the nervous system. As if we were… Min Tanaka was using the words “to be attacked” by images. And so, it was also a way of being in control and on the frontière, on the borderline of lack of control, and we were always on the verge of falling totally out of control. Fatally, it was akin to the risk of improvisation, that’s what it was. We were also trying to reach the images, and they were somehow out of our hands, always escaping. In my memory, it was a question of increasing intensity, the intensity of the capacity to concentrate.

Katerina Bakatsaki:

Another image, another work, which was used later on: I remember that we practiced a lot, we practiced in the sense of research and exploration: it was a work with the notion of the puppet. So, you are a puppet, and you are moved by a puppeteer, you are moved by strings. It wasn’t a question of imitating, but of that notion, that invitation to the body to disarticulate itself – how can I say? – the invitation to the body to be moved by something else than the body itself. And the notion also, I think, that many of these images called for permeability. The permeability of the body – I remember Min using the word “attack” instead – but it’s actually about the body being permeable to the imagination, through again sensations, and imagination that is outside of itself.

Christine Quoiraud:

To be “attacked”, bombarded with images, is a way of saturating the brain with information, of thwarting the habitual production of images specific to each individual. You have to give yourself a chance to be “danced” by something other than your own imagination.

We also worked a lot with “stop motion”, like you start the movement, and you stop… you introduce the idea of cutting off the direction of movement and thinking about the duration of the movement, its extent and how long the stop will last. So, we did a lot of this, and at one point we also worked a lot on repeating the same movement, “again… again…”, or “long time”.

Oguri:

I think, a little bit, also, about “training” and “M.B. training”. We practiced the very coordinated body, body coordination with a rhythm, right side and left side. So, it’s a way of becoming conscious of connecting with the body and body parts. By lifting knees, turning hips, very simple things. But these shifts of direction were like the intention of how to go towards something else and to achieve the dismembering of the body. Dismembering… Yeah. This “image work” that Christine has just introduced, involved dividing up all the limbs of the body: head parts, arms parts, torso, and legs. And at the same time, moving different qualities, different speeds, completely different images movements at the same time. And this image is shifting into the next movement, the body parts changing with a hundred of transitions, transitioning, transitioning, transitioning between images also being part of the essence of the practice. So, that is more a purpose of dismembering the body, like a memory of early childhood, of a newborn baby’s way of moving. Of course, that movement is not connected with your mind or consciousness, or angel’s smile. When a baby starts smiling, it’s not the result of an emotion. It’s a kind of sensation to come. So, I think the inspiration focusing on these aspects came from Min Tanaka or Hijikata Tatsumi. It’s our body memory of early childhood experience at that stage of the movement. And again, that precise image brings external things into the inside. This is a huge challenge. If you don’t understand this, you can’t do that. Some people can do it, and some people cannot. How to accept that: you are bringing a whole city landscape inside your body? But I think dance can do that, yeah!

Christine Quoiraud:

This exercise was very hard. There were dancers who couldn’t realize it or couldn’t realize it on their own. It was a question to fill the whole body with a patchwork of constantly changing images. A concentration hard to hold.

Oguri:

Concerning Min’s choreography, training, M.B. training to coordinate body, actually I think the purpose was more about dismembering.

Christine Quoiraud:

The training was not there to strengthen the body’s capacities, but rather to deconstruct its coherence as a psychosocial unit.

Oguri:

Yes, we worked a lot with a partner. And body is best text for learning. We have a body stretching method and body alignment series called “Body Manipulations”. Between two partners: no talking for two hours to commit with each other’s body. Stretching like a body alignment. And after to talk to each other about the experience, responding to it fully. To share what had happened during the two hours of mutual commitment. And to share again and again. And learn that bodies are never the same, ever changing. Again, here we have all the concepts of Body Weather: never stay the same and take responsibility for sharing time and space with others. These principles were maintained over time.

It’s a little bit related to the idea of the Japanese mentor. It doesn’t matter if it’s Japanese or not. But about mentorship or morals or ethics, it’s there: we learn that technique includes the space. As in martial arts, we always start to clean the space and start with a salut. That kind of morality and respect of the space. In dance, we’re learning space. And that each is a mentor to the other. I learned a lot from Min Tanaka, and from Noguchi San, operating lighting backstage at the theater. Or producing vegetables on the farm, or from the area farmers acting as mentors. And even after five years becoming known as a skilled dancer or skilled farmer. For sometimes I had to act as a leader for young people or beginners. The relationships I had with these people also taught me a lot. So, all this is also related to the communs. In that community, it’s also very much learning from each other. Everyone is a mentor to everything, it’s everywhere. Our producer, Kazue Kobata was one. Our colleagues, like Christine or Katerina, all came from different backgrounds, this is a very unique part of Body Weather: Europeans, Japanese, Americans, we all lived together too. And the common language is English, which I still don’t speak very well. So, that’s how we communicate and make things happen. And still, we have this kind of strong relationship after so many years.

Christine Quoiraud:

I think I’m very grateful for the mutual relationships, the fact that we helped each other. We influenced each other. I mean, I was, like Oguri. Oguri helped me somehow on the farm to get a glimpse of the Japanese state of mind and maybe, as we discussed, I was transmitting the Western individualistic state of mind – I was more into thinking about encounters and exchanges. We influenced each other, maybe without being conscious of it, but mediated by the fact that we spent so much time together. It seems to be very banal, but it wasn’t so banal. As Oguri said, we continue to have the same kind of relationship after so many decades, after such a long time, it’s a very strong connection. And I want to share the idea that I don’t think I went there to learn a technique or how to dance. But I know that at the end of that experience, as Oguri said, I also felt that I was totally ready to go out into the world and dance. I really had this feeling, not that I was proud or pretentious, but I had the guts, the courage, yeah! And the most difficult thing for me when I came back to Europe, was to be able to continue this intensity of life. And at that time in France, in Europe, it was a totally different logic. It was the beginning of the “intermittents du spectacle” in France, similar to this state of mind of a civil servant, a fonctionnaire state of mind, and I couldn’t enter that state of mind. Yes.

Katerina Bakatsaki:

In terms of technique, I think that we all know that technique has different states, different forms, different ways of understanding or disseminating. I think that the whole training including M.B. was there to answer the core question, which was, if I may say so, how to embody oneself in a plural way, in multiple bodies. I mean, if you consider training as research and not as a methodology for becoming something, that already clarifies things a lot. And, for me again, the question that constantly arises is how to be embodied in a plurality of bodies. You might question that possibility, maybe seeing from other points of view, that this plurality is problematic, but anyway, as a philosophical question, you have to ask yourselves: what if the body is never one, is more than one, and if it’s more than human? So, this is why the whole training is research, is finding ways to explore this fundamental question. In that sense, I don’t think that technique serves to become something, but it is a very clear, a very coherent, however not closed, methodology for questioning things. This is how I perceive it. Now, how does it lead to performance, how does it become a presentation on stage, very basic things that I can pick up? Once again, it’s all about cultivating the body’s permeability, and also its capacity to be lucid, clear, attentive, but without being self-absorbed, so as to have the tools to exist in performance. However, it is not a training that leads to performance, it’s, as Deborah Hay[15] also puts it: you are always training, you are always practicing also while you are performing; or you are never practicing, because you are always in the process of performing. There is the need to pay attention both to the body and to everything that isn’t the body, and it’s this aspect that needs to be the focus of training. So, in that sense, this is a technique, a non-formal technique, which is present in other artists such as Deborah Hay, Anna Halprin, Simone Forti, etc. So, it’s a non-formal based practice. The question I asked myself in relation to technique or the lack of it, after I left Japan (and to this day), goes something like this: “How can I keep training, how can I keep practicing?” How can I practice the life and all aspects of that life when I’m no longer in Japan?

 

7. Relationship to Music

Presentation

The relationships between dance and music in Body Weather is open to conjectures. Is this a story of dance gaining gradual autonomy from any illustration of musical discourse, or is music part of a general sound environment in which dance takes place in various modes of relationships? The notion of environmental sounds might include everyday life sounds (urban, rural, and natural), musical composition of a given space, improvised interactions with a musician, or recorded music in many styles. Are the sounds of the environment points of contact for Body Weather supports for body movements or sources of inspiration?


Katerina Bakatsaki:

Before music there was listening. I mean, before the conscience of music, there was the conscience of listening. By the way, when we talk about language, it’s not as if language was not there. Language was present, but perhaps because we didn’t understand each other, there were different ways of listening to language. I am not saying something new, but I just want to say that language wasn’t eliminated. All sorts of different languages were present, broken English, broken Japanese, attempt to speak without losing the sense of what you are saying, trying to understand with the eye and the ear at the same time while somebody is talking, etc. So, language was present as a mode of listening, as something that you clearly can’t understand, but you attempt to, but not in terms of semantics. By the way, I’ll never forget the Obon festival [Traditional summer festival, around August 15, celebrating the deaths].[16] The music, the dancing, and the singing, at Obon festival. Anyway, music…? There is a lot to say, right? Oguri? Christine?

Oguri:

Music, music at the farm, [laugh]… I have still strong memory of the sound of frogs. There is a second house on the farm that served as storage. And formally they used the upstairs for the silkworm. It was just one floor. Actually, the farmhouse has no doors, except for the toilets, it’s just… you know… Anyway, one big room upstairs, and originally there were no windows… At the early summer, the water from the rice field was prepared. The surface of the water is very clear, and there are frogs, frogs making a sound, from one field to the other field, they are making some chorus, and copulating in open air. It was… I’ll never forget it. “Hrogh, ghrogh, hrogh, ghrogh”, [he imitates a frog] I don’t know, like a thousand of frogs, like hundred frogs making noise, and setting these two fields in motion…

Christine Quoiraud:

… and constant sound of running water.

Oguri:

Ah yes! And water is so beautiful, trrrrrrrrrrp, and… And, I don’t know if it’s still there today or not.

Christine Quoiraud:

Yes, it’s the same.

Oguri:

I mean, water is running but it’s a different water too. Doesn’t make the same sound. And the houses, and traffic, it’s all changed. It’s not so quiet anymore…

Christine Quoiraud:

… and the sound of fireworks…

Oguri:

Sound of fireworks? Yeah… But anyway, there were always some noises in the house, like Katerina said, lot of languages in the house, no doors. Yeah… and some girls are fighting… only girls… [laugh] Oh! I shouldn’t say that. [laugh]…

Christine Quoiraud:

…and also singing songs a lot, I’ve often been asked to sing in French…

Oguri:

Oh, yeah! yeah! You have a beautiful voice, Christine!

Christine Quoiraud:

… one of the first solo of Oguri in Plan B, he danced on Klaus Nomi… [singing] “I’m wasting my time… on you———-” (souncloud.com).

Oguri:

[laugh] You sound worse! I mean, there was…

Christine Quoiraud:

We had M.B.Training on music like the Beatles, like “Stand by me”, like “bla, bla, bla,” Michael Jackson… And so on… And there was the music from traditional groups. Sometimes we had also visitors, like foreigners coming with guitar or other instruments. And there was also mainly Cecil Taylor, Derek iley…

Derek Bailey & Min Tanaka – Mountain Stage (1993) by Ian Greaves.

 

Oguri:

We didn’t talk about “Art Camp”, the Hakushu annual festival (international summer festival organized by the whole group and with the villagers).[17] You know, I think the second year we lived on the farm, we started organizing the annual festival. We were not farmers yet, but we started this annual festival, that was another remarkable event.

Katerina Bakatsaki:

I would like to go back to music. In terms of music, like instrumental music, there’s a lot to say. I don’t want to speak about Min, because Min as an artist has had incredible collaborations with a lot of musicians, and thinkers too. But as far as we were concern, and the way we were relating to music, I think we were questioning, – maybe I’m speaking for myself – about how to do it, we were playing a little bit the perspective of the autonomy of dance in relation to music, which wasn’t new, because it had already been done in the United States and in Europe. But we were sort of eager to understand how dance could stand on its own independently from what music is or can be. And from there, little by little, we built, we researched the connections to music.

I don’t have the answer as to what is the relationship for anything to the thing we call Body Weather. There’s also a difference that’s perhaps more specific, between on the one hand the use of the experience of music and the sharing of space with music during performances, and on the other hand in practice, in training, in the ways we conduct our lives, in our mutual engagement with each other and with the work. So, we’re talking about different territories that interact, of course, but also imply different situations. That’s something I need to clarify. Also, if we place this experience, or experimentation in the context of our training and our performances, it’s because our relationships to music and sound were different in both cases. It was also something that wasn’t exclusive to the work happening within that community. I mean, to draw the bigger context, we know the post-modern experimentation and all the work of the pioneers of the Judson Church,[18] it’s also the same kind of experimentation, an exploration. So, I don’t believe that it was something unique to the work we were doing. It was something that put a light on what was present in a great many different artists and in different places around the world: the primordial importance of listening (I already said this), that is, activating the body to listening. Of course, I think that seeing and looking are important, but orality was a fundamental thing in the training itself, the activation to listening to anything that sounds. So, a lot of silent work was taking place in natural environments – I am talking about training here – so, that was an activation of the ear to tune into micro-sounds, to micro-sounds that one makes in one’s own body, in relation to the sounds of the environment, and to the sounds that are produced by interaction.

And then also, I do remember, we were dealing with animals, so learning to listen also literally to the sounds that animals make was essential, was necessary, to actually find a proximity. But here again, it’s nothing new, I mean, it’s not an innovative thing, it’s a thing that all farmers know. It’s also very present among anyone who deal with animals. And so, as you can see, I am still not addressing the question of music and I am dealing with listening to different types of sounds that are produced, and the possible responses that can be made to them.

Christine Quoiraud:

During the early days of his visits to Europe, Min Tanaka proposed in his workshops listening exercises such as the one I described above, where participants were blindfolded and had to point with their index finger to the place of sounds produced at various locations in space.

Oguri:

I remember those workshops, and what Katerina said about them. Yes, I agree. Just few things. In performance, there was not anything directly relating rhythm with movement, in Maï-Juku or in Min Tanaka’s dance. And I don’t remember any movements that corresponded exactly to the music, such as a moody melody.[19] So, dance wasn’t related to music in this way. I think really that music is not like making construction of the dance, it was not this kind of relationship. Music is possibly an important element as environment. With music, we could feel something like an emotional trigger or encounter the sounds and silence allowing an understanding of the space. That is what we learned from the natural environment, like I said of the frog sounds, how that sound passed from one field to another, a total experience of the environment in space and time… all night long until I fell asleep. And so, it is in a daily life or artistic creation, or in workshops, where we are experiencing, stimulated by life… this whole life. For me, farming and performing are not separated from living. I don’t separate, our life is one.

And what else? Oh, there was one composer always invited. Mister Noguchi.[20] He plays the synthesizer. So, he always plays music live, he never used records, sampled material, or recorded compositions. He never records his compositions, as dance only happens once. Mr. Noguchi’s sounds happen only one time. It’s easy to say “improvisation”, but it is live music, and it’s not, you know, making a living. How to say? It’s not a question of finding a reason to make the body move through a moody sound that elicit a floating movement. With him, it’s not the case. It’s very much like a stimulation and a space facing. Yes, spatial, spatiality. Yes, he creates a sonic space. That’s my memory.

Minori Noguchi (live electronics) and Min Tanaka (dance), 2006, Tokyo.

 

Minoru Noguchi is a composer who uses electronics, noise, and various equipments. I remember he installed many micro-speakers in the space where the audience was seated. And before the performance starts, in the pre-performance time, that’s start making “t… ttt… tt… t… tttt…” [faint vocal noises], very, very subtle noises happening, yes, and this would gradually change to make like a “free———-” [almost singing]… Yeah. Very much sounds related to space and to the consciousness of the people in the audience, or of performers, consciousness that awakens, that kind of composition and what it could arouse.

Katerina Bakatsaki:

I think it is very interesting, Oguri, the way you raise the question of spatiality of sound. And also, you’re careful to stress the importance of distinguishing the function of the work of Noguchi, of the sounds, of the music made by Noguchi. It wasn’t an ambient music, as you said, it was not creating an atmosphere, but rather to create a space literally in terms of vibrations whose nature is actually very concrete. By this I mean creating space, different types of space, micro-spaces, or different senses of space, different imagination spaces, different sensitivities, or triggering through the ear different sensitivities to space, to space as it exists. I think Noguchi’s input was of this order. Of course, he was also aware that his contribution was part of a work of art in its totality. But his constant input was perceived by us as layers of space superimposed on each other. And that brings me back to training and how training comes into performance. I agree with you Oguri, there are constant interrelationships, flowing into each other, and at the same time, I think there is a combination of ever different situations. The training was really about training the body to listen in different ways, to respond to acoustic experience in many different ways, and to orient oneself in the ability to know where one is, and to situate oneself, to place oneself somewhere in relation to sound. So, in this respect, any acoustic production, the music if you want, the sound matter, during performance was actually received in the same way. Or to put it another way, the bodies were trained or alerted to respond to sound as if it were material, and as if there were also a space that constantly ask the body to orient itself from the nervous system, to orient and re-orient itself, to reposition itself, to place itself again and again. I hope it makes sense what I am saying. Yeah, it was a constant activation of the body trying to orient itself in relationship to sound.

Christine Quoiraud:

As we speak about performance, I have one more memory of early Tanaka Min in Europe. And, at that time, he was performing like almost naked, dancing in slow motion with no music. Except for some duets with Derek Bailey, in Le Palace in Paris, and later with Milford Graves. But then, he started this series called “Emotion”, that was in the early 1980s. But it was “a motion”, as in the sense of setting oneself in motion. And it was accompanied with very strong emotional music, like a very popular music, but it was really a clear decision on his part to play on the audience’s affects. But when we took part in Maï-Juku, if I remember correctly, there were several different kinds of performances. Sometimes we would perform indoors. Most of the time Minoru Noguchi was the sound space maker. But sometimes for solo work, Min would come in with music of his own choosing. Or many times also, we performed outside, for example in rivers. In the movie by Eric Sandrin “Min Tanaka et Maï-Juku”,[21] a sequence of dance in the river is shown, it was an exercise, it was not a performance. The movie maker chose to put some music for the film that had nothing to do with the circumstances. It was at the end of the intensive Maï-Juku in 1985.

Body Weather Dance in the River. Eric Sandrin, « Min Tanaka et Maï-Juku ».

 

Katerina Bakatsaki:

And of course, the soundtrack of the documentary is the artistic choice of the maker of the film.

To go back to the question of music’s relationship with dancing, practicing, performing, moving or exploring, researching dance, again, I feel the need to say that it was through practice and performance, by which I mean the totality of the work, that the main focus was to raise the question of “what is dance?” again and again, and again. And then seeing dance not as a discipline, but as a phenomenon that belongs to life, not only to humans but also to entities other than human. Dance was explored as a thing of its own. You know, maybe the question of dance and music was not even raised. Because dance was seen as a phenomenon in relation to anything else. So, what sounds, sounds, what moves, moves, and that’s it, to put it that way. From this point of view, the major concern was not with the music, but the question was how does the body listen? For me, looking back, I understand that when we talk about dance and music, one of the core questions was not about the music, but how the body listens when it’s dancing, even if it’s outside of any performance.

Christine Quoiraud:

I just want to add something on this point. In my memory you have to distinguish between two situations: on the one hand, there were times when Tanaka was choreographing, and then he would sometimes propose recorded music. On the other hand, at other times, he would perform with a musician, improvising. He would be improvising the dance, and the music would be improvised, with live music. And Noguchi also took part in this process. And by the way, Noguchi had been working with Min for several decades. They knew each other for a very long time, and they worked together for long periods. And, yes, I remember that when Min was choreographing group pieces in a closed theatre, he really organized everything. For example, he would organize the lights, the set, and also the movements, the choreographic movements, he would organize things by giving a kind of narration to the sound somehow, including the silences. He proposed a narrative that would give sounds a raison d’être, a purpose, an objective. I remember feeling that way. And I also remember, for example, that for the solos he choreographed for me, it was pretty clear that it was a form of organization with a peak, a summit, and maybe something perhaps flatter, and at a given moment, I was on a kind of rupture, a silence, a long silence which I had to confront as a dancer on stage. And it was like he forced the dancer’s attention, but also that of the audience.

Katerina Bakatsaki:

Do you mean, Christine, that it was somehow scored? I mean, the acoustic environment was scored in some way and imposed to other people, is that what you’re saying?

Christine Quoiraud:

Somehow scored, yes, as was the lighting design. Actually, when Min encouraged us, advise us to choreograph our own pieces at Plan B, to develop our own work, and I remember very well that we were like helping each other, one dancer helping another dancer. We all tried to construct the stage, the scenography of our performances, with an organization of the lights, with a set, even though the absence of set was of course a set as such, and also the sounds. It was like giving a distribution of elements over the course of the performance. And for me, this was something very important, to have the opportunity, this great chance, this chance to try to do things by myself. It gave me also the possibility to go along with what Min Tanaka had developed in relation to music. Maybe I’m not just describing what Body Weather was as such, but rather talking about my personal experience, there with Min, with training, with life, and with the other dancers.

Oguri:

Just one thing. I remember that during the creation and in the relationship between lighting and sound, there is a kind of communication between the performers, the dancers, and the musician, and with the lighting too. Yes, it is a meeting that happens like that, I think Christine already told you, for the audience and for the dancer. We also felt not an artistic vibration but a spiritual vibration, something to push us to do things, yeah. But I have personally the feeling that… it’s like a secondary thing. I remember that I have a lot to do with lighting at Noguchi’s side. So, I worked a lot as a lighting designer too. I was operating in the lighting booth during the performances, beside dancing. And Noguchi, you know, sometimes provoked the dancers. As I said, he had a synthesizer and a mixer. Sometimes, you know, it was just “boom, boom”, to provoke reactions from the dancers by playing disruptive sounds… OK, “go on, go, go on, go on!”, this kind of noise that urged us to go on. In his company, I felt that it was very much like life itself, rather than a matter of aesthetic experience, a very spiritual matter of being during the performance. Yes, definitively something extra.

Katerina Bakatsaki:

I like what you’re saying, I like this term “spiritual”, I just want to say this: I would use for my part, again, the expression “material”. By this I mean that Noguchi’s sounds and Oguri’s lights, by their presence as an integral part of the performance, implied an interaction, an independence, a resistance, etc… And once again, it wasn’t the type of music, the musical aspect of the music, that counted, but the material, the power of the material itself. The power of the material was what mattered most. Music as material, as very concrete living matter, with all the other bodies and lights alive on stage. I mean, it’s the idea that everything that sounds or moves is part of the totality of the performance and is interrelating constantly. I think this is the way I saw it, that’s how I can voice it today, and how it speaks to me, looking at what it was then.

Oguri:

I think so, material, yeah. In a good way, I understand. And I think that, again, when I was in the lighting booth with Noguchi, we had these kinds of reactions or approaches, aesthetic, and material, spiritual. I learned a lot, later on, when I was dancing with musicians. Because we were like sharing the space, not at any time interrupting each other, but with this kind of almost provocation “come on!”, this kind of relationship. I learned from this experience: how Min Tanaka approached dancing in free improvisation, that relationship. It is this part of interrelationships I learned from when I was in the lighting booth. I am involved at the same time as a third person, working with Noguchi and with Min, we were building a kind of relationship. And it was another kind of material on stage, another being present in the performance. I learned a lot, later on, when I was dancing with musicians.

Katerina Bakatsaki:

Yes, just to clarify my position, when I say “material” I don’t mean ideas, but materiality, just like bodies, such like light, such like the objects that are present, such like the audience, that’s what I’m referring to.

Oguri:

It’s not an ambivalent, invisible thing, and it’s not something that happens backstage, it is really actual, right in front of the audience.

Katerina Bakatsaki:

Yes.

Oguri:

I did not say that dance and music should form a package, in which they are intrinsically linked. It’s about sharing the same space, yeah, and not encroaching on each other’s territory.

Christine Quoiraud:

I have two more memories that come back to me:

a) At the very beginning of Body Weather, there was also Hisako Harikawa. She was exploring voice. She was – I think I read somewhere that exploring voice was part of Body Weather in the early years. I believe she started out as a vocalist, then she became a dancer.

b) I remember once or twice, in a solo performance Tanaka Min choreographed for me, he asked me to speak. To talk, to make my voice heard on stage, improvising. And once, he asked me very clearly: “Please can you evoke a memory of your childhood on stage”. And another time, I forgot what it was exactly. Twice, at least, he asked me to speak during my performance. It was more giving words, sentences. He asked me to tell a story. And of course, I could have lied, and I was speaking in French to a Japanese audience. Yes, I could have lied, but did not think about it [laugh].

Katerina Bakatsaki:

Concerning the difference between the sounds of everyday life and music, I don’t remember a conversation as such on this subject, but I do remember that music was used as such, also with recorded pieces already in existence. I don’t remember having to choose a particular relationship to music, I don’t recall that, like being invited to relate in a particular way to music. But different types of musical scores were used. When I say “music”, I mean the sounds produced during the performance, like sounds produced by another person being part of the performance, or the musical scores. But I don’t recall any particular, specific invitations to relate to music as such in a particular way. That didn’t mean that there was no distinction between different kinds of music. And also, Min himself worked with a lot of musicians playing live music, I mean, in improvisation. So, the music as such was there, present.

Christine Quoiraud:

And also, in his performances he would sometimes produce gibberish. I remember very well at Plan B, sometimes he was like a drunken guy on stage, using his voice. He wasn’t using intelligible words anymore, it didn’t make any sense, the meaning was more into the tone of the voice…

 

8. Conclusion: After the Body Weather Farm

Presentation

In conclusion, Katerina Bakatsaki, Oguri and Christine Quoiraud briefly describe their artistic trajectory after leaving (around 1990) the Body Weather farm. Katerina and Christine returned to Europe and Oguri emigrated to California. It’s interesting to note that, while continuing to be greatly inspired by their experience on the farm, they went on to develop very different artistic initiatives in very different living contexts and places.


Katerina Bakatsaki:

When I came back to Europe, the Japanese context for me was of course inevitably very present at the time, and at the same time also not so much. Many aspects of life there remained important, interesting, fascinating, and relevant to me no matter where I was, or at least I thought so at the time. So, the main question then was how relevant was that experience of life and work in Japan here? Who could I share it with, how could I continue it, who could be my peers, who could understand me? Because when I landed back in Amsterdam, all the work, the way of looking at it, and its ethics could not be understood at all, it was as if I was coming from another planet.

When I arrived in Amsterdam in 1993, there was a lot going on: the milieu of the modern dance, post-modern dance, was in a way much oriented towards the individual as such, I mean, all the methodologies were concern with “what do I feel”, and “this is the truth, this is relevant and good”. But if you were coming from another place, you would constantly asking question like: “Ah! Ah! Hm! Hm! is this OK? Is this how I feel? And yet, is it true? Is it relevant? And how what I experience does meet the other, the other’s body, or the other’s space and time?” The practice that I was embodying had didn’t correspond to the contexts prevailing in Europe at that time. So, little by little, we had to create our own working environments with people who were willing to participate. We built up ways of training ourselves, of practicing and then engaging others, and so on.

It might sound tedious or cheesy, but the biggest lessons for me, the biggest place for practice, was to give birth to a being, to have a little body next to you, to deal with a little baby, a little young body, and to have to understand what it was and to be patient, to learn to live with it, etc. And then, I had to work with people who did not choose to work with me. So, I had a long period of working with people who did not have any background in movement or anything like that. I would not choose them, but for some irrelevant reasons, they would be part of my project. So, I had to be at their service, I had to understand their needs, then invent and devise ways and methodologies to share my work with them. This was for me the biggest school after coming back from Japan. Because of course, in Japan, everyone shared a similar motivation to be there: “I want to be here, and you know, whatever happens I can take care of myself somehow”. Now, I had to work with people who were working with me almost by chance. This created a difference, that dynamic was very interesting for me, and I had to find the appropriate words, ways of devising exercises and methodologies, determining ways of working.

Now, I am not dancing anymore, I am not performing as such anymore, but I am working a lot with others. I am not interested in choreography as such, as a way of presenting work anyway. I did a lot of work developing pieces for non-theatrical spaces. There was a period when I worked with a group of dancers, and we would work in marginalized urban environments. And that meant homeless shelters, or shelters for people who lived with psychiatric or mental illnesses, or houses for victims of domestic violence. So, it’s true that my interest as a maker wasn’t so much in making pieces but rather devising practices geared towards questioning what a practice is and what are the bodies that could be relevant to exist in such spaces. This was rounded up and then I moved on. Now I am working most of the time as a mentor, artistic advisor, and teacher.

Christine Quoiraud:

Well, when I came back, I was pretty lost. It took me a while to readjust to the French state of mind, as I’ve already said, and for two years I was living with my bag on the shoulder. I couldn’t stay in one place. I was just performing and giving workshops. With nowhere to stay really. I lived in a very, very great poverty. But it suited me, and I took charge of my life as a soloist somehow. And then, gradually, I started trying to organize a farm with a dream of repeating somehow the experience. In the South of France. But very quickly that failed totally. It gave me the opportunity to start what I call the “dance camp”, the Summer Dance Camp [Camp de Danse d’Été]. And that’s how I started the Body Landscape projects [Corps/Paysages]. And that lasted over five years.

And then I started developing projects over periods of five years or so. The “Body/Landscape” projects happened everywhere, in countryside, in big cities. I shared a lot of that with Frank Van de Ven at the time. Each year these projects took different profiles. I wanted them to be evolutive, and they did. I also tried to play the role of mentor for young artists, for young dancers. In a way, I was reproducing a bit what I’d learned Japan. Not as a teacher, but as someone who can give the tools to be independent and autonomous in production and exploration. And during these “Body/Landscape” projects, I also managed to bring together the dancers I’d met in Japan. Like Katerina who came several times and others like Andrés Corchero, Frank van de Ven.

And then, Frank and I split up. And I started the walking projects. And that was for me a way of getting closer to the essential questions: What is dance? What is art for? For whom? Is art separated from life? So, the walking projects were developed over many years, in fact seven years. I focused everything into the fact of walking, on the notion of being a collective in movement. For, say, one month, one thousand kilometers. Nothing was planned, nothing was organized. I called that an “improvisation workshop”. And the first improvisation was to find a place to stay at night. Sometimes it was raining outside. We had no tent. And gradually I took people along to do performances, to exercise themselves in public. So, it was also dealing with the reasons of life, of the ordinary life in the places we were passing by, whether crossing cities or in the countryside. We behaved differently if there was a group of ten people, or twelve people. If you are in the middle of the mountain, or suddenly you are in Pamplona or in a big city, you’re obliged to change, to adjust your behavior to what you’re encountering.[22] And for me, those walks were the happiest period of my life. Because in the end, there was no “teaching”, no “performing”. It was just a matter of walking, sometimes without taking anything, not even a toothbrush. And since then, I’m just getting old, that’s all, [laugh] busy with archives and telling stories. But I am still teaching, giving workshops a little bit. Sometimes being a mentor when asked.

Oguri:

OK, what happened to me? I found, yeah, gold, I got a life partner, Roxanne Steinberg,[25] and I moved to the United States thirty years ago. She participated to the sixth Maï-Juku (1986). With Roxanne and Melinda Ring, we started the Body Weather Training in Los Angeles. And we were invited to participate in an artistic residency program at a homeless women’s shelter in downtown Los Angeles. So, that was my new platform for teaching and performing. And with that program, I made a contract for transforming an old chapel into a theatre space, called Sunshine Mission, as part of the homeless women’s shelter. That was the beginning of my career in Los Angeles, we had a space, a studio to teach and perform. It formed the Body Weather Laboratory/Los Angeles. And we applied to be recognized as a non-profit organization. That way we could get support from the city, like the Cultural Affairs department, or the County of Los Angeles, the State of California, and so on… We started presenting an art program. And after five or six years, we moved to Venice, west of Los Angeles, to set up our own studio. Now I am in artistic residency at the Electric Lodge, a studio theatre. I continue the Body Weather workshops and performing and producing by myself, or in group work. And I present emerging dancers or master dancers in the city, and my old colleagues. I invited Christine, Andrés Corchero, Frank van de Ven to be here, teaching and performing here in Los Angeles. So, in doing that, and also since my experience in Japan was very much related with the land, I developed projects in the lands in California. I spent a couple of years to a project in the desert, a research for ways of dance resource in the United States. So, I was digging desert land to produce site specific works, working with non-dancers. It would be a big group of people, in a specific site, without taking any permission, something like a happening performance in a public space. And seasonally, I am being guest faculty at UCLA or Bennington College (Vermont), in a university teaching context. And I’m still presenting my solo dance and group work. And I’ve been collaborating a lot with Andrés Corchero from Barcelona, and collaborating with Christine Quoiraud as well.

 


1.Hijikata Tatsumi (1928-1986), Japanese dancer, choreograph and teacher, well-known as the creator of butōh dance. See
See: wikipedia

2.Tess de Quincey is a choreographer and dancer who has worked extensively in Australia, Europe, Japan and India as a solo performer, teacher and director. She founded De Quincey Co in 2000. See de Quincey Co
Frank van de Ven is a dancer and choreographer who spent his formative years in Japan working with Min Tanaka and the Maijuku Performance Company. In 1993 he, together with Katerina Bakatsaki, founded Body Weather Amsterdam, a platform for training and performance. See Centre national de la Danse
Andrés Corchero, dancer, resident of Catalonia, explorer of body languages, he worked in Japan with Kazuo Ohno and Min Tanaka. See Body Weather

3.Kazue Kobata (1946-2019) was a Japanese curator, professor, translator, and former Artforum contributing editor, whose interests spanned film, architecture, avant-garde music, and dance improvisation.
See: artforum.org
See also in Christine Quoiraud archives, CND research, “Dive in in fine”: Médiathèque du CND

4.Masanobu Fukuoka (1913-2008) is a Japanese farmer, known for his commitment in favor of natural agriculture.
See: wikipedia

5. Kagura : Shinto artistic rite, theatrical dance. wikipedia

6.Seigow Matsuoka: essayist, specialized in art, author of numerous works on culture, Japanese and Chinese art. Director of Editorial Engineering Laboratory, Tokyo.
data.bnf

7.M.B. training, muscles and bones, mind, and body, etc.: dynamic training on music, with jumps, squats, stretching, rhythms, coordination, flexibility, anchoring, etc.

8.Christine Quoiraud’s note: At the farm, there were a lot of people who were just passing through, not necessarily involved in performances. Sometimes there were also dance artists who were not performing at Plan B. There was a lot of passage and variable geometry at the farm. Oguri was at the main core of all Body Weather activities, at all times. A life entirely committed and dedicated to Min Tanaka’s vision.

9.Christine Quoiraud’s note: It happened that a large sum of money came from big productions or participation in commercial films. The money was then used for the life on the farm.

10. Nario Goda, dance critic and journalist. specialist of Butōh. See “Interview avec Sherwood Chen, 7 février 2019, Paris”, translation and notes by Christine Quoiraud, note 232, p. 11. Médiathèque du CND

11. This can be verified by consulting the “Plan B calendars” in Christine Quoiraud’s archives at the CND/Pantin. See CND

12. Christine Quoiraud’s notes: Min was briefing us after the performances with clear feedback comments. He was constantly changing, improving the composition, adjusting for each one. His wish was that nothing should be fixed. No version in advance. He worked by shaping performances with the dancers.

13. Ankoku butō = the dance of the darkness. [la danse des ténèbres]

14. Christine Quoiraud’s note: Min Tanaka transmitted this learning received from Hijikata to us, dancers, first in a workshop situation and then in the use of this practice in performance.

15. Deborah Hay is an American experimental choreographer working in the domain of postmodern dance. She is one of the funding members of the Judson Dance Theater. wikipedia

16. Obon (…) is a fusion of the ancient Japanese belief in ancestral spirits and a Japanese Buddhist custom to honor the spirits of one’s ancestors. wikipedia

17. See Christine Quoiraud’s archives at the CND, Eric Sandrin’s film “Min Tanaka et Maï-Juku”, and by the same author, the film “Milford Graves and the Japanese” on YouTube.

18. Judson Dance Theater was a collective of dancers, composers, and visual artists who performed at the Judson Memorial Church in New York between 1962 and 1964. wikipedia

19. Christine Quoiraud’s note : Min Tanaka often danced to well-known salsa tunes or other very sentimental music.

20. Minoru Noguchi, a musician and composer who worked with Min Tanaka up to today. See Youtube

21. See « Min Tanaka & Maijuku”, documentary part 4/5 (at 2’58 »): Youtube.

22. My watchword then was “circuler, circulez” (pass by, go through, let’s move on)

Conte/Conte2

Access to the English translation: The Tale of the « Tale »

 


Le Conte du « Conte »

Louis Clément, Delphine Descombin, Yovan Girard, Maxime Hurdequint

Textes édités et mis en page : Jean-Charles François

Mars 2024

 

Les quatre protagonistes ont collaboré à un spectacle « Le Conte d’un futur commun », avec :

Louis Clément, initiateur du projet, participation du public et animation des dessins.
Delphine Descombin, conteuse.
Maxime Hurdequint, dessins.
Yovan Girard, musique.

Les textes sont le résultat de quatre interviews séparées de chaque artiste réalisé en 2023 par Nicolas Sidoroff et Jean-Charles François.

Sommaire :

1. Le récit de Delphine.
2. Les études d’architecture, Louis et Maxime.
3. Le voyage en Afrique de Delphine.
4. Yovan Girard, le musicien.
5. Le retour en France de Delphine.
6. Les hésitations de Maxime entre architecture et dessin.
7. Le récit de Yovan (suite).
8. Le récit de Delphine (suite). Trapèze et conte.
9. Les récits de Louis et de Maxime (suite).
10. Le récit de Yovan (suite), le projet « Un violon pour mon école » (suite).
11. Delphine, le Conte du crâne et du pêcheur.
12. Le petit carnet des arbres. Maxime Hurdequint, Maxime Touroute et Louis Clément.
13. Le récit de Delphine (suite). Le Conte du petit poucet.
14. Delphine et le conte. Maxime, l’architecture et les dessins. Yovan et la composition.
15. Le Live Drawing Project.
16. Delphine : Deux contes.
17. Origine du « Conte d’un futur commun ».
18. Le projet immersif de l’AADN.
19. Le « Conte d’un futur commun ».
20. Louis, une année de réflexion.
21. L’écriture du Conte, Delphine et Louis.
22. Les dessins et leur animation. Louis et Maxime.
23. Une musique traditionnelle du futur ?
24. L’élaboration de la musique. Musique pré-enregistrée ou musique en direct. Louis et Yovan.
25. La musique et le conte, Delphine et Yovan.
26. La musique et le conte, Louis et Yovan.
27. Les conceptions de Yovan sur la musique et de Maxime sur les dessins.
28. Le conte et les dessins. Delphine, Maxime et Louis.
29. La sonorisation.
30. Communication par Notion.
31. Les résidences : LabLab, Chevagny, Vaulx-en-Velin, Enghien-les-Bains.
32. La participation du public.
33. La résidence d’éducation artistique et culturelle à Hennebont. Louis, Delphine et Yovan.
34. Les résidences (suite) : Paris, Nantes.
35. Écologie. Delphine.
36. Conclusion.


 

1. Le récit de Delphine

Delphine :
D’où vient le conte ? C’est par le conte, du coup, qu’on vient au Conte… Le Conte vient de quand j’étais au lycée et j’ai rencontré Marie Jourdain, qui est la fille de Marie-France Marbach[1].
Au lycée, j’étais en internat, elle me racontait des histoires tout le temps. J’ai rencontré sa mère et Geo Jourdain. Et j’ai adoré ces gens, qui étaient complètement différents de ce que j’avais moi comme référent dans ma famille. C’est eux qui m’emmenaient à l’école, à l’internat le dimanche soir et qui me ramenaient le vendredi soir. Et je passais énormément de temps avec Marie, qui m’a parlé de l’Afrique, qui m’a raconté plein d’histoires. Et à la suite de ça, j’ai quitté le lycée, je suis partie en Afrique. Là, j’ai entendu plein d’histoires, plein de contes. Et puis, quand je suis revenue d’Afrique, Marie-France voulait absolument que je raconte mon voyage. Et je ne voulais pas, je ne voulais pas parler, je n’étais pas prête du tout à parler devant les gens. Elle me prenait par surprise, et je venais beaucoup voir ses spectacles. Elle m’a offert des stages, elle a vraiment cru en moi, alors que moi-même, je n’y croyais pas vraiment. Donc je suis restée très en lien avec Marie-France.

L’internat, c’était à Louhans, c’était une école d’arts plastiques. C’est le seul lycée qui a bien voulu de moi, parce que j’avais de très mauvaises notes et je ne suivais pas du tout l’école. C’est ma tante qui a trouvé ce lycée qui a bien voulu m’accepter. Je restais dehors, je n’allais pas dans les cours. J’étais à l’internat, mais je restais dehors. J’étais sous les arbres, j’écoutais les oiseaux, je n’avais pas du tout envie de m’enfermer en classe. Souvent, le directeur me convoquait et on avait des discussions tout à fait philosophiques, très intéressantes. Donc il m’avait fait intégrer le cours de philosophie des premières !  Après, il me demandait ce que je voulais faire plus tard, je lui disais : « Je ne sais pas, peut-être m’occuper de chèvres, peut-être… ». Je ne savais pas du tout ce que je voulais faire, mais c’étaient des questions importantes que personne ne m’avait posées. C’est vrai que j’ai eu la chance de tomber sur de belles personnes. Et les cours d’arts plastiques me plaisaient beaucoup. Il y avait deux profs d’arts plastiques qui étaient super, qui nous emmenaient à Lyon voir des expos, on est même allé à Strasbourg voir des musées, c’était vraiment super. J’assistais à ces cours, c’étaient des créations que je faisais. Pour le reste des cours j’avais vraiment un rejet, ouais, ils m’ennuyaient beaucoup. Donc c’est pour ça qu’après, j’ai pris mon sac à dos et j’ai eu envie d’aller en Afrique. C’est un voyage qui a duré assez longtemps, je me suis arrêtée en chemin, je n’avais pas du tout d’argent. J’ai travaillé comme saisonnière dans des hôtels-restaurants, je faisais du service, et ils me logeaient en même temps. J’ai vendu des croissants, j’ai travaillé dans des boulangeries, j’ai fait toutes sortes de jobs. Et puis après, j’ai rencontré quelqu’un dans la rue qui crachait du feu, qui m’a appris à cracher du feu. Ça a été mon premier vrai métier : je crachais du feu et puis je faisais la manche. En fait, je faisais des bulles devant la boulangerie, je racontais de la poésie. J’arrivais toujours à trouver quelque chose à faire, mais je détestais tout ça, je trouvais ça insupportable.

 

2. Les études d’architecture, Louis et Maxime

Louis :
Mon parcours commence le 23 décembre 1986. Je ne sais pas jusqu’où je remonte, mais je pense que mes parents ne sont pas étrangers à ce qui m’a façonné. Je pense que si on remonte très loin, on va dire que ce qui m’a façonné, c’est la découverte de la lecture, et après surtout la lecture de ce qu’on appelle l’imaginaire, tout ce qui touche à la science-fiction, fantaisie, etc. Et d’un point de vue plus professionnel ou en tout cas dans mes études, j’ai passé un bac S, après j’ai fait des études d’architecture à Paris-Val de Seine et j’ai obtenu un diplôme. À partir de la fin de ma licence, j’ai commencé à me dire que l’architecture ça ne devait pas vraiment être pour moi. En fait, j’avais l’idée un peu utopiste déjà à l’époque que devenir architecte allait me permettre de concevoir des espaces pour que les gens s’y sentent bien et surtout que ça puisse les aider à réfléchir, à changer le monde, etc.

Maxime :
Mon cousin, Louis Clément a également fait des études d’architecture. Avec Louis, on a un an d’écart et en fait, on ne s’est pas spécialement concerté, on est parti sur cette voie séparément. J’étais à l’INSA à Strasbourg et lui au Val de Seine à Paris, on a poursuivi notre chemin comme ça, séparément. C’était une période de notre vie où on se voyait moins, mais on parlait un petit peu d’architecture.

Louis :
Et après je me suis confronté au Master et aux réalités de la construction, du fait que, si tu deviens architecte, tu deviens surtout constructeur. Tu bosses dans des boîtes plus ou moins de grande échelle, et au final, ton travail est extrêmement déterminé par des considérations budgétaires. Et du coup, je me suis dit que ça allait moins m’intéresser. J’ai quand même fait ma première année de Master à Anvers, ça s’est plutôt bien passé, et je commençais à me dire déjà que j’allais m’orienter du côté du spectacle, enfin de la scénographie, etc. Et après, en deuxième année de Master, j’ai un peu volé mon diplôme, mais je l’ai eu quand même, j’étais assez content de moi. Et puis j’ai eu la chance de travailler pour un architecte, alors j’ai fait mon stage de Master chez « Scène scénographie », un truc très bien. On a travaillé sur la scénographie du Musée d’Alésia, de la Grotte Chauvet II, donc j’ai eu la chance de compter les stalactites pendant des heures et des heures, c’était très intéressant ! Intéressant mais voilà… C’était marrant en tout cas de travailler sur de beaux projets.

Maxime :
En fait, pendant la terminale, je me suis présenté dans une école d’architecture, peut-être Lyon ou Grenoble, je suis arrivé les mains dans les poches en me disant : « Architecte, c’est un métier qui s’apprend, je ne vais pas apprendre avant quoi ! » Je me suis rétamé et ma seule option, c’était d’aller en classe préparatoire. Donc, je me retrouve en première année de classe préparatoire.

Louis :
Et après, quand j’ai commencé à travailler en tant qu’architecte, j’ai été pris chez François Pin, un architecte qui a également un festival de musique dans les Carrières de Normandoux[2], et qui a monté la Marbrerie à Montreuil. J’ai bossé sur le projet de la Marbrerie, ce qui était l’un des projets les plus gros, les plus intéressants que j’aurais pu faire en tant qu’architecte : c’était un truc multiprogramme, où il y avait une résidence d’artistes, une piscine, un restaurant, une agence d’architecture, une salle de spectacles et en plus j’étais chargé d’en faire les esquisses. Donc j’aurais pu vraiment m’éclater et je suis resté quasiment six mois. En fait, ça ne m’éclatait pas du tout, donc je me suis dit que si ça, ça ne m’éclatait pas, eh bien, je ne voyais pas ce que je faisais encore en architecture, parce que, je pense, je n’aurais pas pu trouver un projet plus intéressant.

Maxime :
Avec Louis, mon cousin, on s’influence mutuellement, peut-être parce qu’on se connaît très bien. C’est-à-dire que quand on a grandi, on s’est quand même vu très régulièrement, on ne s’est jamais vraiment perdu de vue. Donc c’est toujours une relation fluide entre nous, on ne s’engueule pas, on n’en a pas besoin en fait. Je pense qu’on s’ajuste parfaitement, donc c’est ça l’influence. J’imagine aussi que, comme on a tous les deux une formation d’architecte, on parle le même langage, ça nous aide à communiquer quand il y a certains concepts. Je n’ai pas besoin de lui expliquer tel ou tel projet d’architecture.

 

3. Le voyage en Afrique de Delphine.

Delphine :
J’ai bien mis un an, de 17 à 18 ans, pour récolter l’argent pour mon voyage en Afrique. J’ai fait les saisons d’été, les saisons d’hiver. De toute façon, ma mère n’acceptait pas de me laisser passer la frontière. Donc, à 18 ans, je passais pile la frontière d’Espagne. À 18 ans, je ne craignais plus d’en être empêchée par la police. En fait, je me suis déjà fait arrêter dans des commissariats de police et ils me suivaient, ils suivent les gens qui sont dans la rue, ils ont leurs photos et ils savent où ils sont. Ils savaient que j’étais dans la rue, c’est drôle, ça, parce qu’ils ne le savaient pas tant qu’ils ne m’avaient pas arrêtée.

Je suis descendue jusqu’en Espagne. J’ai pris le bateau à Gibraltar, je suis arrivée au Maroc et puis je suis descendue en Mauritanie, j’ai continué jusqu’à Dakar, au Sénégal. Et après, je voulais absolument aller au Burkina Faso, parce que j’avais rencontré des Burkinabés en France, je voulais vraiment les rejoindre, c’étaient des danseurs et des percussionnistes. J’ai donc pris le train pour Bamako, au Mali où j’ai repris un autre train pour Ouagadougou au Burkina Faso, en 48 heures de train, c’est très long.  Et après, je suis allée jusqu’à Koudougou, ils habitaient là-bas. Je suis restée là-bas un an et demi.

Il y a eu un moment en Afrique où je me suis demandé ce que je faisais là : à quoi ça sert que je sois là ? J’étais blanche, alors, l’air de rien, je n’avais pas l’air de vivre là – pourtant je n’étais pas une touriste ! – mais quand même, j’étais là, je n’avais pas grand-chose à faire là, je pouvais simplement me laisser vivre, vivre avec les gens, mais j’avais l’impression d’être en face d’un dilemme dans ma tête. On avait de grandes discussions, c’était super chouette ce que j’ai vécu intellectuellement. Par exemple, au Burkina Faso, on était là à boire du thé et à discuter. Ce sont vraiment des intellectuels très intéressants, mais ce ne sont pas les mêmes intellectuels qu’en France, on ne vient pas de la même chose. Et j’avais un manque vital de pensée intellectuelle occidentale. C’était aussi le manque de livres, de cette nourriture-là, j’en manquais beaucoup. Et en plus, pour moi ça manquait de sens : là-bas, il y avait beaucoup de problèmes, c’est-à-dire qu’ils n’arrivaient pas à vendre leur blé parce qu’il y avait beaucoup de concurrence, il y avait des problèmes sociétaux.

Et je me rappelle une fois, j’étais dans le désert et j’entends un gars avec une toute petite radio et qui me dit : « Oui, je crois que dans ton pays, ça ne va pas très bien, il y a un monsieur qui va se faire élire. » En fait, c’était Le Pen, Le Pen contre Chirac, à l’époque. Et je me rappelle m’être dit : « Mais qu’est-ce que je fais là, alors que c’est peut-être là-bas qu’il y a la base du problème ». Tout était beau, le paysage est magnifique, la température était belle, je pense qu’il y a là-bas une manière de vivre qui est vraiment chouette par rapport à ici. Et en même temps, je me disais : « Moi, ce n’est pas ma place ici, qu’est-ce que je fais là ? » C’était un peu un dilemme. C’est pour cela que je suis revenue car ça n’avait plus de sens pour moi d’être là-bas.

Moi, ça m’a sauvé la vie de partir là-bas, ça m’a sauvé la mise. Quand j’étais en France, les gens disaient que j’étais folle, ma famille disait que j’étais folle, enfin j’étais vraiment un peu perdue. Et quand je suis arrivée en Afrique, il y avait cet esprit de famille, quelque chose de tout à fait naturel, je trouvais ça hyper sain, hyper normal. J’avais beaucoup de mal en France, et c’est vrai qu’en Afrique ce n’était pas le cas. À mon retour en France, à Montceau-les-Mines j’ai pu vivre avec une bande de copains, ça a été pour moi une famille, c’est ce que je n’avais pas. Et c’est vrai que cette bande de copains, je l’ai toujours.

 

4. Yovan Girard, le musicien

Yovan :
Je suis musicien depuis longtemps. Je suis violoniste à la base, donc j’ai une formation classique et de jazz. Je suis issu d’une famille de musiciens, mon père, Jean-Luc Girard, est compositeur, il a écrit pas mal de pièces, on va dire classiques, mais qui sont toujours un peu hybrides. J’ai l’impression de suivre ce chemin-là aussi, dans le sens où il écoutait aussi beaucoup de rock, et il écoutait ce qu’on jouait. Il aimait bien les compositeurs un peu extraterrestres, les Frank Zappa (je n’aime pas particulièrement Zappa), il nous a toujours fait écouter plein de musiques différentes, ce n’était pas un ayatollah du jazz ou du rock, il était assez ouvert d’esprit. Mon frère, Simon Girard, est tromboniste, et nous avons toujours joué ensemble. Simon et moi on a eu un groupe, et on a joué ensemble dans pas mal de groupes. Simon est beaucoup dans le jazz, même s’il a joué dans des groupes de musiques actuelles. Je connaissais Louis Clément depuis notre petite enfance. Les parents de Louis et mes parents se connaissaient très bien depuis longtemps.

 

5. Le retour en France de Delphine

Delphine :
Je suis rentrée en France et j’ai atterri à Montceau-les-Mines, c’est là où je me suis arrêtée longtemps. Déjà, je suis tombée amoureuse d’un garçon qui était tailleur de pierre et peintre, je suis restée vivre là avec toute une bande de copains dans une maison avec des matelas par terre. Le problème, c’est que, quand on s’installe et qu’on devient sédentaire, c’est là où l’on devient vraiment pauvre, parce qu’il faut payer un loyer, payer l’électricité, payer l’eau. Avant cela, je n’avais jamais eu le sentiment d’être pauvre. Mais là, c’était vraiment une réalité, je n’avais pas une thune et il fallait vivre.

Scène 1 : avec l’assistante sociale

Une assistante sociale : Je te propose faire une formation qui s’appelle IRFA-Bourgogne[3].

Delphine : De quoi s’agit-il ?

L’assistante sociale : C’est une formation où on essaie plusieurs jobs, enfin, on essaie plusieurs corps de métiers qu’on choisit, on démarche des boîtes. Il y a une vingtaine de personnes dans cette formation, il y en a peut-être qui travaillent dans les pompes funèbres, d’autres dans la mise en rayon, dans un centre d’appels téléphoniques, il en y a qui font du ménage, de la blanchisserie…

Delphine : … c’est tous des trucs qui ne me conviennent pas ! Je ne me vois pas faire ça.

L’assistante sociale : Tu sais, il y a peut-être aussi d’autres trucs que ça, tu peux aller voir, je ne sais pas s’ils vont t’embaucher, mais tu peux aller voir…

Delphine : Je vais essayer l’Atelier du Coin[4] de Montceau et le Gus Circus de Saint-Vallier[5].

 

Scène 2 : au Gus Circus

Un gars du Gus Circus : Bonjour Delphine.

Delphine : Tu veux bien devenir mon ami ?

Un gars du Gus Circus : Oui. Viens, tu fais du fil, tu jongles, tu peux venir tous les jours quand tu veux, la porte est toujours ouverte.

Delphine : C’est bien, je vais pouvoir m’entraîner, ça me plait beaucoup.

Un gars du Gus Circus : Tu sais, le Gus Circus ne veut embaucher personne.

Delphine : Ça ne fait rien, je vais tout de même rester, ça va aller, ça me convient bien. J’ai déjà une fibre comme ça, dans la rue j’ai craché du feu, j’ai jonglé avec des balles.

 

Delphine :
Donc ils m’ont embauché en contrat aidé, ça a été mon premier emploi, mon premier contrat à long terme, sur six mois. Et puis après, je suis restée à donner des cours aux enfants pendant à peu près trois ans. Je crois qu’ils ont renouvelé une fois le contrat, c’étaient des contrats aidés pour les associations, un truc pas cher, remboursé à 80% par l’État, donc ils pouvaient le faire. Et puis après, ils m’ont vraiment embauchée parce qu’avec une personne de plus pour travailler, cela voulait dire plus d’enfants, donc ça roulait. J’ai donc bossé au Gus Circus de Saint-Vallier pendant… Je ne sais même pas combien de temps.

On travaillait toutes les disciplines : le clown, le fil, le trapèze, la jonglerie. J’ai passé le diplôme, le BIAC[6] [Brevet d’initiation aux arts du cirque], pour enseigner les arts du cirque. Et puis après, l’association a implosé de l’intérieur. En fait, c’étaient des parents d’élèves qui étaient les patrons et ça s’est très mal passé, il y a eu des conflits d’intérêt, des conflits de pouvoir. Comme on était salariés, on ne pouvait rien dire, c’était leur décision, et du coup, ça a explosé, donc on est parti, mon ami et moi. Je me suis lancée dans une formation professionnelle de trapèze à Moux-en-Morvan, avec une trapéziste complètement folle, Nicole Durot[7], qui faisait des performances sous hélicoptère, sous montgolfière, enfin du trapèze sans sécurité. Elle a 60 ans, hein ! quand elle m’a pris en formation, elle faisait encore ce genre de truc, c’était une warrior. Je suis restée six mois chez elle en formation intensive.

 

6. Les hésitations de Maxime entre architecture et dessin.

Scène : la rencontre de Maxime avec le Vénérable Membre du Grand Conseil.

Le Vénérable Membre du Grand Conseil : Maxime, après cette année en classe préparatoire, comment vois-tu ton avenir ?

Maxime : J’ai suivi le programme très sérieusement et je m’en suis tiré de façon honorable, mais maintenant je me pose des questions.

Le Vénérable : Qu’est-ce qui t’intéresse ? Devenir ingénieur ?

Maxime : Ah non ! je ne veux pas être ingénieur, ça ne m’intéresse pas, ce n’est pas ce que j’ai envie de faire, en fait je crois que je veux vraiment être architecte.

Le Vénérable : Tu as fait du dessin ?

Maxime : Comme tous les enfants, j’ai dessiné et je pense que j’ai été un peu encouragé.

Le Vénérable : Peux-tu me montrer tes dessins ?

Maxime : Oui, voilà.

Le Vénérable : Ils sont bien tes dessins.

Maxime : Le dessin a suffi à me motiver et à continuer. Je sais que mes frères dessinaient très bien, mais je ne sais pas pourquoi, il se trouve que moi, ça m’a poussé et donc j’ai persisté. Et c’est vrai qu’étant enfant, mes parents m’ont inscrit à une école de dessin, et je pense que, éventuellement, ça ouvre quand même des portes. J’allais à cette école tous les mercredis pendant une heure, et le professeur donnait des idées de dessin, ce que j’aimais bien, c’est ce qu’il disait.

Le fantôme du professeur de dessin : Voilà, je ne sais pas, vous allez dessiner des personnages, et vous allez faire en sorte que les pieds touchent le bas de la feuille, la tête le haut de la feuille.

Maxime : En fait, ça faisait penser aux frises grecques ou égyptiennes, et du coup, j’aimais bien cette idée de fixer une règle du jeu assez simple, et après, on y allait, et on voyait que les résultats étaient tous différents. Donc je pense que c’est ce que j’ai retenu, c’est que, voilà, on se fixe une règle vraiment totalement arbitraire, et elle vient amener plein de résultats possibles. Aujourd’hui, j’aimerais peut-être bien faire les art-décos, il y a des sections illustrations.

Le Vénérable : C’est une alternative possible. Oui ça peut être bien pour toi de te diriger vers l’architecture.

Quelqu’un qui passait par là : Oui ça peut être bien pour toi de te diriger vers l’architecture.

Une dame : Oui ça peut être bien pour toi de te diriger vers l’architecture.

Maxime : Effectivement, je pourrais partir dans cette voie-là.

Le Vénérable : Ça serait bien pour toi. Tu pourras continuer à dessiner pendant tes études d’architecture.

Maxime : Je n’abandonnerai jamais le dessin, mais je ne le prends pas trop au sérieux, je n’imagine pas faire carrière dans ce domaine. C’est un truc que j’aime bien faire, j’aime bien me voir progresser, j’aime bien le regarder, j’aime bien le partager, mais je ne le prends pas assez au sérieux. L’architecture est quand même assez proche du dessin.

Le Vénérable Membre du Grand Conseil : En fait, on peut vraiment être un excellent architecte sans savoir dessiner. Après, c’est intéressant de savoir dessiner pour communiquer ses idées. Donc on peut finalement mal dessiner, mais bien savoir dessiner ses idées. Après, bien dessiner, ça peut quand même servir en architecture.

Maxime : Oui, je pense que ça va m’aider, je ne serais peut-être pas le meilleur, mais je pense que c’est bien que je sache dessiner, ça va être un plus pour l’architecture.

Le Vénérable : Il ne faut pas se faire d’illusions, finalement, assez vite, on passe sur l’ordinateur et puis ce n’est plus nécessaire de dessiner.

Maxime : Ah ?

Le Vénérable : Ben voilà, il existe une voie de contournement à l’INSA de Strasbourg, le recrutement se fait après un an seulement de classe préparatoire et ils ont un programme d’architecture. J’ai une collègue qui a son fils qui fait ça, appelle-le !

Maxime : Bingo ! Je vais le faire, si je rentre dans cette école, je n’aurais pas perdu un an et en fait, je pourrais être avec des gens comme moi qui ont choisi cette voie-là.

Le Vénérable : L’INSA de Strasbourg a été fondée pendant la période allemande (1870-1918) et du coup, à cette époque-là, les Allemands ne faisaient pas de distinction entre architecte et ingénieur. Cette école a donc une tradition d’école d’ingénieurs, mais elle forme aussi des architectes, c’est quelque chose qu’ils ont voulu garder. Il y a 50 architectes qui sortent tous les ans, je crois que maintenant il y en a un petit peu moins. Pendant les premières années, le cursus est beaucoup plus axé sur l’ingénierie, donc le génie civil et après le génie thermique.

Maxime : Je n’ai pas une volonté particulière pour aller dans cette direction.

Le Vénérable : C’est une occasion à saisir.

Maxime : Oui, et ça va me permettre d’être en dehors des écoles classiques.

Maxime :
Après mes études d’architecture à l’INSA, j’ai travaillé à Strasbourg et je suis arrivé à Paris où j’ai travaillé pendant 8 ans. Entre-temps, j’avais fait des expériences à l’étranger, un stage au Danemark, un au Mexique. Puis j’ai travaillé deux mois à Tokyo au Japon, parce que c’est une culture que je voulais vraiment découvrir. Je me suis lancé, j’ai envoyé des CV et ils m’ont dit, « Ben vas-y, viens si tu veux ». J’avais déjà peut-être deux ou trois ans d’expérience, ils m’ont pris à l’essai pendant deux mois mais après il n’y avait pas la place pour rester. Je suis donc revenu, mais c’était une très belle expérience.

 

7. Le récit de Yovan (suite)

Yovan :
Le jazz, mon frère et moi, nous a un peu reliés. Et après la pratique du jazz, je suis allé un peu beaucoup vers les musiques actuelles parce que j’aime bien composer. Je suis dans un groupe de rap qui s’appelle Kunta, rap et musique éthiopienne, avec plusieurs instrumentistes. Avec Kunta, je joue du clavier et je rappe en anglais. En fait, je faisais un petit peu de rap de mon côté depuis longtemps et j’avais du mal à imaginer à la fois jouer du clavier et rapper. Maintenant, je le fais dans certains projets de temps en temps, mais au départ, je ne voulais pas trop mélanger les deux, c’était un peu comme deux personnalités différentes. Je jouais du clavier parce qu’on en avait besoin dans le groupe. Je me suis mis à jouer sur des gammes de musique éthiopienne, ce qu’il fallait jouer au clavier n’était pas très compliqué. Maintenant je fais vraiment les deux de manière égale, clavier et voix.

J’aime bien faire plein de musiques différentes, en fait, je ne suis pas fermé. La musique à l’image j’en avais déjà fait pas mal, notamment la musique d’un court-métrage d’un ami, Pierre Raphaël. C’est un peu comme ça que j’ai commencé. Ensuite j’ai fait la musique d’un spectacle, une version de Cartouche un peu modernisée. J’ai toujours composé depuis longtemps, ce qu’on appelle de la prod chez moi sur mon séquenceur avec des claviers, des plugins, ce que « ma génération » entre guillemets fait en home studio, faire des instrumentaux, rapper dessus, mais aussi faire des couplets, parfois des trucs plus chantés, tenter des choses, en fait faire de la musique à la maison. Ouais, voilà, ce qu’on appelle la bedroom music. J’ai toujours fait ce genre de choses, que ce soit du rap ou de la pop, j’aime bien expérimenter parce que j’écoute pas mal de trucs différents.

 

YovanG-230607_165347 - Moyenne  

 

YovanG-230607_165359 - Moyenne

Le poste de travail de Yovan
Photo: Nicolas Sidoroff

 

Scène 1 : Yovan avec un metteur en scène[8]

Le metteur en scène : Je te propose de faire la musique sur un recueil de poèmes de Rimbaud. Tu pourrais jouer du violon.

Yovan : Je propose que ce soit du violon seul, sans effets, j’aime bien l’idée que ce cela soit le plus simple possible.

Le metteur en scène : J’insiste pourtant pour qu’il y ait aussi des effets sur certains passages, où j’entends des couleurs différentes.

Yovan : Je vais faire ce que tu me demandes. J’aime partir d’une idée simple, composer pour un projet, mais sans m’occuper du live, parce que si on doit mettre en live ce qu’on a déjà composé à la maison, c’est toujours compliqué, à moins de composer pour un groupe.

Le metteur en scène : Je voudrais pourtant que tu fasses tout de suite le multi-instrument (violon et effets électroniques) sur scène.

Yovan : Ça m’angoisse un peu. Non, je préfère ne jouer que du violon. Je vais écrire une pièce pour violon solo, sans rien d’autre, plutôt que de devoir tout de suite m’engager dans le couteau suisse.

Le metteur en scène : J’ai pourtant besoin de ces changements de couleur à certains moments.

Yovan : OK, je veux bien, je vais le faire parce que tu me le demandes. Mais je vais juste prendre un delay et une disto, parce que ce sont des effets que je connais bien, qui font deux trucs différents et qui peuvent être utiles.

J’ai aussi composé de la musique pour les arts numériques, par exemple pour un artiste numérique qui s’appelle Minuit, Dorian Rigal[9], il fait des projections murales et pas mal de choses d’immersion. Il est aujourd’hui très demandé partout, notamment à la Fête des Lumières à Lyon. J’avais déjà fait de la musique illustrée pour sa scénographie. Et du coup, le projet du « Conte d’un futur commun », c’est un petit peu dans la continuité de tout ça, de faire de la musique à l’image, enfin de la musique de spectacle.

Scène 2 : au début du projet du « Conte d’un futur commun », Louis et Yovan

Louis : Bonjour. Ces deux jours qui viennent, c’est une première résidence pour commencer à travailler sur la musique du « Conte d’un futur commun ».

Yovan : Ce n’est pas ce que j’avais compris, alors que le texte du conte n’est pas encore complètement écrit. Ben moi je préfère composer chez moi en amont.

Louis : Non mais prends quand même quelque chose pour jouer.

Yovan : Ben écoutes, si tu veux, mais ce ne sera pas exactement ce qui va se passer. Mais j’ai mon clavier analogique avec moi. Je peux commencer par faire des nappes. Tiens, j’en choisi une, pour l’intro ça pourrait être un démarrage.

Louis : On va surtout beaucoup parler de comment on va procéder à partir de ça.

 

8. Le récit de Delphine (suite). Trapèze et conte

Delphine :
Pour vivre du trapèze, le problème c’est de l’accrocher. Je voulais être autonome, alors j’ai construit une yourte (je l’ai encore dans mon jardin) dans laquelle je suspends un trapèze. Dans cette yourte je pouvais donner des spectacles et faire des ateliers, ça me donnait un job autonome. J’ai fait ça dans le Morvan (parce que j’habitais pas mal dans le Morvan), à La Tagnière à Saint-Eugène. La yourte, ça se démonte et ça se remonte, ça n’a pas arrêté de se démonter, de se remonter pendant quatre ou cinq ans. Ce n’étaient pas des spectacles avec des paroles, ce n’était que du trapèze, des performances impromptues avec des musiciens que je rencontrais.

Scène entre la Vénérable conteuse et Delphine

La Vénérable : Tu traînes pas mal avec des punks, je n’aime pas trop ça.

Delphine : Je suis venue avec eux à ton spectacle. Ils ont bien aimé.

La Vénérable : Tu files un mauvais coton.

Delphine : Je sais que ce sont des fréquentations qui ne sont pas ce que tu souhaites, mais moi, j’aime les punks, c’est ma famille.

La Vénérable : Tu traînes dans les bars.

Delphine : C’est quelque chose de très fort pour moi.

La Vénérable : Jamais je ne vais te laisser tomber.

Delphine : Merci.

La Vénérable : Tu devrais devenir une conteuse, raconter les histoires liées à ton séjour en Afrique.

Delphine : Je suis incapable de raconter ce que j’ai vécu.

La Vénérable : Je te propose de créer un spectacle pour les Contes Givrés[10] sous la yourte.

Delphine : Je ne suis pas du tout prête à parler en public. Je peux peut-être faire un spectacle sans paroles.

Delphine :
Ça a été mon premier spectacle sans paroles pour les Contes Givrés, qui s’appelait « Liberté ». C’était une performance de vingt minutes de trapèze accompagné à la guitare, sous la yourte. Pour la première fois c’était vraiment un spectacle qu’on avait fixé, vendu et joué. Et c’est quelque chose qui a tourné pas mal dans les festivals. Cela m’a rapprochée de Marie-France Marbach, du coup, je suis revenue m’installer dans le coin. J’ai mis la yourte à la Fabrique, un lieu de création de résidences qui est à Savigny-sur-Grosne, à Messeugne. J’ai retrouvé Marie-France, et puis j’habitais chez Pauline, qui travaille avec les Contes Givrés. Elle est partie faire un tour du monde, elle est partie un an en Orient, et du coup, elle m’a laissé tout son appartement, parce que je n’avais rien.

 

9. Les récits de Louis et de Maxime (suite)

Scène entre Louis et Maxime. L’architecture et la scénographie, l’architecture et le dessin.

Maxime : Je n’ai jamais abandonné le dessin parce qu’au fur et à mesure que j’avançais, même quand j’ai travaillé en tant que salarié en agence d’architecture, je trouvais que les projets étaient longs, donc on dessine, au début on présente des esquisses, des images 3D, des dessins, plein d’éléments comme ça, très beaux qui donnent envie d’arriver au résultat. Cette partie, là, c’est super, mais après, moi je veux arriver plus rapidement à un résultat, je ne veux pas juste faire des belles images. Et aller au résultat, c’est très long, il y a vraiment beaucoup d’embûches qui font qu’on peut basculer dans autre chose de différent de ce qu’on veut faire.

Louis : En ce qui me concerne, c’était important pour moi d’être mon propre patron, donc je me suis dit que la scénographie pour l’évènementiel me semblait plus indiquée que le travail dans un cabinet d’architecture, parce que si tu es ton propre patron en tant qu’architecte, c’est beaucoup de problèmes, comme par exemple la décennale [11], et surtout j’étais confronté à la temporalité du déroulé d’un projet qui en architecture peut facilement s’étaler sur une dizaine d’années. Je préférais mener des projets sur une dizaine de semaines, même si finalement maintenant c’est un peu plus que ça.

Maxime : J’aime quand même l’architecture, alors je continue à pratiquer de cette manière, parce qu’il faut deux ans pour réaliser un projet, c’est super gratifiant d’y aller, de le vivre. Mais j’avais besoin de faire des créations sur des temps beaucoup plus courts.

Louis : Avec la scénographie pour de l’évènementiel, j’étais un auto-entrepreneur, voilà, petite main pour des boîtes d’évènementiel. Deux ans plus tard, je me suis lancé dans le travail de régisseur de spectacle pour l’Ensemble Aleph[12] et d’autres organisations. Et par ailleurs, j’ai commencé à découvrir ce qu’était la vidéo-projection, le mapping. Cela m’a beaucoup intéressé et j’ai commencé à en faire. Et après, le fait de rencontrer des gens qui faisaient de la vidéo-projection m’a amené vers les arts numériques et m’a conduit plus spécifiquement vers les parcours guidés par smartphones. On a un outil assez puissant dans sa poche, dont on ne se sert que pour faire pas grand-chose. Je me suis dit que ça pouvait être intéressant de voir ce qu’on pouvait en faire.

Maxime : Je me souviens que le soir chez moi, les week-ends, je me disais : « Je prends deux heures et je fais au moins un dessin dont je serais content ». Et un petit rituel s’est installé : souvent j’en fais un le soir et je le pose par terre à côté de la fenêtre et le lendemain matin, c’est là où je peux le valider ou non, savoir s’il est réussi ou pas. Donc, le lendemain matin, je me disais : « Ah ! franchement pas mal ». Ou bien : « Alors, non, non, je ne suis pas allé au bout ». Ou bien, « OK, ce n’est pas ça, mais par contre, la prochaine fois, je change telle couleur, je le refais mais je le fais différemment. » C’était la grande différence avec l’architecture où finalement, même si on fait plein de tests, on ne considère jamais le résultat final. On travaille par approximation du résultat et une fois qu’il est là, franchement c’est trop tard. On ne peut plus casser les murs, on peut très peu repeindre, donc c’est assez frustrant parce qu’on se dit : « Je me suis approché, mais j’aurais peut-être changé ça si j’avais pu m’en rendre compte avant. » Alors qu’avec le dessin, ce que j’aime bien, c’est que c’est comme les chefs qui cuisinent : ils ont le plat et après, s’ils veulent changer une saveur, changer un ingrédient, ils recommencent le plat et ils arrivent de nouveau à un résultat. J’aime bien le fait que dans mon quotidien, je pratique les deux activités, le travail d’architecte très long pour arriver à un résultat définitif et le travail plutôt d’artiste assez court pour arriver à un résultat qui amène lui-même à la recherche suivante.

Louis : La rencontre avec le mapping[13], cela se fait par YouTube, avec un collectif qui s’appelle1024 Architecture. Ils sont à l’origine d’un des logiciels qui s’appelle MadMapper. Je découvre ça à un arbre de Noël, où ils avaient mis du tissu de tulle sur une tour Layher, de l’échafaudage de chantier. C’est incroyable ce qui peut se passer avec juste de la tulle et de la vidéo projection. En fait, c’est aussi ce qui m’a vraiment plu dans le mapping à la base, c’était le côté holographe, hologramme, holographique. Ça prenait forme et puis ça me parlait bien avec ma formation d’architecte et le fait que ce soit contextuel.

 

10. Le récit de Yovan (suite), le projet « Un violon pour mon école »

Yovan :
J’enseigne actuellement deux jours par semaine dans le cadre d’un projet intitulé « Un violon pour mon école ». C’est un projet social qui vise à réduire l’échec scolaire via l’apprentissage de la musique. Ils ont fait appel à des chercheurs en neurosciences pour faire une étude sur dix ans pour voir comment les élèves se comportent. Donc c’est un projet intéressant qui concerne des élèves jusqu’à l’âge de 16 ans qui suivent des cours de violon, c’est une fondation suisse qui finance ça, la Fondation Vareille. Dans ce programme, il y a beaucoup de professeurs, mais certainement pas assez, sinon c’est très bien, les élèves aiment faire de la musique, à jouer du violon. Ils ne font que du violon, la fondation a acheté plein de violons pour tous les élèves. Cela fait du bien aux élèves de le faire, ils sont tous en ZEP+ [zone d’éducation prioritaire +], ce qui veut dire que certains d’entre eux ont des profils un peu compliqués.

 

11. Delphine, le Conte du crâne et du pêcheur.

Delphine :
La première histoire que j’ai racontée, c’est une histoire de Marie-France que j’avais entendue qu’elle racontait et que j’avais adorée. C’est l’histoire du crâne et du pêcheur :

 

Le conte du crâne et du pêcheur

Un pêcheur qui trouve un crâne là.

Le pêcheur : Crâne, qu’est-ce que tu fais là ? Qu’est-ce qui t’a amené là ?

Le crâne : La parole.

Le pêcheur n’en revient pas que le crâne parle.

Le pêcheur : Crâne, c’est toi qui as parlé, qu’est-ce qui t’a emmené ici ?

Le crâne déboîte sa grosse mâchoire :

Le crâne : La parole.

Le pêcheur court chez le roi.

Le pêcheur : Ouah ! il y a un crâne qui parle là-bas.

Le roi : Attends, tu me déranges pour des histoires de crâne qui parle, tu crois que je vais te croire ? Ce n’est pas possible. Je vais venir quand même, mais si ce n’est pas vrai, je te tranche la tête.

Il est sûr de lui le pêcheur, donc il emmène le roi, les ministres, tout le monde.

Le pêcheur : Crâne, crâne ! dis au roi qu’est-ce qui t’a emmené ici ?

Le crâne : …

Le pêcheur : Allez crâne, parle s’il te plaît, qu’est-ce qui t’a emmené ici ?

Le crâne : …

Alors le roi tranche la tête du pêcheur, la tête tombe par terre, elle roule, elle roule, et elle roule, elle arrive juste à côté du crâne.

Le crâne : Tête, eh tête ! qu’est-ce qui t’a emmené ici ?

La tête : La parole.

 

Delphine :
Et j’aimais bien cette histoire parce que justement cette peur de parler : qu’est-ce que c’est la parole ? Qu’est-ce qu’on dit ? Qu’est-ce qu’on ne dit pas ? Est-ce qu’on a le droit de tout dire ? Est-ce qu’on va se faire trancher la tête si on dit quelque chose qu’il ne faut pas dire ? C’est peut-être ma peur de parler qui m’a fait raconter cette histoire, l’une des premières que j’ai utilisée. Et puis après, qu’est-ce que j’ai raconté ? J’ai trouvé des histoires, j’ai cherché dans les livres, j’ai une bibliothèque remplie de livres, j’ai lu, lu, lu, plein d’histoires. Et puis j’en ai choisi qui me touchaient.

 

12. Le petit carnet des arbres. Maxime Hurdequint, Maxime Touroute[14] et Louis Clément.

Scène 1 : Ils boivent tous les trois un café chez Louis.

Maxime T. : Je suis informaticien et je fais des projets artistiques de photographie. En voici quelques-unes. Et voici les logiciels que j’ai codés.

Maxime H. : Ah !

Louis : Ah !… Je m’intéresse au mapping. Je le fais sur des masques. Je construis des masques africains en papier, des choses assez simples, mais sur lesquels ensuite, avec un vidéoprojecteur, j’en fais le mapping et je les mets en couleur.

Maxime T. : Ah !

Maxime H. : Ah !… Voici mes dessins.

Louis : Ah !

Maxime T. : Ah ! OK super, mais on ne voit toujours pas ce qu’on pourrait en faire.

Louis : Il faudrait qu’on raconte une histoire.

Maxime T. : Ouais…

Maxime H. : Ouais…

Louis : Mais non, rien à faire.

Maxime H. : J’ai aussi ça qui est sympa, qui est marrant.
(Il sort un petit carnet de 10 cm par 10 cm)
Dans ce petit carnet, j’ai demandé à des gens de dessiner un arbre.

 
 

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Le carnet des arbres de Maxime
Photos: Nicolas Sidoroff

 

Scène 2 : quelque temps auparavant, Maxime H. et une autre personne.

Maxime H. : Dessine-moi un arbre sur ce petit carnet.

L’autre personne : Ben non, mais moi je ne sais pas dessiner et tout, et puis franchement, un arbre, non, ce n’est pas possible.

Maxime H. : Tu sais forcément le faire, et puis après, s’il est moche, de toute façon, ça reste anonyme. Dès que tu as fini ton arbre, tu peux regarder tous les autres arbres qui ont été faits avant, franchement il y en a des cools.

L’autre personne : OK, je te dessine un arbre.

Maxime H. : Je trouve ça drôle de voir la richesse des arbres.

Scène 3 : lors des études d’architecture de Maxime.

Maxime H. : Voilà, je vous demande de dessiner un arbre, après on va accrocher tous vos dessins sur le mur, avec un petit texte imprimé de ma part sur ce que ça veut dire les arbres.

Chacun, chacune dessine son arbre.

Maxime H. :
Maintenant regardez, vous allez pouvoir savoir comment vous êtes, quoi, tout en sachant que ce n’est pas sérieux.

Une étudiante : Que faut-il observer ?

Maxime H. : S’il y a des racines qui vont dans le sol, s’il y a des feuilles ou pas (parce qu’il y a beaucoup de gens qui dessinent les arbres sans feuilles), si des branches descendent, si le tronc est fin, s’il y a un trou dans le tronc – c’est un très grand classique. Finalement, il y a des trucs absurdes : si un oiseau est posé sur la branche de gauche, mais regarde à droite, ça veut dire un truc. Mais c’est impossible, ça n’arrive jamais.

Un étudiant : Mais c’est justement ce que j’ai dessiné, ce truc-là. [Rire général]

 

Scène 4 : en 2015

Un ami japonais :
Je t’offre ce petit carnet.

Maxime H. :
Merci. Je ne sais pas ce que je vais en faire. J’avais presque fini le carnet que j’avais, quand je l’ai perdu dans le métro de Paris. Je vais le refaire avec ce nouveau carnet. Et j’ai essayé de le faire avec d’autres choses, comme des poissons, tout le monde peut dessiner un poisson, mais les résultats n’ont pas été très intéressants. On m’avait dit de faire une théière ou une fenêtre, j’ai essayé, mais franchement, je n’ai jamais rien trouvé d’autre que l’arbre. Oui, c’est vrai, les poissons, c’est moins intéressant !

 

Scène 5 : retour à la première scène entre Louis Clément, Maxime H. et Maxime T.

Maxime H. : Ça fait tilt !

Louis : C’est génial, mais ça, on pourrait faire dessiner l’arbre aux gens, mais sur leur téléphone, ils prendraient leur téléphone, ils dessineraient avec leurs doigts un arbre sur le téléphone, et après, on l’enverrait, et on pourrait faire une espèce d’herbier où tout le monde peut voir les arbres de tout le monde.

Maxime T. : On va appeler cela le Live Drawing Project.

 

13. Le récit de Delphine (suite). Le Conte du petit poucet.

Delphine :
C’est un ami à moi qui est comédien, Florent Fichot, qui m’a dit : « Ça pourrait être super qu’on fasse un truc où tu racontes des histoires sur le trapèze », et donc je racontais par exemple des passages de Peter Pan, le spectacle s’appelait « Souffle court ». On l’a joué au théâtre du C2[15] à Torcy en Saône-et-Loire.
Ensuite, il y a eu l’histoire du Petit Poucet sur le trapèze. Ce n’est pas l’histoire du vrai Petit Poucet, hein ! C’est le Petit Poucet (« L’Autruche ») de Prévert[16].

 

Le Conte du petit poucet

Lorsque le Petit Poucet, abandonné dans la forêt, sème des cailloux derrière lui pour retrouver son chemin, il ne se doute pas qu’une autruche le suit pour dévorer les cailloux un à un, « ram, ram ram ». Le Petit Poucet se retourne, plus de cailloux ! C’est désolant, plus de cailloux plus de maison ; plus de maison plus de retour ; plus de retour, plus de papa-maman. Puis il entend du bruit, il entend de la musique, un vacarme. Il passe sa tête à travers le feuillage et il voit l’autruche qui danse et qui chante, et qui le regarde.

L’autruche : C’est moi qui fais tout ce bruit, je suis heureuse, j’ai mangé.

Le petit poucet : Tu as un estomac magnifique.

L’autruche : Oui, j’ai mangé plein de trucs. Viens ! monte sur mon dos, je vais très vite, je vais t’emmener loin.

Le petit poucet : Mais ma mère, mon père, je ne les reverrai plus ?

L’autruche : Alors, elle te frappait quelquefois ?

Le petit poucet : Mon père aussi me battait.

L’autruche : Ah ! il te battait ! Attends ! Les enfants ne battent pas leurs parents, pourquoi les parents battraient-ils leurs enfants ? Je ne supporte pas de voir de la violence sur les enfants. Il te battait quelquefois ?

Le petit poucet : Oui, père Poucet aussi me battait.

L’autruche : Et tu veux que je te dise ? Père Poucet n’est pas bien. Et ta mère, au lieu de s’acheter des grands chapeaux avec des plumes d’autruche, elle ferait mieux de s’occuper de toi. Et ton père, il n’est pas bien malin non plus, la première fois qu’il a vu ta mère, tu sais ce qu’il a dit ? Il a dit : on dirait une grande bassine, dommage qu’il n’y ait pas de pont. Tout le monde a ri !

Le petit poucet : J’ai ri, mais ma mère m’a mis une baffe : « Tu ne peux pas rire quand ton père dit ça ».

L’autruche : Le truc, bouh !!

 

Delphine :
Et c’est à ce moment-là que je suis tombée du trapèze, je me suis cassé la main.
Je pense que je suis prise d’émotion en regardant le public. Je suis tombée du trapèze, je me suis cassé la main, du coup, je ne pouvais plus parler. En fait, le problème avec le trapèze et le conte en même temps, c’est qu’on doit être là, avec chaque partie du corps, dans les mains, dans les jambes, chaque point d’appui, on doit être concentrée. Mais là, vu que je racontais une histoire en même temps, ça m’a dispersée et je suis tombée.

 

14. Delphine et le conte. Maxime, l’architecture et les dessins. Yovan et la composition.

Delphine :
J’avais cassé mon poignet, ils m’ont opérée à Montceau et ils m’ont ratée à Montceau – il ne faut jamais aller à Montceau d’ailleurs, vous saurez – ils m’ont ratée, j’ai dû être réopérée, donc ça a duré un an. Du coup, il fallait bien que je gagne ma vie.

 

Scène : Coup de téléphone de la Vénérable conteuse

La Vénérable : Qu’est-ce que tu comptes faire ?

Delphine : Je compte sur le conte. Je vais raconter des histoires, j’en suis capable, puisque je l’avais fait sur le trapèze.

La Vénérable : Tu sais, c’est un signe, si tu arrives à ça, c’est peut-être parce que tu as autre chose à faire que du trapèze.

Maxime :
Les arts plastiques, c’est hyper large. Je ne sais pas si c’est une règle que je me suis fixée, mais je n’ai pas beaucoup exploré en dehors du dessin, ce qui fait que des amis m’ont dit : « Ben, essaies d’ouvrir un petit peu ta pratique ». Je pense que ce n’était pas mal de prendre confiance petit à petit sur des petits formats et maintenant, j’arrive à être plus à l’aise sur des grands formats. J’ai fait beaucoup de skateboard et comme mon frère fait du skate art, il sculpte sur des planches de skate, il m’a introduit à ça, donc j’ai fait du skate art, j’ai dû faire une dizaine de skateboards et puis là, récemment, je me suis retrouvé à répondre à une commande pour faire un grand surfboard. Je pense que c’est une question de se sentir à l’aise, et qu’après, on peut aborder des formats plus grands. Avec les skateboards ce qui est super, c’est aussi d’avoir l’objet dans les mains, et de devoir bouger avec, de bouger autour, plutôt qu‘avec une feuille où il n’y a vraiment que le poignet qui est en déplacement. Là, il y a un rapport avec l’objet, ce n’est pas qu’on le façonne, mais quand même… Je découvre tout ceci progressivement, au fur et à mesure que je suis plus à l’aise dans ma démarche artistique ou d’illustration.

Yovan :
Quand je compose, j’utilise souvent une sonorité qui se développe dans un temps donné. Parfois je dois l’étirer un petit peu, rendre des choses plus longues, parfois un peu moins longues, c’est pour ça que le côté répétitif est pratique. Et il y a aussi un côté électronique. Normalement, quand je compose des morceaux, j’ai un début et une fin, je sais où je vais, et j’aime bien avoir une petite contrainte surtout pour la musique que je fais dans les projets des autres, ou dans les projets collaboratifs.

Delphine :
C’est ainsi que je me suis mise doucement à raconter des contes et aussi, du coup, à prendre un peu confiance en moi. Je trouve qu’on est vraiment tout nu quand on raconte : les lapsus, le ton de la voix, tout cela en dit long sur soi-même. Je trouvais que c’était un aspect vraiment délicat pour moi : être devant un public, avoir peur qu’on nous juge, de se juger soi-même. Je suis très exigeante, je suis très critique vis-à-vis de moi, donc j’avais très peur de ce que j’allais vivre avec moi-même. Parler devant les autres, c’est s’engager, c’est engager une part de soi. Je trouve ça très risqué, en fait.

Yovan :
Et parmi les références qui m’ont influencé dans mon travail sur le « Conte d’un futur commun », il y a un musicien, ce n’est pas tout à fait un DJ, qui s’appelle Débruit [17], qui a fait notamment un projet – KoKoKo! [18] – avec des percussionnistes de Kinshasa. C’est vraiment intéressant, parce que justement il respecte leur travail, il utilise leur musique et ajoute des petites touches électro, mais il ne déforme pas leur musique. Ce que fait Débruit m’a inspiré bien avant ce projet KoKoKo!, mais c’est un de ses projets les plus aboutis, parce qu’il y a un vrai respect de la musique traditionnelle, avec ensuite des rajouts de petites touches d’électronique pour un peu la moderniser.

Delphine :
Avec le trapèze, je gesticule beaucoup, au fil du temps de moins en moins, mais c’est vrai que je bouge beaucoup, j’engage beaucoup le corps. Et je travaille beaucoup avec un double, souvent un musicien. Au départ, le guitariste Julien Lagrange [19] a été celui avec qui j’ai formé un duo trapèze-guitare, qui est devenu un duo conte-guitare. On travaille ensemble sur le rythme, on cale du rythme, ça m’aide beaucoup, ça me pousse aussi à travailler, parce que toute seule dans la cuisine, je le fais, mais c’est moins facile que quand on se donne un rencart et qu’on travaille ensemble. Souvent, après avoir travaillé les histoires avec Julien, je les fais aussi sans la guitare. Ça me rassure de ne pas être toute seule et c’est comme cela que ça se structure.

Maxime :
Mon activité principale est celle d’architecte, mais j’estime que le dessin n’est pas simplement un hobby. Il y a des temps dans la semaine qui sont réservés au dessin, donc j’estime que ces deux activités cohabitent. Il y en a une plus importante que l’autre, mais mes dessins ont donné lieu à des expositions, j’ai eu parfois des commandes, j’ai aussi pu vendre certaines œuvres. Bien sûr la partie artistique, ce n’est pas celle qui me fait manger, mais en même temps j’ai pu avancer là-dessus. J’ai commencé par exposer différents dessins dans un café en 2020, que j’avais faits pendant et à la suite de mon voyage en Asie. Et j’avais dessiné sur des skateboards un triptyque et un diptyque de planche de skate, toujours sur ce thème-là. En 2021, il y a eu dans un restaurant une exposition partagée, où je me suis donné plutôt un thème Maya, parce que j’avais fait un voyage au Mexique. J’avais fait pour cette exposition 3 skateboards, un triptyque de 3 skates et un diptyque de 2 skateboards, avec un autre artiste évoluant dans un univers complètement différent. La même année, j’ai participé à une exposition collective de skate art à Roubaix, j’ai exposé un diptyque de deux planches de skate sur le thème du Japon, il y a des gens qui étaient intéressés qui l’ont acheté. C’était très drôle : c’est une dame qui l’a offert à son mari, qui est un ancien skateur, et elle a dit, « Il est fan du Japon, il aime le skate, j’ai senti que c’était son style. On l’a mis en bonne place chez nous dans le salon ». J’étais ravi.

Delphine :
Je me suis surtout tournée vers le jeune public, je trouvais que c’était moins jugeant. C’est plus dur parce que si ça ne marche pas, ça ne marche pas, c’est-à-dire qu’ils ne vont pas faire semblant qu’ils ont trouvé ça bien. Il y a quelque chose chez les enfants qui fait que si ça ne va pas, on le sait tout de suite, il n’y a pas de double jeu. Mais en même temps, il y a moins de jugement par rapport à des repères, par rapport à des étiquettes, à ce qui existe déjà.

Maxime :
Après on a fait une exposition collective en 2022 avec mon frère et un autre artiste, où cette fois c’étaient uniquement des skateboards qui ont été sculptés. On a décidé que pour chacun d’entre nous, il y aurait un skateboard qu’on ferait entièrement nous-mêmes, il y en aurait un qu’on partagerait avec un des deux autres artistes, et le troisième serait partagé avec l’autre artiste.

Yovan :
Moi je suis sur Cubase. Ce n’est pas évident, les gens ne comprennent pas pourquoi. Tout le monde est sur Live. Quand j’utilise mon ordinateur, je n’utilise pas souvent Live, jamais en fait. Donc c’était toujours un petit peu le combat de dire « Ben voilà, moi, je suis sur Cubase. » Et lors d’une des résidences qu’on a fait à Lyon, l’ingénieur du son m’a dit : « Ah ! mais moi je travaille sur Live, là, il faut que tu te mettes à Live. » Il était un peu perdu et puis moi aussi. En fait on a trouvé un terrain d’entente et il a vu que j’avais la dernière version de Cubase avec les mêmes fonctionnalités, il a vite compris et il m’a montré comment réadapter les morceaux en 7.1 [20] pour une spatialisation. Je n’avais jamais fait ça, au début ça m’a un peu angoissé, j’ai dit : « Ben ça, c’était intéressant à faire ».

Delphine :
Il faut beaucoup d’exigences sur ce qui est raconté et par qui : si on raconte une histoire qui a déjà été racontée par un tel ou une telle, ou qui vient de tel ou tel endroit, ça peut être mal vu. Par exemple, si on raconte des histoires écrites par Henri Gougaud, qui reprend des histoires traditionnelles, qui les met à son nom, voilà, ça ne se fait pas. Ou prendre une histoire qui est racontée par quelqu’un d’autre, on ne va pas faire du copier-coller. Il faut faire attention à ce qu’on fait, on ne peut pas raconter n’importe quoi. Il faut respecter le travail de chacun, toujours dire l’origine de ce qu’on a raconté, d’où ça vient, de quel pays, de quelle culture. Et comme tout travail, je pense que dès qu’on met les pieds dedans, on se rend compte qu’en fait, plus on travaille et plus on a du travail à faire, c’est interminable.

Maxime :
L’an dernier on a fait aussi une exposition collective de planches de surf, au City Surf Park de Lyon, vers le stade de foot de Décines. C’était le vernissage d’ouverture de ce complexe sportif, et du coup ils avaient demandé à 20 artistes de dessiner sur des planches de surf. J’ai produit l’œuvre que j’ai exposée sur un thème marocain, parce que c’est assez connu dans le monde du surf, donc je me suis inspiré des arts marocains et j’ai rajouté la mer au bout.

Delphine :
Quand je parle de rythme, c’est le rythme de la narration. Parce que souvent, il y a des moments où ça chante presque et il y a des refrains qui se répètent et puis une fin. Il faut que ça monte, il faut que ça redescende. Il y a un vrai rythme dans la création d’une histoire. C’est ce qui est difficile dans le « Conte pour un futur commun », c’est une histoire très longue, elle est donc beaucoup plus difficile à rythmer.

 

15. Le Live Drawing Project

Louis :
J’ai ensuite rebifurqué sur la vidéo-projection et j’ai commencé à monter ce premier projet, le « Live Drawing Project » qui était né d’une rencontre entre Maxime Touroute, Maxime Hurdequint et moi. J’ai rencontré Maxime Touroute à un atelier sur le mapping, il venait d’arriver à Lyon, et on faisait un tour de table pour se présenter, et quand il s’est présenté, il a dit qu’il bossait comme développeur pour Millumin. Maxime Hurdequint, c’est mon cousin, donc on se connaît vraiment depuis la petite enfance.

Maxime :
Tous les trois, on s’est organisé beaucoup de temps de travail ensemble. Il y a beaucoup de moments où même si on était côte à côte, chacun travaillait de son côté. Mais il n’y avait pas de distance entre nous. Avec le Live Drawing Project, le cœur de la machine reste l’informatique, c’est vraiment Maxime Touroute qui code et ensuite il y a beaucoup de tâches qui se mettent autour : toute la partie communication, toute la partie gestion de projet, préparation, installation.

Louis :
En fait, il y a trois logiciels qui existent pour faire du mapping qui marchent vraiment bien, c’est Resolume que j’utilise, MadMapper qui a été monté par des Suisses, qui est aussi très reconnu dans le milieu, et Millumin qui a plutôt essayé de se faire une place dans le spectacle vivant.

Maxime :
Ce sera très différents avec le « Conte d’un futur commun » où les branches se rejoignent vraiment juste à la fin, pendant les résidences et où le reste du temps, on n’a pas trop besoin de communiquer ensemble.

Louis :
On a pensé qu’on pouvait envisager de faire dessiner des gens pour que leurs dessins apparaissent sur un écran en direct.

Maxime :
Dans le Live Drawing, il faut savoir ce qu’on est capable de faire et de réellement coder au fur et à mesure. OK, là, Louis, tu crois qu’on va y arriver là, sur cette façade ?

Louis :
Ben non, c’est impossible, on ne peut pas.

Maxime :
Hop ! Donc il y a beaucoup plus d’échanges à faire, parce que les compétences sont beaucoup plus liées, on est constamment en ping-pong.

Louis :
Et un mois plus tard, on a participé à la Fête des Lumières à Lyon.

Maxime :
Pendant la Fête des Lumières, c’était dans un bar, le Club des Lumières. Le patron du bar avait annoncé : « Moi je file 150 balles pour 3 jours, et faites-moi un événement Fêtes des Lumières ». Donc on lui a montré notre idée, j’avais fait 3 dessins pour l’expliquer et Maxime Touroute a travaillé sur le code tous les soirs pendant dix jours et ça a très bien fonctionné. En plus, on a pensé que les gens n’allaient faire qu’un ou deux dessins, et qu’après, ce serait fini. Comme on proposait un petit thème, « dessine une fleur », « dessine un arbre », on s’est dit que les gens auraient bien assez à faire, ils feront un petit dessin, et puis c’est tout. En fait, pas du tout, il y a des gens que cela intéresse, et qui restent pendant une heure à dessiner les uns à côté des autres, à dire : « Regarde le mien, regarde le mien ! » Et puis finalement, on s’est rendu compte que plus on donnait des thèmes de dessin, plus les gens avaient des idées. Ou bien ils ne suivaient pas du tout le thème proposé. Je crois qu’on avait trouvé un outil très ouvert. Certes, on ne s’en cache pas, les gens avaient tendance à regarder leur téléphone de manière individuelle, mais parce qu’ils dessinaient côte à côte, ils échangeaient avec les autres. Et puis il y avait ceux qui ne dessinaient pas, ils regardaient l’écran où les dessins étaient projetés. On s’est rendu compte que quand on passait entre les gens, il se passait des choses, les gens papotaient, ils se montraient les trucs, ça leur donnait des idées. On s’est dit : « ouais, c’est cool, on a un truc là, qui est riche ». C’est donc cela qu’on a développé avec Maxime Touroute et Louis, le Live Drawing Project, des dessins participatifs qu’on a enrichi au fur et à mesure.

Louis :
Et après, c’était parti, là, on en est maintenant à notre 140e projection.

Maxime :
Avec le Live Drawing Project, quand on l’utilise, c’est vraiment une grosse télécommande. Maxime Touroute nous a codé plein de boutons : on a le bouton pour changer la couleur des dessins, les agrandir, les mettre plus petits, etc. On peut faire des fondus, faire des choses comme ça. Mais on ne raconte pas vraiment une histoire, simplement on anime pour éviter que le visuel soit toujours pareil. Alors qu’avec le « Conte du futur commun », avec le logiciel Resolume et le fait qu’on a une conteuse, on est vraiment très narratif.

Louis :
On a tourné un peu partout dans le monde, ça a hyper bien marché.

Maxime :
On a fait ça depuis 2018 jusqu’à maintenant. On a eu d’autres dates en 2019, en 2020. C’est progressivement devenu mieux rémunéré, on a pu acheter un vidéoprojecteur, se structurer avec une association qui nous fait toute la partie administrative. On s’est vraiment professionnalisé au fur et à mesure. On a voyagé au Canada, au Danemark. Ensuite il y a eu le confinement du Covid, donc on a développé des outils spécialement pour le confinement, en organisant des événements à distance. C’était pour nous une bonne source de revenus, on l’a fait de nouveau au Danemark, mais cette fois à distance. On a été dans plein de pays, dernièrement en Birmanie par exemple.

Louis :
Et je me suis dit à un moment donné que j’aimerais bien raconter des histoires avec ce dispositif-là, pour pouvoir faire quelque chose d’à la fois participatif et qu’on puisse surtout raconter quelque chose pour que le spectateur puisse être partie prenante dans le récit. Et du coup, on a fait une première résidence il y a quatre ans au LabLab à Villeurbanne [21]. Et là, on a commencé à se servir de cet outil pour raconter une toute petite histoire : la naissance d’une anomalie numérique. C’était un très court récit d’une quinzaine de minutes. On l’a monté en quatre ou cinq jours. Pour l’instant il n’y avait pas encore de conte. Il y avait juste du texte projeté sur l’écran, comme des sous-titres avec l’image en mouvement. Le public dessinait des trucs avant de rentrer dans la salle de spectacle, par exemple des étoiles. En fait, ce qu’on voulait tester, c’étaient différents types d’interaction avec le public, comment on pouvait les faire participer en amont, pendant, en regardant, les faire s’arrêter, etc. Cette résidence-là m’a bien aidé par la suite dans l’écriture et l’interaction avec le public. Maxime Hurdequint a participé à la création du concept de base et après il a fait de la gestion de projet, de la communication, pour aller chercher des endroits où le présenter, il a fait pas mal de templates de devis, il a fallu faire signer les gens, etc.

 

16. Delphine : deux contes.

Delphine :
Avec Julien, en ce moment, on raconte beaucoup « Pierre et la sorcière », c’est un conte traditionnel pour enfants. Et je parle de celui-là parce que c’est très rythmique entre ce que je dis et ce qu’il joue.

 

Le conte de Pierre et la sorcière

Dans un village, il y a une sorcière.
(Julien joue, il ne regarde pas la conteuse, il écoute ce qu’elle dit et joue en fonction.)
Et puis tout à coup la sorcière, elle se met à chanter en s’adressant à Pierre, un petit garçon : [elle chante]
« Crac c’est moi la plus rusée, et cric, crac, je vais te dévorer, ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ».
(Julien joue, et dès qu’elle se met à chanter il trouve la mélodie pour l’accompagner.)
Hop !
Elle le met dans le sac.
Hop ! Elle referme le sac ah ! ah ! ah ! ah !
Et puis elle marche, elle monte le chemin, elle arrive dans son manoir, elle pose le sac sur la cuisine, elle l’ouvre. Et en fait, qu’est-ce qu’il y a dedans ?
Ben le gamin, il s’est sauvé et puis il a mis un caillou dedans, « aaaaaaaaah » !
(Quand la sorcière ouvre le sac, Julien s’arrête de jouer, il faut que ce soit dans le silence.)
Elle l’ouvre et qu’est-ce qu’il y a dedans ?
« Aaaah aah ! »
Un caillou.
« Espèce de sale gosse » !
(Ça, c’est dans le silence. Et puis après la guitare reprend sur :)
Pierre, le lendemain matin, il ne va pas à l’école, il va sur le chemin, il trouve une poire…
Hop ! ça se balade.
(Julien joue vraiment en fonction de ce que la conteuse raconte, pour lui, il y a une logique.)

 

Delphine :
Il y a aussi

Le conte du pain d’épices

C’est un bonhomme de pain d’épices fait par une femme, elle le met au four et puis il se sauve par la fenêtre et il court, il court, il court et tout le monde lui court après et puis, en fait, il court, il court, il court. Et le renard, il est au bout, il l’attend, et le renard lui fait des éloges et du coup, il fait confiance au renard, évidemment. Il monte dessus et le renard, « crrrrr », il le mange. (Là il faut qu’on soit calé au moment où il le bouffe). « Crrrr », hop !… Il l’a mangé !

 

Delphine :
Donc entre Julien et moi, on a des tops bien calés. Il joue très près de moi, on se connaît très, très bien, donc il sait comment je raconte, donc on peut improviser des choses ensembles. On travaille beaucoup ensemble en présentiel, même s’il y a aussi beaucoup de travail chacun de son côté. Je lui donne l’histoire que j’ai envie de raconter sur du papier ou dans un livre. Lui aussi apporte des histoires, il dit : « Ah ! j’aimerais bien qu’on raconte ça, je trouve ça cool, en plus j’ai un univers ». Moi je travaille un peu de mon côté, lui il travaille aussi de son côté sur à peu près comment on veut faire. Et après on se voit tous les deux, on se cale, et puis on dit : « Bon allez on y va ».

 

17. Origine du « Conte d’un futur commun »

Scène 1 : Chez Delphine, le téléphone sonne. C’est Louis Clément.

Louis : Mon nom est Louis Clément. L’association Antipode m’a donné votre nom. Je voudrais faire un spectacle dans lequel on imagine comment ce sera dans 100 ans, mais dans un monde idéal.

Delphine : Eh oui, il n’y a aucun doute là-dessus, on est dans ce monde idéal.

Louis : 100 ans après, ça, c’est fait.

Delphine : OK, et comment on en est venu jusque-là ?

Louis : Je raconte souvent des histoires, maintenant je suis un peu rodé, je l’ai fait avec plein d’élèves, parce que je fais beaucoup de résidences d’éducation artistique et culturelle, et ce dont je parle souvent, c’est le fait à mon échelle d’essayer de changer le monde : encore une fois, c’est utopique de ma part, mais voilà, c’est quelque chose qui me porte. Comment est-ce que je peux changer le monde ? Je ne peux pas inventer des énergies renouvelables très peu chères, je ne peux pas inventer un moyen de transport du futur totalement décarboné, comme le vélo-cargo par exemple. Du coup, je me suis dit que j’aimerais bien amener les gens à réfléchir sur leur avenir et surtout, à l’inverse de tout ce qui est dystopie, essayer de partir sur quelque chose où on réfléchit à un avenir où tout se passe bien et comment on y arrive.

Delphine : Ce que tu dis me fait du bien. Parce qu’en ce moment je suis dans le noir, dans des trucs punks, dans des choses où le monde est… Des fois, je me dis, que je vais mettre une bombe dessus ce monde, enfin, on va faire péter des trucs, quand tu te rends compte de ce qui se passe dans le monde, c’est quand même « aaaah !… » Des fois, on dirait qu’il y a des gens à tuer, il y a des choses à faire péter, enfin il faut que ça s’arrête, quoi. Je traîne dans le milieu punk, no futur.

Louis : À travers mes lectures, je me suis pas mal inspiré de récits qui disent que c’est grâce à la pensée qu’on arrive à faire les choses. Notamment Neal Stephenson qui est un auteur de science-fiction que j’aime assez, qui a sorti une théorie qui s’appelle la théorie du hiéroglyphe : c’est plutôt en rapport avec les avancées technologiques, où grâce à la science-fiction, on arrive à faire des avancées technologiques majeures. Son exemple préféré est le combustible pour les fusées, où il explique que c’est un auteur de science-fiction qui a dit que cela allait marcher de telle manière, et qu’ensuite, un chercheur s’y est penché et en se saisissant des intuitions de cet écrivain, il a réussi à créer le premier combustible pour fusée. J’aime bien raconter ça aux élèves avec qui je fais des interventions ou au public, j’aime bien insister sur le fait que, en gros, si l’on veut aller vers un futur désirable, il faut déjà y avoir pensé. Et que, du coup, la première étape pour avoir un monde qu’on a envie d’avoir, c’est juste d’y réfléchir.

Delphine : En fait, c’est chouette d’imaginer ça, ça contrebalance ces idées noires. OK, en fait, on se dit que dans 100 ans on est dans un monde idéal et on fait tout pour y arriver. Ce n’est pas de critiquer tout ce qui ne va pas, de mettre le doigt sur tout ce qui ne va pas, même si l’on sait que pas mal de choses ne vont pas. Non, on va dire, OK, dans 100 ans, on est dans un monde chouette. Et donc, OK. Je ne sais pas dans quoi je me lance. Ben, oui, je suis intéressée.

Louis : Ben tu es intéressée, vas-y, tu le fais.

Delphine : Mais, tu ne veux pas voir ce que je fais, avant ? Je joue à la médiathèque de Mâcon, tel jour, pour des enfants et le soir pour tout public.

Louis : Ah ! je ne peux pas le soir, je vais venir au spectacle pour les enfants.

 

Delphine :
Louis est ainsi venu me voir jouer le spectacle Jabuti à la médiathèque de Mâcon : du trapèze, justement. On avait remis le trapèze, parce que j’ai aussi une copine qui est trapéziste. Oui, j’ai un réseau trapéziste de circassiens autour de moi. Jabuti était un spectacle conte-trapèze-flûte traversière. C’était une balade : on se baladait avec les gens dans la médiathèque et on les amenait jusqu’au trapèze. Et donc, il est venu voir ce spectacle, c’est comme ça qu’on s’est vu la première fois.

Louis :
Du coup, c’est comme ça qu’on s’est croisé. Enfin, j’arrive un peu en avance avant son spectacle, on discute, je lui explique le projet, comment ça va se passer, etc. Après elle a présenté son spectacle et je devais repartir à Lyon avant la fin du spectacle, donc je n’ai pas eu le temps de lui en parler à la fin.

 

Scène 2 : Nouveau coup de téléphone de Louis à Delphine

Louis : Allo bonjour.

Delphine : Bonjour.

Louis : J’ai trouvé ton spectacle très bien. Ben ouais, c’est bon pour moi, si toi tu es toujours OK.

Delphine : OK, on y va.

Louis : C’est parti.

 

18. Le projet immersif de l’AADN

Yovan :
Le projet du « Conte d’un futur commun », c’est une idée de Louis. C’est son premier spectacle en vrai, il avait des idées au début qui germaient, il savait ce qu’il voulait faire, mais il avait du mal à les mettre en forme. Et du coup, quand on a commencé à en parler, il pensait à une première équipe et surtout il cherchait d’abord les subventions, en tout cas, pour qu’on puisse avoir des lieux qui nous permettent de créer aussi tout le côté immersif du spectacle. Une première proposition a été déposée, on n’était pas loin d’aboutir, mais ça n’a pas fonctionné. Ensuite, une fois qu’on a pu avoir les subventions de l’AADN pour ce projet d’immersion dans les planétariums dans certaines villes de France, on a commencé à parler de l’écriture du spectacle.

Maxime :
C’est comme ça que tout a commencé, Louis a eu cette intuition de nous rassembler. En 2019, on avait fait une résidence pour essayer de raconter une histoire à partir du Live Drawing, c’était un spectacle de cinq minutes, avec des graphismes très, très simples, c’était très chouette. On pensait qu’il y avait moyen de raconter une histoire, mais on n’est pas allé plus loin. Ça a germé très progressivement.

Louis :
Il y a eu l’appel AADN (Arts & Cultures Numériques) [22] avec qui j’étais bénévole au Conseil d’Administration. Ils ont lancé un appel pour la création immersive. Cela m’a bien intéressé parce que j’ai commencé à aller voir des spectacles sous dôme, je trouvais ça assez fou, enfin c’était assez bluffant ! L’immersion qu’on ressentait face à ces images avait éveillé mon intérêt. Le point de vue de l’AADN était de parier sur l’immersion collective, c’est-à-dire de faire participer beaucoup de spectateurs à une expérience, plutôt que d’avoir une immersion individuelle comme avec la réalité virtuelle (avec des casques). L’idée d’aller à l’encontre des formes individuelles d’immersion me plaisait beaucoup. Ce dont on parle aujourd’hui, c’est le « métavers » [23] ce qui veut dire, en gros, qu’on peut soit s’immerger individuellement dans quelque chose de collectif, soit de s’immerger collectivement dans un œuvre : on est ensemble.

Maxime :
Donc c’est Louis qui vient vraiment avec le concept, il sait déjà ce qu’il veut faire, et qui il veut recruter. On avait trouvé une première conteuse, finalement, on n’a pas eu forcément les subventions qu’on voulait, donc on a fini par trouver une deuxième conteuse, Delphine, et il avait déjà trouvé aussi Yovan pour la musique, comme il le connaît très bien. On a décroché la subvention immersive en 2021.

Louis :
Nous avons répondu à l’Appel à projets d’AADN, et donc je prends un certain nombre de décisions. Je commence à raconter cette histoire, je trouve le nom d’un « Conte d’un futur commun », je trouve que ça parle assez bien aux gens. Après avoir trouvé ce titre, je me suis demandé comment je vais concevoir ce spectacle. Après un premier refus de l’Appel à projet immersif de l’AADN, nous redéposons un projet. Et là, on l’a obtenu et l’AADN a accepté de nous prendre en production déléguée, c’est-à-dire qu’ils vont nous aider à aller chercher des financements et à diffuser le spectacle. À partir de là, on fait des dossiers et on commence les résidences. J’avais travaillé avec Maxime Hurdequint avec le Live Drawing, il n’était pas question de se passer de ses capacités de dessinateur, et je lui ai demandé de faire les décors. Il faut un musicien, je demande bien évidemment à Yovan Girard que j’admire beaucoup, qui a fait beaucoup de musique, qui a une sensibilité qui me plaît. Il fait plutôt de la composition pour des morceaux de musique mais il avait déjà fait une pièce de théâtre avec quelqu’un. Je sais qu’il est capable en plus de le faire. On se connaît depuis la petite enfance, parce que mes parents et ses parents sont très proches, ma mère et son père étaient ensemble au lycée, je crois.

 

19. Le « Conte d’un futur commun »

Louis :
Donc je fais un calendrier de création, on se cale des dates, on se voit, on commence à faire des trucs ensemble. Je continue parallèlement à chercher des subventions de mon côté. Si cet Appel à projet immersif nous donne de l’argent, cela ne suffit pas vraiment pour payer tout le monde tout le temps, et en plus je demande aux gens de travailler en dehors des périodes de résidence. On a déposé je ne sais pas combien de dossiers auprès de différentes structures. Par exemple, nous avons déposé trois fois un dossier auprès de la création hybride en Auvergne-Rhône-Alpes avant d’obtenir quelque chose de leur part, et je dépose aussi un dossier auprès du CNC (Centre National du Cinéma) et on obtient cette subvention et du coup on a pas mal d’argent. Grâce à ça je respire un peu plus, parce que je vais pouvoir payer les gens correctement pour la création, donc ça c’est une très grande chance. Et après on a eu aussi une subvention de la SACEM. On a pu refaire une résidence au LabLab et payer après coup les résidences qu’on avait faites au Centre des arts d’Enghien-les-Bains. Cette résidence avait duré deux semaines parce qu’on avait la chance d’avoir l’endroit disponible, ils nous fournissaient le lieu mais ils ne nous donnaient pas d’argent.

Avant de trouver le titre du « Conte d’un futur commun », je me suis dit qu’il fallait pouvoir infléchir le déroulé de l’histoire par les réactions du public. Je me disais que si c’était écrit, on allait faire des scénarios en arborescence, avec des arbres de choix multiples, ce qui allait être potentiellement très complexe. Et puis il y avait cette idée d’une histoire racontée autour du feu, avec la participation des gens, ce genre de chose. Ce qui me plaisait bien aussi, c’était l’opposition entre le côté du conte comme l’une des plus vieilles formes « d’art » entre guillemets avec sa manière de raconter des histoires, et le côté participatif, les smartphones, la projection, il fallait trouver un équilibre entre les deux. Alors, j’ai décidé que ça pouvait être un conte.

Delphine, Maxime, Yovan et moi-même, nous avons commencé à travailler ensemble sur ce projet. J’avais vraiment déjà tout l’univers dans ma tête. La première fois qu’on s’est rencontré avec Delphine, j’avais tout le déroulé de l’histoire, je savais où ça commence, qu’est-ce qu’on va voir et jusqu’où on va. En fait, je n’avais pas vraiment le déroulé de l’histoire, mais les lieux où elle se déroule.

 

20. Louis, une année de réflexion

Louis :
Pendant un an, il ne s’est quasiment à rien passé, il n’y a pas eu d’autres rencontres. J’ai réfléchi tout seul de manière plutôt introspective. Rien de spécifique n’a émergé, mais j’ai lu énormément, je ne lisais quasiment plus pour mon « plaisir » entre guillemets, Je me suis fait des énormes tableaux de livres à lire. Ce sont toutes les références à des concepts, à des gens, à des penseurs et à des projets qui m’inspiraient, de la part de gens qui parlaient de comment ils écrivaient à ce sujet.

Pendant cette année de réflexion, quand il fallait prendre des décisions c’était dans ma tête, à aucun moment je n’ai écrit quoi que ce soit. Je formalise les choses dans ma tête, je me dis juste : ça, ça va être ça, enfin, on va commencer là. Et puis il y a eu cette idée d’aller visiter des endroits où il y a des communautés qui sont en harmonie avec leur milieu et ça, en fait, ce n’est pas vite-fait : je fais le tour complet du milieu, la forêt, la montagne, dans les airs, sous l’eau… Et après, je me suis dit que, par son importance, la ville n’allait pas disparaître, et qu’il fallait donc trouver une manière intéressante de l’habiter. J’ai lu plein de trucs sur le ré-ensauvagement qui étaient à la mode : Baptiste Morizot [24] par exemple, enfin tous ces gens qui parlent de comment on peut redonner une place à la nature en ville.

 

21. L’écriture du Conte, Delphine et Louis.

Louis 
Avec Delphine donc, on se voit une première fois pendant deux jours. Au début, j’arrive avec mon histoire, mais en fait je n’ai que les lieux et Delphine, c’est elle qui va tricoter tout, les relations entre les personnages, comment ils vont se trouver, comment ils discutent, et ça m’aide beaucoup. Je présente mes idées et comment ça va se dérouler : je voudrais que l’héroïne aille là-bas, là-bas, et là-bas…

Delphine :
Je dessine, j’écris, et puis après, moi toute seule, je reprends ça, je réimagine à quoi ça ressemble et je trouve la manière de le dire. Et après, quand j’ai trouvé, je le fixe sur papier et je mets les textes sur mon ordinateur. Mais après cela, je continue à beaucoup les remodifier.

 

Feuille de notes de Delphine Photo: Nicolas Sidoroff
Feuille de notes de Delphine
Photo: Nicolas Sidoroff

 

Delphine :
Quand je travaille en résidence, j’ai besoin des papiers écrits que je rature et que je rectifie directement, je suis perdue si jamais c’est trop le bastringue. Il faut aussi que ce soit clair aussi dans ma tête, c’est pour ça que j’ai écrit beaucoup, beaucoup de textes. L’écriture du conte commence toujours avec du papier, car j’ai l’habitude d’écrire à la main. Louis est dans le canap’ qui me dit « OK ».

 

Scène 1 : la première séance de travail, Delphine et Louis

Louis : OK. On commence par les arboricoles.

Delphine : Il faut une héroïne.

Louis : Il y a la question de savoir si ce doit être une fille ou un gars.

Delphine : Ni l’une, ni l’autre, d’après moi.

Louis : Faut-il utiliser le principe du « iel » ?

Delphine : Pour moi, c’est assez compliqué à mettre en place, parce qu’il y a les conjugaisons derrière et que la compréhension par le public n’est pas évidente. J’ai lu des livres avec « iel », qui veut dire « il et elle », pour pas que ce soit un personnage féminin ou masculin. Beaucoup de féministes utilisent cette formule. C’est compliqué quand tu as un public qui ne sait pas, des enfants, par exemple, tu dis « iel » et ils ne vont pas comprendre.

Louis : On peut décider que c’est une fille.

Delphine : Oui, mais avec un nom qui peut s’appliquer aux deux genres. Au lieu d’utiliser il ou elle dans le spectacle, peut-être qu’on pourrait utiliser le prénom de la personne.

Louis : Je propose Camille.

Delphine : D’accord.

Louis : J’ai tous les endroits que l’on va aller visiter : arboricole, après la ville, après le corail… Je voudrais que Camille aille là-bas, là-bas, et là-bas et je ne sais pas où Camille va aller à la fin.

Delphine : On pourrait rajouter l’idée des « aimants » (boussoles) qu’on va voir pour déterminer qui sont les gens qui guérissent. Et aussi les prairies, les plantes, et ça peut finir sous l’eau.

Louis : Il y a cette idée de Grand Conseil qui est plutôt dans la ville.

Delphine : Je note tout ce que tu dis spontanément sur du papier que je garde dans un dossier. Je garde tout en vrac, même les choses que nous allons rejeter dans le spectacle. C’est la pile du « Conte d’un futur commun » tout entier. Tu vois, moi c’est du bazar, hein ! Il y a des phrases qui sont très nettes, que j’écris pour ne pas les perdre parce qu’elles me semblent justes, je les ai parfois trouvées à l’oral.

Louis : Moi je décris où ça va se passer, qu’est-ce qu’on veut, où est-ce qu’on va et qu’est-ce qu’on peut trouver à chaque fois, et toi, tu vas mettre tout cela en histoire. C’est toi, après qui va écrire le texte, la majeure partie de l’histoire.

Delphine : Je note : « Forêt, traversée de la forêt. La gare. Le village. La ville. La mer. La prairie. » Je te propose de mettre la prairie avant la mer. Et aussi que Camille finalement ne retourne pas chez elle. Il faut trouver quelque chose qui implique le public, qui le fasse évoluer tout au long du spectacle pour qu’on en ressorte comme si on avait fait un voyage. Je veux qu’on en ressorte chamboulé, qu’on puisse se dire, “on a fait un voyage dans un monde qu’on ne connaissait pas”, un monde qui nous a rappelé des souvenirs, qui nous a fait se poser des questions sur nous-mêmes.

Louis : Ce qui me plaît, c’est cette idée de rite initiatique, enfin, c’est un voyage initiatique.

Delphine : Tu vois, je vais même annoter les positions du corps : est-ce que je suis face aux gens ? Est-ce que je me retourne ? On peut aussi travailler sur la mise en scène, c’est aussi une dimension importante.

 

Feuille de notes de Delphine Photo: Nicolas Sidoroff
Feuille de notes de Delphine
Photo: Nicolas Sidoroff

 

Scène 2 : les mêmes, plus tard

Delphine : Dans cette scène, Camille descend dans la cité sous-marine.

Louis : Ouais tu vois, on pourrait avoir des bulles qui flottent à l’extérieur, et puis il y aurait des câbles qui tombent dans l’eau.

Delphine : Je le dessine.

 

Feuille de notes de Delphine Photo: Nicolas Sidoroff
Feuille de notes de Delphine
Photo: Nicolas Sidoroff

 

Scène 3 : les mêmes, la biocratie

Louis : Concernant le contrôle du climat, c’est l’idée de percer les nuages pour provoquer la pluie.

Delphine : Tu vois, le « solutionnisme technologique », je sais qu’il faut qu’on le case quelque part, mais je ne sais pas où. Il y a des choses comme ça : la biocratie.

Louis : Camille de Toledo [25] m’a vraiment beaucoup inspiré sur la biocratie. Je suis allé à une de ses conférences sur « Les témoins du futur », dans le cadre du « European Lab ». En fait, ce qui m’a vraiment plu, c’est qu’il parlait d’un futur où l’on allait réussir à améliorer le monde tout en le changeant, j’ai été beaucoup touché par le côté émotionnel. Et en plus, c’était quelque chose qui était très facilement réalisable dans le monde dans lequel on vit, c’était de se dire qu’on donne le droit à la nature d’être représentée comme une personne morale au même titre qu’une société. Et en gros, ça donne le droit à la nature d’attaquer les gens qui la détruisent. J’ai trouvé ça très intelligent, parce que cela se joue vraiment sur une chose minime. On a toujours tendance à se dire qu’il faut changer énormément les choses pour réussir à faire bouger le monde. Et, en fait là, non, ce ne sont vraiment que les petits détails qui comptent et on est capable de changer grâce au système qui existe déjà.

Delphine : Camille de Toledo, voilà, il est là, il a imaginé que dans le futur, il y aurait des maisons qui avaient été détruites pour faire des zones de pluie à carbone. Et les gens qui n’étaient pas contents décidaient de porter cela devant les tribunaux. Son histoire est pour moi très émotionnelle. Il y a un enfant qui dit : « Mon père est revenu en pleurant. Il avait les larmes qui coulaient et je me demandais pourquoi il pleurait comme ça, pourquoi il était si triste, qu’est-ce qui s’était passé ? » En fait, il pleurait de joie en disant : « Les abeilles ont cessé de mourir. Si les abeilles cessent de mourir, ça veut dire qu’on est en train d’y arriver ». Il imagine qu’il y a un vrai changement, sur les femmes aussi. Camille de Toledo, c’est lui qui nous a donné cette idée de lancer des procès : le lac d’Annecy contre les propriétaires du lac, Danube contre la mairie de Vienne, la mer du Nord contre les tankers russes, la Haute-Méditerranée contre Canal de Suez, les Association des forêts primaires contre les producteurs de charbon. Après, moi, ça me tient à cœur, aussi, de dénoncer, même si ça m’a replongée dans le truc pas cool. C’est vrai, quand tu replonges là-dedans, aïe-aïe, tu te dis, ouais, c’est pas possible là !

Louis : Alors ça, je trouve peut-être ce que tu dis un peu trop négatif, cela implique qu’il y a quelque chose de négatif dans le monde, dans ce monde parfait. Ben « parfait » ici c’est entre guillemets, ce n’est pas parfait, mais dans ce monde désirable.

 

Scène 4 : la coulée de boue

Delphine : Et puis, qu’est-ce que notre héroïne fait là ? Qu’est-ce qu’il lui arrive ? Quelle est la base de la technique, surtout ?

Louis : Tu écris, tu vas utiliser beaucoup de papier, tu vas écrire beaucoup de choses qu’on ne va pas garder.

Delphine : On n’a pas la fin, on n’a rien, on part sur quelque chose dont on connaît le début, mais on ne sait pas où on va aller. Qu’est-ce qui fait partir Camille à la fin ?

Louis : Une coulée de boue.

Delphine : Une coulée de boue, ça ne me paraît pas évident comme résolution du problème de la fin.

Louis : Ben, on va quand même choisir ça, parce que c’est ce qui convient le mieux.

 

Scène 5 : le propel stretch

Delphine : Il y a cette histoire du propel stretch. Écoute, qu’est-ce que c’est exactement tes propel stretches ?

Louis : Le propel stretch est un tissu élastique qui se tend.

Delphine : Parce que là, tu les accroches où ? Tu vois, à quoi tu les accroches ? Ça s’étire, OK, puis après ça, qu’est-ce qui fait que ça lâche ? Parce que si tu es accroché, comment tu te lâches ?

Louis : Elle l’accroche à une branche, elle le tend, puis elle se lâche et ça la propulse dans le ciel et comme ça, elle peut faire 50 km quand même, hein !

Delphine : Il faut qu’elle ait un casque, il faut qu’elle ait un masque !

Louis : Peut-être qu’il ne faut rien dire, on laisse les gens imaginer les choses.

Delphine : Oui, d’accord, on l’imagine et ça ne choque pas trop les gens. On ne veut pas trop d’incongru. On veut que ce soit quelque chose qui soit vraiment possible à imaginer. Il n’y a donc pas la magie qu’on trouve dans les contes. Par exemple, il n’y a pas d’animaux qui parlent, alors que dans les contes, fréquemment, un oiseau parle, un cerf parle, là, non, les animaux ne parlent pas. En tout cas, on ne comprend pas leur langage.

 

Scène 6 : La zone désaffectée

Louis : Il y a une zone désaffectée.

Delphine : J’écris « zone désaffectée » en couleur.

Louis : Ce n’est pas forcément écrit, là, en projection. En fait, ça fait partie du trajet : ici c’est la ville, la prairie, et il y a la zone désaffectée, tu sais, où il y a des usines en ruines qui sont en reconversion, c’est tout ce qu’on trouve dans la ville. Tout en haut de la ville, en fait, tout est en recyclage de plateformes pétrolières.

Delphine : J’écris : « Animaux, ponts de singes, hôtels à insectes ». Tout ce que dans l’imaginaire on voudrait qu’il y ait dans cet endroit. Globalement il faut qu’on touche un peu à tout sans aller à chaque fois vers les mêmes choses, parce que tu peux vite être trop répétitif.

Louis : C’est un vrai casse-tête.

Delphine : Par exemple, je voudrais parler quand même des femmes, d’un lieu où l’on prend soin des personnes âgées, où les enfants naissent, qu’il y ait un lieu pour ça. Ce n’est pas évident de parler de tout cela et en même temps de continuer l’histoire de la quête de Camille. C’est dense, parfois il faut faire des choix, ce n’est pas évident de tout conjuguer, d’éviter que ce soit lourd et en même temps de dire tout ce qu’on veut dire. Je voudrais parler de l’eau, je voudrais parler de toutes ces terres rares. « Pfff » je voudrais parler de l’argent « lala », le problème c’est qu’il y a tellement de sujets.

Louis : On commence par se dire « on garde tout, à peu près tout ce qu’on veut » et après, il faut enlever pas mal de choses.

Delphine : Mais ça, ça ne sert à rien de dire ça, on ne va pas parler d’argent.

Louis : Ben oui, on enlève.

Delphine : Oui, parce que cette histoire est tellement dense !

 

Louis :
C’est Delphine qui écrit le texte vu que c’est elle qui parle. Je dis « il faut dire ça », et elle l’écrit. Elle prend des notes, je lui donne les lieux et les humains, elle écrit et après elle commence à le raconter. Quand elle a le temps, elle s’enregistre et nous envoie une version, et puis après elle retravaille là-dessus et jusqu’à ce que cela l’aide à faire son chemin dans sa tête, elle a un déroulé, et ça fait qu’elle peut enlever des bouts et en rajouter d’autres. Elle envoie de l’audio ou du texte, ça dépend, et souvent les grands trucs on les fait en résidence.

Delphine :
Louis sur le canapé n’écrit pas, c’est moi qui écris. Lui, il est plutôt sur son téléphone pour chercher les choses. Par exemple, récemment on cherchait les cités sous-marines, il va chercher pour voir à quoi ça ressemble, ce qui existe vraiment, pour pouvoir peut-être s’en inspirer. Ou quand je lui dis : « Ah ! donne-moi un synonyme de ça parce que je suis en train d’écrire, je ne trouve pas le mot ». Hop, il cherche. Je lui pose des questions : « Ah ! parce que ça, tu penses qu’elle va faire comment si elle a fait ça, est-ce possible qu’elle préfère faire ça ? » Louis : « Ah oui attends, non mais c’est parce qu’elle fait comme ça tout simplement ! », et moi : « OK, ah oui, t’as raison ». Voilà.

Louis :
Après c’est une question de détail, je retouche très peu ce qu’elle fait, je donne mon avis, mais je ne vais pas lui dire : « Dis comme ci, dis comme ça ». Je sais que c’est elle qui va dire le texte. Delphine ne considère pas qu’elle improvise, il y a toujours un texte, mais elle le modifie au fur et à mesure qu’elle parle, elle considère que c’est de la mémorisation, la manière dont son cerveau mémorise ce qui va sortir, mais elle modifie un peu le texte. Après elle réécoute sa voix enregistrée en train de lire le texte et elle change des choses en conséquence. Au moment où elle l’apprend par cœur, il se modifie tout seul dans sa tête. Elle a une carte mentale qu’elle s’est faite de l’endroit où ça va, un chemin qui se déroule.

Delphine :
Je n’ai pas de problème de mémorisation parce que une fois que j’ai pris ce chemin-là, je sais que ça va tout droit et que ça roule. D’habitude, je prends un texte qui existe, je prends une histoire qui existe, que j’ai entendue ou que j’ai lue, donc j’ai un texte, j’ai quelque chose, une histoire traditionnelle de base. Après, je mets les mots que je veux, mais l’histoire existe. Parfois j’improvise autour du texte. Mais je travaille souvent l’improvisation chez moi, je garde le fil de l’histoire, je ne la trahis pas. Même si les textes sont parfois complètement écrits, si un texte est effectivement bien écrit, et que tu as un refrain, cette espèce de petite fredaine, c’est bien de le respecter, parce que ça donne du rythme à ton récit. Souvent, les histoires sont quand même bien écrites, mais après, tu peux vraiment transformer la manière dont l’histoire est écrite et la raconter vraiment autrement. Mais la plupart du temps, tu gardes le fil de l’histoire. Quand c’est moi qui écris le texte, je peux faire ce que je veux. Quand je travaille sur un texte, je cherche les mots comme si j’avais un public devant moi et quand je trouve une phrase qui tilte, paf ! je l’écris vite, hop ! OK, bon. Alors à haute voix je la répète et puis je continue. De fixer ce que je dis par écrit me permet de ne pas l’oublier, ce serait dommage quand on trouve une belle phrase qui a une belle musique. C’est quand je trouve mes mots, ma musique, qu’elle s’imprègne tout de suite, je m’en rappelle parce que ça colle bien. C’est quand je trouve les mots justes que je peux le mieux m’en souvenir.

 

22. Les dessins et leur animation. Louis et Maxime H.

Scène 1 : Coup de téléphone entre Maxime et Louis

Louis : Allo, Maxime ? On a décroché la subvention de l’Appel à projet immersif de l’AADN. Ben, ça y est, on fonce, quoi.

Maxime : Cette fois-ci, on y va. Mais moi, je ne sais pas faire de la bande dessinée, je ne sais pas faire du motion design, je n’ai absolument pas les compétences pour faire ça. Franchement, je ne vois pas du tout où je vais. Ah ! Louis, si ça se trouve, il va falloir que quelqu’un m’aide parce que je ne dessine pas spécialement des personnages, en tout cas, pas des personnages animés, je fais beaucoup plus de décors. Comment on va faire ? Et en plus, on a gagné une subvention pour être immersif, donc, sous dôme. Moi, je ne sais pas faire un dessin qui se tord sous un dôme, donc, il y a quand même pas mal de défis. Mais bon, on va bien voir, on y va !

Louis : À mon avis, pour adapter le dôme au frontal, je vais avoir besoin de temps au lab. ou bien il faudrait qu’on ait encore une résidence tous ensemble. Je n’ai pas l’intention de t’intégrer dans la plupart des résidences parce que je sais que tu viens d’être papa et je sais ce que cela veut dire. Ce n’est pas la peine pour toi de venir, vu que tu ne joues rien « en direct » entre guillemets, il n’y a pas besoin forcément que tu sois là, même si pour la cohésion c’est toujours plus intéressant que tu sois là.

Maxime : Les résidences, en théorie – il y a la théorie et la pratique – tout est déjà fait, puisque tous mes dessins doivent tous être prêts. Sauf que si c’est la première fois qu’ils sont projetés, ben je me rends compte que mon arbre que j’ai dessiné est trop petit, ou qu’il n’apparaît pas très bien en termes de contraste, donc il y a beaucoup d’allers-retours avec toi, Louis.

Louis : En fait, j’intègre les images dans mon logiciel qui les projette.

Maxime : Et au fur et à mesure que tu me les projettes, je me dis souvent, « Ah ! non, je ne vais pas laisser ce dessin, il n’est pas adapté ». Ou je fais des modifications. Donc les résidences, ça sert à ça. Il faut que je sois là vraiment dès le début pour faire les allers-retours avec toi quand tu mets en place le récit pour voir si c’est adapté au lieu. Alors comment va-ton travailler ?

Louis : On travaille d’abord tous les deux séparément. Il faudrait que tu dessines une usine pour la fin du conte.

Maxime : Ah ! non, je n’aime pas trop comme ça !

Louis : Ils sont où tes dessins pour les deux gros projets « Nuit Blanche » à Paris ? Tu les as faits ? Je peux passer chez toi pour les voir ?

Maxime : Je vais les mettre dans la Dropbox, tu peux aller les voir régulièrement. Il y en a des nouveaux.

Louis : Voilà, il faut que tu me dessines une ville où les immeubles et la nature sont entremêlés. Ils sont entremêlés, mais quand même de façon distincte, c’est-à-dire qu’il faut qu’il y ait des passages pour les animaux et après, il doit y avoir d’autres passages pour les humains, et voilà, vas-y quoi.

Maxime : Ben, je n’ai aucune idée… Je vais te faire 3 ou 4 croquis, mais franchement, là, je n’ai aucune idée. Il faudra qu’on prenne pas mal de café ensemble.

Louis : Je ne te fais jamais chier, tu fais ce que tu veux. Enfin si ! ouais, je te fais chier ! C’est bien ce que tu as fait avec le dessin de la ville, mais, hop là, je vois que tu as dessiné la ville vue d’en haut. Il faudrait qu’on la voie du dessous, comme ça, ça serait mieux, tu vois. Il faut me refaire la ville.

Maxime : Ça va, je suis reparti pour 20 heures de dessin pour refaire la ville.

Louis : Oui et on va voir cette image que pendant trois secondes à un moment donné, alors que je sais que ça t’a pris énormément de temps.

Maxime : C’est un peu frustrant.

Louis : Si tu ne le fais pas, cela ne va pas me déranger, tu peux tout aussi bien ne pas suivre mon avis.

 

Maxime :
En ce qui concerne les moyens d’adapter les dessins pour pouvoir les montrer sous le dôme, au début je n’avais aucune idée de la taille, du niveau de précision dont j’avais besoin pour faire les dessins. Je ne savais pas, quand j’allais mettre mon dessin dans le dôme, s’il allait être trop petit ou trop grand, donc en fait, j’ai fait en sorte que le dessin puisse se répéter latéralement. C’est-à-dire que quand on a le dessin, si on fait une photocopie, par exemple, et qu’on le met à gauche du dessin initial, alors il se raccorde parfaitement, et donc voilà, c’est infini. Je me suis dit que si je dois dessiner une forêt, je commence à dessiner quatre arbres, et je sais qu’après, je peux reproduire le motif à l’infini. Donc je pensais pouvoir changer, de réadapter ma production en fonction, si je me rendais compte qu’il me fallait reproduire quatre fois mon dessin pour faire le tour ou s’il fallait huit fois, je pensais ainsi pouvoir me régler comme ça, sachant qu’après, si c’est vraiment trop décalé, j’aurais à étirer un peu mon dessin pour être à la bonne hauteur. En tout cas, j’ai fait ce pari de reproduire le motif.

 

Scène 2 : Maxime et un membre d’une équipe technique

Un membre d’une équipe technique : Bonjour Maxime. Tu as une question ?

Maxime : Comment faire pour adapter l’image à la projection sous le dôme ?

Le membre d’une équipe technique : Voilà, il faut que ce soit un rond, donc l’image qui est vidéo projetée, c’est un rond.

Maxime : OK, mais moi, mes dessins, ce sont des carrés ! Et surtout, je suis incapable de prédire la déformation que je dois appliquer pour dessiner dans un rond.

Le membre de l’équipe technique :
Il faut que tu dessines sans la moindre déformation, et que sur ton ordinateur, tu trouves quelle commande, quel outil utiliser sur Photoshop pour procéder à la déformation.

Maxime : J’ai cherché hein ! j’ai cherché sur internet, j’ai fait des tests, je n’y arrivais pas du tout ! Ça me faisait une déformation trop bizarre, et j’ai fini par trouver qu’effectivement, je pouvais tordre le dessin en demi-cercle, et dans ce cas, je pouvais faire un copier-coller en symétrie, et cela produisait un cercle complet que je pouvais vidéo-projeter. Et après cela, une fois que ça, ça marche, c’est vraiment comme une machine, c’est-à-dire qu’après, quand je fais un nouveau dessin, j’utilise la même commande, et le travail se fait automatiquement. Une fois que j’ai un nouveau dessin, il est traité par la machine, et il ressort avec la bonne taille, la bonne déformation, et après, je peux éventuellement faire des petits réglages. Une fois sous dôme, c’est quand même le moment de vérité et je me dis : « J’ai bien anticipé par rapport à la dernière fois, mais peut-être que dans ce dôme-là, ça nécessitera une petite mise à l’échelle ». Donc, à chaque nouvelle résidence, il y a, avec Louis, un temps de réglage, où je dois souvent lui redonner tous les contenus un par un pour les remettre à l’échelle.

 

Louis :
En fait sur l’animation des dessins, je récupère un dessin que m’a fait Maxime, qu’il a déjà inversé pour que le fond soit noir à la place d’être blanc. Quand on est sous le dôme, il a déjà traité l’image pour l’adapter au dôme. Et moi à partir de là, je les allie pour en faire ce que je veux, sachant que le but de l’animation, c’est vraiment de faire un truc très simple au début de l’histoire, et de le complexifier au fur et à mesure du récit. Je rentre une image dans le logiciel et grâce à ça je peux l’animer, la déplacer, et mettre des effets par-dessus, des effets de style. Pour animer les images il faut que je lance quelque chose, qu’elles se déplacent d’une certaine manière, à une certaine vitesse, qu’elles montent et qu’elles descendent, etc. Voilà, à la base, le logiciel n’est pas fait pour faire ça, mais je m’en sers de cette manière. Après je fais des fondus, soit un fondu au noir avec une autre image, ou bien l’autre image qui apparaît par-dessus une autre, ou d’autres options. Et je fais bouger des trucs à l’intérieur de l’image, ou je rajoute un calque, c’est-à-dire que je rajoute une autre image par-dessus la première et je la fais bouger. Par exemple, je fais monter les masques du Grand Conseil, enfin voilà, des trucs assez simples. Et pendant toutes mes premières résidences je galère à appuyer sur les manettes, à faire monter les images. Après je dois revenir en arrière : une fois qu’on a fini la boucle qu’on a fait, il faut que je reprenne tout depuis le début, que je me souvienne où sont les choses pour les remettre à zéro pour pouvoir après les relancer, pour que, quand je reclique sur le truc, ça redémarre l’animation au bon endroit

J’avais fait un clip pour Kunta, qui est le groupe de Yovan, j’ai participé avec eux à une résidence au LabLab, où je faisais la partie de projection vidéo (il y avait quelqu’un qui filmait), et c’était une galère de fou, parce que j’étais sur Resolume, et eux avaient un truc où c’est timé sur leur Medlay [26] qu’ils ont fait à la seconde près. Et du coup, le vidéaste a refait exactement le même plan sept fois pour pouvoir faire son montage à l’intérieur. Ça voulait dire que toutes mes vidéos devaient être timées au poil de millième près. Et ça nous a pris deux jours, c’était interminable. Alors je me suis dit : « Plus jamais ça, c’est vraiment trop horrible ! ».

Scène 3 : Louis, un collègue et le logiciel Chataigne

Un collègue : As-tu entendu parler d’un autre logiciel qui peut piloter ça, qui s’appelle « Chataigne » qui a été conçu par un lyonnais, Ben Kuperberg ? Avec Chataigne, tu aurais pu lancer, clip par clip, tes trucs et ça aurait pu être dans une timeline mais vraiment à la seconde près. Chataigne est une espèce de tableau de bord qui fait communiquer les différents logiciels entre eux.

 

Louis :
Donc, je me mets sur Chataigne, je fais des tutos simples, il y a une documentation, etc. J’arrive plus ou moins à lancer mon premier clip tout seul : si j’appuie sur telle lettre du clavier ça lance le clip. Mais après, j’ai découvert qu’il valait mieux le placer sur une timeline, parce que si je dois utiliser toutes les touches de mon clavier, je risque de me tromper de touche et ça ne marchera plus. Avec la timeline, chaque fois que j’appuie sur la barre espace, je lance un truc, et je peux appuyer une deuxième fois pour l’arrêter.

 

Scène 4 : les mêmes plus tard

Le collègue : Je vais te montrer comment utiliser les cues, de sorte que le truc s’arrête automatiquement au bon moment.

Louis : Mais quand j’utilise les cues, il arrive souvent que deux choses se déclenchent quand j’appuie sur espace : Ah ! non ! pas ça !

Le collègue : Ah ! oui, c’est vrai pas con !

Louis : On pourrait se servir du téléphone pour le faire ?

Le collègue : Tu peux essayer, ça marche aussi.

 

Louis :
Du coup, ça marche aussi, mais je ne peux pas tout faire, parce que Chataigne ça marche bien pour le Resolume, mais je n’arrive pas à récupérer les dessins, enfin je ne peux pas réadapter le Live Drawing avec Chataigne. C’est-à-dire que je ne peux pas le faire tout le temps, enfin il faut que je sois tout de même derrière mon ordinateur à certains moments, notamment quand il y a la participation du public, ne serait-ce que pour voir ce que les gens écrivent. Quand j’ai des galères, j’appelle les copains au téléphone pour savoir comment faire les choses. Dans tous les projets, c’est tout le temps comme ça.

 

Scène 5 : Louis et le logiciel Chataigne

Louis : Grâce à toi, Chataigne, j’arrive à me faire une time line.

Chataigne : Oui tu me donnes des éléments.

Louis : Voilà un élément, tu lances ce truc-là, tu le fais monter jusque-là.

Chataigne : Tout ce que tu faisais à la main, je le fais tout seul automatiquement. Voilà cinq images de faites.

Louis : Et là tu me remets la première à zéro, enfin par exemple telle coordonnée à 5000 pixels tu me la remets à zéro et tu remets une opacité de 100%.

Chataigne : Oui, Louis, avec plaisir. Grâce à moi, tu topes tous tes trucs maintenant, tu n’as plus besoin de cliquer, de chercher, de déplacer les choses.

Louis : Grâce à toi, je n’ai plus qu’à appuyer sur « espace », ça déroule le truc et voilà.

 

Scène 6 : Louis et Maxime. Projection sous le dôme

Louis : Grâce à un autre logiciel, j’ai pu dépasser les contraintes qui étaient les miennes au départ. Par contre, quand on est passé sous le dôme, il y a eu vraiment un moment de flottement, parce que tous mes trucs qui étaient des travellings de gauche à droite, de haut en bas, en diagonale, sous le dôme ça ne marche pas. Parce que si tu bouges de gauche à droite, ben là tu n’as plus rien, il n’y a plus d’image et ça fait un peu bizarre. Parce que sous le dôme, l’image est carrée, 7000 par 7000 ou 8000 par 8000, où en haut, en gros, c’est le centre de l’image.

Maxime : Je fais des dessins sur un format carré de 4000 par 4000 pixels, ensuite, je les balance dans mon logiciel pour en faire des cercles. Pour faire mon demi-cercle, je suis obligé de copier un deuxième dessin pour produire un rectangle de 4000 par 8000 pixels. Je multiplie ensuite le demi-cercle par deux pour obtenir symétriquement un cercle complet. Donc je sais qu’en général, quand je fais un dessin 4000 par 4000, il apparaîtra 4 fois sous le dôme. Le centre du cercle, c’est le point le plus haut de l’image dans un dôme et c’est là où la déformation est la plus forte. Donc je n’ai pas intérêt à trop m’approcher du centre, parce que sinon mes dessins, ils sont vraiment très, très écrasés. Comme on a beaucoup de scènes d’extérieur, souvent mes dessins sont rectangulaires. Et quand je les passe sur l’ordinateur, « hop », j’augmente la surface de la page en haut et ça me fait un format carré. Et il y a juste certains éléments qui m’ont obligé à changer de stratégie : par exemple, on est dans une bibliothèque, avec des livres jusqu’au plafond, j’ai fait vraiment un dessin assez petit, un motif que j’ai multiplié peut-être 50 fois, comme un papier peint et donc après, là, j’ai pu le mettre jusqu’en haut. Le motif est multiplié en largeur et en hauteur, donc le dessin doit pouvoir se superposer à lui-même à la fois verticalement et horizontalement.

Louis : En fait, j’ai mis un peu de temps à comprendre comment on fait, et après de comprendre que si je voulais animer mon image, il fallait que je zoome à l’intérieur de ce carré de 7000 par 7000 pour qu’on voit un déplacement comme ceci ou comme cela. Donc je zoome et je fais des rotations, voilà. J’ai pris une suite de plug-ins d’effets sur Resolume [27] qui sont spécialement adaptés pour le dôme et qui me permettent de faire ce qu’on appelle « Fisheyes rotations ».

 

Maxime :
J’aurais pu choisir une façon beaucoup plus simple de dessiner pour correspondre aux divers formats de projection. J’aurais pu, je pense, dessiner directement sur un iPad et faire tout de façon informatique. Mais je fais de l’ordinateur toute la journée quand je suis architecte, je voulais vraiment passer par le feutre. Donc déjà, je pense que j’ai fait un choix un peu archaïque : tout part d’une feuille de papier et d’un feutre. Pour que les dessins puissent se suivre, je fais mon premier dessin, ensuite, je fais comme un marque-page qui fait la même hauteur que le dessin que je viens poser à droite du dessin, donc je prolonge le dessin, je prends mon marque-page, je le passe de l’autre côté de la feuille, et là, je reprolonge et je fais en sorte que ça marche. Et c’est ce petit marque-page que je peux glisser à droite et à gauche qui va me faire la continuité des dessins. C’est vrai que là, c’est très simple à montrer, mais assez difficile à expliquer.

Parfois, j’ai travaillé avec du papier calque : au début de la pièce, il y a une forêt et ensuite, il y a une ville dans la forêt. Donc j’avais deux solutions : soit je restais archaïque, et je redessinais une deuxième fois la forêt en ajoutant la ville, soit je prenais une feuille de papier calque à l’ancienne et je dessinais ma ville par-dessus. C’est ce que j’ai fait, j’ai gagné pas mal de temps, j’ai pu plus me concentrer sur d’autres choses. Donc, il y a quelques fois où le dessin final n’existe pas vraiment, il n’est pas complètement sur un seul papier. Il n’est pas utilisable tel quel pour une exposition. À un autre moment, il y a un vaisseau volant, j’ai dessiné d’abord ce vaisseau vide, parce qu’on n’avait pas trop de temps. Et je me suis dit, ce n’est pas grave, je vais mettre une feuille par-dessus et je vais dessiner tous les personnages et comme ça, si je me rate sur un personnage, ce n’est pas grave, je ne vais pas perdre mon vaisseau, j’aurais droit à un deuxième essai. Quand je n’ai pas tout à fait confiance, je me donne cette possibilité d’avoir plusieurs épaisseurs de dessin que je peux après faire fonctionner ensemble sur l’ordinateur. C’est une liberté qui est assez agréable, quand on dessine, tout part de la main, mais après, on peut réassembler, on peut corriger, on peut gommer aussi.

Sur l’ordinateur, ça peut m’arriver que j’aie des petites jonctions qui ne soient pas toujours parfaites, étant donné ma fameuse technique archaïque de marque-page, donc ça me demande un peu de reprise. C’est ainsi que j’ai plus gommé pour faire des ajustements, que dans le cas d’avoir à refaire un dessin à cause d’une mauvaise trace, comme une goutte de café qui tombe accidentellement sur mon dessin qui est fini. En cas d’erreur, j’ai l’ordinateur qui peut me sauver.

 

Scène 7 : Louis et Maxime

Maxime : Là, le dessin est trop petit, là tu me l’as tordu, là ça ne va pas.

Louis : Mais là, ce dessin-là, il ne sort pas bien, il n’est pas assez contrasté ou il est trop petit.

Maxime : Je vais bosser dessus.

Louis : Non mais là ça ne va pas, c’est trop petit, c’est moche. Je devrais le modifier.

Maxime : Mais je ne pensais pas que tu arriverais à trouver autant d’effets différents pour que ce ne soit pas ennuyeux et que ce soit logique avec le fil du récit.

 

Maxime :
Les croquis sont réalisés en noir et blanc et de façon très lâche, c’est-à-dire que je laisse un peu le poignet guider et quand le croquis commence un peu à prendre forme, je passe en couleur pour distinguer un peu les différents éléments.

 

Photo: Nicolas Sidoroff
Photo: Nicolas Sidoroff

 

Maxime :
Ma façon de dessiner est basée sur des motifs qui se répètent. Dans les croquis, j’essaie d’abord de trouver les ingrédients de la recette et puis après, je cuisine les choses à partir de là. Par exemple, il y a beaucoup d’arbres dans les dessins, donc, je trouve un peu la bonne forme d’arbre.

 

Photo: Nicoals Sidoroff
Photo: Nicoals Sidoroff

 

Maxime :
Ensuite, si c’est une ville, je trouve le motif de façade et dans le cas de la ville, il y a des passages pour les animaux. J’ai trouvé une solution : ils sont suspendus sur des ballons. Et après, tout s’est un peu assemblé et je fais en sorte que ce soit toujours enchevêtré, mais si on voit bien que ça s’enchevêtre, pourtant ça ne se cogne pas. C’est un peu comme ça que je fais mes dessins, pour avoir une espèce d’harmonie entre plein d’ingrédients.

 

Photo: Nicolas Sidoroff
Photo: Nicolas Sidoroff

 

Maxime :
Mes premiers croquis, c’est au stylo, pas au crayon de papier. Et après, quand j’en arrive vraiment au dessin final, j’utilise le crayon de papier pour tirer un peu les grands axes, c’est-à-dire que cela donnera la silhouette des grands éléments. Et après, je les dessine tout de suite au feutre. Et à la fin, je gomme mes petites silhouettes que j’avais faites au début. Donc il y a bien quelques lignes qui structurent le dessin.

En général, je fais mon dessin au crayon de papier et je le gomme à la fin, j’ai assez peu besoin d’y revenir. J’ai juste fait quelques dessins où, d’habitude, j’essaie de faire abstraction des règles de perspective, je les respecte un petit peu, mais je suis assez libre. Il y a quelques scènes qui sont en intérieur et j’avais envie d’avoir de bonnes proportions, donc là, ça prend beaucoup plus de temps. Il y a quelques dessins où vraiment, j’ai passé je pense 2 ou 3 heures juste sur le crayon de papier à dessiner, gommer, dessiner, gommer jusqu’à ce que j’aie vraiment trouvé le dessin et pour le coup, je redessine entièrement au feutre, mais c’est presque plus un travail de mise en couleur. Pourtant, il y a beaucoup de dessins où il s’agit d’une ébauche très lâche qui devient tout de suite un dessin achevé. Dans mes dessins, j’utilise différentes démarches.

Il y a une partie de la pièce où l’animation des images est prédominante et au début, je ne sais pas comment on va faire. Je fais plein de dessins, mais je ne sais pas comment on va faire pour les animer. Je fais confiance à Louis, en me disant qu’il saura comment on fait la transition quand on passe, disons, de la forêt à la ville, il va faire un fondu au noir, ou bien il va faire apparaître l’image progressivement, donc c’est lui qui fait de la vraie création artistique en liant les choses. Il y a donc des personnages, des éléments à intégrer dans l’image, c’est lui qui va les positionner et les faire se déplacer (parce qu’on a des objets qui se déplacent).

 

Photo: AADN
Photo: AADN

 

23. Une musique traditionnelle du futur ?

Scène 1 : Louis et Yovan

Louis : Je veux que tu me fasses de la musique traditionnelle du futur.

Yovan : C’est compliqué, car la musique traditionnelle est déjà pleine de codes, ça ne correspond pas à ma façon de travailler.

Louis : Je dis ça, parce que je suis sous l’influence de Super Parquet, un groupe qui mixe de la musique électronique avec de la musique traditionnelle du centre de la France, que j’ai vu en concert et qui m’a vraiment beaucoup plu, j’aime bien ce côté un peu musique traditionnelle du futur.

Yovan :L’idée est plutôt d’avoir une électronique qui ne soit pas que synthétique, et surtout, et je ne connais pas assez la pratique d’une musique traditionnelle. Laissons les auditeurs imaginer des choses. On peut s’inspirer de beaucoup de différentes sources, ça correspond plus à ma façon de penser.

Louis : Si j’ai mentionné l’idée de la musique traditionnelle du futur, c’était pour t’orienter un peu.

Yovan : La musique traditionnelle pourrait peut-être me rassurer en prenant l’idée qu’on va essayer de la moderniser, cela pourrait vraiment devenir une base pour mon travail, vu que je n’ai pas trop de règles et que je ne sais pas par où commencer. Mais je préfère dire que je pars d’une musique électronique qui est aussi un peu organique.

Louis : Concernant la musique traditionnelle, j’avais parlé aussi avec Jacques Puech [28] grâce à l’Ensemble Aleph et il m’avait expliqué que la musique traditionnelle est en fait une musique beaucoup plus vivante que toute la musique écrite, parce qu’elle évolue continuellement au fur et à mesure du temps. Du coup, je me suis dit que ça serait intéressant effectivement d’aller voir de ce côté-là.

Yovan : Ouais, j’aime bien, je vais reprendre des boucles de musiques traditionnelles africaines, ou bien des boucles de je-ne-sais-pas-quoi.

Louis : On n’est pas vraiment sur la fonction sociale de la musique traditionnelle, ni sur comment elle est écrite et comment elle se fixe.

Yovan : C’est plutôt quelque chose du genre : « Je vais reprendre des bouts de ci, et puis je vais les adapter à ma sauce ».

Louis : Et de toute façon, connaissant ta musique, je ne m’attends pas du tout à ce que tu ais une approche de musique traditionnelle.

 

24. L’élaboration de la musique. Musique pré-enregistrée ou musique en direct. Louis et Yovan.

Scène 1 : Louis et Yovan

Louis : Il s’agit de faire un spectacle immersif avec un musicien sur scène.

Yovan : J’aime bien avoir une trame bien définie pour comprendre ce que tu veux.

Louis : Je voudrais que tu improvises tout en faisant ta propre musique.

Yovan : Je ne veux pas faire ça, pour moi ça ne veut rien dire. Si tu veux que je compose des productions musicales comme des morceaux de musique électronique ou tout ce que je peux faire d’autre, eh bien, il faut le définir dans notre dossier de subventions, il faut qu’on arrive à le mettre en mots. Il faut expliquer les choses, donner des références de musique traditionnelle.

Louis : C’est un conte sur l’écologie, sur la planète, sur la nature.

Yovan : Alors, il faut peut-être quelque chose de plus que l’électronique, avec aussi des instruments organiques. Mais si tu veux, je peux ne faire que de la musique live avec du violon et des effets.

Louis : Mais non, moi j’aimerais que tu composes parce que tu as l’habitude de composer pour d’autres projets, que ce soit de l’électro, de la pop, ou d’autres choses.

Yovan : Dans ce cas-là, autant que j’essaye déjà de timer ce qui se passe avec la conteuse pour que la musique corresponde avec des bruitages. C’est plus simple de ne mettre qu’un petit peu de musique live, mais surtout d’avoir une vraie écriture musicale où j’ai plus de liberté pour composer, pas juste de jouer du violon.

Louis : Ça serait bien d’avoir plusieurs instruments.

Yovan : Je vais essayer de faire quelque chose qui suit un peu la conteuse et ce qu’elle raconte, et après je verrai ce que je peux jouer en live, on verra au fur et à mesure. Vu que je suis tout le temps sur ma souris à être sûr d’envoyer le bruitage au bon moment avec Delphine, alors je ne vais pas tout jouer en live, il faut que je fasse des choix. Du coup, il y a beaucoup de choses qui vont être pré-écrites, avec cette idée d’avoir des morceaux électroniques, et à un moment donné, comme tu veux du violon, oui, je peux me lever. Mais au début, je reste dans le noir.

Louis : Non, il faut qu’on te voit.

Yovan : C’est vrai que c’est important qu’on me voit, alors je te demande, est-ce que c’est important qu’on me dessine aussi ? Il faut choisir.

Louis : Bon, ben voilà, à un moment il y a du violon, c’est bien.

Yovan : D’accord, on voit bien que d’avoir un violon sur scène rajoute quelque chose au spectacle.

Louis : Il faut l’assumer.

Yovan : Tiens ! là, on est sur quelque chose de différent, on se laisse porter par les images, il y a de la musique en live et je pense que ça donne une respiration dans le spectacle. Et puis c’est toujours bien pour le public de voir un instrumentiste jouer sur scène, c’est plus agréable que de l’avoir dans le noir. C’est petit à petit, au fur et à mesure qu’on se rend compte de ce qu’il faut faire dans la pièce.

 

Yovan :
Le dossier de subvention a été écrit en reprenant ces idées et après, évidemment, dans la réalisation ça a pris une forme un petit peu différente. Avant de soumettre le dossier à AADN, Louis m’avait demandé de composer un morceau. Par rapport à ce qu’on avait mis sur le cahier des charges de la musique dans le dossier, j’étais parti sur une instrumentale à partir d’un échantillon de percussion africaine et j’avais réalisé un petit morceau. C’était juste une question d’avoir un peu de musique et après cela a complètement changé. Cet échantillon de percussion africaine a été réutilisé pour un morceau dans le spectacle, c’est le premier segment que j’ai fait, justement quand elle survole la forêt au début. Après cela, j’ai fait le morceau d’intro, avec des sons d’oiseaux et de forêt, parce qu’au début, elle présente la forêt.

Louis :
Franchement, je ne m’attendais pas à ce qu’il utilise sa voix. Il faut savoir que Yovan est en ce moment chanteur et qu’il ne fait quasiment plus que ça. Yovan joue du violon en direct, mais sa voix reste enregistrée, car il a utilisé une superposition de sa propre voix pour produire un effet de chœur, il s’enregistre sur pas mal de trucs. Quand j’ai reçu les premiers morceaux qu’il m’a envoyé, j’ai d’abord pensé que ce n’était pas du tout ce que je voulais, mais au final j’adore. Effectivement, cela n’a rien à voir avec la musique traditionnelle du futur, ce n’est pas ce qu’il fait.

Photo: Valentin Bisschop
Photo: Valentin Bisschop

 

25. La musique et le conte, Delphine et Yovan.

Yovan :
Et ensuite Delphine est arrivée et une fois qu’elle a mis l’histoire en mots, il s’agissait de trouver les moments où j’aurais des espaces pour la musique. J’ai demandé à Delphine de s’enregistrer pour que je puisse écouter ce qu’elle racontait.

Delphine :
J’ai donc envoyé un enregistrement audio de mon texte à tout le monde et ils l’ont écouté chez eux en boucle. Avec Yovan, on a créé un peu ensemble et puis on a eu de la chance parce qu’on s’est tout de suite bien entendu. Il a pré-enregistré de la musique sur ce qu’il avait entendu de moi et on a tous les deux essayé des choses ensemble pour voir comment ça collait. Il y avait des choses qu’il avait faites qui n’allaient pas. Parce qu’une fois que je racontais l’histoire pour de vrai, ça ne marchait pas. Je lui avais envoyé le texte, mais en fait une fois qu’on racontait l’histoire, ça n’allait pas. Il a dû changer et faire un gros boulot d’adaptation à la présence d’une conteuse.

Yovan :
Delphine est surtout celle qui a le plus influencé le résultat sonore final, parce que j’écoute sa manière de raconter l’histoire.

 

Scène : Delphine et Yovan.

Yovan : Tiens, là, ce serait bien de couper un petit peu. Voilà, là, je propose de couper la narration et de mettre de la musique. Tiens, pendant que tu dis ça, ça ce serait bien qu’il y ait un peu de musique derrière pour donner du rythme.

Delphine : J’aime bien le fait que tu apportes une musique qui me donne aussi un rythme. Ça m’aide, ça donne un ton, un rythme.

Yovan : Ce qui est le plus simple pour moi, c’est de trouver le rythme en fonction de ton texte. Souvent toi et Louis, vous êtes vraiment axés sur l’écriture du conte, alors que moi, je suis plus préoccupé par le rythme [il frappe des coups réguliers sur la table avec sa main], comme ça… voilà, comme ça… Le rythme du spectacle : quand on raconte notre histoire, peu importe combien de temps ça dure, est-ce qu’il y a du rythme ?

Delphine : Il faut se demander si ce n’est pas un peu ennuyeux à certains moments ?

Yovan : Oui. Dans deux des compositions, je joue du violon. Ce sont vraiment deux moments. L’un des deux correspond à la séquence de la balade, c’est improvisé, j’ai écrit quelque chose de simple, quelque chose que j’ai commencé par jouer, que j’ai développé en improvisant et que maintenant j’essaie de garder tout le temps. C’est lié au rythme du spectacle.

Delphine : Je pense que tu es d’accord pour prendre en compte ensemble les variations qui pourraient se produire.

Yovan : Oui, tout à fait.

Delphine : Si tu entends que je dis quelque chose qui veut dire la même chose que ce que je dis d’habitude, mais pas avec les mêmes mots, il y a toujours un silence qui signale que j’ai fini, alors, tu balances la musique.

Yovan : Je vais essayer de faire quelque chose qui suit un peu ce que tu racontes, et après je vois ce que je peux jouer en live, on verra au fur et à mesure.

Delphine : Ouais, j’essaye de respecter ce que tu fais, on jongle tous les deux, c’est réciproque. C’est quand même plus moi qui m’adapte à toi, mais tu dois aussi le faire avec moi.

Yovan : Pile quand tu dis ça, paf ! je balance cette musique et paf ! tu dis ça.

Delphine : Je ne connais pas encore le texte par cœur.

Yovan : À ce moment-là, quand tu dis ça, après, il y a un silence, je vais caser cette musique.

Delphine : Je suis conteuse, moi ! Comment tu veux que je me rappelle ?

Yovan : Il faut aussi trouver des bruitages, parce qu’on en a besoin à certains moments.

Delphine : Ils doivent être synchronisés entre toi et moi. Par exemple, à un moment donné où un talisman tombe par terre, il dévale 4 ou 5 marches et puis il s’arrête aimanté à un livre. Là, il faut qu’on soit exactement ensemble, c’est vraiment un bruitage précis. Mais après c’est facile dans le sens où je sais qu’à partir du moment où je commence à déballer ce que je dis, c’est-à-dire le talisman qu’elle a dans sa poche, qu’elle sent dans sa poche, il tombe à terre, ça-y-est c’est parti ! tu l’envoies. Elle sent que dans sa main le talisman bouge et toi, ça-y-est, tu sais qu’il faut que tu envoies le bruitage.

Yovan : Les bruitages doivent parfois être fabriqués : par exemple, à un moment il y a une luciole électronique, c’est forcément un cliché. J’ai en tête un son dans Star Wars, où il y avait une espèce de papillon sur Tatooine, une espèce de personnage volant. Tiens, le bruit des ailes, je me souviens de ça, alors on peut essayer de le retrouver – comme Louis adore Star Wars, il connaît peut-être la référence – ce n’est pas évident d’y arriver.

 

26. La musique et le conte. Louis et Yovan

Louis :
Ce n’est pas parce que la musique de Yovan a été écrite avant, qu’elle est totalement fixée. Il y a plein de moments où il joue des boucles et il fait pas mal de bruitages aussi pour correspondre à l’action sur scène.

Yovan :
Par la suite on a trouvé d’autres solutions : par exemple, contre un mur, un mur acoustique où il y a des trous (c’est plein de petits carrés dans le mur), et du coup on a mis nos doigts dedans, « Brrlrrlrrlrrlrrlrrlrrl », ça faisait un peu le bruit des ailes, ça fait une espèce de bruit de luciole électronique. J’ai fabriqué ce genre de sons. Sinon je suis aussi allé sur Splice où il y a des samples de sons, la Sonotec. Les sons qu’on a utilisés sont souvent des sons de la nature, après ça dépend des situations. À un moment donné, il y a une histoire de mousqueton quand Camille s’accroche à un câble, il faut trouver un son de mousqueton. Quand on ne peut pas le trouver en ligne, il faut le fabriquer, c’est encore un autre type de travail. À un autre moment, il y a les chasseurs d’éclair qui entament un chant, c’est ce qui est vraiment là dans le texte, donc j’ai fait un chant pseudo-grégorien, ce n’est pas vraiment ça, mais c’est quelque chose d’épique.

 

Scène 1 : Delphine, Louis et Yovan

Yovan :
Bon, là, ça manque un peu de bruitage, il faut entendre les éclairs.

Louis :
En fait, il faudrait des bruitages, mais il faudrait les avoir avant les éclairs.

Yovan :
Quand elle voit les chasseurs d’éclairs, ils sont déjà derrière elle, ils arrivent. Tiens ! ce serait bien que sur les chasseurs d’éclairs, où Delphine raconte quelque chose, il n’y ait pas de musique, et pendant qu’elle parle que la musique revienne petit à petit.

Delphine :
En fait, peu de temps après, je m’arrête de parler pendant deux minutes et je laisse la musique tourner.

Yovan :
La musique continue pendant que la chasse se poursuit. Il faut trouver des moyens de découper le texte en sections pour insérer des morceaux de musique ou pour le traiter comme un élément musical. Comme ça on accorde bien nos violons et ça fonctionne bien.

 

Yovan :
Je chante aussi un peu, j’utilise ma voix pour avoir des chœurs dans mes compositions (en réenregistrant ma voix) ou juste une voix, mais je ne me considère pas comme un chanteur.

 

Scène 2 : Delphine, Louis et Yovan

Louis : Pourquoi ne pas faire chanter le public ?

Yovan : Oui, mais à ce moment-là, est-ce qu’on ne va pas perdre la chose ? En fait, on va regarder en l’air et on va voir les chasseurs qui s’élancent pour chasser et je trouve que ce passage est bien comme ça.

Delphine : Louis et moi, on voudrait faire chanter les gens.

Yovan : Ben voyons ! il faudrait trouver un autre moyen, à un autre moment dans le spectacle.

 

Yovan :
Pour moi, c’était beaucoup trop d’idées, c’est ce qui a été difficile, en tout cas au début : décider de ce qu’on allait en faire. C’est que le rôle de Louis était d’imaginer les choses, c’était vraiment une bonne chose, parce que l’univers qu’il a voulu développer est très intéressant, mais il a amené tellement de choses en plus du scénario, l’idée de parler d’écologie, les dessins, la conteuse, la musique, la musique en live, plusieurs instruments (etc.), qu’il a fallu tout simplement faire des choix à un moment donné.

 

Scène 3 : Louis et Yovan.

Yovan : Tiens, ça pourrait être intéressant qu’à certains moments où Delphine raconte l’histoire, il y ait un interlude musical pendant telle ou telle promenade.

Louis : On peut essayer d’imaginer ces moments-là.

Yovan : Alors j’aurais au moins quelque chose sur lequel je puisse m’appuyer.

 

Yovan :
Donc, les choses se mettent en place petit à petit, parce qu’il fallait penser à tout, c’était notre premier spectacle, on n’y avait pas trop réfléchi. Louis avait ses concepts mais il n’avait peut-être pas toutes les clés de ce projet ambitieux. Mais c’est bien, au moins on a appris beaucoup de choses, on a découvert le monde des bruitages, et tout ça.

 

27. Les conceptions de Yovan sur la musique et de Maxime sur les dessins.

Yovan :
Je connaissais Maxime un petit peu avant. Je n’avais pas vu beaucoup de ses dessins, mais je savais qu’il travaillait dans l’architecture. Je le connaissais aussi via le Live Drawing Project de Louis. Les dessins de Maxime donnent tout de suite l’ambiance, un peu comme un roman graphique géant, c’est ce que j’ai bien apprécié. La question est alors de savoir comment doser le conte, la musique et les dessins. Parce qu’une fois qu’on a les dessins, certains disent : « Tiens, il en faudrait plus », et d’autre disent : « Il en faudrait moins, parce qu’on ne regarde pas la conteuse ». C’était très ambitieux parce qu’il y a tellement de choses, c’est la façon normale de travailler à faire un spectacle. Je n’ai pu voir les dessins que pendant les résidences, parce que Louis les reçoit et il doit adapter leur format pour les projeter dans l’espace dans lequel on travaille. Je me suis dit parfois : « Tiens ! ce serait bien qu’il y ait quelque chose un peu comme une scénographie dans un concert d’électro, où il y a telle image qui apparaît pendant la musique, enfin des calages ». Finalement, ça s’est transformé en tops : « Tiens là, je lance cette musique avec l’apparition des dessins, ce serait bien que tout de suite on soit dans la nouvelle ambiance ». Il y a quelques tops comme ça. Moi, j’aurais bien aimé que ça communique un peu plus, ça communique un petit peu quand même, mais je pense qu’on pourrait aller encore plus loin avec ça à l’avenir.

Maxime :
Ce que j’aime bien dans le conte et ce que je trouve hyper étonnant, c’est vraiment la construction hybride du projet. En fait, on ne se marche jamais sur les pieds et c’est la façon dont Louis a construit l’équipe. C’est lui qui arrive avec un récit qu’il construit au fur et à mesure, avec assez d’informations pour nous permettre d’inventer des choses. Parfois, quand il nous donne des infos, j’ai l’impression qu’il n’a pas vraiment l’image en tête. Alors, je me dis : « OK, je ne sais pas où je vais, mais je vais te montrer un truc, on va voir ». Je pense que c’est la même chose pour Yovan et pour Delphine, où en fait, on apporte nos idées, et après, dans l’échange, on fait légèrement évoluer les choses. Louis est quand même très souple sur ce qu’il veut. C’est-à-dire qu’il sait ce qu’il veut, mais il n’a pas besoin de contrôler la forme de ce qu’il veut. Parfois, je l’ai emmené là où il n’avait pas prévu d’aller, mais il a dit : « OK, ça va dans le sens de ce que je racontais ». Je pense qu’il a bien établi des liens entre nous et qu’on a chacun pu avoir notre « couloir » (entre guillemets) d’expression, qui, du coup, s’additionne sans se gêner, vraiment en s’amplifiant. C’est ça que j’aime bien dans ce projet, c’est qu’on travaille un peu chacun dans notre coin, moi, sur mon bureau, Yovan, je ne sais pas où, Delphine, j’imagine, sur son ordinateur pour écrire les textes et à la fin, on s’additionne et ça donne quelque chose d’encore mieux.

Yovan :
Le format de la composition était un petit peu comme dans la musique électronique, avec l’aspect répétitif qu’il peut y avoir dans la techno, dans la musique électro, et du coup il y a souvent un beat répétitif. La direction que j’ai prise, c’est de partir de quelque chose qui est basé sur un instrument organique, par exemple un instrument chinois qui ressemble à un banjo. Bref, l’idée est de partir d’un instrument de musique traditionnelle, et d’avoir en même temps cet aspect électronique. Je savais que de toute façon les morceaux ne pouvaient pas être trop longs, parce que on s’en est vite rendu compte que quand Delphine racontait l’histoire, et par rapport à tous les mondes que Louis voulait explorer, il serait impossible de s’attarder. Pendant la semaine de composition, je me suis dit : « Tiens ! ça serait bien que j’aie ces trois morceaux, parce que tout simplement je n’aurais pas le temps de faire le reste avant la première résidence où je suis censé avoir tout écrit. Je ne vais pas m’étaler trop sur chaque composition, et éventuellement comme il y a un côté très répétitif, ce sont des choses que je peux faire évoluer sur la longueur ».

Maxime :
Pour moi, c’est Louis qui est au centre du projet, j’ai eu moins d’interactions avec les autres, mais ça n’a pas forcément posé problème. Je trouve que les musiques marchent très bien avec les dessins et je pense que Louis a donné de belles indications. J’ai peu eu les sons à l’avance, donc je ne peux pas dire que les sons que j’ai reçus ont influencé ma façon de dessiner et je ne sais pas dans quelle mesure Yovan a été influencé par les dessins en cours que j’ai envoyés au groupe.

Yovan :
Avec les dessins de Maxime, à un moment donné il est question de vélocité, où en gros il y a un tour de vélo. J’ai regardé les images de Maxime et je me suis dit : « Ben là, ce serait bien qu’on arrive à faire comme avec une soirée électro où il y a la sono qui monte progressivement : au début, il y a le kick et la basse et puis petit à petit des choses se construisent », et ça m’a poussé à proposer cette idée.

Maxime :
Je pense aussi que certains dessins impliquent que la musique est très présente à certains moments caractéristiques : par exemple, à un certain moment, l’histoire se passe dans les nuages, avec des éclairs, c’était assez clair qu’il fallait représenter les choses pour le public. Donc, je dessine les nuages, les éclairs, et lui il a fait des sons d’éclairs, il y a ajouté une mélodie, je l’ai fait à ma façon graphique, lui l’a fait à avec ses sons et on s’est retrouvés au même endroit. Ensuite, il y a une marche dans la forêt, c’est pareil : moi, je vois bien ce que je dois dessiner comme forêt et lui, il voit bien ce qu’on attend aussi d’une forêt. La question à laquelle on doit tous les deux répondre est la même, on arrive à un résultat à peu près bien synchronisé.

Yovan :
J’essaie d’introduire des éléments musicaux, des samples ou des chants : à un moment donné, il y a un chant de musique grecque, à un autre il y a une espèce de cithare chinoise, pour chaque segment de musique, j’essaie de penser un petit peu de cette manière en mélangeant des instruments acoustiques à de l’électronique. C’est quand même assez libre, le postulat de base s’est vite transformé en quelque chose d’autre, car il s’agit vraiment de penser en termes d’illustration sonore de ce que Delphine raconte. Quand elle présente un univers particulier, j’essaie de coller un petit peu à cet univers, comme dans la musique de spectacle ou de film, d’illustrer par rapport au conte. La musique ne doit pas prendre le dessus sur la narration, même s’il y a des moments de musique qui viennent prendre le relais, pour qu’on sente que : « Tiens ! il y a un moment où on peut écouter de la musique avec des dessins c’est sympa », quelque chose comme ça. Il s’agit vraiment de ne pas penser uniquement à la cohérence d’utiliser une gamme ou un concept, mais en plus de se dire : « Tiens ! en fait, il faut surtout que ces différents moments de narration et de musique soient bien dosés ».

Maxime :
J’ai très peu d’échanges en direct avec Yovan, on n’en a pas le besoin. Je pourrais l’appeler, il n’y a pas de soucis, mais on n’a pas besoin de le faire. Alors qu’avec Delphine, il va y avoir plus d’échanges.

Yovan :
En gros, j’ai ma trame, j’ai une session Cubase. J’ai l’impression que ça me fait un petit peu ma conduite de spectacle. Je mets la conduite sur papier, c’est vraiment comme une setlist, j’écris très gros pour pouvoir la voir sur scène. C’est écrit sur une petite feuille discrète et j’ai tous mes éléments principaux sur cette setlist. C’est une automation des évènements, mais le problème, c’est qu’à chaque fois qu’on change d’endroit, parfois on est en 7.1, ou bien on va être en 4.1, donc je suis obligé de changer les choses. Avec mes automations, on va être au milieu, là, on va être tout à droite, là, on va être au milieu, au milieu à gauche, là tout à gauche. Avec la pluie par exemple, il y a d’autres bruitages, voilà, je les mets à gauche… Toute cette introduction, là, [il diffuse un court extrait] je la double au Sequential OB-6 (un synthétiseur analogique) parce qu’une fois que c’est dans les enceintes, ça manque de vraie présence analogique. Il y a des choses que je ne fais qu’au clavier où il n’y a que du bruitage [il joue un autre extrait]. Je presse sur les différentes touches pour déclencher différents effets sonores, c’est vraiment le bazar, je sais à peu près où je dois aller : je vais par-là, après je sais que je dois aller en bas pour déclencher les bruitages qui sont là.

 

28. Le conte et les dessins. Delphine, Maxime et Louis.

Scène 1 : Delphine, Louis et Maxime

Louis : Ben écoutes, Maxime, voilà, il faut que tu me dessines une forêt, c’est parti, avec des animaux dans la forêt, après il faut que tu me dessines des nuages, après il faut que tu me dessines…

Maxime : Ah ! oui, là, quand Delphine dit ça, il faut que je rajoute ça. Puis là, il faut absolument que je fasse la machine à la fin. Et puis il faut que je fasse un tableau de commande.

Louis : Là, il faut qu’il y ait des bulles qui s’agglomèrent à un câble.

Delphine : Ces bulles, je pense que ce sont des espaces de vie.

Maxime : J’ai dessiné les bulles avec du corail autour.

Delphine : Mais je ne comprends pas pourquoi il y a du corail autour ? Puis, qu’est-ce que tu as mis dedans ? Les bulles sont des lieux de travail pour le corail, il faut qu’on soit d’accord sur ce qu’on raconte, il faut qu’on raconte la même chose, toi en dessin, moi avec le texte.

Maxime : Cela ne veut pas dire qu’il faut dire et montrer les mêmes choses en même temps.

Delphine : Oui. Si tu dessines ça, ben du coup, je ne le raconte pas, on ne va pas faire deux fois la même chose. Et puis moi, ça m’allège, parce que je dis déjà beaucoup de choses. Dessine les chasseurs, l’éclair, il faut que tu les fasses, qu’on les voie, même si j’en parle dans le texte.

Maxime : On est tout le temps en train de se dire : qu’est-ce qu’on illustre et qu’est-ce qu’on n’illustre pas ?

Delphine : En général, dans le conte, rien n’est illustré visuellement, il n’y a pas de dessins. Ce que je raconte est laissé à l’imaginaire du public.

Louis : J’ai envie que les gens gardent un imaginaire, je n’ai pas envie qu’on leur donne tout. Le conte doit se baser sur l’imaginaire.

Delphine : Si on commence par tout leur balancer dans les dessins, alors je ne sers à rien, je ne parle plus : c’est un conte en dessin. Il faut que les gens puissent encore imaginer des choses. Donc on est toujours en train d’essayer de trouver un compromis sur ce qu’on doit illustrer.

Maxime : Parfois je me demande : « Ah ! je n’ai pas dessiné ça, c’est dommage, j’aurais bien voulu le faire. »

Delphine : Ouais !

Louis : Ben oui, mais plus on en dessine, et plus les gens en veulent.

Delphine : Tu vois, ce n’est pas facile de trouver un compromis. Qu’est-ce qu’on dessine ? Qu’est-ce qu’on laisse à l’imagination des gens ?

Maxime : Donc il y a beaucoup de choses qui ne sont pas dessinées.

 

Photo Valentine Bisschop
Photo Valentine Bisschop

 

Scène 2 : Delphine et Maxime, lors d’une résidence

Delphine : Louis m’a demandé de dire à ce moment précis : « des grosses bulles blanches ».

Maxime :
On décide d’un top pour que le dessin apparaisse quand tu dis cela. Top !

Delphine :
[Elle a le dos tourné à l’écran.]
Des grosses bulles blanches flottent sur l’eau et dans l’air.
[Elle se retourne et voit que les bulles sont noires!]

Maxime :
D’accord, tu colles bien au texte !

Delphine :
Mais non ! Je dois respecter ce qu’on a convenu avec Louis, je ne vais pas venir dire complètement autre chose que ce qu’on a décidé. Et du coup, en même temps, il faut que je colle aussi avec la musique, parce que Yovan, il doit parfois m’attendre. Il sait que là, il y a un top, et moi, je sais qu’il y a un top, il faut que j’y aille. Donc oui, il faut malgré tout que je respecte un texte, même si, je peux varier, même si je ne suis pas obligée d’employer tout le temps les mêmes mots, je peux rajouter des choses, je peux moduler. Mais il y a des choses qu’il faut que je respecte absolument, parce que je ne suis pas toute seule. C’est ça, on est trois dans l’histoire, en fait on est quatre.

 

Photo: AADN
Photo: AADN

 

Scène 3 : Delphine et Maxime

Maxime : Delphine, tu m’as envoyé au début cinq minutes de texte du spectacle et j’ai fait des dessins dessus. Mais il y a eu d’autres parties où tu n’avais pas vraiment écrit les choses et où j’avais pris de l’avance sur les dessins.

Delphine : C’est dans ce cas que je me suis inspirée des dessins pour des petits détails de narration, d’accroche, ce genre de choses.

Maxime : À un moment donné, il y a une ville et ce n’est pas évident de décrire une ville si on ne la visualise pas, donc, je pense que ça t’a aidé que je la dessine.

Delphine : J’ai pu mieux accrocher des petits détails à l’histoire.

Maxime : Il faut que je dessine une route, Camille avance à vélo sur cette route et elle dit qu’il faut qu’elle évite les racines. Pas de bol, je n’ai pas de racines narratives ! Moi, je ne peux pas te dessiner tes racines, à la place je vais dessiner une poule. Il va falloir que tu changes un peu ton texte. À un autre moment, il y a un vaisseau avec des bonbonnes, des paniers qui descendent, des choses comme ça, et je pense que comme tu n’as pas encore écrit le texte et que j’ai fait le dessin, tu peux directement baser tes descriptions dessus.

Delphine : Pour la ville, il y a des patios.

Maxime : Il faut plutôt parler de coursives ou de choses comme ça. Il est nécessaire de réadapter le vocabulaire de cette manière.

 

Maxime :
Mes dessins font partie du décor, ils viennent souvent appuyer la narration, mais souvent la narration et le dessin ne disent pas la même chose. Donc Delphine va passer beaucoup de temps à décrire les actions qui vont se passer et finalement elle n’aura pas trop besoin de décrire le décor puisque ce serait déjà une redite. Donc quand on arrive dans un amphithéâtre, elle va dire : « Voilà on est dans un amphithéâtre ». Mais finalement ça ne m’a pas spécialement contraint dans ce que je devais dessiner. Et ensuite, vu que l’amphithéâtre apparaît, les gens le voient et elle n’a plus du tout besoin de faire une description précise, elle va tout de suite raconter ce qui se passe dans cet amphithéâtre. Parce qu’on a aussi choisi de ne pas représenter l’héroïne du spectacle et de représenter très peu de personnages, sauf quand visuellement c’était assez fort ou que ça permettait d’enlever certaines ambiguïtés. Au départ on avait vraiment presque envie qu’il n’y ait aucun personnage, mais on s’est dit que c’était une règle qui était trop stricte et que, finalement, il n’y avait pas de raison d’être aussi dur à se l’imposer, que ce n’était pas grave, il pouvait y avoir des dessins de personnages. Donc Delphine et moi, on est côte à côte et le résultat est une amplification qui s’additionne sans jamais faire baisser la qualité, on s’est bien mis dans des rails qui ne se gênent pas.
Par exemple, à un moment donné, on a une femme géante qui apparaît et du coup j’ai fait un dessin géant. C’est quelque chose qui visuellement est assez beau parce que quand on est sous un dôme, je peux vraiment mettre un personnage très, très grand. Et ça marche très bien puisque dans ce cas-là, la conteuse finit par incarner l’héroïne qui est petite. J’aime bien cette ambiguïté, je ne sais pas dans quelle mesure elle est prévue à la base puisque la conteuse est censée être la narratrice. Mais forcément il y a des moments où je pense que le public la perçoit un peu comme le personnage principal, car elle parle parfois au nom de l’héroïne. Je pense que c’est aussi le rôle d’une conteuse : personnifier un peu tous les personnages et être en même temps narratrice. Le fait de ne pas mettre trop de personnages, le fait de ne pas représenter le personnage principal, ça a fait que le public ne sait pas si la conteuse est le personnage principal ou le narrateur, alors qu’en fait elle est les deux à la fois, en jouant avec cette ambiguïté. Je ne sais pas dans quelle mesure avec Louis, c’est assumé, mais je trouve que c’est bien.

On a eu un débat pour savoir s’il fallait ou non montrer les personnages. Concernant la figure géante on a testé avec le public et on a eu de bons retours là-dessus. À un moment on l’a enlevé et on a trouvé que c’était moins bien, on aimait bien quand elle apparaissait.

 

Photo: AADN
Photo: AADN

 

29. La sonorisation

Yovan :
En général, on joue avec un sonorisateur et on travaille sur cet aspect. À Nantes, on avait un excellent ingénieur du son, l’équilibre a été fait sur une semaine, on travaillait tous les jours. Dans certaines résidences on nous a dit au dernier moment : « On vous prête cette salle-là, par contre, vous n’avez pas de sonorisateur ». Delphine peut être tendue parce qu’on manque de temps avant la performance en public. Le son dans ce cas n’est pas très bon. L’équilibre entre la voix de Delphine et la musique est essentiel, s’il n’est pas très bon, ça peut porter préjudice au spectacle. On a donc beaucoup travaillé sur ce point.

Delphine :
Avant le « Conte d’un futur commun », ma voix n’avait jamais été amplifiée. Le guitariste avec lequel je jouais avait une guitare acoustique. L’amplification me fait un effet très bizarre, très étonnant, cela a changé ma relation au public : je peux parler tout doucement, je peux chuchoter, ça dépend aussi de la qualité de l’amplification, qui a été très bonne, par exemple, quand on a eu un bon ingénieur son et très mauvaise à d’autres moments.

Yovan :
Le problème, c’est qu’à chaque fois qu’on change de salle et d’équipements, et qu’on n’a pas d’ingénieur du son attaché au groupe qui sait déjà exactement ce qu’il faut faire en deux minutes, on doit s’adapter. Mais quand il y a un bon ingénieur du son, j’ai été bien aidé, notamment j’ai appris à me servir de Dante pour le mixage en 7.1. C’est une carte-son numérique qui est intégrée sur les tables de mixage des ingénieurs du son aujourd’hui et ça permet de ne pas avoir à prendre de carte-son dans son ordinateur, mais de passer par un câble ethernet et d’avoir directement sa balance en fonction du lieu. Avec Dante, on peut communiquer directement avec la table de mixage. Donc, j’arrive avec ma configuration 7.1, j’appuie dessus et si j’arrive dans une nouvelle salle qui a également Dante qui est en 4, parce qu’il n’y a que 4 enceintes, alors je n’ai qu’à changer ma configuration, je n’ai même pas besoin de faire de balance. Donc ça, c’est pratique, mais dans toutes les résidences on n’a eu ce système que deux fois malheureusement, il y a beaucoup de lieux qui n’ont pas Dante. J’ai maintenant installé ma carte-son numérique dans mon ordinateur pour pouvoir faire la balance quand ils n’ont pas Dante. En tout cas, à chaque fois, on se tire les cheveux pendant au moins une journée de préparation technique sonore et puis aussi la nuit avant de pouvoir commencer à travailler sur le spectacle.

Delphine :
Si l’amplification n’est pas bonne, ça peut être très pénible, parce que je trouve qu’il y a quelque chose d’intime dans ce spectacle. Si mon micro marche bien, je n’ai pas besoin de parler fort et pour moi, c’est un effort, parce que j’ai tendance à avoir de la gouaille.

Louis :
Delphine n’a pas encore l’habitude de parler dans un micro, c’est souvent un problème technique de retour audio. Elle ne s’entend pas bien, c’est un problème avec la sonorisation, il faut qu’elle s’entende aussi bien que le public l’entend. Il est clair que ce n’est pas la même situation que dans la tradition du conte. Si les gens du milieu du conte viennent voir ça, ils trouvent que ce n’est pas un conte du tout, parce que déjà, dans un conte on ne montre jamais d’images, il y a rarement de la musique et en général c’est une personne seule qui raconte son histoire face à un public, il n’y a pas de mise à distance avec le public. Le micro la met à une certaine distance du public, mais c’est aussi une autre situation qui est à double sens : d’une part, elle se met à distance dans sa façon de raconter le récit et d’autre part, après, elle revient très fortement vers le public quand elle va aller les chercher pour leur poser des questions.

Yovan :
À chaque résidence, il faut se réadapter, avec l’électronique, il y a toujours des soucis. Souvent, on ne sait pas pourquoi, il y avait deux enceintes qui marchaient sur quatre, enfin finalement on les a, c’est bon. Il y a l’image et le son à gérer. Quand il n’y a pas d’ingénieur du son et qu’il y a tous ces bruitages qui passent normalement dans 8 enceintes, mais que là il n’y en a que 4, ce ne sont plus les mêmes réglages. J’ai donc trois configurations, j’ai 5 points, 4 points et 7 points, et à chaque fois je dois me réadapter. Par rapport aux bruitages, il y a deux ou trois morceaux où j’ai fait ce qu’on appelle des Stems [29] , c’est-à-dire que j’ai séparé la basse de la batterie, des accords et des voix pour les mixer un petit peu. Tu peux faire passer la basse ici, la batterie là, pour que ça soit plus immersif. Mais en fait, ça ne me plaisait pas sur tous les morceaux, parce que parfois, je trouvais que ce n’était pas très intelligible, je préférais avoir une source qui sortait en stéréo, avec les bruitages derrière, sinon je trouvais que c’était trop éparpillé. C’est l’ingénieur du son qui m’a initié à Dante qui connaissait très bien tout ça. Il a essayé de remixer des morceaux, je lui ai envoyé les Stems de mes morceaux.

Delphine :
Mais quand on a joué à Paris, Marie-France Marbach est venue me voir à la fin et m’a dit : « Écoute, il faut que tu fasses une formation sur la voix, tu ne peux pas continuer comme ça ». Depuis, je fais une formation à Lyon, avec une dame qui s’appelle Mireille Antoine, qui est extra. Une dame avec un charisme incroyable et en même temps une grande humilité. Elle me fait bosser la voix qui a tendance à être toute en force. La voix est en fait très intime, donc elle voit tout de suite un peu tout ce que j’ai raconté tout à l’heure, elle me dit : « En fait, tu es toute dans la force, tu es une guerrière, tu as bâti tout, ton garant c’est la force, tu as mis tellement de soutènement, tu as tellement mis de carapace pour t’assurer de ne plus jamais être vulnérable. Et du coup, il va falloir qu’on fasse tomber les murs pour que ta voix vienne du ventre pour ne pas bloquer l’émotion. » Parce que ses propres émotions, ça ne sert à rien, ce sont les gens qu’on veut emporter. Et en plus c’est dangereux, parce que je me donne à corps perdu et après, mince, je me fais mal. Et ça peut être désagréable pour le public aussi parce qu’ils n’ont pas à porter ce poids-là. Donc c’est vraiment un travail de poser sa voix et aussi mettre une distance avec ce que je raconte, pour laisser résonner la voix et pas m’emporter. Gros boulot, mais c’est très intéressant.

Yovan :
Par exemple, un ingénieur du son a parlé à Delphine : « Là, tu parles beaucoup trop fort dans ton micro, il n’y a pas besoin de faire ça ». Mais elle a l’habitude de s’exprimer en acoustique, il l’a mis moins fort et elle a fait plus attention. Quand elle est un peu stressée, elle a tendance à parler plus fort, et puis, parfois la musique est trop forte par rapport à la voix, ce sont des choses que je peux contrôler. À Nantes, ça s’est très bien passé, il y avait un rythme qui fonctionnait, on avait une semaine pour répéter chaque scène, donc on était dans un équilibre qui fonctionnait mieux. Parfois, on s’aperçoit que dans une salle on est moins à l’aise, c’est le spectacle vivant. De toute façon, c’est comme ça.

Delphine :
J’ai tendance à parler fort, donc j’ai vraiment un effort à faire pour baisser la voix. Mais c’est vrai que la présence de l’ingénieur du son fait qu’il y a une responsabilité qui ne m’incombe pas, dans le sens où, l’air de rien, si le son de ma voix ressemble à une marchande de tapis, ça peut vite être perçu comme celui utilisé pour vendre de la lessive sur le marché. Donc dans ce cas, je n’y peux rien, j’aurais beau ne pas parler fort, essayer de mettre peut-être plus de musique dans ma voix, dans ce que je raconte, il y aura toujours ce son. Tu as beau parler moins fort, essayer de « na na na », le son est pourri.

 

30. Communication par Notion [30].

Maxime :
Nous utilisons Notion, un logiciel qui permet de partager les choses entre plusieurs participants. Par exemple, Louis me dit : « Là, avec Delphine, on a écrit un texte. Elle doit le remettre au propre et elle le met sur Notion et c’est ce lien-là. » Du coup, je clique dessus et je vois qu’effectivement, elle l’a mis à jour il y a une journée et que c’est la dernière version du texte. Et si jamais une semaine après, je veux reprendre le texte, si ça se trouve elle l’a modifié. Comme ça j’ai la version mise à jour, ça me permet de toujours travailler sur la dernière version.

Delphine :
Avec Louis, ce qui est bien, c’est qu’on communique avec l’application plateforme Notion, je peux écrire dessus et il peut y accéder de manière immédiate. Donc parfois, quand j’ai des questions, j’écris et puis je l’appelle, je lui dis : « Regarde ce que j’ai fait. Qu’est-ce que tu en penses ? »

Yovan :
Louis utilise Notion pour communiquer une série de ressources, des textes qui m’ont inspiré, notamment sur la biocratie. On en avait déjà parlé ensemble. Il faut interroger Louis sur la biocratie parce que c’est un concept qui l’a beaucoup inspiré, notamment pour les grands procès inclus dans le spectacle qui permettent à la nature, à une rivière, à un arbre, d’avoir les mêmes droits que les êtres humains et donc de pouvoir mettre en procès une entreprise comme Total. Ce concept correspond bien à l’idée du spectacle d’êtres humains qui se reconnectent à la nature. Il a mis beaucoup de ressources à ce sujet sur Notion.

Maxime :
J’ai tous mes dessins sur ordinateur et je les partage avec Louis sur Dropbox. Comme ça, je sais si Louis les aime bien – parce que moi, je ne le sais pas forcément, – mais effectivement, il a une petite notification à cet effet. Quand j’ai mis un nouveau dessin, je l’appelle, je suis fier de moi.

 

Scène 1 : Maxime et Louis

Maxime : Écoute, franchement, j’ai bossé, j’ai fait trois nouveaux dessins.

Louis : Oui, je sais, j’ai vu la notification sur Dropbox avant-hier.

Maxime : Ah ! oui, OK.

Louis : Oui, je l’ai regardé, c’est bon, nickel ! OK !

 

Maxime :
Et après, dans la façon de travailler, c’est vrai qu’avec Louis, on aime bien les outils participatifs, les logiciels participatifs, donc des espèces de to-do list que l’on peut consulter tous les deux, et de se dire : « Ah ! ça, je le coche, comme ça, il va voir que je l’ai fait ». Donc, je pense que déjà, ces outils-là améliorent grandement les choses. J’aime bien aussi le coup de téléphone informel pour parler de ceci et de cela, on peut aller beaucoup plus loin dans les choses. Je pense qu’il y a des éléments de messages qui sont importants, surtout quand j’envoie des dessins en cours pour avoir des remarques avant de les avoir finis. Les messages sont très utiles lorsqu’ils m’indiquent dans quelle direction je dois aller ou me donnent la possibilité de dévier le sens du courant. Et après, quand on est plus dans des phases de prospection, avec Louis, on va se voir ou on va s’appeler. J’estime que quand on ne sait pas quelque chose, ça ne suffit pas d’être juste sur WhatsApp, sur un groupe de conversation pour faire un projet. Ça passe forcément par se voir à certains moments. Mais une grande partie du temps de travail se fait en solitaire. Donc, c’est très hybride, il y a les temps forts pour discuter et après, il y a tous les temps individuels.

Yovan :
En fait, j’ai constaté que, dans les groupes avec lesquels je joue, on dit souvent : « On n’est pas sur Messenger, on n’est pas sur WhatsApp, on est sur Signal, c’est mieux. » Du coup, je reçois plein de liens et on me dit : « C’est vrai, on ne va plus sur ce genre de choses. » Notion est intéressant, oui, Louis aime bien tous ces moyens de communication, je ne suis pas tant allé dessus, mais c’est là où l’on s’envoie les choses et où l’on peut voir ce qui a été changé. Je pense qu’il y a plein de ressources intéressantes, mais pour moi c’est une question de temps. S’il y avait eu une année avec moins de trucs à faire, j’aurais eu plus de temps pour aller dessus. Et puis, comme on en parle déjà, et que je n’ai besoin que de quelques éléments pour écrire la musique, il me suffit d’y penser.

Maxime :
Pour ce qui est des logiciels que nous utilisons, c’est vraiment Notion, WhatsApp et Dropbox. Pour des formes de discussion, ça va vraiment être soit le groupe WhatsApp, soit moi qui appelle Louis et parfois ça peut m’arriver d’appeler Delphine pour le conte, mais finalement, moins, parce que c’est surtout Louis qui est en contact avec elle. C’est vraiment Louis qui maîtrise le flux des choses avec tout le monde. Et du coup, quand on l’appelle, il peut repasser les informations aux autres. C’est lui qui est au centre, les choses gravitent autour de lui. C’est pour ça qu’on l’appelle « le créateur » qui pilote un peu tout. Il n’écrit pas, il n’y a pas de contenu vraiment visible, même s’il crée le contenu et met en mouvement mes dessins.

 

31. Les résidences : LabLab, Chevagny, Vaulx-en-Velin, Enghien-les-Bains

Louis :
Je prévois mon planning de résidences à la minute à la minute près : le matin, on parle de ça, après chacun se présente, puis on fait une pause, on va marcher ensemble, après on revient, puis on travaille sur le début de l’histoire, etc. Je le fais quasiment dans toutes les résidences, qu’est-ce qui va se passer heure par heure. Et mine de rien, ça nous a bien servi de nombreuses fois où tu te retrouves perdu, tu es dans le dur, tu es en train de faire les choses, et là tu as la page blanche, tu ne sais plus quoi dire, quoi faire. Alors tu te dis : « Ah ! on avait prévu une balade dans la forêt », hop, balade dans la forêt, voilà. J’avais ce genre d’idées : le fait d’aller se balader, vu qu’au début l’histoire se passait dans la forêt, je voulais les emmener dans les arbres, faire de l’accrobranche et même dormir dans les arbres, mais je ne l’ai jamais fait. Là, j’ai retrouvé un de ces calendriers :

 

10h-11h : Présentation de nous et de notre univers.
11h-midi : Présentation du projet.
12h-13h30 : Pause déjeuner.
13h30-15h : Exploration libre du monde de demain, où on va.
15h-17h : Et surtout avec qui on y va.
17h-17h30 : Bilan de la journée, qu’est-ce qu’on fait demain ?
Si on ne sait pas quoi faire : demain, tour du village pour parler.

 

Abordons maintenant les résidences d’écriture, je les appelle « résidences émergences ». C’est d’abord le 6 et 7 janvier 2022. Après on s’est revu le 5 mai et le 6 mai 2022. On a eu une résidence musique avec Yovan et moi qui a finalement fini par une visio-conférence le 27 janvier 2022 avec nous quatre.

Après il y a eu une résidence « Déroulé du conte » les 23 et 24 juin 2022. Cette résidence était encore au LabLab, à Lyon. Nous avons beaucoup utilisé ce lieu. On est tous les quatre. Voici le planning préétabli :

 

10h. : Présentation des avancées de la trame narrative et retour, présentation de la musique et retour, présentation des dessins et retour, présentation du Live Drawing et retour.
11h30 : Identification des zones de contact entre musique et dessins, conte et participation du public.
12h. : Repas.
13h. : Installation, setup dessins et musique..
13h30 : Première scène.
15h30 : Deuxième scène.
16h30 : Pause.
17h. : Troisième scène.

 

C’était un peu ambitieux, je crois qu’on n’a pas réussi à finir le programme fixé. On a fini à 18h30. Et puis arrive le vendredi :

 

9h. : Retour sur le jour 1.
10h. : La scène 0 qui est l’accueil du public, on a beaucoup réfléchi à comment on allait accueillir le public, parce que cela faisait vraiment partie de l’immersion et de montrer les outils, comment ça allait se passer.
11h. : Enchaînement, scène 1, 2 et 3.
13h. : Présentation publique.

 

À la fin de la résidence, il y avait une présentation publique et après des retours, on était supposé retravailler un petit peu avant que tout le monde s’en aille. Mais on a pas du tout retravaillé après la représentation, on était épuisé. Donc, je me suis dit qu’il ne fallait plus jamais envisager de retravailler après une représentation.

En août 2022, notre première réelle résidence a eu lieu où à la fin, la totalité du conte va être présentée. C’était dans le cadre du festival « Chevagny Passions » [31], grâce à Antipode et à Chevagny Passions. C’est la première fois qu’on était payé. On a passé un jour avec Antipode, et au début, le mardi, mercredi et jeudi, on ne se voit qu’avec Delphine, et le vendredi Yovan arrive et on a travaillé tous les trois ensembles. Et on a joué une fois le samedi et deux fois le dimanche. Et là on arrive à présenter quasiment 20 minutes du spectacle, un peu plus. On a des retours hyper positifs du public, on joue pour chacune des trois représentations devant entre 60 et 80 personnes.

Maxime :
On avait fait une première résidence sans dôme à Chevagny-sur-Guye, et c’est là qu’on a pu tester l’idée d’avoir des dessins avec une conteuse, avec du son et avec un public qui a réagi assez favorablement à l’outil de participation. Finalement, on est quatre personnes, plus l’outil participatif qui amène les gens dans le récit.

Louis :
Les représentations étaient dans l’église, et j’avais récupéré le vidéoprojecteur du Live Drawing qui nous a permis de projeter les images sur tout le mur du fond de l’église. Tous les bancs de l’église avaient été enlevés et remplacés par des chaises longues, des poufs, des tapis. On a été très bien reçu.
La planification ça m’aide, parce que ça me sécurise. Disons que je ne me perds pas, et vu que je dirige une équipe, il vaut mieux ne pas avoir de blancs. Enfin, je sais qu’il ne faut pas que je me pointe en disant : « Ah ! ben là je ne sais pas ce qu’on fait ». Je sais que ça les déstabiliserait et ça ne leur ferait pas plaisir.

Ça marche, on est content et c’est juste un mois avant la résidence au Planétarium de Vaulx-en-Velin, où là on a deux semaines de travail. Le but était de faire 30 minutes de spectacle jusqu’au « Grand Conseil ». C’est la première fois qu’on adaptait les visuels pour le dôme, cela a pris énormément de temps. On a adapté la musique pour une spatialisation sonore et on a avancé sur l’histoire, en terminant la « chasse aux éclairs », en créant « la ville » et « le Grand Conseil ». On a également parlé du budget et du déroulé des interventions pédagogiques qu’on avait décidé de faire.

Maxime :
Il faut à chaque fois s’adapter au lieu, parce que si on change de salle, on change de taille d’écran, certains dessins se retrouvent un peu écrasés ou bien un élément du dessin est un peu trop important, il se trouve un peu trop sur le côté. Parfois quand on est sous un dôme, on peut voir des images derrière soi. Le public est soit orienté dans la même direction, soit les gens sont orientés tous vers le centre de la salle. Par exemple, il y a un moment où les gens doivent regarder deux chemins possibles et décider s’ils doivent prendre le chemin de droite ou celui de gauche. Mais si les gens sont face à face, il y a ce genre d’absurdités où pour la moitié des gens le chemin de droite, c’est le chemin de gauche. Heureusement, le gérant de la salle nous avait prévenu, il était venu à Paris, il nous avait dit : « Faites attention, cette image-là, elle ne marchera pas ». Donc j’avais fait en sorte qu’il y ait une flèche blanche sur le panneau de droite et une flèche noire sur le panneau de gauche, et on pouvait dire : « Bon voilà, vous prenez la flèche noire ou la flèche blanche ». Il y a plein de choses comme ça qui peuvent varier.

Louis :
La résidence suivante de 10 jours, s’est déroulée au Centre de arts d’Enghien-les-Bains.

Maxime :
Le temps de résidence, c’est super, parce que c’est le moment où l’on découvre vraiment ce qu’ont fait les autres. Yovan, il a très peu envoyé les sons préparés à l’avance, je les ai souvent découverts pendant les résidences. J’apporte mes dessins et ça peut m’arriver de prendre un calque et de redessiner un élément que je vais ensuite incruster dans le dessin. Je viens en résidence avec mes crayons au cas où il peut se passer quelque chose. J’utilise le logiciel Photoshop pour éditer les images dans la plupart des cas, mais je suis parfois obligé de les faire à la main. Lorsque je montre un dessin, il n’y a généralement pas beaucoup de réactions, tout le monde semble satisfait. Mais Delphine m’a dit un jour :

Delphine :
Ouais, ton dessin, c’est bien, mais en fait, ça manque de fleurs. T’es un peu tristoune, là, il faudrait mettre des fleurs.

Maxime :
Ben, t’as raison, je vais aller dans ton sens, ça ne m’arrange pas, mais… t’as raison, je vais mettre des fleurs ».
Donc j’ai dessiné plein de fleurs pour pouvoir les prendre une par une et après les intégrer dans le dessin. Et c’est mieux, c’est beaucoup mieux, donc ça m’a pris du temps mais… Maintenant qu’on est presque au bout, j’ai une liste de retouches comme ça à faire sur différents dessins où il faut que je rajoute des fleurs, que j’enlève des arbres, ce genre de choses.

Une fois que le spectacle commence, par contre, je n’ai pas grand-chose à faire, parce que mes dessins sont déjà produits, c’est Louis qui les anime. Je m’occupe alors de la gestion de la partie participative (les gens qui vont dessiner et tout cet aspect), ou bien de la mise en lumière. On avait fait un filage ensemble, une personne du lieu m’avait aidé, elle m’avait dit : « Tu vois, là, tu l’allumes, là, tu l’éteins ». Pour que ça ait du sens vis-à-vis du récit, il fallait que la conteuse soit parfois mise en avant par rapport aux dessins, et par contre, à d’autres moments, de l’éteindre pour que les dessins reprennent vraiment toute l’attention du spectateur. Ça, c’est un aspect intéressant que j’ai découvert, je trouve que ça enrichit bien le spectacle de pouvoir monter ou descendre la présence de la conteuse.

 

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Photo: Nicolas Sidoroff
Enfants regardant les dessins de Maxime
Photo: Nicolas Sidoroff

 
 
230618_1639dessins-CDAEnghienLesBains - Moyenne

 

 

32. La participation du public

Louis :
Et puis, il y a l’importance de l’interaction avec le public, comment on se sert de ce qui existe et qu’on maîtrise déjà, pour faire participer le public. À la base, ce n’était pas seulement pour leur faire faire des choses comme créer le décor, mais aussi que les gens puissent vraiment faire passer leurs idées par le dessin. Dans le Live Drawing, on leur pose des questions pour donner des thématiques de dessins et après ils dessinent. On s’est aperçu qu’au début, pour que les gens commencent à dessiner, il faut être très simple, mais après, on peut aller très loin, les gens vous suivent et ils te sortent des trucs stupéfiants. Quand j’étais en train de créer le « Conte », j’ai toujours pensé que les évènements réalisés avec le Live Drawing pouvaient m’aider à trouver comment faire participer le public pour le conte, par exemple en proposant des thématiques de dessins comme : comment tu vois le transport du futur, comment tu vois les choses…

Maxime :
Il y a la question du mur qui existe entre la scène et le public et comment tenter de partiellement le supprimer. J’ai l’impression que le mur n’existe pas, mais je me rends compte qu’on a quand même un petit filtre, un calque, il y a quand même entre les deux un écran. Quand on a cherché à faire des projets en numérique, nous avons vu beaucoup de choses qui dépendaient d’une seule télécommande, il fallait des queues de 50 personnes qui attendaient pour accéder à l’outil technologique. On a pensé que le Live Drawing était une bonne idée parce que cette fois-ci, c’était vraiment participatif, c’était tout le monde qui faisait des choses en même temps. Donc d’un côté on a toujours un mur des plus fins, puisqu’on utilise le téléphone, mais on a quand même au moins rendu le truc accessible à tous. On a poussé cette idée, parce que c’est ce que les festivals attendaient de nous. Ils nous ont dit : « Ce qui nous a plu, c’est le fait que tout le monde fasse les choses en même temps, l’année dernière il y avait 50 personnes qui attendaient, c’était hyper frustrant pour tout le monde ». Alors on a dit, « Ah ! Banco ! » Il y a toujours une limite, c’est que c’est anonyme : les gens dessinent, mais ils peuvent complètement se mettre dans un canapé, dessiner dans leur coin, ou faire des dessins sans intérêt pour être projetés sur le mur en Live Drawing qu’on est obligé de supprimer sans savoir qui l’a fait. De cette manière, on casse le mur puisque tout le monde est proactif de l’œuvre, mais en même temps il y a encore un petit filtre dans le sens où les gens étant anonymes, ils ne sont pas complètement tenus responsables de leurs actes. Et en même temps c’est ce qui les débride aussi, je leur disais : « Allez-y, de toute façon si vous faites un dessin pourri, personne ne saura que c’est vous qui l’avez fait, vous n’aurez pas à le montrer à votre fils à côté de vous, il ne le saura pas, et au moins vous aurez essayé ».

Louis :
Concernant la participation du public et le Live Drawing, j’ai fait des allers-retours avec Maxime Touroute et Rémi Dupanloup. Entre-temps on avait fait un autre projet intitulé « la Bulle du personnel », un projet institutionnel pour un hôpital où on voulait créer un mur de cartes postales interactives. Maxime Toutoute et Rémi, qui ont développé ce projet, ont repris le Live Drawing et y ont rajouté de nouvelles briques à l’intérieur : notamment la possibilité d’insérer du texte. Et du coup, je me suis dit : « Ça serait très intéressant que les gens puissent écrire au lieu d’utiliser uniquement le Live Drawing ». J’ai adapté mes envies de participation du public en fonction des outils que j’avais. Je n’ai pas pu changer, je n’ai pas pu repartir de zéro, parce que j’avais trop de contraintes, mais j’ai quand même réussi à faire écrire les gens, notamment sur les grandes lois du futur.

Delphine :
Je ne me sens pas si loin des gens présents dans le public, parce que je leur demande leur avis. Je sens la présence du public, je sais qui est là. On les aide à se connecter, on leur demande s’ils sont bien installés. Et après quand je leur demande justement leur avis, est-ce qu’on prend le chemin de gauche ou de droite, souvent je prends vraiment le temps de dire « C’est bon vous êtes tous d’accord ? Quelqu’un n’est pas d’accord ? » Et l’air de rien j’ai envie de tisser cette relation.

Louis :
Le but de ce projet, ce n’est pas forcément de faire participer les gens, le but du projet c’est de les projeter dans un avenir désirable et de les amener à y réfléchir. Et pour qu’ils y réfléchissent, je leur propose de participer pendant le spectacle, et de commencer à les engager dans ce processus. Pour cela, j’utilise une graduation dans la participation :

    1. Avant le début du spectacle, ils dessinent des étoiles sur leur téléphone pour les introduire à la situation.
    2. Après, ils voient leurs étoiles apparaître sur le mur, donc ils comprennent que ce qu’ils font sur leur téléphone, ça va servir dans l’histoire.

 

Photo: Valentin Bisschop
Photo: Valentin Bisschop

 

  1. Ensuite, je leur fais dessiner la pluie, c’est le même principe, mais là, ils voient que leur image s’anime et qu’elle interagit avec le scénario.
  2. Et après ils choisissent un chemin, donc là ils sont vraiment dans une participation en disant oui ou non, un choix simple qui va faire évoluer l’histoire.
  3. Et après, on leur a posé des questions en direct, en leur disant par exemple : « Voilà, dans le monde du futur, que fait-on des gens qui ne respectent pas les règles ? ». Donc là, on commence déjà à avoir une interaction plus profonde et surtout qui va les mettre en réflexion sur comment ça se passe effectivement quand il y a un conflit, quand il y a quelqu’un qui ne respecte pas les règles, comment ça pourrait se passer alors, dans un futur désirable (on le reprécise bien à chaque fois), surtout quand on a des élèves, qui veulent pendre les gens.
  4. Puis, après le Grand Conseil – là, c’était vraiment ce qui me tient le plus à cœur et c’est ce que j’essaie de conserver – on leur demande d’écrire une loi qui pourrait aujourd’hui nous servir à atteindre ce futur désirable.

Maxime :
Avec le « Conte d’un futur commun », on est allé un peu plus loin en demandant aux gens de participer à un véritable débat, en s’adressant directement au public : « Là, qu’est-ce qu’on fait, comment on avance dans l’histoire, allez-y proposez-nous des choses ». Donc, il y a une période où le public doit assimiler ce qu’on leur raconte, il y a des temps ouverts où ils sont sur leur téléphone anonyme, et il y a au moins une période où on rallume même la salle pour avoir un débat. Cela veut dire que le mur de séparation entre la scène et le public constamment monte et descend, il y a plusieurs couches, mais on ne peut pas dire que le mur s’enlève complètement. Mais je pense que si on ouvrait trop, on ne pourrait pas raconter notre récit avec les valeurs que Louis voulait porter.

Louis :
Et je pense que le Grand Conseil, quand on explique la biocratie et au moment où on les fait participer, c’est vraiment au cœur de ce que je voulais faire. Je pense effectivement qu’on pourrait aller plus loin dans la participation, et on pourrait le faire différemment, mais en tout cas, je me dis que s’ils arrivent à penser à une loi dans le cadre de notre société démocratique actuelle pour que le monde devienne meilleur, ça veut dire qu’on ne va pas faire une révolution par la violence, mais plutôt une révolution plus bienveillante. C’est vraiment un truc qui me motive et j’ai envie de montrer aux gens que le système a certes ses défauts, mais que l’on pourrait trouver à l’intérieur de ce système des solutions pour réussir à évoluer de manière positive.

Delphine :
Même si le téléphone portable est un appât à adolescent, parce que quand on dit aux gamins « Vous allez pouvoir dessiner sur votre téléphone », ils disent « Ah bon ? » ils veulent aller voir ce spectacle. C’est dingue hein ! Alors qu’en fait, ils ne font pas grand-chose dessus : ils dessinent la pluie. À la fin du spectacle à Nantes, une dame est venue me voir et elle m’a dit : « Dites donc, c’est un peu de la triche votre utilisation des téléphones, c’est un peu pour attraper les jeunes, parce que personne ne choisit rien du tout dans cette histoire ». J’ai dit « oui », parce que je n’allais pas lui dire le contraire, elle avait tout vu.

Maxime :
On doit faire attention à comment on communique notre histoire, parce que si on vend trop le côté participatif du conte plutôt que la narration, les gens risquent d’être déçus. Au départ on avait un peu vendu le spectacle en disant « C’est un jeu vidéo, vous êtes actifs sur l’histoire ». Il me semble que ce n’est pas un jeu vidéo où à tout moment le public prend un joystick et déplace des choses. On a décidé qu’il ne fallait pas trop baser la communication sur cet aspect, parce que les gens risquaient d’être déçus par quelque chose ne correspondant pas exactement à ce qu’on fait. Quand on commence une création, on a beaucoup d’ambitions et une fois que la création a jailli, il faut se dire que même si on aime bien ce qui a été créé, ça ne correspond pas à l’ambition de base du projet. Il faudrait que ça corresponde à ce qu’on veut faire. On a donc beaucoup travaillé sur ce côté participatif, mais maintenant c’est plus un des ingrédients que l’élément fondateur du spectacle.

Concernant la question d’une contradiction possible dans les relations avec le public entre le caractère intime du conte et les technologies utilisées, ce qui est intéressant c’est de prendre vraiment le problème dans l’autre sens. Dans l’appel à projets immersifs, il y avait beaucoup de gens qui postulaient des choses très technologiques, leurs lignes de pensée ne quittaient pas vraiment l’ordinateur. Et le fait d’introduire l’idée du conte veut dire qu’on amène un élément archaïque dans l’univers très technologique des arts numériques. On a proposé un projet qui n’est pas technologique et pareil pour les dessins qui sont faits à la main. Donc, plutôt que d’avoir entre guillemets « numérisé » le conte et les dessins, on a rendu plus humain les arts numériques. En tout cas, moi je ne m’attendais pas à ça, mais les gens qui nous ont soutenus nous ont dit : « C’est ça qu’on a apprécié dans votre dossier, c’est le fait que vous nous proposez des univers qu’on ne pensait pas pouvoir faire cohabiter. » C’est encore le fait de Louis d’avoir eu cette intuition de rafraîchir un peu les arts numériques en montrant qu’ils peuvent être appliqués de plein de façons différentes. C’est vrai que dans le « Conte d’un futur commun », on est dans une tension, parce qu’on veut raconter une histoire, et en même temps on veut faire participer les gens. Donc l’équilibre à trouver est très délicat. On a trouvé un équilibre où peut-être on pourrait ouvrir encore plus à la participation du public, et en même temps, à partir du moment où on s’est fixé un récit, on va forcément plus ou moins d’un point A à un point B, où en tout cas on n’a pas 10.000 entrées. Cela referme un peu la question de la participation.

 

33. La résidence d’éducation artistique et culturelle à Hennebont. Louis, Delphine et Yovan.

Louis :
Une autre forme de participation a été expérimentée dans la résidence dans les écoles d’Hennebont (Bretagne), c’était une résidence EAC (Éducation artistique et culturelle – Affaires Culturelles) [32] qui a duré 10 jours dans le cadre collège-lycée-primaire avec Delphine et moi. Nous avons travaillé tous les deux quasiment huit heures par jour pendant cette période dans plein de classes différentes. La participation du public s’est inscrite dans une autre forme de temporalité : avec le « Conte d’un futur commun », le public n’est là que pendant une heure, c’est sûr que le spectateur d’une heure va potentiellement moins réfléchir que les élèves des écoles primaires et secondaires qui travaillent à ce projet artistique pendant toute l’année et qui est en plus encadré par les professeurs qui en parlent avant notre arrivée. Cela veut dire que quand c’est bien fait, comme à Hennebont, ils ont déjà passés quatre mois à réfléchir à ça dans différents cours, en tout cas en arts plastiques. Et après, j’en remets une couche, je demande aux élèves : « Qu’est-ce que vous aimeriez dans le futur concernant votre habitat, qu’est-ce que vous aimeriez comme moyen pour vous déplacer ? » Et je leur montre les éléments du spectacle : « Nous, on a pensé que ça serait comme ci ou comme ça, mais vous, comment vous le voyez ? » Et généralement, si on montre aux gens quelque chose sur laquelle ils peuvent réfléchir, le niveau de réflexion remonte à l’évidence. Les deux situations de participation, se produire devant un public et enseigner dans les écoles, sont tout aussi importantes pour moi. Peut-être que les élèves ont plus de temps pour y penser.

Delphine :
Il y a eu cette résidence à Hennebont dans les écoles primaire et secondaires. Ils ont dessiné des choses qui ont ensuite été projetées pendant le spectacle. Pour lier tout cela à notre spectacle, je résume brièvement l’histoire du spectacle qu’on va présenter. De toute façon, au départ, on fait toujours une présentation générale avec Louis.

 

Scène 1 : Delphine et Louis. Introduction devant les élèves.

Louis : Voilà, on a un spectacle qui s’appelle « Conte d’un futur commun ».

Delphine : On imagine un futur qui soit désirable, na-na-na-na…

Louis : Vous allez travailler sur du conte avec Delphine, puis vous allez faire du numérique avec moi.

 

Delphine :
Du coup, après, on se retrouve et puis, selon les situations et les classes, on décide de notre ligne, de notre objectif, qu’est-ce qu’on attend d’eux à la fin de la journée : est-ce qu’on veut qu’ils racontent quelque chose, qu’ils produisent des choses ?

Louis :
Avec les classes de SES [Sciences Économiques et Sociales] j’ai travaillé sur les modes d’organisation de la planète pour la prise de positions collectives dans le futur, quels modèles économiques, quels types d’échanges commerciaux et diplomatiques entre les communautés, quels types de travail et d’emploi. Dans toutes mes interventions généralement, je parle de comment on va habiter dans le futur (surtout avec les petites classes), et comment on va se déplacer, se transporter entre les endroits. Je m’intéresse à l’Intelligence Artificielle et j’ai donc pas mal parlé de la génération d’images par l’IA qui n’était pas très en rapport avec le projet du Conte, mais qui m’intéressait à ce moment-là.

Delphine :
Avec une classe, on avait produit des procès. Ils travaillaient en petits groupes, ils avaient le droit de prendre leur téléphone, mais pas pour aller là où ils vont d’habitude, mais pour aller sur des moteurs de recherche, à la recherche de procès. Donc il fallait une victime, un coupable et un procès, une cause. Et il y a des filles très bien fringuées, qui sont venues pour faire le procès de Zara, H&M et ASOS, génial ! Et je leur disais, « Vous le direz à vos copines ». Elles ont découvert (et je l’ai appris d’elles) que ce sont les Ouïgours de Chine qui font toutes ces fringues dans une pauvreté extrême et tout le monde ici les achète. « Moi, tu vois, j’achète les fringues sur Vinted et il y a plein de fringues à acheter, c’est dingue ! [Murmuré :] Et en fait tout le monde achète ses fringues là-dessus quoi. [Voix forte :] Ç’est à très bas prix. » Donc elles ont découvert ça, et je trouve ça chouette aussi que les gosses se mettent en petits groupes et cherchent sur leur téléphone, parce que c’est un outil qu’ils ont tout le temps. Tout le monde a un téléphone, quand on dit « Prenez votre téléphone », il n’y a pas un qui dit, « Mais moi, je n’ai pas de téléphone ». Par contre ils ne sont jamais allés chercher ce genre de choses, ils sont juste sur les réseaux sociaux, ils ne vont pas s’en servir pour autre chose.

Louis :
A certains moments, Delphine et moi étions ensemble devant une classe, mais la plupart du temps en solo avec les classes. Et c’étaient des interventions très courtes, les plus longues duraient trois heures. Donc j’ai fait un aller-et-retour : je suis resté une semaine, et je suis retourné à Lyon, six heures de train, puis je suis retourné là-bas pour deux jours pendant lesquels on a fait cinq représentations, un marathon de fous. Yovan nous a rejoints à ce moment-là. Lors des performances, j’ai intégré tous les dessins que les élèves avaient faits.

Delphine :
L’éducation artistique m’intéresse beaucoup. Avec les enfants du primaire, je n’ai fait que de leur raconter des histoires, parce que c’est qu’ils voulaient. J’ai essayé de reprendre les bases du spectacle. Ils ont fait quand même du dessin, ils adorent les dessins, les gamins. En fait, on ne leur raconte pas tant que ça. J’ai commencé par leur demander : « Si vous deviez faire de grands procès pour que le monde soit meilleur demain, qu’est-ce que ça serait ? Qu’est-ce qu’on peut imaginer ? »

Louis :
Les élèves avaient essentiellement à dessiner des choses. En amont, les professeurs avaient travaillé sur le projet, sur les avatars du futur, leur habitat, les élèves avaient déjà commencé à décrire ces choses, ils ont dessiné leur habitat du futur, leurs personnages du futur (etc.) et je les ai intégrés dans les dessins de Maxime. Ça m’a donné énormément de travail ! Je ne le referai plus jamais ! Ça m’a pris dix heures de détourage, je ne sais pas combien de milliers de dessins, c’était insupportable. Enfin « insupportable », ce n’était pas insupportable, mais ça m’a vraiment fatigué. Après, ça m’a permis de recalibrer mes interventions, en me disant : « Ah ! Un seul dessin par classe ! »

Delphine :
Alors, on a eu toute cette discussion sur la peine de mort, ça a été terrible ! Ils étaient tous pour la peine de mort. C’est compliqué, hein ! Du coup on a passé une séance entière à discuter de ça. En fait, aujourd’hui on ne parle plus de la peine de mort dans les écoles, les profs m’ont dit qu’ils ne le faisaient plus. Moi à l’école, on m’a bassiné sur la peine de mort. On en parlait beaucoup, on a lu des textes, “na-na-na na-na-na”, Victor Hugo, “ta-ta-ti ta-ta-ta”. Aujourd’hui on n’en parle plus, donc les gamins, ils écoutent des émissions à la télé.

 

Scène 2 : dans une classe avec Delphine

Une élève : J’ai vu à la télé un gars qui racontait qu’une fille avait été violentée, et que le coupable, on ferait mieux de le pendre.

Une élève : Il a raison.

Un autre élève : Oui, il a raison.

D’autres élèves : Il a raison !

Une autre élève : Il y en a qui font de la prison, ça ne sert à rien, ils sont trop heureux en prison.

Delphine : Ah ! oui comment tu sais qu’il est bien en prison ? T’es déjà allé en prison ?

L’élève : Non mais je veux dire, en prison il a à manger, il a à boire, il a un toit.

Delphine : Et toi si tu étais accusé d’avoir violenté quelqu’un mais que ce n’était pas toi, mais que tout le monde dit que c’est toi, et que t’allais en prison ?

Un élève : Ah ben non ! mais pas moi, ça ne peut pas m’arriver !

Delphine : Ah oui ?

L’élève : Non.

Delphine : Ça ne peut pas arriver à toi, hein, ça n’arrive qu’aux autres !

Une élève : Les autres, ce n’est pas grave si ça arrive aux autres.

 

Delphine :
Les professeurs m’ont dit par la suite qu’en fait, ça a fait du bien d’en parler parce que ce sont des choses qu’ils gardent pour eux. Donc ils ne disent rien à personne, ils sont sûrs d’eux, ils sont sûrs de leurs petites conceptions. Et du coup, d’en discuter, ça bouge les choses. Mais du coup c’est difficile à amener parce qu’il ne faut pas non plus juger ce qu’ils disent, justement un espace de parole c’est un espace où on laisse parler. Et il y a des perles dans ce qui est dit comme : « Non, mais ils devraient s’arrêter à l’iPhone X et après ça ils devraient arrêter d’en faire. » J’ai dit : « Oui d’accord. »

Le fait que je n’ai pas aimé le lycée, d’avoir été en marge, est la cause que je n’ai pas d’a priori sur les élèves. À la limite, parfois je trouve ceux qui sont en marge les plus intéressants, pourtant ce sont tous les élèves qui m’intéressent. Comme je n’ai pas une grande estime de moi, je n’ai pas de préjugements comme en ont parfois les intellectuels face à ceux qui n’arrivent pas. Et à cela, j’y tiens beaucoup. Ce que je retiens du cirque, c’est la position du corps : c’est que déjà, on s’assied, on met les pieds sur le sol, on a tous le dos droit et puis on est là tous ensemble. On n’est pas comme ça [elle montre une position avachie], s’il y en a qui veulent vraiment rester comme ça, ce n’est pas grave. Mais, je veux dire qu’on est là, présent, avec son corps et puis il y’a le travail de respiration, le travail de rester le dos droit, de lancer ce qu’on veut dire là où on veut le dire – [murmuré] parce que si on parle comme ça, personne ne comprend rien – [voix normale] et du coup, ça leur sert aussi à l’école après, parce que quand ils passeront l’oral, le grand oral, ils sauront parler. Au départ, on va juste dire leur prénom et puis leur demander s’il y en a qui sont gênés pour parler en public, parce qu’il y en a qui le sont et d’autres qui ne le sont pas du tout. Il ne faut pas laisser parler tout le temps ces derniers alors que ceux qui ne parlent pas restent silencieux, donc il faut gérer cet aspect et puis fixer des règles. Je mets des règles dès le départ : on ne se moque de personne ici, on a le droit de dire ce qu’on veut, ça ne sort pas de cette salle, ça reste entre nous. On peut discuter, mais on n’est pas là pour dire n’importe quoi, c’est un espace de liberté, on respecte les autres, pas de moquerie, je ne le supporte pas. C’est plutôt le cirque qui m’a apporté cette posture qui implique beaucoup le travail du corps, et c’est aussi le conte où le travail du corps est lié à la parole. Et puis, je leur raconte des histoires et je leur demande ce qu’ils en pensent. Évidemment, je ne vais pas raconter les mêmes histoires aux ados et aux primaires.

On a travaillé avec les partenaires, les instits. Par exemple, on a bossé avec une professeure d’espagnol. Donc je les ai mis en cercle et puis on a cherché des mots pour imaginer en espagnol, par exemple, le Propel Stretch. Je leur ai expliqué ce que c’était et puis ils ont commencé à chercher dans le dictionnaire, ils se sont éclatés. Moi je ne sais pas du tout parler espagnol, donc ils essayaient de prononcer des choses, et je leur disais : « Comment ça se dit ? Ça je ne connais pas ». Donc les gosses essayaient de le dire. Et là, la prof m’a dit : « Les cours d’espagnol n’ont jamais été aussi bénéfiques que celui d’aujourd’hui ». Parce que c’est une autre approche, on a cherché un vocabulaire pour des habitats du futur en espagnol. Tout est possible en fait.

Maxime :
Il y a eu une résidence à Hennebont avec des lycéens, je n’y étais pas, et je pense que ça a dû avoir une influence sur l’écriture, parce que Louis en est revenu en me disant : « Ils ont lâché des idées incroyables, ça nous a donné plein de pistes ». Donc, ça a peut-être orienté un petit peu l’histoire, mais ils ont aussi beaucoup dessiné. Et cela ne correspondait pas complètement à ma pratique, parce qu’il ne faut quand même pas oublier que le dessin est une pratique solitaire qui se fait avant de pouvoir se retrouver en collectif. Je pense que les musiciens ne sont pas aussi solitaires, parce qu’il y a des temps de répétitions, il y a effectivement des temps de pratique personnelle, mais je pense que le collectif intervient plus souvent. Je travaille en solitaire avant d’apporter de nouvelles briques au travail collectif de l’équipe.

 

34. Les résidences (suite) : Paris, Nantes.

Louis :
La prochaine résidence a eu lieu à Paris, à la Cité des Sciences. C’était une résidence de cinq jours et je n’avais fait un planning que pour le premier jour :

 

9h. : Installation
10h.: Internet test
11h.: Video test
12h. : Lighting test
13h. : Pause déjeuner

 

Ah ! oui et là, il y avait Émilie Baillard qui est une metteuse en scène, je lui ai demandé d’avoir un regard extérieur sur les déplacements de Delphine sur scène. Elle est venue, et ça nous aurait demandé une résidence entière alors qu’elle n’est restée qu’une journée et on avait plein d’autres trucs à faire. À Paris on n’arrive à montrer que trois minutes ou quatre minutes de plus.

 

Scène 1 : Delphine et Louis

Louis : Bon ! Il va falloir qu’on avance, hop !

Delphine : Oui, allons-y.

Louis : Il va falloir qu’on avance un peu, parce que c’est chaud là, on n’a pas réussi trop à avancer depuis la dernière fois, il faut qu’on finisse l’histoire pour Nantes. C’est notre dernière résidence dans le cadre de l’Appel à projets immersifs de l’AADN.

Delphine : On peut se revoir avant d’aller à Nantes.

Louis : Il faudrait envisager deux résidences d’écriture de deux jours à Lyon.

Delphine : Je peux venir à Lyon parce que je prends des cours. On peut essayer d’arriver à la fin de l’histoire.

 

Louis :
À Nantes, Yovan, Delphine et moi sommes présents tout le temps. Et là, les journées n’étaient pas organisées très précisément, comme d’habitude je crois que j’avais fait un planning un peu complet. Et là on enchaîne bien le conte de bout en bout, parce qu’on arrive à la fin. Les deux derniers jours on fait deux restitutions publiques le jeudi soir et le vendredi soir, avec la totalité du spectacle, même s’il nous manque encore des dessins, même si Delphine lit son texte. Peut-être que je ne l’ai pas mentionné jusqu’à présent, mais il faut souligner le travail énorme qu’a fait Delphine. À Nantes, les journées de travail ne se terminaient pas à 18 h. mais bien plus tard dans la soirée. Il y a beaucoup de moments où Delphine et Yovan ont travaillé ensemble, pendant que je suis en galère avec mes dessins, et du coup je n’ai pas le temps de faire des choses avec eux. Ce qui est super avec Yovan, en tant que musicien, c’est qu’il a un sens du rythme, et du coup, il peut dire à Delphine :

Yovan :
Là, tu vois, quand je joue ça, toi il faut que tu dises ça.

Louis :
Et il fait beaucoup d’allers-et-retours avec Delphine là-dessus. Il y a beaucoup de moment où il doit caler des trucs.

Yovan :
Ah ! non, c’est là ! exactement !

Louis :
Ils se font des enchaînements de la pièce tous les deux. Pendant les répétitions, je travaille souvent sur des dessins qui n’ont rien à voir avec ce qu’ils sont en train de faire. Souvent, je travaille beaucoup tout seul, j’ai beaucoup de moments où je dois caler des choses qui ne marchent pas, je refais, ça ne marche pas, je refais… ça ne marche pas ! Au bout d’un moment, ça finit par marcher.

 

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Le poste de travail de Louis pendant la perormance
Photos: Nicolas Sidoroff

Louis :
De temps en temps j’appelle Maxime. Et je dois m’occuper de tout le reste aussi : l’animation des dessins, la vidéo, tout ce qui fait partie de la participation du public, je cale à chaque fois ce qui va apparaître sur les téléphones portables, ce qui va apparaître sur l’écran, tous les changements que cela implique, parce que ça change tout le temps au fur et à mesure, il faut changer les questions adressées au public, il faut changer l’interface, etc. Il y a plein de choses à changer avec le Live Drawing que je connais maintenant très bien. Et je fais aussi la lumière. Ça fait beaucoup de choses à faire, et c’est moi qui gère la technique, par exemple c’est moi qui gère le son de Yovan quand ça ne marche pas. Enfin lui, il regarde, il fait des choses, mais généralement c’est moi qui vais mettre les mains dedans.

Yovan :
Louis met aussi la main à la pâte, sinon ça ne marcherait pas. On le sait maintenant que pour un spectacle comme ça, il faut quelqu’un qui soit un permanent pour s’occuper des aspects techniques du son et de la musique, au fond ce n’est pas trop demander. Ce projet m’a permis d’apprendre beaucoup de choses à la fois et franchement, c’est ce qui pour moi était intéressant. Tout l’enjeu à chaque fois c’était de se dire : « Ah ! là, ça n’a pas marché ! » Ça prend une journée de préparation et puis le lendemain, on se remet dans le rythme du spectacle. En fait, à chaque fois, il faut se familiariser avec le lieu, une fois qu’on est bien dans le lieu, qu’on a nos équilibres sonores, tout va bien se passer.

Louis :
Puis voilà, à la fin, je me retrouve souvent tout seul à désinstaller. C’est à moi de remettre les choses en ordre, mais j’ai un peu l’habitude, ça fait partie du rôle du régisseur au début et à la fin après que tout le monde est parti.

Yovan :
On a fait vraiment le truc à trois, parce que le spectacle était toujours en cours d’écriture, enfin, il s’écrivait au fur et à mesure, ce n’était pas une situation genre « bon voilà j’ai écrit ça, maintenant débrouille toi ». Au départ c’est comme ça que j’ai vraiment fait avec le texte de Delphine en composant la musique dessus. C’était une bonne façon de faire mais au bout d’un moment, il devenait urgent de se rencontrer. Les résidences ont été l’occasion de travailler ensemble, notamment à Nantes où le texte n’était pas encore complètement écrit. Delphine ne m’avait rien envoyé avant la résidence, parce que Louis avait l’idée mais il fallait qu’ils se mettent encore d’accord sur ce qui allait vraiment se passer. Louis n’est pas écrivain, il n’est pas auteur, mais il est le responsable du concept du spectacle et il avait besoin de Delphine pour mettre l’histoire en mots. Et vu que je n’avais pas non plus décidé de la musique, j’ai dit : « Je préfère composer avec vous ». Donc, pour la fin du spectacle à Nantes, j’ai travaillé avec eux, je faisais les bruitages avec eux. Et quand ils me demandaient : « Tiens là, par contre, ce serait vraiment bien qu’il y ait un moment de musique », je savais très vite comment produire quelque chose que je réécrirai plus tard à la maison. On a ainsi appris à mieux se connaître. Le projet de Louis, dès le départ, était quand même très ambitieux, parce qu’il avait beaucoup d’idées qu’il a fallu démêler. Et je pense que maintenant qu’on se connaît, on sait ce qui a bien fonctionné et pour un éventuel prochain projet, on saura ce qu’il ne faut pas faire en tout cas, pour gagner du temps.

Louis :
Donc, à la fin de la résidence à Nantes, on est extrêmement content, parce qu’on a réussi à à présenter le spectacle complet au public, avec des retours très positifs.

 

Scène 2 : après le spectacle, Delphine, Louis, l’amie d’Amandine, une personne du public

Une personne du public : Je suis super contente d’être venue parce qu’on voit que c’est possible de changer les choses et ça nous donne envie de faire.

Louis : C’est exactement ce que je voulais. Je suis très content.

L’amie d’Amandine : J’ai trouvé ça super. Mais j’ai voulu inviter plein de collègues, mais ils n’ont pas voulu venir, ils ont dit que c’étaient des trucs écolo.

Delphine : Ah ! bon, comment savent-ils que c’est un truc écolo ?

L’amie d’Amandine : Ben tu as vu la présentation du spectacle ?

Delphine : C’est moi qui ai écrit la présentation.

Louis : Voici le texte : « Ce spectacle est un voyage participatif dans un futur désirable, c’est un conte immersif interprété par une conteuse, le public contribue au déroulement de l’histoire avec les outils numériques, des discussions, des réflexions. Cette œuvre crée des espaces propices pour aborder des thématiques sociétales qui aujourd’hui nous préoccupent : l’injustice, l’écologie et la guerre. »

Delphine : S’il n’y avait eu que la guerre ils seraient venus ! Bon, je ne trouve pas que le texte de présentation soit si évident.

L’amie d’Amandine : Pour quelqu’un qui est écolo, oui ça ne paraît pas écolo, mais pour quelqu’un qui ne l’est pas…

Delphine : D’accord. Et en même temps, je ne comprends pas comment aujourd’hui, à notre époque, on ne peut pas être touché par l’écologie. Je ne comprends pas comment tu peux dire qu’on n’en a rien à foutre. Je suis atterrée par les gens qui disent « Oh ! encore un truc écolo ». Oh je veux dire, t’as vu comment on vit ? T’as vu ce qui risque de nous tomber sur le coin de la figure ? Enfin t’as des enfants ? Même sans avoir d’enfant ? T’aimes les animaux ? T’aimes les fleurs ? Comment peux-tu être aussi indifférent à ça ? Ça me semble vraiment compliqué, ça me semble fou. Après, gauchiste, moi je suis anarchiste depuis longtemps, je fais un spectacle de gauche, bon. Ben c’est vrai que ce sont les riches qui polluent le plus, hein ! Des délires de luxe, là ! Et plus tu grattes, et plus tu… Pour les abeilles, les lobbyistes viennent faire des faux dossiers pour dire « Non, non, non, les pesticides c’est pas du tout mauvais pour les abeilles, il n’y a aucun souci ». Tout le monde sait que c’est faux, que c’est juste une question de pognon et en fait ils continuent avec leurs pesticides contre les abeilles, ils défoncent trop, ils tuent tout.

 

35. Écologie. Delphine.

Delphine :
Aujourd’hui, finalement, je suis peut-être une bourgeoise par rapport à ce que j’étais avant et peut-être que je ne suis pas « tout écolo ». C’est clair. Mais j’essaye de faire le plus que je peux. Mais c’est vrai que je pense que les très riches, c’est à un autre niveau : ce sont des concours de fusée, des bateaux énormes, des avions tous les jours, enfin c’est puant, quoi. Je pense que déjà on pourrait arrêter un peu d’utiliser les pesticides. On ferait juste un peu, déjà ça serait déjà pas mal. Je dénonce Total dans le spectacle. En Ouganda et en Tanzanie, là, c’est terrible, ils défoncent tout. C’est un paradis terrestre la Tanzanie. Il y a des girafes, des éléphants, « prrrrrou gré grog trac troc pèl ». Il y en a qui se rebellent, ils les enferment dans le noir pendant six mois. Et Macron soutient. Et tout le monde soutient, BNP Paribas finance, non mais où est le problème les gars ? C’est affreux. C’est affreux, mais bon ça continue. Après il y a des gens qui dénoncent, moi, j’ai appris ça en regardant l’émission Investigation machin : une fille blonde, les cheveux très courts qui fait des investigations à la Tintin, je ne sais pas comment on dit ça, ce n’est pas écrit quelque part ? [Bruits de pages qui tournent] Bref, du coup, il y a quand même des journalistes qui dénoncent, il y a quand même des choses qui se passent. Je pense que ça va bouger, enfin j’espère.
Le problème c’est que les riches n’en ont justement rien à faire. Étonnamment, ils veulent rester dans leur luxe et ont tellement peur de perdre leur argent. Pourquoi ? C’est dingue. On ne leur demande pas de se retrouver au RSA, hein ! et d’aller balayer le trottoir, comme on demande aux gens au RSA aujourd’hui. Ouais, c’est vrai que moi je viens de très bas, Je viens de pas-de-thune, et peut-être que j’ai cette empathie ou cette compréhension que d’autres n’ont pas parce qu’ils sont nés dans le luxe et qu’ils ne comprennent pas qu’un jour, s’ils n’ont plus ça, ça peut quand même aller, ça peut être une très belle vie sans tout ça. On a presque envie de leur faire des câlins à ces gens : « Ça va bien aller, t’inquiètes pas ! »
J’ai découvert des architectes qui sont incroyables, comme Ferdinand Ludwig. On a cherché des exemples d’architecture, comme l’architecture vernaculaire , c’est-à-dire tous les bâtiments qui sont construits avec des arbres et des plantes. Je n’étais pas trop d’accord avec ça. On en a beaucoup parlé avec Maxime parce que, pour moi, si tu fais des bâtiments avec des arbres, il faut qu’ils soient enracinés dans la terre et souvent dans les bâtiments qu’on voit, les arbres sont dans des pots. Moi qui aime les arbres, qui ai beaucoup lu, je sais que les arbres communiquent par les racines, du coup c’est raté si tu fais ça : ils ne peuvent pas communiquer. Les arbres se protègent de certaines maladies par les racines, par le mycélium, ils s’envoient des informations, s’il y a une bête qui attaque. Un arbre envoie le message : « Vite, protège-toi ! », du coup il meurt, mais pas les autres à côté. Je trouve donc dommage de les mettre dans des pots. Mais de toute façon, ils vont être obligés de mettre des plantes, de la végétation dans les villes, sinon trop de gens vont mourir. C’est clair.

 

Photo: Valentin Bisschop
Photo: Valentin Bisschop

 

36. Conclusion

Louis :
J’ai monté une équipe de gens qui font bien ce qu’ils font, sinon je n’aurais pas travaillé avec eux. Donc, à partir de là, quand ils proposent quelque chose, je pars du principe qu’ils savent mieux que moi ce qui est bien, parce que c’est leur job. Yovan pareil, je ne l’embête pas sur la musique, je ne vais pas lui dire ce qu’il doit faire… Oh ! si d’ailleurs, je le fais un peu !

Yovan :
Dans ce projet, les personnes n’avaient pas d’exigences particulières, elles me faisaient confiance et m’ont laissé libre de développer mes propres choses. Ça m’a permis de m’exprimer et de continuer à évoluer. J’ai pu adapter la musique à différentes situations, si c’était trop long ou trop court, de décider de ce qui marche et de ce qui marche moins bien. Et après, parfois, Louis et moi, on n’était pas d’accord, il me disait : « Tiens ! là j’aimerais qu’il y ait plus de ça, j’aimerais bien que ça tu le joues en live » ou des choses comme ça. Mais c’était toujours en vue de trouver un terrain d’entente entre nous.

Louis :
Je les titille tous un peu, c’est tout de même un peu mon rôle. Je donne mon avis, puis ils le suivent ou ne le suivent pas. À la base, je donne de grandes directions. Mais globalement je leur laisse 100% de liberté.

 

Photo: Valentin Bisschop
Photo: Valentin Bisschop

Maxime :
Quand je dessine, j’ai cette idée toujours d’aller un peu contre ma pratique de l’architecture, il y a vraiment peut-être un, deux ou trois croquis en noir et blanc qui me prennent je dirais deux minutes et après, quand j’en tiens un, j’en fais un croquis en couleur en peut-être cinq minutes et puis, en général, je ne reviens pas trop en arrière. Comme je sais que j’ai un temps limité, je ne fais pas trop de recherche. Assez vite, je me dis : « Là, j’ai vraiment beaucoup de dessins à faire, il faut avancer » et j’aime bien ce côté instinctif. Pas trop de tergiversations, mais aller comme ça, à l’instinct.

Yovan :
Ce que je retiens du travail collectif, c’est que même le négatif nous apprend des choses. À certains moments on se tire les cheveux, mais c’était intéressant en tout cas de travailler dans un planétarium et tout ce que cela implique. J’ai rarement visité ce genre d’endroits, ce ne sont pas des lieux qu’on fréquente tous les jours, je parle pour moi, mais c’était intéressant de voir que ce sont des lieux qui sont très équipés pour le son et la musique (mais aussi du côté du visuel). Et du coup, il y a beaucoup de choses à faire, notamment avec les arts numériques qui est quand même une pratique assez nouvelle. J’ai pas mal d’amis qui se mettent aux arts numériques, il y a tellement de choses qui sont en train de se passer avec ça. Le phénomène va au-delà des performances des artistes numériques, ce sont des choses qui se développent aujourd’hui aussi dans les concerts, dans les concerts de musique électronique, même dans les concerts de rock et de rap, on est dans les textures, dans les lumières, etc. J’ai appris que pour caler à un spectacle qui va peut-être ne durer qu’un quart d’heure, ça va être beaucoup de travail et encore heureux, on n’était que sur des dessins fixes et pas sur des dessins animés. J’ai bien apprécié de découvrir ce genre de travail très minutieux et qui prend un temps très long. Par contre, je pense que l’idéal aurait été d’avoir un maximum de choses déjà posées avant la première résidence, notamment dans l’écriture du conte, pour qu’ensuite, une fois qu’on est dans la phase de création, on puisse aller un maximum dans le détail pendant les répétitions et d’élaguer les choses. On n’a pas eu assez de temps pour faire cela par rapport à ce qui n’allait pas, pour aérer le spectacle. Mais cela va nous servir pour la prochaine fois, c’était plein de découvertes et puis à la fois aussi, de ce qui peut aller mieux, mais c’est le cas dans tous les projets de toute façon. Donc, franchement, il y a en majorité des aspects positifs dans tous les sens, maintenant, et maintenant voilà le spectacle, en espérant que ça tourne un petit peu et qu’on puisse continuer à le peaufiner.

Delphine :
Ce sont de belles rencontres, je suis contente de les avoir rencontrés tous les trois. C’est vraiment chouette d’être avec eux, c’est une équipe qui fonctionne vraiment bien. C’est d’autant plus chouette que ce n’est pas évident de pouvoir travailler avec tout le monde, c’est vrai, ce n’est pas toujours aussi simple. Et là, on s’entend tous très bien, même au niveau de la créativité.
Je relis maintenant mes notes, ça me fait rire. Ce n’est plus du tout ce que je dirais aujourd’hui. C’est drôle.

 


 


Le « Conte d’un futur commun » a été présenté pour la première fois le 18 juin 2023 au Centre des Arts d’Enghien-les-Bains.

Le Conte d’un futur commun choisit d’explorer de manière collective un futur désirable et les manières d’y parvenir. Spectacle participatif, c’est à l’aide de son smartphone et de sa voix que le public va participer à l’histoire à la manière d’un jeu vidéo. Cette histoire se construit comme une improvisation collective, où chaque participant peut à tout moment la faire dévier ou bifurquer, la bousculer, l’augmenter, la détourner.

Co-production : AADN – Arts & Cultures Numériques à Lyon, Planétarium de Vaulx-en-Velin, Planétarium de la Cité des sciences et de l’industrie de Paris, Stereolux, Planétarium de Nantes, association Antipodes, Pays d’Art et d’Histoire entre Cluny et Tournus.

Avec le soutien du Centre National du Cinéma et de l’image animée et de la SACEM cda95.fr/fr

 


1. Marie-France Marbach est une conteuse, directrice artistique du festival Contes Givrés et glotte-trotteuse. Geo Jourdain est le président fondateur de l’association Antipodes et un agitateur d’idées. L’association Antipodes, menée par Geo Jourdain et Marie-France Marbach se trouve à Saint-Marcelin-de-Cray (Bourgogne). https://www.association-antipodes.fr

2. « On retrouve François Pin dans son habit de président de l’association La Carrière de Normandoux, où tout a commencé, sur le lieu qu’il a acquis sur un coup de cœur en 2004 à Tercé, à 20 km de Poitiers ». lejdd.fr/Culture/L-etonnante-carriere-de-Monsieur-Pin-

3. IRFA-Bourgogne is a Training organisation in the Region Bourgogne Franche-Comté since 35 years.

4. L’Atelier du Coin, à Montceau-les-Mines, est un atelier chantier d’insertion. atelierducoin.org

5. Gus Circus de Saint Vallier, Fjep, école de cirque. koifaire.com

6. BIAC : Brevet d’Initiation aux Arts du Cirque, un diplôme pour enseigner les arts du cirque. Voir ffec.asso.fr

7. Nicole Durot. Voir « La Bulle verte » : En 2005, Nicole Durot crée La Bulle verte, une école de cirque réunissant jeunes et adultes valides et handicapés.labulleverte.com

8. Il s’agit de Laurent Fréchuret. Les paroles qui lui sont attribuées ici sont une fiction. Voir Laurent Fréchuret

9. Minuit : Passionné d’architecture, Dorian aka Minuit Digital est un artiste lumière et numérique qui aime entremêler structures physiques et digitales. Minuitt

10. Les Contes Givrés est un festival organisé par l’association Antipodes. association-antipodes.fr

11. Les architectes qui exercent la maîtrise d’œuvre sont tenus responsables des dommages qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui le rendent impropre à sa destination pendant les dix années qui suivent la réception des travaux. architectes.org

12. L’Ensemble Aleph est un groupe de musique contemporaine basé à Paris qui a existé de 1983 à 2022. ensemblealeph.com

13. Mapping : « le mapping vidéo est une animation visuelle projetée sur des structures en relief ». fr.wikipedia.org

14. Maxime Touroute : maximetouroute.github.io

15. Théâtre C2 à Torcy en Saône-et-Loire. 71210torcy.fr

16. Jacques Prévert, « L’Autruche », Contes pour enfants pas sages, Illustrations de Laurent Moreau, Paris : Gallimard-jeunesse – Folio Cadet, les classiques N°8, 2018. artpoetique.fr

17. Débruit ((Xavier Thomas) : limitrophe-production.fr

18. « KoKoKo! est un projet né à la faveur d’un tournage documentant la scène contemporaine du Kinshasa underground ». limitrophe-production.fr

19. Julien Lagrange, guitariste, enseigne à l’École de Musique (EMDT) du Clunisois (Saône-et-Loire) la guitare et les ateliers handicap. enclunisois.fr

20. Google : « Avec le format sonore 7.1, un canal central arrière est généré en plus de ces canaux et réparti sur deux autres enceintes (appelées centres arrière). Ce canal, codé dans les canaux d’effets stéréo, permet de mieux localiser les effets et les signaux musicaux directement derrière la position assise. » google.com

21. Laboratoire artistique, le LabLab offre un espace de recherche et de création intégralement équipé pour de nouvelles expériences audiovisuelles, immersives et interactives. polepixel.fr

22. AADN (Arts & Culture Numériques) est une association créée en 2004, elle porte des projets artistiques et culturels qui bousculent les imaginaires et suscitent le désir de fonder une société post-numérique sensible, solidaire et responsable. aadn.org

23. Métavers : « par définition un métavers est un monde virtuel. Le terme est régulièrement utilisé pour décrire une version futuriste d’Internet où des espaces virtuels, persistants et partagés sont accessibles allant au-delà du monde réel. » wikipedia.org

24. Baptiste Morizot est un philosophe français qui enseigne à l’université d’Aix-Marseille. Ses recherches portent principalement sur les relations entre l’humain et le reste du vivant. wikipedia.org

25. Camille de Toledo est un essayiste et écrivain français vivant à Berlin. Il est aussi plasticien, vidéaste et enseignant à l’ENSAV (La Cambre) à Bruxelles. wikipedia.org

26. Medlay est un concept de média hybride permettant de créer un artefact multimédia pour raconter une histoire et/ou communiquer une idée sur le Web. ranbureand.github.io

27. Resolume Wire est un environnement de patch modulaire basé sur des nœuds pour créer des effets, des mixeurs et des générateurs vidéo. resolume.com

28. Jacques Puech est un chanteur et joueur de cabrette de la musique traditionnelle du Massif Central en France, voir la Novia : la-novia.fr

29. Stems : « Ce qu’on appelle les «Stems», ce sont les différentes pistes sources dans votre projet de production, mais regroupées par section. » loreille.com

30. Notion est une application de prise de notes, de gestion de projet et de collaboration développée par Notion Labs Inc. Wikipédia fr.wikipedia.org

31. Chevagny-Passions est un festival des arts qui a lieu une fois par an à Chevagny-sur-Guye (Saône et Loire). fr.wikipedia.org

32. EAC, Ministère de la Culture : « L’éducation artistique et culturelle (EAC) a pour objectif d’encourager la participation de tous les enfants et les jeunes à la vie artistique et culturelle, par l’acquisition de connaissances, un rapport direct aux œuvres, la rencontre avec des artistes et professionnels de la culture, une pratique artistique ou culturelle. » culture.gouv.fr

On Notational Spaces in Interactive Music

Access to the French translation “Espaces notationnels et œuvres interactives”
 
Go to the English version of the Encounter with Vincent-Raphaël Carinola and Jean Geoffroy:
 
Go to the French version of the « Rencontre avec Vincent-Raphaël Carinola et Jean Geoffroy »:
 


 

On Notational Spaces in Interactive Music

Vincent-Raphaël Carinola and Jean Geoffroy

 

The article “On Notational Spaces in Interactive Music”, by Vincent-Raphaël Carinola and Jean Geoffroy, is available on the International Conference on Technologies for Music Notation & Representation (TENOR) website (see the link bellow). It follows on from the conference organized by PRISM-CNRS in Marseille in May 2022, which published the proceedings, edited by Vincent Tiffon, Jonathan Bell and Charles de Paiva Santana.

 

Abstract

This article presents a reflection on the nature of notational spaces in interactive musical works using digital devices. It builds on the author’s experiences in Toucher (2009) for theremin and computer and Virtual Rhizome (2018) for Smart Hand Computers. In interactive music, notational spaces are correlated to the spatial structure of the dispositif, a notion that must be understood in the sense of an extension of the traditional instrument. That’s why composing a work is equivalent, at least in part, to composing the instrument. The notational spaces — in other words: the places making possible a writing, and thus a musical interpretation — are distributed among the different components of the dispositif. The way in which its digital devices are interconnected (the mapping), the algorithmic logic of the “if-then-else” and the notion of openness play a fundamental role for the composer and the performer. However, in the case of miniaturized (or embedded, or embodied) dispositifs, this spatial structuring of its components seems to be absent and, consequently, questions the existence of a place for composition and interpretation. One of the solutions explored here is to conceive the work as a virtual architecture that recalls a “world” in the field of video games. This architecture, open to a plurality of courses, then assumes the function of a notational space by calling, paradoxically, on techniques of memory specific to orality.

 

Link to the original English text of the article
published by the International Conference on Technologies
for Music Notation & Representation (TENOR)

 

 

Encounter with Vincent-Raphaël Carinola and Jean Geoffroy

Vincent-Raphaël Carinola and Jean-Geoffroy’s contribution is in two parts. On the one hand, a research article, “Espaces notationnels et œuvres interactives”, originally published in English under the title “On Notational Spaces in Interactive Music”, by Vincent-Raphaël Carinola and Jean Geoffroy, in the proceedings of the conference organized by PRISM-CNRS in Marseille (May 2022).
On the other hand, the transcript of a meeting between Vincent-Raphaël Carinola, Jean Geoffroy, Jean-Charles François and Nicolas Sidoroff in Lyon in February 2023.

 

Access to the two parts and their French versions

First part

Access to the article “On Notational Spaces in Interactive Music”
Access to the French translation “Espaces notationnels et œuvres interactives”
 

Second part

Encounter with Carinola, Geoffroy, François, Sidoroff
Access to the French original version of « Rencontre avec Carinola, Geoffroy, François, Sidoroff »

 


 

Encounter with
Jean Geoffroy, Vincent-Raphaël Carinola
and
Jean-Charles François, Nicolas Sidoroff

1erFebruary 2023

Translation from French by
Jean-Charles François

(with the help of Deepl.com)

 

Summary :

1. Origin of the Collaboration
2.1 Toucher Theremin and Agencement
2.2 Toucher, Hands/Ears Correlation
2.3 Toucher, Notation
2.4 Toucher, Form
2.5 Toucher, Process for Appropriating the Piece
3.1 Virtual Rhizome, Smartphones, Primitive Rattle, Virtual Spaces
3.2 Virtual Rhizome, the Path to Virtuosity, Listening
3.3 Virtual Rhizome, a Collaboration Composer/Performer/Computer Music Programmer
3.4 Virtual Rhizome, the “Score”
3.5 To conclude: References to André Boucourechliev and John Cage
 


 

1. Origin of the Collaboration

Jean-Charles François

Could you retrace the story of how you met, how did your collaboration come about, and what was its context?

Vincent-Raphaël Carinola

We already worked with Christophe Lebreton[1] on different projects and although Jean and I had often crossed paths, and I knew and admired his work and his various collaborations with composers, I was looking forward to the opportunity to work with him. The point of departure was all the work they had done, Christophe and Jean, on new electronic interfaces and the role of the performer in relationships to them, Jean will be able to tell you more about these projects in detail.

Jean Geoffroy
The work with smartphones started for me thanks to Christophe, and to a first deviation from the usual applications I had created for Xavier Garcia’s pieces.[2] In 2018, Christophe and I created a structure called LiSiLoG in which we develop all kinds of projects around artistic innovation and transmission, which could be summed up in a phrase by Bram van Velde, a painter in an interview with Charles Juliet: « You have to give an image never seen before ».[3] It’s quite a simple phrase, and yet so difficult to grasp!

For a concert in Seoul, I had selected some applications taking account for their framework, sound possibilities, possible developments and I had written a short text as an introduction to the concert, in which we also played other pieces by Xavier.
What I realized almost immediately was the possibility of recreating spaces that were different from those imagined by Xavier, and it was equally possible to work on a kind of “sound intimacy”, because in fact, there’s nothing “demonstrative” about playing with a smartphone, you have to lead the audience to enter in the space you’re proposing, and thanks to the different applications deviating from usual utilization and used in different ways, it was as if I had in front of me a new instrument.
In this case, everything stems from the sound and the space it suggests, and then you need a narrative that will enable you to keep a relatively clear framework, since without this framework you run the risk of going round in circles, and playing the smartphones like a child with a rattle…
As with the Light Wall System[4] also designed by Christophe, the most interesting thing, besides music itself, is the absolute necessity of working on a narration, on a form. This should be obvious to any performer, but which is sometimes forgotten it in favor of the instrument, its virtuosity, its placement on stage…
With the SmartFaust applications,[5] the main aim was to return to a sound devoid of « artifice », that would enable us to invite the audience into a totally revisited sound universe.

After this concert, Christophe had the idea of taking his work with smartphones a step further, and then he proposed to Vincent to imagine a piece for “Smart-Hand-Computers – SHC”, a term that better represents this interface than the word “smartphone” which is primarily used to designate a telephone.

From the outset, however, the process was different than with Xavier, if only in terms of creating the sounds. The fact of having two SHCs totally independent of each other with the possibility to include aleatoric elements in the piece and above all, work on the writing of the piece itself made it a totally different project from anything I had done before. Moreover, this piece is an opportunity for us (Christophe and I) to imagine other performing frameworks: we developed a solo version with a set-up similar to that of the Light Wall System, and we’re working on a project for two dancers. Virtual Rhizome by Vincent-Raphaël Carinola really functions as a permanent laboratory, which incites us to constantly revisit the work, which is essential for a performer. These three proposals around the same piece raise the question of our relationships with the audience: from a) the intimacy of a solo with two SHC, b) to a form of address to the public within the Light Wall System framework, and c) to a choreographic piece in which dancers are at the same time performing the music with their body movements.
This piece enables us to re-examine the act of interpretation, which in itself is an exciting question that performers I think don’t often enough consider.

 

2.1 Toucher, Theremin and Agencement

Jean-Charles
We can separate the two pieces Toucher and Virtual Rhizome. Toucher involves the theremin, but as I understand it, it’s not at all the traditional theremin where you’re constantly controlling pitch in order to produce melodies with very precise intonation. It’s consequently a very different situation, and I was wondering in what way it involves a fundamental change in comparison to percussion playing, and if there were any particular problems induced with this change of media, this change of instrument?

Vincent-
Raphaël
Toucher is another story. Here too, the initial idea was the relationship with the performer, in this case Claudio Bettinelli.[6] He owned a theremin that we used in a performance piece called Typhon.[7] He suggested to use the theremin by connecting it to a computer, using it as an interface to control image and sound.

Following this first experience we wondered whether it would be interesting to write a work for this “instrument”, bearing in mind that from the moment the theremin is connected to a computer, the instrument is definitively no longer a theremin (the more so since its original sound is never heard). The instrument is the theremin connected to a computer, to sounds and sound processing modules distributed around the audience. This is partly the subject matter of the article « On Notational Spaces in Interactive Music »:[8] here the instrument becomes a playing system. What we consider to be the instrument, the theremin, is just one part of the system, which is in fact the “true” instrument. The theremin is equipped with antennas that capture the performer’s gestures, lamps or electronic circuitry that generate a sound that varies according to the distance of the hands from the antennas and, sometimes, in the same cabinet, a loudspeaker is included. This is like electric guitars, there is a kind of amplifier that can be more or less close to the musician. What interests me here is the possibility to dissociate the organological elements of the instrument and turn each component into a writing support. The performer is then confronted with a sort of fragmented object within a system. On the one hand, the performer has to deal with an instrument very different from the traditional one, since he/she doesn’t control everything because part of the sounds are generated by the computer – so, he/she is playing an instrument that has the ability to function on its own – and, on the other hand, the performer has to follow a score which is not entirely constituted by notation on staves. The score also includes the computer program, which contains the sounds I have generated, integrated into the computer’s memory. So, the score itself is scattered across the whole range of media supports: the graphic score of the gestures, that of sounds, the computer program, the interactive programs, and even the “mapping”, that is, the way in which the interface is correlated with the sounds and with the unfolding of the piece in time.

This is why the performer’s work is quite different from that of a performer who is playing an instrument with which he forms a single body, since with this new instrument – as a system – the body tends to be separated from the direct sound production. One part of the way the instrument functions escapes him/her. The performer doesn’t always control the totality of the sounds (since I am the one who generated them as well as the sound processing modules). Moreover, the computer can also function automatically. That’s what’s so interesting, because it means that the way the performer can adapt to the system becomes in itself an object of creation, the object of the composition, and that’s what’s so beautiful. The performer cannot be considered as someone who appropriates a piece fixed on a support, external to her/him, and which she/he then comes to interpret: he/she is part of the work, one component of this “composed” ensemble of interfaces, the computer, the fixed sounds, him, her, the musician, her/his corporeal presence on stage, etc. We face the same type of problem with Virtual Rhizome but addressed in a very different and very strange way.

Here is the video of the version of Toucher by Claudio Bettinelli :
 

 

Jean
With Toucher, Vincent is right, it’s a question of building the space and consequently becoming part of a system, which itself partly escapes you. This is a really fascinating situation that forces you to be at the same time interpreter and “learner” all at once in real time. You have above all to develop a certain quality of listening, which is not based on expectation but on surprise. That’s what I’ve learned with these two pieces, even if I started by Virtual Rhizomes and then turned to Toucher.
The fact that the situation in which you find yourself partly escapes us could mean some sort of comfort for the performer, but on the contrary, it really disturbed me. This project allowed me to find myself really at the center, first and foremost as a “listener” before being a performer. This requires concentration, to pay attention to all the sound events that you generate, as well as those that you don’t necessarily control and that you need to appropriate and integrate into your “narrative”.
What makes this attitude more sensitive is the fact that, with these instruments, everything seems simple, because just in relation with a movement. Even though the theremin is extremely technical, each person develops his/her own technique, an attitude linked to a form of inner listening to sound, listening that does not pass exclusively through your ears but also through the body.

Vincent-
Raphaël

In fact, what’s very complicated for me with interactive systems in general is that, if everything is determined, that is if the performer can control each sound produced by the machine, she/he becomes some sort of “operator”. The computer takes no initiative, everything must be determined by conditional logic: if-then-else. The computer is incapable of reacting or adapting to the situation, it only does what it’s asked to do, with a very… binary logic. Everything it does, the way it reacts, is limited by the instructions specified in the software program. That’s why you never have the same relationship with the digital instrument as you do with an acoustic one, in which there is a resistance, a physical constraint, linked to the nature of the instrument, which structures gestures and allows the emergence of expression. That’s why the idea of simulating an instrument that escapes the musician’s control, forces the performer to be in a very attentive listening, to be literally on the look-out, to strain the ear, to charge listening with tension. I think that if you want – I don’t know if it’s possible – to be able to find something equivalent to an expression – when I say “expression”, I don’t mean romantic expression or anything like that, it’s something proper to the musician on stage, to the performer, something that belongs only to him or her – you have to find new ways of making it emerge in interaction with the systems, that’s somewhat the idea of inviting the performer to “stretch the ear”.

Jean
I’d like to add one little thing: when you speak of tension, it’s for the performer and it’s also the case for the audience. Because ultimately, there are no predicable gestures in the sense that when a violinist takes her/his bow, moving it towards the strings, everyone expects to hear a violin sound, whereas with the theremin, even if one gets nearer to the antenna, you never know when or what sort of sound will be produced. In addition, before the actual beginning the piece, I proposed an introduction in silence, precisely so that the attention of the audience would be drawn to this silent gesture which would then reveal an unexpected sound. The idea to put the public in this state of listening/searching/waiting… ultimately making them “actors” of this shared artistic moment. Effectively, something is at stake, raising tension, something is at play, at that very moment.

 

2.2 Toucher, Hand/Ear Correlations

Jean-Charles
In the article “On Notational Spaces in Interactive Music”, you mention “a hand/ear correlation of great requirement”.[8] What do you mean by requirement concerning the hand?

Vincent-
Raphaël
You could say that it is the requirement of the meaning you give to the sound and therefore to the expressive movement of the hand that produces it, but it’s also the structurating of a space that is drawn around the theremin, making possible gestures that have meaning in themselves, a choreography you could say.
Then there’s also the process of interaction, on what actual parameters is it possible to act, a volume, a sound form? From there on, you have your “playground” where the hand can develop its movements, intuitively at first, then by exploring the relationship between sound and gesture to give it a singular form of coherence.

Jean
First and foremost, there is a sound, and the “response” you have to propose; how spontaneously, intuitively, my body or my hands will interpret that sound, shaping it in a physical form. All this provides a consistency, an expression, a projection, which without the gesture would not at all be the same. It’s quite simple to do this experiment: take a mechanical sound made of “beep, beep, beep, beep”, nobody will listen to it and it’s uninteresting, but if we start to incarnate it, to give it a temporality, a form, a space, it changes everything. That’s exactly what’s at stake in the piece Silence Must Be by Thierry de Mey.[9] At this point, the hand, the gesture, the presence, will give a direction to the sound, will give it a meaning that a priori it doesn’t have. In Toucher, the relationship to sound is far more complex: the gesture must produce the sound while drawing it in space. Claudio’s version is brilliant from this point of view, there’s a real choreography of sound, which results in a sort of totally insane form in terms of space, and relationships to the instrument. Ultimately, it’s all about presence of the sound, and of the performer. Each performer playing the piece will have re-imagine a form that has nevertheless already been written, but that has to be inscribed in a space that needs to be each time reinvented. And it’s the performer’s task to reveal this through a gesture, a movement, a pause, a suspension, something that belongs to the performer. At that precise moment, the gesture embodies that, or at any rate gives an incarnation to an immanent sound, which is not produced in any case by blowing or striking in a way that could be predictable.

Vincent-
Raphaël
That’s really the most appropriate term in my opinion: “immanent”. Unlike acoustic instruments when to produce a sound you need to apply a more or less strong force according to the desired result, with Toucher — but it’s also the case with Virtual Rhizome — you have instruments where it’s as if the music was playing in the background. This bring us back to what I was saying earlier concerning the “automatic” aspect of the instrument. The sound materials are there, the musician doesn’t produce them in the strict sense of the term: the sounds are recorded, the modules are fabricated or programmed, and so on. It’s as if the role of the hand were to dig into the matter and to extract it from a kind of magma. That’s why this reference to immanent music appeals so much to me. The musician searches inside something that’s already there, to make certain points of view emerge. This is evident in certain passages of Toucher with its many layers, and the fact that you might be here or there in relation to the antennae, or that you move the hand in one direction or another, or from one point to another, etc. It’s in some ways as if you were working with a material, as if you were in the process of sculpting it. As you said, Jean, with Claudio, there’s something that pertains to a construction, to the evolution of things: he seeks out one element, then another, and thus shapes the discourse. What was fairly new for me and very surprising in the version Jean played, was that he juggled with all these materials. You got the impression of an erupting volcano, from which emerged a completely splintered universe of magma, lava, basalt fragments… I mean, it was all over the place. And that’s also another way of working the material that I really like. The work of interpretation also consists in becoming one with this apparatus system [dispositif] in a certain way, but in a manner that is completely different from a traditional instrument where everything is determined by the movement of the body. Here, there is a kind of encounter between two logics, the logic of the machine and the logic of the performer, and from this encounter emerges something very interesting..

 

2.3 Toucher, Notation

Jean-Charles
How does the relation to notation function?

Jean
This is a fundamental issue in this type of adventure! And I learned a lot about this question of writing while working on Virtual Rhizome. As performer, you are constantly looking for a framework, for an artistic writing that allows you to enter into the composer’s approach and give concrete substance to a written work. In relation to scores, I’ve often been frustrated. Either it’s too directive (too many injunctions, signs, notes that don’t allow a singular reading, as you are too busy doing what’s written down…) and in that case, you’re looking for some space of interpretation, you say: “But how am I going to breathe?” Or it’s extremely open with all kinds of possibilities of interpretation and approach. I’m not speaking of mf, ralentis, accel. etc., but of words that would enable us to really contextualize a form, a phrasing. Sometimes, the role of the performer is reduced to a minimum, even, from time to time, not really considered by the composer. Or on the contrary, you are into something very (overtly) open which leaves a lot to improvisation and less to form, in any case less in terms of storytelling, of narrative. It’s the in-between that is interesting, having something that’s absolutely written down, absolutely thought out – and we will talk further about this for Virtual Rhizome, but it’s the same for Toucher – but which leaves room for the performer to interact.
Ultimately, the question is: should we play what’s written or what we read?
This approach changes things considerably. In many pieces you have introductory notes that resemble more instruction manuals, sometimes they are needed, but they become a problem when there is nothing else besides!
When You read Stockhausen’s Kontakte, even without having read the introductory notice, you’re capable to hear the energies that he wrote in the electroacoustic part. In Toucher, as in Virtual Rhizome, we have a very precise structure, and at the same time sufficient indications to leave the performer free to listen and make the piece his or her own, keeping with the limits set by the composer. It’s really this alloy between a predicted sound and a gesture, an unstable equilibrium… but it’s the same thing with Bach.
With pieces like Vincent’s, it’s essential to have this intimate perception: what do I really want to sing, ultimately, what do I want to be heard, what pleases me about it? If you adopt exactly the same attitude behind a marimba or a violin or a piano, you will really achieve as performer something that will be singular, corresponding to a true appropriation of the text you are reading. The idea is to make people hear and think, just as they do when a poem is read: what will be interesting will be the multiplication of the poem’s interpretations, each one allowing the poem to be always in the making, very much alive. It’s exactly the same with music.

Vincent-
Raphaël
Here, unlike in classical notation, not all the information is on the score. I know that this has never been the case, that there are historical codes, such as ornamentation, which were not always notated. With these works, it’s even more the case since, as mentioned earlier, there’s one part of the instrument that functions autonomously. The instrument is fragmented into its different components (gesture sensors, sound generators, loudspeakers, etc.) and each component of the instrument is subjected to a writing process. As a result, the score itself is broken down into the different components of the system, such as the computer program, the recorded sounds in the computer memory. If you follow the score and do the gestures exactly as notated, you get nowhere. In fact, in a piece like Toucher – we’ve got enough hindsight now to be able to say this, since it has been played by quite different performers – you have to understand technically how it works, that is, to know what a Max patch is, how the machine functions in interaction, what is a granulator (etc.), in order to play it with ease. By understanding what’s happening, you can better control the instrument, follow the score, and grasp more precisely what is graphically notated. It’s not possible to keep up a traditional attitude of reproducing a certain type of gestures as they are notated by the composer and therefore have to be respected. It doesn’t work like that, it cannot work like that, it’s impossible for the reasons given earlier, because the relationship to the instrument is not at all the same. In Toucher, there is a representation of the gestures and also a notation of what should be heard, indicated with the name of the sounds. But there’s a third notation at the very end of the score: it’s a script that describes what’s happening in each part of the piece. There are 19 parts, it’s relatively easy to memorize and ultimately this is what the performer memorizes most of all. The performer keeps two different things in mind: a) how the instrument works, i.e. how it responds to the musician’s action, how the space around the antennas is organized, what the patch does, the different samples used, etc.; and b) the script, i.e. the successive activation of the instrument’s various components over time.

 

2.4 Toucher, Form

Jean-Charles
Because the 19 situations can occur in different orders?

Vincent-
Raphaël
No, not in Toucher, unlike Virtual Rhizome. In Toucher, the form has a very directional layout. It’s structured in two parts that follow the same outline: it’s as if you were drawing something, first by making dots, then lines, then ornaments within the lines, and then, there is moment when it becomes so complex that you lose the link between the gesture and what you’re hearing. It’s at that moment that appears the “true” sound of the theremin, as if it was saying: “Ah! but here I am, I’m the real instrument.” So, there is a formal order: it begins with number one, then at number two there’s a new element, at three a third one, at four you come back to three, and so on. Therefore, you cannot play it in any order.

Jean
As for me, after having assimilated the different parts, I try to highlight some “pivotal states”, some kind of punctuations that enable me to build my interpretation and therefore my reading of the form of the piece. It’s not a question of telling a story but to convey a sort of narrative in the sense of a trajectory, an inner journey that unfold like the threads between the sounds you reveal, or that you are going to hide. It’s this relationship with sound that we have over time that in the end shapes the narrative. To start with little things, with scraps of sound, and then begin to construct by paying attention to never “losing the audience”, by providing some listening clues. If the performer is really involved in this dynamic of listening to time and space, there will necessarily be something that the public will grasp. It’s clear that in this context, members of the public must also be curious about what is or isn’t going to happen; as the piece progresses, a kind of “co-listening” can be perceived, and from that moment, the sounds become definitively shared by all present. The issue is to get in the same “fragile listening”, between a sort of communicative tension and intense listening, audience, and performer here and now.

Vincent-
Raphaël
In the case of Toucher, you cannot modify the order of the sections, however, each section leaves enough leeway to develop its own particular discourse. This said, all this should flow in a continuity, you cannot stay in one spot for half an hour, because then the whole continuity would disappear. But this possibility to take your time is important in order to rediscover this manner of seeking out the music in the instrument, and letting it emerge. So, it’s important that there’s a certain temporal freedom to be able to do this. Some modules contain a small amount of randomness, sometimes resulting in unpredictable results. Consequently, while the musician is shaping the sound material with the hand, if he/she hears something interesting, unexpected, she/he can repeat it because it’s good and makes him/her happy. In concert, something unexpected might happen: “Ah! well! that’s amazing, I’ve never heard this before, I’ll do it again”. And so, there’s also this kind of opening in the piece that allows to have these pleasant, surprising moments. All the while trying not to succumb to the machine’s charm!

Jean-Charles
To pass from one section to the next, for example from 1. to 2., the timing is controlled by the performer?

Vincent-
Raphaël
Yes. For example, in number 1, in Toucher, you never know precisely what sound is going to appear. You know that there’s a reservoir of vocal sounds, of sighs, there are some that make “pook, bong, zoom” [sons vocaux très courts], and then others much longer that make “paaaaaah” [whispered]. So, if you hear one that’s longer, you have to wait to avoid it being too busy… You could trigger a lot of them, it’s not prohibited to do it, but it wouldn’t make sense. Sometimes it happens that you would add one or two more, or that, I don’t know why, you would want to hold on a little longer, and then, when things are settled down, when they are well in place, you’ll move to number 2, which retains the elements of 1 with an additional variation.

 

2.5 Toucher, Process for Appropriating the Piece

Nicolas
Sidoroff
I was listening to you, but I was also looking at you, because you were making all kinds of interesting gestures. Concerning the way Jean appropriated this score, or this notation, or this work – I don’t know what is the best term to use – how did it start, what did you do and in what order? You said that you’d discussed it a lot with Vincent, so when and how this happened? Was it before, during or after? Or maybe all three? What is the temporal process of appropriating the score?

Jean
As with any piece involving electroacoustics, as far as I am concerned, everything starts with the sound. It’s the composer’s “signature” and that’s what guides me. From there, you start to understand the composer’s space, universe, and it’s a question of finding your place in it, your reading of it, your response to it. For these two pieces, it’s not just a question of playing the sound, but to making it your own. Once you have the idea of the sound space of each one of the parts, you can begin to inhabit these different spaces by giving them your own perception through gesture.

For me, there’s one thing that’s really incredible, it’s the prescience that you can have of a sound, a prescience that is revealed through an attitude, a gesture, a listening. For Virtual Rhizomes, we don’t always know which texture is going to be played, what impact it will have, and the listening and attention that result from this open up incredible horizons because potentially, it compels us to be even more intuitively aware of our own sound sensations. It’s this balance between the attitude of anticipating integral listening, and the notion of form we’ve been working on, that you need to keep in mind, so as not to get into that famous « rattle » Vincent talks about. It’s interesting to think that a texture played that you don’t know a priori will determine the development of this particular sequence, but you still have to give it a particular meaning in terms of space.

During my last years as percussion professor in Lyon, in order to ensure that this particular attention to sound was an essential part in the work on a piece, I wanted no dynamics to appear on the scores I gave to the students, so that they would just relate to the structure, and that the dynamics (their voice) would be completely free during these first readings. At that point, the question of sound and its projection becomes obvious, whereas if you read a written dynamic sign in absolute terms and therefore decontextualized from a global movement, you don’t even think about it, you just repeat a gesture often without paying sufficient attention to the resulting sound.

On the contrary, Toucher and Virtual Rhizome (like other pieces) force us to question these different parameters. For me, Toucher as Virtual Rhizome, are fundamentally methods of music: there are no prerequisites, except to be curious, interested, aware of possibilities, and present! Such freedom offered by these pieces is first and foremost a way of questioning ourselves at all levels: our relationship to form, sound and space, this is why they are true methods of Music. These pieces are proposing a real adventure and an encounter with oneself. On stage, you know pretty much where you want to go, and at the same time everything remains possible, it’s totally exhilarating and at the same time totally stressful.

Nicolas
I have the impression that to work on it, you « squatted » each of the 19 situations, as if they were « houses ». Did you stay in the first house, to use that image, to see what was going on in its corpus, what it was all about, before moving on to the second?

Jean
Exactly.

Nicolas
Or instead, did you do a global reading, saying to yourself: “Ah! there’s a journey to the next house”?

Jean
No, I really proceeded part by part, in any case this is my way of doing things, to manage to find yourself in the best possible way in one space before going on to explore the next. This is what I call “presence”, you must be present, firmly anchored in the ground. With new technologies, we could remain in a form of superficiality, totally focused on representation and the use of effects. That’s precisely what is at issue with these electroacoustic systems, which function somewhat like Pandora’s boxes, with all the dangers this represents in terms of interpretation: do we decide for the instrument or does the instrument decide for us…?

Nicolas
You said a moment ago that you’d seen Claudio’s version? At what moment in the process?

Jean
Afterwards, always after I’ve got a pretty clear idea of what I want to do. I know Claudio well, he was one of my students at the CNSMDL [Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon], he is a very talented musician, with a very Italian, magnificent presence. His version sounds like an evidence. I would be incapable to reproduce what he does, his version being so totally singular and corresponding so perfectly to his personality. If I decided to reproduce what he does, it would be a disaster, it would be ridiculous. And that’s precisely what’s so strong about this piece, there is no right or wrong version, just an exactitude of interpretation. To be exact is something that’s both simple and terribly complicated, as it’s a matter of finding yourself.

Nicolas
The silent gesture that you make before starting the piece, that you mention several times, at what moment in the process of learning the piece does it appears? And do you always keep it, because it’s now part of your interpretation? How does it come about?

Jean
To play in silence just a few gestures is something that’s touched me greatly, ever since I started to play the piece by Thierry de Mey,Silence must Be many years ago. I became aware that creating a gestural space in silence enabled me to concentrate on presence, and presence alone, because there’s no artifice, no virtuosity, only presence. The idea is for the audience, surprised at first, even incredulous, to gradually enter into your discourse, and in the case of Silence Must Be, the clues are given later when I play again the same silent sequence accompanied by a recorded soundtrack. For Toucher, I really like to start in this way, with the difference here that I build a gesture that increases more and more, giving the public a key to reading. The idea behind this is to really “make silence” which is the best way to work on sound, since playing more doesn’t make you hear. On the contrary, it sometimes knocks you down, and very often the more you boost the sound, the more you crush it. Here, the idea is to ensure that the first sound produced by the theremin should be extremely thin, almost at the limit of the audible, and in order to achieve this, a real silence is needed. Once the piece begins, it’s from this dynamic level and initial listening that you are able to develop it further.

Jean-Charles
Apparently, in all this, the notion of recording a given performance raises some questions. Often, for example, in improvisation, you don’t use recording for public release, but as a mirror to listen to what really happened, because there is a difference between listening afterwards and listening while playing. What is the status of recordings in this context?

Vincent-
Raphaël
There is the possibility of video capture, which is part of the working tools, but it’s not simply a sound recording. It is, of course, the trace of an experience, but for those playing the piece, it can also be a working tool, helping to understand how it works. There is also the audio recording itself: it’s pretty funny, because I remember when the piece was broadcasted on the radio, listening to it, I wondered if it was really the piece? What we hear is only one part of the piece. This is why I promote the idea that the works are very particular agency systems, it’s not simply the sound, it is a combination set up between sound, the performer who plays, and the gestures he or she makes. All this carries some sense in Toucher. If you listen to it on a recording, it’s as if you would listen simply to an acousmatic piece. Personally, I was quite satisfied because it sounded good as an acousmatic piece. Except that this piece isn’t based on a fixed support, even so there exists a fixed system, since the computer is there, and the program is fixed on a memory. But each time, it gives rise to a different interpretation, to a new unique projection in time. The video capture makes sense in terms of trace of an event, as with any recording of any work.

Right now, one of my students is practicing the piece. He worked on the available online videos to understand it, to understand its notation, etc., which saves time. But that wasn’t the approach used by Jean, who had another kind of experience. I think that each person deals with it in a certain way. But it’s fair to say that, generally speaking, video has become an accessory to the score.

 

3.1 Virtual Rhizome, Smartphones, Primitive Rattle, Virtual Spaces

Jean-Charles
We can now move on to Virtual Rhizome. In this piece, the interface between the performer and the system set up is achieved through the manipulation of smartphones. To begin with, we’ll go back a little to what has already been discussed: in the article already mentioned, you speak concerning this subject of « hochet primitif » [primitive rattle].[10]

Vincent-R.
[laugh] I like it.

Jean-Charles
It seems to me that this idea is connected in some way to video games, where there are beginners and then virtuosos…

Vincent-R.
… those who win and those who lose…

Jean-Charles
But in video games, it seems that beginners are somehow recognized as respectable in the same way as virtuosos. Is this the case, that is, is the piece still the piece, no matter who plays it, even someone who’s never studied music before?

Vincent-
Raphaël
I don’t know. About this idea of rattle, it’s linked to the issues of interfaces. In Toucher, the link between gesture and sound is completely arbitrary, I chose it myself, it’s a purely contingent relationship. The same gesture, used elsewhere in the piece can produce very different sounds. But the object-theremin is there, with the space around the antennas. There’s everything we were talking about earlier, which structures the musician’s gesture, enabling to play in an expressive way. With smartphones, for me, it was a problem, because in this case, space is no longer an issue, it’s an object reduced to the minimum movement. From the gestural point of view, you can make all the gestures you want, but it’s an object that you’re holding in your hand and with one and the same hand movement you can produce a billion different sounds. So, there was a problem concerning the construction of a discourse, due to the absence of a structured space that would allow you to say: “Well! first I’m here, then I’ll play there, then I’ll move away, I’ll go to…”. In Toucher, , this structured space exists around the antennas. In Light Music by Thierry de Mey,[11] that Jean premiered, there is a light surface, also virtual, you don’t see it, but when he places his hand somewhere, it’s not just anywhere, he places his hand according to the structure of the space. With the smartphone, there’s no structure. It’s a punctual object, almost “incorporated” that can only be shaken. It reminded me of a maracas. Really, all this technology for making the gesture of a maracas, it wasn’t worth doing all that [laugh] This was a big problem for me. I had to think hard to find a solution that seemed appropriate. The solution to the problem was not in any way to try to turn the smartphone into an instrument. That object in itself, isn’t that important – although obviously it is, I’m caricaturing a little – but what’s important is: what is the performer playing? Where is the piece really located?

When you’re playing a video game, you might find yourself in a room or on the street, and then at some point you take a turn, you go to another room or to another street, and then you’re attacked by some aliens, you’ve to react, and then you move on to the next stage. It’s a sort of virtual architecture in which you can move in many different ways. This was precisely the idea in Virtual Rhizome, to depart from the traditional instrumental model, which still exists in Toucher, but which is no longer appropriate here because there’s no space to explore with this object that is the smartphone. And from this came the idea of building a virtual space and using the smartphone as an interface, almost like a compass, enabling you find your way around this architecture. That’s how the two things, the rattle, and the video game, are linked together.

 

3.2 Virtual Rhizome, the Path to Virtuosity: Listening

Jean-Charles
And so, where can we find the path to virtuosity in this piece?

Jean
Listening. Being able not just to listen, but somehow to be the sound…
When I recorded with Vincent the percussion sounds used in Virtual Rhizome, I played almost everything with the fingers, the hands, and that allowed for much more color, dynamics, than if I’d played with sticks. When you’re playing with the hands, there is a particular relationship with the material, especially when you’ve spent your entire life playing with sticks, and in fact, when you’re playing with the hands and fingers your listening is even more “curious”.
Then, in this piece, you need to thoroughly understand the interface and play with it, especially with the possibility of superimposing states that can change with each interpretation. But once again, this is only possible with a clear vision of the overall form, if you don’t want to be overwhelmed by the interface.
Whoever the performer is, there is one common thing, which is this necessity to listen: you hear a sound if you go to the bottom of what it has to say. This means writing an electroacoustic piece in real time, with what you hear inside the sound.

It’s the idea of this interiority that helped develop the interpretation, because at the beginning I was moving a lot on stage, and the more I evolved with the piece, the more intimate, singular and secret this approach became. That’s why on stage there is a counter-light (red if possible) so that the public can only see a shadow, and ideally closes the eyes from time to time…

What’s interesting with the versions with dance is that, ultimately, even if the movements are richer and more diversified, there is really this inner listening that predominates, and forces a certain purity, a choice of intention before the choice of movement, that gives rise with the dancers to totally peculiar listening and embodiment movements.

Vincent-
Raphaël
This version with dance was very impressive, because the three dancers were perfectly in place. I said to myself: “But how could you be in place in something that’s never in place, that’s never the same?” You really had the impression that they were perfectly synchronized with the music. How did they do that? It was touching, yes. Very moving.

Jean
And it was brilliant because the accumulation of possibilities, that is roughly, the layers they had encountered, the sound they knew, or at least they heard. They made up a kind of narrative (it’s exactly the same thing in Toucher), they knew, there was a story in the making, with emphasis on certain things, they had to be in a certain place at a given moment. Their sensibility was extraordinary and above all their intelligence. Really, when you’ve worked in a setting like that, with pieces with such intensity in terms of interpretation, I think there is veritably a huge difference between before and after. Because the usual situation of the choreographs is to dance to music that has already been definitively fixed. Most of the time, during rehearsals, they roughly only repeat things that have already been more or less decided. On the contrary, you have here the idea of a flexible framework that enables you to know where you are situated among an infinity of possibilities. And the three dancers benefitted from it, because we performed it three times and each time it was great.

 

3.3 Virtual Rhizome, a Collaboration Composer/Performer/Computer Music Programmer

Jean-Charles
During the elaboration of the piece, you worked together on recording sessions of voice and percussion sounds. What was the nature of the collaboration between the two of you?

Jean
In any case, it’s Vincent who is the composer. It’s a collaboration, of course, but the distinctive feature of the composer in relation to the performer is to be “ahead of time”, which forces you to move toward what is proposed. The collaboration between composer and performer has always existed, even if it can take different forms depending on the encounters.
With Vincent, everything seemed coherent and flowing, even when we were recording many sounds over the course of a day. Everything was clear to me, and I quickly understood in what sound universe I was going to evolve in, even though I had no idea of the form of the piece, but just knowing the landscape is an essential thing for the performer.

Vincent-
Raphaël
Regarding collaboration, it’s true that I really enjoy writing solo pieces, because it implies a very strong bond with the person playing them. The piece arises from this kind of relationship. In Virtual Rhizome, there was something a little special about the fact that the instruments didn’t exist yet, everything had to be developed. Effectively we had the smartphone, but I spent a lot of time first imagining how to deal with the piece, before working on the sound processing modules, which I did with Christophe Lebreton, bearing in mind that I never work with computer music designers. I had worked with Christophe before, but on projects in which he played an artistic role. In Virtual Rhizome it was the first time he really had the role of computer music programmer. I would make the patches in Max and Christophe encoded them in Faust and then compiled them for iApp. As the tool wasn’t ready, it was difficult to be able to work directly on the piece. And at the same time, with such a piece, a relationship with Jean had to be established. I remember suggesting to Jean something like this: “I don’t know where we’re going, but we need to have some sounds. I would love that the work be a sort of portrait of yourself, and so to start with the instruments you like, the way you approach them, and also for you to play with the hands, without sticks.” Conceptually, in a piece like this, where precisely there is no contact with the instrument, it was interesting that the sounds possess in their deepest being this direct contact with the performer’s body. Lastly, the most personal sound imaginable is the voice. Thus, I asked Jean to come up with a text. In fact, there were two texts: Jean proposed extracts from Proust’s Recherche du temps perdu, and I proposed a text (read in French by Jean) by Jorge Luis Borges taken from « Jardin aux sentiers qui bifurquent » [in Fictions][12]. It’s another Borges-style labyrinthic story that fitted the project very well. And both texts say something of the sensual work of listening, the work on sound matter, the labyrinthic structure of the work. They are there as signatures from which we can sometimes hear a word, a barely audible fragment of Jean’s voice.

You raised the question of virtuosity earlier, Jean-Charles. Speaking then of virtuality or virtuosity, I liked the link you made between the two. The virtuosity here resides in the fact that there are two smartphones, behaving in complete isolation from each other. They don’t communicate with each other. You could play the piece with only one smartphone, in a way. You could switch from one situation to another, forwards and backwards, using a gestural control. With both of them, you can combine any situation with any other one. This means that you have to work extremely hard at listening, precisely because, on the one hand you don’t always know what automatized sequences will appear, the textures, the layers mentioned by Jean, and on the other hand, you have also controlled sounds, played, each of which can be very rich in itself. The use of two smartphones implies a great deal of complexity because of the multitude of possible combinations. This requires working intensely on an inner concentrated listening, to orient yourself in this virtual universe, which precisely has no physical consistency. There’s no score anymore, the score is in the head, it’s like the Palace of Memory in the Middle-Ages, a purely virtual architecture that you have to explore. That’s why I like the way you link these terms of virtuosity and of virtuality, because each depends on the other, in a way.

Jean-Charles
About this collaboration, Jean, do you like to add something?

Jean
I already knew Xavier Garcia’s pieces, so working with smartphones wasn’t a problem for me, on the other hand it was when I started subverting Xavier’s applications that I really realized their potential. It’s essential to know at a minimum how it functions, otherwise you cannot really play it without being overwhelmed by the tool… For there is the risk that the tool could ultimately take up all the space.

Nicolas
What I find interesting is that the question of the PaaLabRes fourth edition is centered on how to report on practices and especially the complex ones that have just been described here. In the case of Virtual Rhizome perhaps more than in Toucher, there are three poles that are fairly well defined in terms of the classical division of labor of the 19th century, when the computer didn’t exist. There is the person who composes, the person who performs, who transforms the composition into actual sounds, and Christophe who is the luthier, who would be a kind of computer technician, I don’t know how to call it. So, the composer provides a piece to be played, something to make music in terms of action verbs, Jean, as a performer learns it and creates something with it, and Christophe’s role is to deliver the computer software with the system included to make it work. And it’s this kind of combination, which is not at all as simple as what I’ve just described. It’s nevertheless a first representation, and if you go a bit to the floor below to see the relationships that are woven between each other, how the fact of having said something at a given moment, of having used this very word, for this precise use, that comes out at a given moment, because we have perhaps heard it pronounced as you got off a bus, might create the conditions of a real collaboration. How can you describe this form of complicity between these three positions which, in a bit simplistic and bestial vision, might seem as extremely separated. We tend to look at things too quickly, but in fact there is an enormous amount of subtleties. At what points does this sort of cooperation between at least the three of you come into play? It’s not IRCAM with the Max MSP and this kind of wider community. I don’t know how to make this clear. I’ve got a few ideas, but I submit this question to you to help us do that.

Jean
I think that it’s a modern version of what existed with Mozart and the basset-horn, Bartok with the pedal timpani, Wagner with the saxhorn… I think these relationships have always existed, and they’re extremely closely interwoven. The luthier, Christophe, takes part in the creation of the piece, he is a structuring factor in the creative process. It’s clear that today we’re no longer in the situation of previous times when the composer completely mastered the tool and was often performing his or her own works, keeping control over the three thirds of the creative process: intuition, writing, realization.
Nowadays, with the presence of set-ups, “agencies” [dispositifs], the notion of writing has completely changed its framework, you have to describe the music and at the same time to develop the electroacoustic set-up process of captation, in real time, that is, building an instrument.
The composer can only partly cover the second third, bearing in mind that lutherie also evolves in the writing process… The only obvious thing is that from beginning to end, there is a spoken word, that of the composer, in terms of: “This I want, that I don’t want”. And for me, this is the alpha and omega of creation, that is, its requirement. The composer provides us, performers, with a material, a discourse, a narrative, a vision, a relevance. It’s not a question of hierarchy, but this kind of spoken word is at the heart of the whole process of encounter and creation.

 

3.4 Virtual Rhizome, the « Score »

Nicolas
In the article (already quoted), there’s figure 3, which is a graphic representation with smartphone 1 and smartphone 2 going from 7 to 8 and coming back to 7, and so on. We wondered if this was a notation of one of the possibilities? Is it in fact something that perhaps Jean never did, that Jean never needed to look at to realize the piece? This figure seems to me a little incompatible with the idea that what is represented here is actually the score indicating what there is to do. So, what exactly does this figure 3 represent?

 

Extract from the score of Virtual Rhizome (example 3 de l'article)
Extract from the score of Virtual Rhizome (example 3 of the article)

 

Vincent-
Raphaël
In fact, this is an extract from the score. The score also provides a text of presentation that explains the precise meaning of this notation, which corresponds to a transcription of Jean’s first interpretation. Actually, it’s a possible pathway, but based on the fact that it had already been done. Jean’s interpretation was very good indeed! The recording respects the score absolutely, as it’s been done in other way round… A fair number of things come from his interpretation. At some point, Jean was going back and forth between the two situations… I transcribed this extract you mentioned, which I think corresponds to situations 7 and 8. It makes it explicit that it’s possible to linger in one area of this architecture to explore it, to look at what’s going on around it, and to play with the complexity resulting from combination of the two smartphones. But there are many more ways of exploring it than what’s indicated in the score.

At the top of Figure 3, there’s also a word: “ineluctable”. These terms have been added to produce intentionality. The performer doesn’t just generate sounds, she/he animates them, gives them a soul, literally, and to give them a soul requires an intention, a meaning. It might be a concept, I don’t know, a geometric figure, something that generates intentionality. This is important in the score, but what is notated is actually a possible pathway, and this is the result therefore of the performer’s work, it’s a pathway followed by the performer during the collaboration, and which becomes a possible model for the piece’s realization. It’s interesting to note that it is this pathway that was followed by other performers who played it, as if the form was definitively fixed.

Jean-Charles
Vincent mentioned above that there is no longer a score and that « the score is in your head ». How does this work from your point of view, Jean?

Jean
That’s related to what Vincent said, in a piece like this, the idea of having an infinite number of interpretations is an incredible richness, it’s a bit like analyzing a poem, there will be as many different approaches as there are people reading the poem, which is nevertheless the same for everybody, I love that.

Jean-Charles
This is what Vincent calls “images”? In the text of the article, you can read this: “images totally internalized by the musician”.[13] Are these the words you just mentioned?

Vincent-
Raphaël
Not just these words, but all the sounds and the pathway, everything. An image in the “imaginary” sense, you see, it’s something internalized…

Jean-Charles
It’s not just something visual?

Vincent-
Raphaël
No, it’s internal. But you always have to build an image, so that things can have some consistency and be externalized.

Nicolas
My hypothesis would be that people respect the score, which is given as impossible to respect. In fact, I shouldn’t ask both of you at the same time [laugh]. If someone contacts you, Vincent, who would like to play the piece, what do you begin to tell her or him, what do you send, and so on? Conversely, if a performer comes to see Jean and says: “Ah! I thought it’s great, what do I have to do to be able to play the piece?” What do you give, and what don’t you give, or don’t give right away?

Vincent-
Raphaël
Yes. But there’s included in the score an introductory text, which guides a great deal the work to be done. That’s written down. If someone comes to ask me how to practice the piece, the first thing to say is that you have to work on each situation separately, to understand how it works, because the score isn’t just the notation. The score is also the instrument, the sound processing modules, the choices of recorded sounds, Jean’s voice, it’s the way certain types of controllers were configurated to certain types of parameters, it’s all part of the score. You have to know all that in order to navigate inside it, and, once you know that, then I think you can work on the construction and on the musical aspects. Jean knew all about it because he participated to the creation of the instrument with Christophe, so for him, it was completely obvious. But for someone else, it’s not at all obvious. This was already the case with Toucher, but here perhaps even less so. It’s not easy, because of the conception you have of an instrument on which you act physically, and your gestures produce expected results, and of a score where the intentions are transcribed.

 

3.5 Conclusion: References to André Boucourechliev and John Cage

Jean-Charles
At the end of the article “On Notational spaces and interactive works”, in the conclusion, there are references to Boucourechliev and Cage. Now, listening to what you said, it occurs to me that it’s precisely here a little different because, notably with Cage, there is a fundamental separation between the composer and the performer. The composer defines processes and then passes the relay to the performer to realize the piece without the need for any contact between them. It’s a bit the same with Boucourechliev: the performer can elaborate his or her part of the creative process in with complete independence. Consequently, it seems to me very interesting to refer to this origin of graphic scores from the period 1950-60 (more or less) and compare them with what’s happening today. But at the same time, what you are talking about today seems to me completely different from what happened then.

Vincent-
Raphaël
That’s for sure. But before talking about that, I’d just like to respond to what Nicolas was saying about Christophe’s role in this matter. He’s the designer of the system. His idea of doing something with smartphones was already an important starting point. As is usual when you start something new, at first the ideas tend to be rather vague, you don’t quite know what you can do with them, so you tend to refer to known models. In this case, Christophe’s experience is based on the model of the instrument, among other things. I was a little hasty in talking about his artistic work. He is not only a computer music programmer, but also a creator of interactive systems. And for me, the conception of interactive systems is part of the writing process. I might be the only one to say this, but I think that, fundamentally interactive system design is an integral part of the writing process. There’s a keyword that I like a lot, as it translates quite well this type of experiences: it’s the term of “agencement”. For each new piece, we find ourselves agencing musical functions – performer, composer, luthier – with technical tools, creating each time original agencing. Thus, the difference between Toucher, Bach’s Chaconne and Virtual Rhizome, Rhizome is that each time, there are different agencing between what we consider to be a score, a notation, an instrument, the performer, the composer, the role of each one, the way in which the piece is elaborated, and each time there’s a work, and therefore there’s effectively a composer. The very idea of the work of art, its configuration, the relationships between the composer and the performer, all that, gives way to particular agencements. And for me, the composer who most experimented this during the 20th century was Cage. With Cage, the works – he fabricates works, so he’s effectively a composer, he has that function – are very often particular agencing involving situations, the performer is also a theatre actor, the instruments that have to be chosen, or technical tools, installations, and so on. Obviously, for me, there’s a direct link between Cage’s work and pieces like Virtual Rhizome, in that Cage’s scores often don’t represent a finished work, they are open forms. Above all, the score is a generator of works. If you consider Cage’s Variations, it’s an object designed to produce works, in short, it’s as if you were given a model, an instruction manual designed to fabricate your own, by determining the evolution of parameters and the relationships between them. In fact, Cage proposes technical tools and supports that enable the performer to construct her or his own work. In so doing, he emancipates the performer from the traditional role of interpreter, creating a particular agencing between the performer and the score. And regarding Boucourechliev, there is definitively a link between him and Virtual Rhizome: the score is a sort of navigation map. What I said earlier about virtual architecture applies here, smartphones are like helms that enable you to navigate inside the work. Boucourechliev ‘s Archipels de Boucourechliev is a little like that, appropriately named, it’s a navigation map.

Jean-Charles
We tend to use the word dispositif instead of agencement.

Vincent-
Raphaël
Dispositif”, I used it too, you find it written in the article. Dispositif suits me fine. To dispose, layout, arrange, compose, it speaks, it’s logical. But dispositif has a double meaning. Philosophically, it’s also one of those double-edged terms: Foucault speaks of dispositifs, of imprisonment, of surveillance. And it’s true, one feels it, there’s something about the technical dispositifs which imprisons us. The Deleuzian terms of “agencement” has for me a more open meaning. There is something about agencement compared to dispositif that makes it more open, less oriented. The dispositif has a purpose. The agencement, I don’t really know what it’s for, it remains open to exploration. These are nuances, two complementary points of view of the same process.[14]

Jean-Charles
Thank you to both of you for a very rich encounter. Thank you also to Nicolas.

 


1.Christophe Lebreton : « Musicien et scientifique de formation, il collabore avec Grame depuis 1989. » Musician and educated as a scientist, he collaborates with Grame since 1989.
See: Grame

2. Xavier Garcia, musician, Lyon : Xavier Garcia

3. Charles Juliet, Rencontres avec Bram Van Velde, P.O.L., 1998.

4. « Light Wall System was developed in LiSiLoG by Christophe Lebreton and Jean Geoffroy. See LiSiLoG, Light Wall System

5. SmartFaust is both the title of a participatory concert and the name of a set of applications for smartphones (Android and Iphone) developed by Grame using the Faust language. See Grame, Smart Faust.

6. Claudio Bettinelli, percussionist, Saint-Etienne. See Claudio Bettinelli.

7. Vincent-Raphaël Carinola, Typhon, the work is inspired by Joseph Conrad’s story Typhon. See Grame, Typhon.

8. “On Notational Spaces and Interactive Works”, 2.3, 2nd paragraph.

9. Thierry De Mey, Silence Must Be: “In this piece for solo conductor, Thierry De Mey continues his research into movement at the heart of the musical ‘fact’… The conductor turns towards the audience, takes the beat of his/her heart as pulsation and begins to perform increasingly complex polyrhythms, …3 on 5, 5 on 8, getting close to the golden ratio, she/he traces the contours of a silent, indescribable music…”. Grame

10. “On Notational Spaces and Interactive Works”, op. cit. 3.1.

11. Thierry de Mey, Light music: “musical piece for a ‘solo conductor’, projections and interactive device (first performance March 2004 – Biennale Musiques en Scène/Lyon), performed by Jean Geoffroy, was produced in the Grame studios in Lyon and at the Gmem in Marseille, where Thierry De Mey was in residence.” Grame

12. Jorge Luis Borges, Fictions, trad. P. Verdevoye et N. Ibarra, Paris : Gallimard, 1951, 2014.

13. “On Notational Spaces and Interactive Works”, op. cit. 3.2.

14. See Monique David-Ménard, « Agencements déleuziens, dispositifs foucaldiens », in Rue Descartes 2008/1 (N°59), pp. 43-55 : Rue Descartes

Espaces notationnels et œuvres interactives

Accès à la version originale en anglais: “On Notaional Spaces”
 
Accès à la version en français ; « Rencontre avec Vincent-Raphaël Carinola et Jean Geoffroy »:
 
Accès à la version en anglais : « Encounter with Vincent-Raphaël Carinola and Jean Geoffroy »
 


 

Espaces notationnels et œuvres interactives

Vincent-Raphaël Carinola et Jean Geoffroy

 

Résumé

Cet article présente une réflexion sur la nature des espaces notationnels dans les œuvres musicales interactives faisant appel à des dispositifs numériques. Il prend appui sur les expériences menées par les auteurs dans Toucher (2009) pour thérémine et ordinateur et Virtual Rhizome (2018) pour Smart Hand Computers[1].

Dans les musiques interactives les espaces notationnels sont corrélés à la structuration spatiale du dispositif, notion qu’il faut entendre dans le sens d’une extension de l’instrument traditionnel. C’est pourquoi composer une œuvre équivaut, du moins en partie, à composer l’instrument. Les espaces notationnels, autrement dit, les lieux rendant possible une écriture — et donc une interprétation — sont distribués parmi les différentes composantes du dispositif. La façon dont ses éléments constituant les dispositifs numériques sont interconnectés (le mapping), la logique algorithmique du «if-then-else» et la notion d’ouverture jouent un rôle fondamental pour le compositeur et pour l’interprète.

Or, dans le cas des dispositifs miniaturisés (ou embarqués, ou incorporés), cette structuration spatiale des composantes du dispositif semble absente et, par conséquent, questionne l’existence d’un espace pour la composition et pour l’interprétation. Une des solutions explorée ici consiste à concevoir l’œuvre comme une architecture virtuelle qui rappelle un « monde » dans le domaine des jeux vidéo. Cette architecture, ouverte à une pluralité de parcours, assume alors la fonction d’un espace notationnel en faisant appel, paradoxalement, à des techniques de la mémoire propres à l’oralité.

 

Le texte en version pdf  :

 


1.La notion de Smart Hand Computer est due a Christophe Lebreton. Elle décrit et généralise une des caractéristiques importantes d’outils du quotidien, tels les smartphones, qui regroupent une seul objet une inter- face de captation de geste et un ordinateur. .lisilog.com